TOME 5 - FASCICULE 7 - SEPTEMBRE 1993

Sommaire

Editorial - Notre Roi Baudouin n'est plus

J. HARLEPIN - Les forts français de 1914 (période 1874-1914) (à suivre)

Emile COENEN - La Forteresse "ILE MONSIN", (suite et fin)

Joseph THONUS - Regard sur l'histoire de l'Artillerie

Colonel e.r. P. MALCHAIR - Le franchissement de la Meuse à Namur par le Génie américain en 1944

Epinglé pour vous

Bibliographie

Courrier des lecteurs

Major SIMONIS : Retinne, 5 et 6 août 1914

Editorial - Notre Roi Baudouin n'est plus

Immense, fut la peine de la Nation à l'annonce du décès inopiné de notre Souverain bien-aimé, dans sa résidence de Motril, en Espagne, le 31 juillet 1993.
Dix jours après les cérémonies de notre Fête Nationale, qu'il avait présidées avec prestige, en indiquant à nos instances fédérales la voie de la Raison, notre Roi s'éteignait subitement en laissant un grand vide, lourd d'émotion et de désarroi.
Nos concitoyens ressentaient la disparition de Baudouin Ier au plus profond d'eux-mêmes tant le Roi défunt était proche des gens de chez nous par sa sollicitude, sa sagesse et son souci constant de l'unité du Pays.
La foule recueillie accourait en rangs serrés pour rendre un dernier hommage à celui qu'elle considérait à juste titre comme la personnification de la Nation et pour apponter à la Reine Fabiola et aux membres de la Famille Royale le réconfort de la présence du Peuple belge réuni dans une même ferveur.
Le C.L.H.A.M. s'est joint aux innombrables patriotes pour exprimer son profond chagrin et ses condoléances les plus émues.
Le Roi Baudouin, que beaucoup d'entre nous eurent la joie et le privilège de servir pendant plus de trente années, restera notre guide spirituel dans toutes nos actions et plus particulièrement dans notre tâche de mise en valeur du patrimoine fortificatif, but premier de notre association.
Nous exprimons à Sa Majesté la Reine Fabiola et à Leurs Majestés Albert II et Paola, nos nouveaux Souverains, notre sentiment d'attachement indéfectible à leurs Augustes Personnes et à Monarchie.
G. Spoiden
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J. HARLEPIN - Les forts français de 1914 (période 1874-1914) (à suivre)

I. Préambule
On a déjà beaucoup parlé et écrit au sujet des fortifications belges en 1914 et 1940. Quelques lecteurs du bulletin ont manifesté un intérêt pour ce qui se passait en France dans le même domaine.
Nous nous proposons donc d'aborder le sujet des lignes de forts en France; nous pensons surtout aux forts contemporains de nos forts Brialmont. La période prise en considération sera de 1874 à 1914.
- 1874, parce que c'est la période où débuta la construction de ces forts.
- 1914, parce que, à ce moment, ils subirent l'épreuve du feu et se révélèrent périmés, tout comme les forts Brialmont chez nous.
Il s'agit des forts Séré de Rivières. Ceux ci forment l'essentiel de l'ossature de la fortification française qui a joué un rôle en 1914.
Rappelons que A. Lecomte a déjà développé ce sujet dans son article "Les fortifications Séré de Rivières et leur modernisation - 1873 - 1914" paru dans le bulletin Tome III Fascicule 11.
Nous voudrions revenir sur ce sujet, et en rappelant quelques faits saillants, nous voudrions essayer de compléter par d'autres détails moins connus.
Pour rappel, un peu d'histoire :
En 1870, c'est la guerre Franco-Prussienne (période Napoléon III). La France se lance dans une aventure dont elle va sortir meurtrie. Le Traité de Francfort, va l'amputer de l'Alsace et d'une partie de la Lorraine. Cette guerre mettra en évidence une faiblesse grave sur le plan militaire : le matériel et les équipements laissent à désirer (technique en retard); la fortification n'est plus à la hauteur; les plans d'Etat-Major et la philosophie des opérations s'avèrent périmés.
Et surtout la France perd une frontière naturelle, le Rhin, avec des places fortes comme Strasbourg, Metz et Thionville.
Le pays va avoir un sursaut d'énergie et compenser sa faiblesse par la réalisation d'une nouvelle ceinture de défense; elle va aussi repenser son artillerie, corollaire naturel des fortifications.
La France va confier à Séré de Rivières le soin de la rééquiper en fortifications sur ses frontières.
Séré de Rivières, Général Français (1815 - 1895), a participé à la guerre de 1870 dans le Génie et dirigea à partir de 1875 l'édification du système de fortification qui porte son nom.
Son système est basé sur un certain nombre de bases dénommées "Camps Retranchés", reliées par des "rideaux défensifs" dans les intervalles.
Pour canaliser les attaques d'un ennemi, on laisse intentionnellement des voies d'accès libres, comme les trouées de Stenay et de Charmes. On estime mieux pouvoir diriger la bataille en utilisant les camps retranchés comme bases de départ ou de refuge pour l'armée de campagne.
Les camps retranchés, outre les forts qui les entourent, possèdent une importante infrastructure de soutien pour une armée en campagne, à savoir :
- des casernements;
- des magasins à poudre et munitions;
- des parcs à fourrage;
- des champs de manœuvre;
- des parcs à ballons;
- des parcs d'artillerie et arsenaux;
- des communications - chemins stratégiques et des chemins de fer (exemple : voie de 0,60 m).
Nous proposons le plan de travail ci-après :
Les forts français de 1914
II. Examen des zones fortifiées
En 1872, la France a estimé devoir fortifier toutes ses frontières terrestres, de Dunkerque à Nice. La frontière espagnole ne reçut que peu de forts (il y a les Pyrénées !).
Nous ferons abstraction des fortifications anciennes (genre Vauban), qui existent encore deçà et delà, mais qui sont dépassées.
Nous verrons successivement devant la Belgique, l'Allemagne, la Suisse et l'Italie, ensuite nous dirons un mot des lignes arrières.
Les fortifications Séré de Rivières
A. Devant la Belgique :
Cette frontière s'étend de Dunkerque à Longwy.
Dunkerque est un port qui fut, depuis longtemps déjà, fortifié. Il est donc logique qu'il reçoive dans le nouveau contexte une certaine attention. Il sera doté de deux forts en plus d'ouvrages anciens.
Ensuite vient Lille, qui fut déjà antérieurement une place forte et un point stratégique. La ville reçut une ceinture de quelque 21 forts. Lille formera un camp retranché Important.
Vient alors Valenciennes qui, au départ, devait être un camp retranché, mais où rien ne fut, en fait, réalisé. On s'en tint à un faible rideau de trois forts. Ce rideau est établi dans une région au milieu de zones inondables (fort de Curgies, Maulde et Fline).
Maubeuge est une ville qui fut fortifiée par Vauban. Son importance est grande car située sur une voie d'invasion qui passe par la Belgique. C'est la trouée de Chimay, qui est un passage historique pour passer de l'Allemagne vers la France.
Cette traversée est jalonnée par Liège, Namur et Maubeuge. Ces trois villes reçurent des forts et les Allemands ne se privèrent pas de les bombarder, jusqu'à destruction en 1914. Maubeuge sera donc un camp retranché; la ville reçut une ceinture de 15 forts ou ouvrages divers.
Si nous descendons encore, nous arrivons dans la zone des Ardennes, considérée comme facile à défendre. On se contentera d'un rideau défensif. Pour ce cas, on se limitera même à remettre en service d'anciennes places fortes.
Ainsi, sur 5 forts, on trouve: Charlemont (Givet), Montmédy et Longwy. Dans la forteresse de Montmédy, on trouve des traces de casernements type Séré de Rivières. Seuls deux ouvrages sont neufs : Hirson et Ayelles.
B. Devant l'Allemagne :
Après Longwy (près de la frontière du Luxembourg), on se trouve devant le territoire allemand, avec deux places fortes devenues allemandes : Thionville et Metz. A noter que Sedan, place forte en 1870 (encerclement de Napoléon III), ne jouera plus aucun rôle en 1914. On la retrouvera en 1940 !
Voyons du nord au sud :
Tout d'abord, on trouve les deux camps retranchés de Verdun et Toul, avec, entre deux, un rideau défensif. C'est peut-être la zone la plus fortifiée; c'est aussi la zone stratégiquement la plus importante et les terribles combats de 1916 viendront confirmer la chose. Certains forts de Verdun auront leur nom inscrit dans les livres d'Histoire. On retrouve les noms sur le plan ci-après.
Sous ce tandem Verdun-Toul, nous avons la trouée de Charmes, avec le fort de Manonvillers. Nous avons déjà signalé que Séré de Rivières avait prévu de telles trouées afin d'amener l'ennemi à s'y précipiter. Les Allemands ne tombèrent pas dans le piège et préférèrent passer par la Belgique. En fait, ils utilisèrent la trouée de Chimay, alors que les Français les attendaient dans l'est.
Viennent ensuite les deux camps retranchés d'Epinal et de Belfort, reliés aussi par un rideau défensif. Les places d'Epinal et de Belfort possèdent chacune une dizaine de forts. Epinal est une place nouvelle, mais Belfort est une très vieille ville forte qui possède déjà une série de forts anciens qui ont bien résisté en 1870. On y ajoutera les nouveaux forts un peu en dehors de la ville.
Sous Belfort, il y a une nouvelle trouée, celle de Belfort. Elle s'étend jusque Bâle qui est en terrain assez plat. Cette partie ne joua aucun rôle en 1914.
La région fortifiée de Verdun (1915-1916)
C. Devant la Suisse :
Entre Bâle et Genève, on trouve une région fort montagneuse, facile à défendre et avec peu d'accès. On ne trouvera donc que quelques forts dont certains anciens; il faut savoir que les fortifications deviennent périmées moins vite en zone montagneuse et peuvent rester en service plus longtemps.
Il faut aussi prendre en considération que la frontière suisse est aussi surveillée par les deux camps retranchés de 2ème ligne : Besançon et Dijon. Après Genève la défense est reprise par le camp retranché d'Albertville.
D. Devant l'Italie :
La frontière italienne pose des problèmes spécifiques. Elle s'étend des environs d'Albertville jusque Nice. Nous vous renvoyons au plan suivant pour cette partie.
Cette région se caractérise par une zone très montagneuse et difficile d'accès, avec des cols formant des passages obligés.
On trouvera dans cette région, non des lignes continues, mais des zones ponctuelles, où se concentrent les forts, sur les hauteurs.
En examinant la partie de la France longeant l'Italie (les Alpes), on peut situer les zones stratégiques suivantes:
1. Lyon - base arrière formant camp retranché.
2. La région de Bourg St Maurice barrant un accès possible, en même temps que :
3 et 4. Albertville : toute cette région est riche en fortifications. Celles-ci sont moins connues car situées sur des sommets dominant les vallées.
5. La vallée de Saint Jean de Maurienne, avec :
6. Le mont Cenis et son lac.
7. Grenoble : camp retranché en seconde ligne.
8. Briançon : très vieille ville qui a toujours été fortifiée; passage stratégique.
9. Barcelonnette où se trouve aussi une trouée, de même que :
10. Tende et son col.
11 et 12. Enfin Nice qui possède des forts répartis dans les environs, et qui doit aussi contrôler la zone côtière. L'Italie est dans cette région, en compétition avec la France pour Menton.
13. Citons aussi la base arrière de Toulon, qui est à la fois base et port de guerre.
E. Les bases arrières :
Pour une défense en profondeur, il est normal de prévoir des bases arrières, situées en profondeur et qui servent de 2ème ligne.
Signalons :
La zone La Ferté - Laon.
La zone de Reims.
Langres.
Dijon.
Besançon qui surveille aussi la Suisse.
Lyon.
Grenoble.
Toulon.
Paris.
Il s'agit là de véritables camps retranchés capables de recueillir une armée en campagne et lui servir de base. Ils sont entourés d'une série de forts Séré de Rivières, et, en plus, ils disposent encore de fortifications antérieures plus ou moins périmées (comme les places Vauban)... Il en est parfois de même pour les camps retranchés situés près des frontières (exemple : Belfort).
Canon revolver Hotchkiss pour la défense des fossés
III. Les trois époques
On sait que pendant la période considérée, l'évolution de l'artillerie a été rapide et importante. Après l'apparition du canon rayé et du canon se chargeant par la culasse, on a vu, en 1885, l'apparition de l'explosif brisant, la mélinite; celle-ci remplaça la poudre noire.
Le résultat de l'utilisation de cet explosif fut une remise en question de la technique de construction de la fortification.
On peut donc considérer qu'il y eut une évolution rapide des forts. On peut distinguer trois périodes :
1) 1874 - 1885.
2) 1885 - 1892.
3) 1892 - 1914.
1) La première période ( 1874 - 1885) se situe précisément entre la construction d'une série importante de forts par Séré de Rivières, et l'apparition de la mélinite en 1885.
Les forts répondent à des conceptions nouvelles mais sont toujours réalisés en maçonnerie de pierres ou de briques. D'autre part, l'artillerie est en batterie sur le fort, à ciel ouvert, donc exposée au tir plus précis de l'ennemi.
Pourtant, on a déjà le souci d'une meilleure protection du canon, avec les casemates Mougin et les tourelles cuirassées du même Mougin.
On aura le temps de construire, pendant cette période, un grand nombre de forts, avant l'échéance de 1885.
2) La deuxième période (1885 - 1892) : la mélinite entraîne une énorme déception. A peine les forts sont-ils construits, qu'il faut les considérer comme périmés. Les maçonneries sont insuffisantes pour assurer la protection indispensable contre les nouveaux explosifs. On va jusqu'à envisager le déclassement des forts; cela sera fait pour certains d'entre eux. On va mettre les batteries en dehors des forts, et ceux-ci ne seront plus que des ouvrages d'infanterie. On essaye aussi de remédier à cette situation en renforçant les forts; mais les crédits ont été épuisés, et seul un nombre limité d'ouvrages reçut un bétonnage des superstructures pour les renforcer. Les principales modifications sont :
a) revêtement des casernes et locaux par une couche de sable et une couche de béton non armé.
b) doublement des murs de casernes (pas fréquent).
c) report des caponnières à la contrescarpe.
Un certain nombre de forts furent déclassés et plus ou moins désarmés. C'est surtout sur la frontière de l'Est que l'on a vu les renforcements. A Condé-sur-Aisne, les casemates Mougin furent désarmées en 1906.
3) La troisième période (1892 - 1914) : le développement du béton et des cuirassements va bouleverser les techniques de la fortification. On va reprendre espoir dans les forts, lesquels seront construits cette fols entièrement en béton. Cela avait déjà été fait par Brialmont en Belgique. Ce sera alors le triomphe du béton et des cuirassements (tourelles).
On voit aussi apparaître, à ce moment, la casemate de Bourges, et la notion de tir de flanquement.
Quelques nouveaux forts en béton viennent compléter le réseau existant.
La confiance semble revenir et on se croit bien protégé, jusqu'au moment où la déclaration de guerre vient mettre en évidence que les forts sont à nouveau périmés. C'est vrai en Belgique avec Liège et Namur, puis à Maubeuge, et cela dès le mois d'août. La nouvelle artillerie de siège allemande règle le sort des forts; c'est le temps de la "Grosse Bertha".
Mur de contrescarpe d'un fort Séré de Rivières, réalisé en voûtes à décharge, typiques dans ces ouvrages.
Toutefois, Séré de Rivières n'en est pas l'inventeur. On trouve de telles voûtes en décharge dans des ouvrages plus anciens (vu un exemple à Tournai dans une galerie sous bastion de la citadelle).
IV. Les types de forts. Comme la majorité des forts est du type Séré de Rivières, voyons ce qu'on trouve dans ce genre d'ouvrage.
En fait, un fort Séré est une grosse batterie d'artillerie, avec un accompagnement d'infanterie, ainsi que de tous les moyens permettant de vivre et survivre, même encerclé par l'ennemi.
Voir les plans ci-après pour l'allure générale du fort et des remparts.
On trouvera donc :
1. La batterie d'artillerie, basse ou plus généralement haute; cette dernière se trouve alors sur les superstructures de la caserne. Elle comprend un nombre variable de pièces de calibres qui peuvent être de 80, 90, 95, 120, 138 ou 155 mm à cette époque.
Les canons sont du type classique sur affût à roues; les plus courants dans les forts seront les calibres de 95, 120, et 155.
On commence à voir des affûts spéciaux pour le tir derrière un parapet; l'affût est alors surélevé. Cette configuration est caractéristique de l'époque, car le parapet, étant plus haut, le personnel est mieux protégé.
Le chargement par la culasse est adopté partout.
Des pièces, modernes pour l'époque, seront les 120 et 155 système De Bange (portée de 9.800 m pour le 155).
Pour la protection, au début, on ne voit rien en toiture. La protection latérale se fait par traverse abri et pare-éclats.
Pour la protection frontale, on a le parapet.
La plupart du temps, la traverse abrite une casemate (parfois deux étages) servant d'abri aux pièces, qu'il faut sortir pour les mettre en batterie.
Tous ces canons ont encore un recul lors du tir.
2. Les casernements. Ils sont plus ou moins importants selon les forts; ceux-ci sont constitués de casemates voûtées à raison de un ou deux étages. Le matériau est la maçonnerie de pierres ou de briques (dans le nord) selon les lieux.
La caserne est recouverte de terre et adossée à un massif de terre. Elle donne sur une cour par une façade typique.
On trouve dans les casernes tous les services nécessaires à la vie de la troupe (artilleurs et fantassins), avec logements, cuisines, magasins divers, ateliers, et services divers. On trouve même une tisanerie (service médical !).
3. Les poudrières Avant 1885, nous sommes encore dans le domaine de la poudre noire et il est nécessaire de la garder, au sec, dans des magasins appelés poudrières. Il y en a une, deux ou trois selon la grandeur du fort. On peut y mettre plusieurs tonnes de poudre.
Pour assurer la sécheresse dans le local, ce dernier est entouré d'une galerie de ventilation. Les poudrières sont recouvertes de terre; elles sont généralement situées aux extrémités latérales des casernes et accessibles par des galeries de liaison.
4.La forme Séré de Rivières a adopté les théories de Montalemberg.
Il en est donc venu à la notion de système polygonal. Il en résulte que la forme des forts est faite de polygones. Certains sont symétriques, d'autres asymétriques; ils ont de 4 à 6 côtés.
On trouve un front, côté ennemi, et une gorge, côté ami. L'entrée est presque toujours située à la gorge; les parties latérales sont les flancs.
Il y a une exception avec les forts d'arrêt, qui n'ont ni front ni gorge, car ils sont carrés et doivent se défendre dans tous les azimuts (exemples : Frouard et Villey-le-Sec).
La forme est donnée par le tracé d'un fossé de défense dont nous allons parler.
5. Les fossés Elément important pour la défense de la fortification, le fossé a beaucoup évolué. Le plan 9 montre cette évolution depuis le fossé des villes du temps de Vauban, jusqu'aux fossés des derniers forts français avant 1914 (20ème siècle).
Le fossé des forts Séré de Rivières comporte une contrescarpe, réalisée en maçonnerie du type "voûte à décharge". Elle retient le glacis qui est sous le feu des tirs depuis la banquette de tir.
L'escarpe est souvent retenue par un mur plus bas, pour être à l'abri des tirs ennemis.
Sur ce mur de retenue des terres, on trouve parfois un mur ajouté, derrière lequel l'infanterie peut agir au travers de meurtrières pour la protection des fossés.
Au droit des traverses, on trouve les profils repris au plan 7, A et B, en travers de la traverse et entre les traverses.
Ces modifications aux fossés sont dus aux développements de l'artillerie en précision et puissance, au point qu'à la fin, l'escarpe ne sera plus constituée que par la levée de terre. Une grille, des barbelés et des plantes piquantes serviront d'obstacles pour l'ennemi, dans les fossés; ces obstacles seront couverts par les tirs depuis les banquettes.
6. Les caponnières. Elles sont destinées au tir flanquant dans les fossés. Elles sont simples ou doubles et situées aux angles des forts. Ces caponnières sont du type rattaché à la partie centrale de l'ouvrage. Par la suite, elles seront reportées aux contrescarpes et seront appelées coffres (comme dans les forts Brialmont).
Les caponnières typiques de Séré de Rivières comportent les éléments suivants :
- une galerie d'accès généralement à partir d'une cour intérieure;
- des créneaux horizontaux de protection d'un fossé diamant couvrant les embrasures de tir des armes lourdes;
- des emplacements pour canons de défense des fossés. Canon revolver contre l'infanterie. Canon de 12 culasse contre les moyens de franchissement.
- une galerie flanquante entourant la caponnière avec embrasures pour fusils et créneaux de pieds.
Pour la défense de la partie du fossé contournant la caponnière.
Ces caponnières sont parfois des bâtiments impressionnants, et peuvent être à étage.
7. Les galeries d'accès. Les forts comportent un assez grand nombre d'éléments de galeries de liaison. Ces passages relient des locaux entre eux, mais aussi des cours aux organes de tir. Il en résulte que pour gagner un point quelconque du fort, il est parfois nécessaire de traverser une ou plusieurs cours à l'air libre. Par la suite, toutes les galeries seront en sous-sol. Les sorties donnant sur les cours se terminent par des trémies en maçonnerie pour retenir les terres.
8. Les entrées Les poternes d'entrée sont d'un type analogue à celui que l'on trouve dans les forts belges. Par contre, leur défense se fait encore souvent par des éléments anciens tels que des lunettes. En général, la poterne étant à l'escarpe, il est nécessaire de traverser le fossé; cela se fait par un pont en partie fixe, et en partie amovible. Le fossé et le pont sont évidemment sous le feu d'une caponnière.
9. Les armements Nous renvoyons à un numéro spécial à ce sujet.
Schéma type d'un fort de la période 1875-1885
Dessin représentatif d'un rempart typique, tel qu'on le voit dans les forts Séré de Rivières
On trouve le parapet avec les embrasures pour les canons,la traverse abri et un pare éclats (contre les tirs d'enfilade)
Sous la traverse, la casemate, abri des canons.
Photos
V. Les armements
A. Révolution de l'artillerie
Il faut avoir présent à l'esprit que le conflit de 1870 a révélé des déficiences graves dans le matériel de l'artillerie française. La défaite a amené une réaction qui se traduisit par des études poussées pour doter l'armée de nouvelles pièces d'artillerie. C'est pourquoi la France a vu apparaître des noms nouveaux de personnages qui furent de bons artilleurs.
Citons :
- De Bange.
- Rimailho (système Rimailho)
- Lahitolle (concurrent de De Bange).
- Hauberdon (participa à la naissance du 75).
- Filloux (15 Long GPF + mortier de 370 mm).
- Estienne (celui des chars).
De même que les forts seront "démonétisés" en 1914, cette artillerie le sera aussi, mais on ne peut nier que les améliorations furent réelles et la production de cette période fut de qualité.
Nous retiendrons surtout deux types de canons, parce que ceux-ci équipèrent en grande quantité les forts :
- Le système De Bange, modèle 77, en calibres 120 et 155 mm
- Le système de Lahitolle, modèle 88, en 95 mm.
Ces pièces sont en acier, aussi bien le tube que l'affût. Le chargement se fait par une culasse du type à vis et obturateur plastique. Dans l'ensemble de l'artillerie, on trouve les calibres de 80, 90, 95, 120, 138, et 155 mm.
A cette époque est née l'artillerie de siège et de place, qui vit, l'adaptation des bouches à feu pour le siège, et l'équipement des places fortes. C'est ainsi que l'on réalisa des affûts en métal du type surélevé pour tirer derrière un parapet, en assurant une meilleure protection au personnel.
C'est ce qu'on appelle le tir à barbette.
La pièce est placée non seulement derrière un parapet, mais est protégée latéralement par des masses de terre, pour éviter de subir le tir en enfilade. Ces masses de terre sont soit des pare-éclats, soit des traverses abris. Ces dernières comportent en effet, en plus de leur rôle de protection, celui d'abriter le canon; pour cela, une casemate est construite dans la traverse.
Les notions de traverse et de tir en enfilade existaient déjà du temps de Vauban.
Comme on le voit, la protection en toiture n'était pas envisagée.
Pour assurer une protection totale, il restait à couvrir le canon par le haut; ce sera l'idée du commandant Mougin, qui s'inspirant d'idées semblables nées en Allemagne (casemate Schumann en 1865), réalisa une casemate de protection totale du canon en utilisant des blindages en fonte en toiture (voir ci-après).
Revenant à l'artillerie dont question ci-dessus, il faut la considérer comme une avancée technique importante, même si les pièces n'ont pas encore de frein ni de récupérateur.
Elle sera la bienvenue en 1914 pour assurer les appui feu avec succès, en attendant que l'industrie développe des nouveaux canons plus performants encore (Schneider). Ces derniers seront d'ailleurs encore en service en 1940.
Caractéristiques principales des canons:
a) canon de Lahitolle de 95 Modèle 1888
Portée : 9.800 m
Vo : 440 m/s.
Munitions :
- gargousses (2 charges)
- Boîte à mitraille (186 Balles).
- Obus à mitraille de 12 Kg. ( 160 balles et 9 galettes de fonte).
- Obus explosif de 12 Kg.
Culasse à vis système Lahitolle.
Affût de campagne ou de siège et place (dit "omnibus").
Vitesse de tir : 1 coup à la minute.
Recul limité soit par sabots, soit par frein hydraulique.
Tir sur pateforme. Retour en batterie par coins en bois.
b)Ccanon De Bange 120 L Modèle 1878
Portée : 11.200 m.
Vo : 525 m/s.
Munitions :
- gargousses (5 charges).
- Boîte à mitraille (300 balles).
- Obus à mitraille de 18,7 Kg. (280 balles et 9 galettes en fonte).
- Obus explosif.
Culasse à vis système De Bange.
Affût en acier - sur plateforme en bois avec pièce en fonte où s'attache un frein hydraulique - retour en batterie par coins en bois.
Vitesse de tir : 1 coup à la minute.
c)Canon De Bange 155 L . Le modèle qui nous intéresse est le 155 L Modèle 1877 tirant sur plateforme.
Portée : 12.700 m.
Vo : 515 m/s.
Même genre de munitions que le 120 L.
B. Les casemates à canon
Un des éléments les plus caractéristiques de cette époque, est la casemate Mougin. Avant de la détailler il est bon d'en rechercher la raison d'être.
Depuis qu'il y a artillerie, on a procédé à des tirs à partir de forteresses et cela au travers d'embrasures. Ces ouvertures dans les casemates avaient certaines dimensions, résultant des éléments ci-après :
a) le tir à poudre noire engendrait des fumées et des gaz. Il fallait donc une ventilation en combinaison avec des cheminées.
b) il fallait que les artilleurs aient une vue assez large sur les objectifs, car on tirait à vue.
c) et surtout, la configuration des canons exigeait un certain espace pour déplacer la bouche du canon. Le réglage en site était fait par rotation autour du point G, qui dans ce cas, est le centre de gravité. Il en résulte que la bouche a un certain débattement.
Dans de nombreux cas, on tirait à l'air libre,ce qui évitait les sujétions de l'embrasure. Le tir se faisait à partir de terrasses derrière des parapets (tir à barbette). Mais alors, la protection était moindre.
Lorsque l'artillerie se perfectionna, ce qui fut précisément le cas dans notre période, il fallut recourir de plus en plus, en fortification, à l'emploi de casemates. Avec la précision accrue, même les embrasures posèrent des problèmes.
Une étude de R. Gils, dans le bulletin de la Simon Stevinstichting, attire l'attention sur les conséquences de l'adoption vers 1860 du canon rayé; outre la portée accrue, la dispersion des projectiles à l'arrivée est beaucoup plus faible. Ainsi, pour 14 % des projectiles pénétrant dans une embrasure de 1,55 x 3,75 m, dans le premier cas, on a 66 % des coups au but, dans le cas des canons rayés. Et la portée considérée passe de 600m à 800m.
Il fallut donc en arriver à réduire au maximum la surface des embrasures.
D'où l'apparition de la notion de casemates à embrasure minima
On trouvera cette idée en Allemagne avec Schumann et en France avec Mougin.
Mais l'embrasure de petite dimension (limitée au passage de la gueule du canon), posa à son tour des problèmes, à cause du débattement de la bouche de la pièce.
Il fallut donc résoudre cette question; cela se fit en modifiant la cinématique du tube, de façon à le faire tourner, non plus autour de son centre de gravité, mais autour d'un point fictif situé précisément à la bouche qui devait rester immobile devant une petite embrasure.
Tout le monde connaît la solution adoptée dans les tourelles de 1914, où l'extrémité du tube du canon est enchâssé dans une rotule qui sert de point de fixation dans la calotte, tout en permettant un certain déplacement du tube. Mais du temps de Mougin la précision des usinages ne permettait pas encore cette solution.
Comment a-t-on procédé ?
Photos
a) En azimut :
Le canon et son affût étaient montés sur un châssis en forme de secteur articulé autour d'un point G situé juste sous l'embrasure, et se déplaçant en tournant autour de ce point auquel il était attaché. Ce châssis était muni de roues et cela permettait le pointage en azimut.
b) En site :
Ici la situation est plus complexe. En effet, le fait de devoir articuler le tube en hauteur autour du même point G, rendait la manoeuvre difficile du fait que tout le poids du tube était situé d'un seul coté du point G (plus d'équilibre si G n'est plus le centre de gravité). Il a donc fallu prévoir un système de contrepoids pour équilibrer les masses en présence.
D'autre part, le point G est fictif et il n'y a pas d'articulation à la bouche.
Il faut donc imprimer au tube un mouvement d'oscillation autour de G en prenant d'autres points d'appui.
On a trouvé la solution en dotant le tube de 2 points fixes, mobiles avec celui-ci, et de 2 points fixes sur l'affût. Ces points seront reliés par un système de parallélogrammes déformables, calculés pour assurer au tube la trajectoire souhaitée. Deux glissières incurvées sont prévues dans les flasques de l'affût pour guider le déplacement du tube.
D'autre part, on sait que les canons de cette époque subissent, lors du tir, un recul plus ou moins violent. Sur la pièce qui nous concerne, le problème a été résolu comme suit : l'affût proprement dit glisse sur un chemin de roulement incliné. Cet affût est en même temps relié à la partie inférieure par une liaison hydraulique, qui freine le recul. La partie inclinée assure le retour en batterie par gravité.
Par la suite, les canons reçurent des freins et des récupérateurs incorporés, mais ce sera plus tard.
Voyons maintenant la casemate elle-même.
Son but est évidemment de protéger les armes et les servants. La conception fait appel aux techniques nouvelles liées au développement de la métallurgie.
La casemate a la forme d'un trapèze de 7,5 m de long, sur 7 m dans sa plus grande largeur. Le plafond est constitué de 4 plaques en fonte dure, jointives et d'un poids de 42 tonnes.
Ces plaques s'appuient en avant, sur la plaque d'embrasure ou bouclier, d'une épaisseur de 0,75 ni pour un poids de 23 tonnes. Tous les joints sont en plomb maté ce qui donne une souplesse à l'impact des projectiles.
L'ensemble est recouvert d'une couche de béton (1m). En outre, une couche de terre ou de sable clôture la protection.
Il est possible d'obstruer l'embrasure de la casemate; un obturateur mobile, placé devant le bouclier, peut monter et descendre devant l'embrasure. La commande peut se faire depuis l'intérieur de la casemate par un treuil, et un ingénieux système de contrepoids limite l'effort.
Ce type de casemate est équipé du canon 155 L De Bange à chargement par la culasse. Son débattement se fait comme indiqué précédemment.
Il est à noter que cette casemate est frontale; on tire directement sur l'ennemi. Elle date de 1882 (postérieure à la casemate Shumann), mais elle précède l'invention de l'obus torpille (en 1885).
On trouve de telles casemates dans les forts suivants :
a) Fort de Mont Bart (Belfort) : 1 casemate.
b) Fort de Condé/Aisne (Soissons) : 2 casemates.
c) Fort de Joux (Pontarlier) : 2 casemates.
d) Fort de la Tête de Chien (Nice) : 1 casemate.
e) Fort et Batterie des Ayvelles (Maizières) : 2 casemates.
f)Batterie de l'Eperon (Toul) : 2 casemates.
Par la suite, on évoluera vers les casemates défilées, tirant latéralement, et bien protégées du coté ennemi. Ce seront les casemate de Bourges.
Cette idée sera reprise dans les casemates à canons de la ligne Maginot.
Photos
(à suivre)
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Emile COENEN - La Forteresse "ILE MONSIN", (suite et fin)

La mobilisation et la campagne.
En résumé, l'île Monsin comprend 12 abris répartis dans toute l'île, le long des berges du canal Albert et de la Meuse. Cinq de ces abris, sont aménagés dans les culées des ponts, deux dans le mémorial et cinq sont du type "fort" et édifiés sur les berges. Au total, cela représente pas moins de 29 embrasures pour Mi et 4 embrasures pour F.M.. On peut dire que tous les moyens ont été mis en oeuvre pour assurer une bonne défense de l'île, ce qui me permet de l'appeler : "la forteresse de Monsin".
Je vous livre ci-dessous l'ensemble des plans de feux et, comme vous pourrez le constater, il existe très peu d'angles morts et, en bon nombre d'endroits, le terrain est battu par deux ou trois Mi.
Pendant la mobilisation, les hommes de troupe vont, en plus, creuser tout un réseau de tranchées, des épaulements pour Mi et pour canons.
C'est le 12e Régiment de Ligne qui, du 13 février au 27 avril 1940, occupe une partie de l'île avec son 2e bataillon.
Le 10 mai 1940, l'ensemble du 12e de Ligne occupe l'intervalle Fléron-Evegnée (FE) de la P.F.L. 2. Vu les événements, ce régiment reçoit l'ordre, peu après minuit, de se replier sur la rive gauche de la Meuse. Le régiment se déploie vers 4 heures du matin entre le pont de Coronmeuse inclus et le pont de Wandre exclu.
L'E.-M. ainsi que la 13e compagnie s'installent au château de Bouxthay. Le 1er Bon aménage son P.C. au château de Bernalmont et déploie la 4e compagnie au pont de Coronmeuse afin d'assurer la liaison avec le 25e de Ligne. La 1ère et la 2e compagnies s'étirent le long des berges du canal entre le pont de Coronmeuse et le pont Marexhe.
Le 3e Bon, quant à lui, installe son P.C. à l'usine de la F.N. Sa 9e compagnie, ainsi qu'un peloton de la 11e, défendent les berges du canal entre le pont Marexhe et le pont de Milsaucy. Le reste de la 11e compagnie se rend sur l'île proprement dite. La 10e compagnie prend possession du secteur compris entre le pont de Milsaucy et le pont de Wandre, qui lui, est occupé par des hommes du 1er de Ligne.
Ce dispositif est maintenu toute la journée du 11 mai sans incident et pour cause, les Allemands sont loin de ce secteur. En fin de matinée du 11 mai. l'ordre est donné de faire sauter les ponts. En prévision de cette destruction, la 11e compagnie repasse sur la rive gauche. Les ponts sautent effectivement entre 12h00 et 12h50 et l'ensemble de ces destructions est réussi.
Vers 18h30, le 12e de Ligne abandonne ses positions, vu la progression ennemie. A partir de ce moment, l'île Monsin est complètement désertée.
J'ai compulsé toutes les archives disponibles au C.D.H.. concernant le 12e. le 25e et le 1er Régiments de Ligne et à aucun moment je n'ai pu lire une seule phrase concernant l'occupation d'un des abris. Les ont-ils seulement occupés ? En tout cas, ils n'ont servi à rien et toutes les embrasures sont restées muettes.
Hier et aujourd'hui
Après la guerre, le Ministre des Travaux Publics alloue un crédit de 30 millions de francs, prélevés sur les fonds du Plan Marshall, afin de terminer les travaux d'aménagement du port de Monsin.
Ce crédit permet de racheter le réseau ferroviaire installé par l'armée américaine sur l'île, de finir la route principale du port et de reconstruire certains ponts, détruits le 11 mai 1940 ou lors de la retraite des Allemands. Cette somme permet également la création d'un système d'égouts, d'un réseau d'eau potable, d'un réseau électrique et de relier l'île à l'éclairage public.
Bref, en 1949, une bonne partie de ces travaux est en cours et une partie des berges de ta Meuse va être surélevée. C'est à ce moment que disparaissent les abris MeMo 3 bis et MeMo 4. Il est possible que MeMo 4 ait été simplement recouvert de terre. Quant à l'abri M 26, vu sa situation, il sera démoli très tôt.
Je vous ai déjà expliqué que, durant les années 50 à 60, l'armée belge envisageait le réemploi de certains abris. Elle en a fait plusieurs fois l'inventaire et, afin de les conserver en bon état, elle avait fait murer toutes leurs ouvertures.
Encore de nos jours, nombreux sont les abris dans lesquels il est impossible de pénétrer, à part ceux que les enfants débouchent parfois, la curiosité étant ta plus forte.
Dans les archives que le C.L.H.A.M. possède, j'ai trouvé un de ces inventaires, réalisé en 1962. Les reconnaissances ont été effectuées les 18. 19 et 20 avril 1962 et je vous livre, ci-dessous, les résultats concernant le secteur de Monsin.
D'après les résultats de cette reconnaissance, on constate que les abris sont déjà murés et que celui qui a parcouru la région n'a aucune connaissance des abris. A l'abri MeMo 1, il prend la porte en fer pour l'entrée de l'abri alors qu'elle mène au phare du monument. Au pont-barrage, il n'a constaté l'état que de l'abri aval et, à MeMo 5, il prend le débouché de l'issue de secours pour l'entrée même de l'abri. Effectivement, 25 ans plus tard, la dalle "Elkington" se trouvait toujours au fond du puits.
Les années passent sans grand changement pour notre île puis vient la décision de porter le canal Albert au gabarit de 9.000 tonnes. Vu l'élargissement rendu nécessaire, un nombre important d'abris, construits le long du canal, vont disparaître.
En 1985, on commence les premiers travaux dans le secteur de Monsin et c'est l'abri MeA 1 bis qui est démoli, sans que j'aie eu la possibilité de le visiter.
En 1991, un nouveau pont est construit à côté de celui de Marexhe et il est certain que l'ancien va bientôt disparaître. Vu l'entrée particulière de l'abri MeA 1(par l'égout), je ne disposais que de l'issue de secours pour y pénétrer, mais celle-ci était solidement murée. Passant tous les jours devant ce pont puisque celui-ci se trouve sur mon chemin de travail, je surveillais attentivement le moment où cette issue de secours serait dégagée, car, généralement, on débarrasse l'abri de sa ferraille avant de le démolir. Enfin vint le jour tant attendu, mais, malheureusement, le travail est prioritaire malgré tout et ce n'est qu'en fin de journée que j'ai pu me rendre sur les lieux pour constater que de MeA 1 il ne restait que quelques blocs de béton épars.
Puis vint le tour de Milsaucy, mais là, grâce à la collaboration de Messieurs Hendricks, Coune et Tirtiat, tous trois membres de l'a.s.b.l. "Fort de Battice", nous avons pu visiter les deux abris en procédant à la destruction des murets obturant les entrées. Aujourd'hui, ce pont a entièrement disparu; il ne reste plus que la culée de la rive droite sur laquelle on peut voir l'emplacement des trois fourneaux de mines.
C'est au même moment que l'abri MeMo 5 a disparu sous tes coups des marteaux-piqueurs. Là aussi, je suis arrivé trop tard.
Par contre, j'ai profité de l'initiative prise par Messieurs Loxhay et Michaux, tous deux membres de l'a.s.b.l. "La Chartreuse", qui ont entrepris le dégagement de l'issue de secours de l'abri MeA 3 au pont de Wandre. Bien que le pont ait aujourd'hui disparu, vous pouvez encore bénéficier de ce travail car, seule, cette culée existe encore.
Quant à l'abri MeMo 6, c'est grâce à ma taille étroite que j'ai réussi à y pénétrer. En passant par l'ouverture de l'embrasure amont de l'abri, chose malgré tout à déconseiller, j'ai pu constater le bon état dans lequel se trouvait l'abri dont j'ai récupéré une partie de l'affût "Chardome".
Il y a peu de temps, il était encore possible d'entrer dans l'abri MeMo 3 et de voir la muselière fixée au débouché du lance-grenades de la façade ainsi que l'imposante grille qui fermait l'escalier d'accès de l'abri. Mais récemment, on a débarrassé complètement l'abri de sa ferraille et on a rebouché son accès avec des mètres cubes de terre. La muselière a été tronçonnée au ras de la façade.
Lors d'une petite promenade dominicale, rendez-vous au mémorial du roi Albert. Là-bas, vous pourrez encore voir l'abri MeMo 1 bis et l'entrée de l'abri MeMo 1. mais il est impossible d'y pénétrer car toutes les entrées sont soudées et, de toutes façons, renseignements pris, ils sont tous les deux complètement noyés.
Pour visiter l'abri du pont-barrage, vous avez tout intérêt à obtenir un tas d'autorisations pour ne pas vous faire refouler.
Voilà, nous avons fait le tour de l'île et je vous livre un petit résumé de ce que vous pouvez encore voir aujourd'hui.
Remerciements
C'est en 1980 que j'ai parcouru, pour la première fois, les 80 hectares que représente l'île Monsin et je me doutais bien peu que cette superficie, j'allais l'arpenter des dizaines de fois. Surtout qu'aujourd'hui cet endroit n'est pas particulièrement fréquentable. Ce n'est plus la contrée attrayante que l'on a décrite jadis, mais bien une zone industrielle, avec ses passages fréquents de camions et de trains, forts bruyants, et avec ses odeurs nauséabondes.
C'est aussi devenu un lieu de rencontre pour des personnes marginales comme des drogués, des homosexuels et des voyeurs qui, lorsque vous vous promenez seul, vous proposent toutes sortes de choses que je tairai, soyez-en sûrs.
Malgré tout, la passion est la plus forte et, pendant près de 11 années, malgré les importuns, j'ai parcouru cette île dans tous les sens.
Pour que vous puissiez lire ces quelques lignes, j'ai aussi bénéficié de l'aide de nombreuses personnes et je profite de l'occasion pour remercier tous ceux qui ont rendu possible la réalisation de cet article.
Tout d'abord, je tiens à remercier l'hôtesse d'accueil de l'exposition commémorant le 50e anniversaire du canal Albert, organisée sur la barge Antherpia. Cette personne, dont j'ai malheureusement perdu les coordonnées, m'a particulièrement bien introduit auprès des services de la Meuse Liégeoise et a consacré un temps appréciable à me guider à travers cette exposition.
Un grand merci à Monsieur Roenen, Ingénieur en Chef et Directeur des Ponts et Chaussées, à Monsieur Bordet, Directeur Général de l'Office de la Navigation et à Monsieur Libotte, Ingénieur en Chef de ce même organisme.
C'est grâce à Monsieur Remy, garde de section, et ensuite à Monsieur Kluten, que j'ai pu visiter l'abri du pont-barrage et je remercie Monsieur Dedoyard, qui a tout fait pour que je puisse visiter les abris du monument du Roi Albert.
Merci aussi à Messieurs Hendricks, Coune, Tirtiat, Loxhay et Michaux, sans qui je n'aurais pu visiter les abris des ponts de Milsaucy et de Wandre.
Je n'oublie pas les membres de l'équipe du Centre de Documentation Historique à Evere qui m'aident chaque fois, du mieux qu'ils peuvent, à compulser une grande quantité de documents. Monsieur Houet, qui a toujours la patience de corriger mes épreuves et Monsieur Beaujean, qui réalise le bulletin du C.L.H.A.M. et qui concrétise les nombreuses années que j'ai passées à réaliser l'article.
Enfin un grand Mea Culpa pour tous ceux que j'ai oubliés sans le vouloir.
Je tiens aussi à rendre hommage aux concepteurs de cette forteresse. Car quand on connaît la somme de travail que cet ensemble a coûté et le peu de cas qu'on en a fait : quelle dérision ! Finalement, il n'y a peut-être qu'une seule personne que cela a vraiment intéressé; cette personne tire un fameux coup de chapeau aux concepteurs.
Je me permets aussi de rééditer un appel : si vous possédez n'importe quel document concernant les abris, soyez gentils, ne le conservez pas pour vous tout seul. Permettez-moi, au contraire, d'en prendre connaissance et d'en faire une copie. Merci d'avance !
Documents consultés
"HERSTAL en cartes postales" - Pierre Bare.
"Le Roi et la défense du pays" - Albert E. Crahay.
"L'inauguration de la maison du port, le 29 octobre 1949" (Imprimerie Benard).
"La campagne de l'armée belge en 1940" - De Fabribeckers.
Publications des Travaux Publics, T. 32, 5e fasc. 1931.
C.D.H. - Dossier Q.G.T. :
n° 50 : Fourniture de mobilier pour les abris
n° 55 : Fourniture des affûts "Chardome".
n° 61 : île Monsin - Construction de 2 abris aux abords du pont-rail.
n° 65 : Construction d'un puits d'accès à l'abri MeA 3.
n° 82 : Eclairage des abris permanents de la P.F.L. 2.
n° 408 : Ile Monsin - Défense de l'lle.
n° 528 : Notes sur le déclassement des abris.
Cartons G.D.G. : amalgames de notes prises en dépôt.
Historique du 12e Régiment de Ligne (Bibliothèque du C.L.H.A.M.)
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Joseph THONUS - Regard sur l'histoire de l'Artillerie

Qui a inventé la poudre a canon ?
La poudre, mélange de salpêtre, de soufre et de charbon de bois, fut, dit-on, inventée vers le Xe siècle par les Chinois qui l'utilisèrent à l'origine pour en faire des feux d'artifice.
A cette époque, sa fabrication n'était pas chose simple. Les matières de base étaient loin d'être pures et il manquait les bases théoriques et les moyens matériels pour les raffiner.
Les premiers mélanges étaient réalisés en proportions arbitraires, dans l'état naturel des produits, grossièrement pilés et brassés à la main. Suivant le dosage, on pouvait montrer des colonnes de feu et de fumée, des flammes éblouissantes et faire parfois entendre des explosions formidables.
Mais, si de longue date, des mélanges incendiaires étaient connus des Chinois, c'est aux Arabes que revient le mérite d'avoir accru la puissance d'expansion, en utilisant du salpêtre purifié, plus ou moins exempt de sels non carburants. Peut-être ont-ils été les premiers à réaliser les premiers essais sérieux d'utilisation des propriétés motrices ou balistiques pour le lancement de projectiles fort inoffensifs d'ailleurs ?
Une combustion est une oxydation dont la vitesse est fonction de la quantité d'oxygène apportée à la réaction. Dans la poudre à canon, c'est le salpêtre ou nitrate de potassium qui joue ce rôle d'oxydant.
La recette parvint en Occident par l'intermédiaire des Persans et peut-être des Arabes. Les Européens, eux, en firent de la poudre à canon !
La première référence écrite (1249) nous vient d'Angleterre, où le moine Roger Bacon (1214-1292) composa la formule de la poudre et décrivit sa réaction quand on l'allumait. La puissance (toute relative) de celle-ci l'effraya au point qu'il entoura sa formule de mystère. L'idée ne lui vint cependant pas que les gaz en expansion puissent être utilisés pour la projection d'un boulet.
Les Allemands, quant à eux, se basent sur un écrit du maréchal de Tavanes, qui "suggère" que la poudre à canon fut inventée en Allemagne, ceci avec d'autres "diableries" issues du luthérianisme. En effet, vers 1250, Albertus Magnus donnait une recette d'un mélange analogue à celui de Bacon.
Par contre, c'est à tort que l'on porte cette invention au crédit du moine bavarois Bethold Schwarz (1310-1384); celui-ci, par contre, fondit les premiers canons en bronze.
Il semble que l'on peut considérer que la date de la connaissance de la poudre noire correspond en gros à la huitième et dernière croisade, et l'on peut établir de façon certaine que la recette en était connue en Europe à partir de la seconde moitié du XIIe siècle, sans doute vers 1270.
Mais si la recette était connue, elle n'est divulguée qu'avec réticence car ... la présence du soufre ne pouvait laisser augurer rien de bon sur son origine (intervention de Satan en personne). Clément Bosson laisse entendre que l'Eglise essaya même d'"étouffer l'affaire". Ceci n'est pas impossible car, de 1270 à 1326, soit durant soixante ans, un silence absolu se fit sur les propriétés diaboliques de cette poudre. Ce n'est donc que très lentement que l'on arrivera aux mélanges détonants, résultat d'une grande expérience reprise au début du XIVe siècle, comme le prouvent les écrits de l'époque qui nous informent des premiers essais d'utilisation de ta force expansive des gaz.
Personne ne peut donc prétendre à l'invention de ta poudre.
Vers la naissance des armes à feu.
Vers l'année 850, les Grecs utilisèrent une composition de poudre placée dans un roseau ou dans un bâton creux. Enflammé, ce mélange détonnant s'envolait dans une direction choisie : "le feu volant" était né. En mélangeant des salpêtres, la construction d'une fusée qui devait avoir la plus grande ressemblance avec celle de nos actuels feux d'artifice était réalisée.
Les Byzantins, les premiers, dirigèrent la fusée, soit en la tenant à la main, soit en l'attachant à l'extrémité d'une pique.
Aux Xe et XIe siècles, les Grecs disposaient d'abord des "feux volants" qu'ils lançaient dans la direction de l'ennemi, puis d'une petite fusée à main, dont ils dardaient la flamme vers le visage de leurs adversaires, enfin de grosses fusées chargées dans des cartouches solides en airain et qui étaient attachées sur une sorte d'affût mobile permettant ainsi de diriger le jet de flammes.
En 1249, les Egyptiens utilisent des projectiles, nommés "Scorpions", formés d'une cartouche ficelée et remplie de poudre, qui rampent et murmurent, éclatent et incendient.
En 1290, les mêmes Egyptiens assiègent Ptolemaïs et incendient les tours avec trois cents "machines à jeter des feux".
Ainsi, durant cette longue période qui s'étend du VIle au XIVe siècles, les armes de jet et de main sont de plus en plus remplacées par des armes utilisant le feu.
Les belligérants usaient de mélanges explosifs de diverses manières.
Par exemple :
- Ils armaient les piques, javelots et flèches avec des pelotes incendiaires ou des lances à feu.
- Ils tiraient à l'aide de leurs anciennes machines, des pierres et autres projectiles, des pots, des marmites incendiaires et des pétards.
- Ils jetaient à la main ou avec des machines, des feux volants dans les rangs de l'ennemi.
- Au moyen de grosses fusées placées sur les remparts des villes ou à bord des vaisseaux, ils dardaient sur l'ennemi de puissants jets de flammes.
- A l'aide de tubes appelés "baston à feu", ils projetaient coup par coup, à une faible distance, un nombre plus ou moins grand de projectiles incendiaires ou détonants.
Les engins précurseurs des bouches a feu
A l'instar de l'histoire de la poudre, celle de l'artillerie se compose de faits incomplètement définis et de légendes entourées de mystère.
Tout comme l'alchimie, elle a été la passion de chercheurs empiriques de la basse antiquité et du moyen-âge.
Les documents anciens écrits ou dessinés n'ont laissé de la naissance de l'artillerie à feu que des informations prêtant à des interprétations diverses, les ouvrages retrouvés manquant de précision.
Les premiers "canons" apparaissent sous forme de vases ou de bouteilles qui servaient principalement à lancer des flèches incendiaires par-dessus les murs d'enceintes des villes ou des châteaux assiégés. En fait. c'est par l'emploi d'artifices aux formes variées et améliorées, cités par l'histoire, que les premiers exploits de l'artillerie nous sont connus.
A titre d'exemples, voici quelques événements ayant eu lieu bien avant le XIVe siècle :
- En 941, les Grecs incendient une partie des dix mille barques du tzar Igor, avec des feux projetés au moyen de tubes et que les Moscovites comparent aux éclairs.
- En 1073, Salomon, roi de Hongrie, attaque Belgrade avec des bouches à feu.
- En 1085, les Tunisiens ont sur leurs vaisseaux des machines lançant du feu avec un bruit de tonnerre.
- En 1098, au combat naval livré aux Pisans, les Grecs ont des tubes à feu figurant des têtes d'animaux.
- En 1147, les Arabes emploient des bouches à feu contre Lisbonne.
- En 1193, les Dieppois se défendent contre les Anglais avec des feux volants.
- En 1220, les Arabes ont des tubes lançant des projectiles.
- En 1232, les Tartares et les Chinois se combattent avec des tubes à feu.
- En 1238, Jacques 1er d'Aragon tire sur Valence des projectiles incendiaires.
- En 1247, Séville se défend avec des machines tonnantes dont les projectiles percent les armures.
- Des manuscrits arabes du début du XIVe siècle mentionnent l'utilisation de la poudre renfermée dans des récipients en fer. Ceux-ci étaient fixés au bout d'une hampe et étaient capables de lancer à bout portant des battes en fer. Ces engins sont désignés sous le nom de Mad-Faa.
Canon à main
Mad-Faa
Armes à mélanges explosifs
Tubes à feu de petits calibres
Armes à mélanges explosifs
Cette miniature du XIVe S montre un artificier en train de préparer et de peser les composants du mélange explosif : le salpêtre, le souffre et le charbon de bois
Les armes à feu employées en Europe dérivent de ces Mad-Faa arabes. Montées sur un fût en bois, elles exigeaient deux hommes pour leur mise en service : l'un soutenait et dirigeait l'arme, l'autre mettait le feu. Leur usage se répandit lentement et, pendant tout le XIVe siècle, on ne rencontra guère que des tubes de petit calibre. Leurs noms divers expliquent leur forme : baston à feu, tuyau, boîte à tonnerre.
De ces derniers engins à l'arquebuse et surtout au futur canon, il n'y aura qu'un pas à franchir.
Pour faire ce pas, il faudra d'abord raffiner le salpêtre, puis trouver un métal approprié à la construction des premières bouches à feu et. enfin, définir le projectile.
(a suivre)
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Colonel e.r. P. MALCHAIR - Le franchissement de la Meuse à Namur par le Génie américain en 1944

Préambule.
Un heureux concours de circonstances m'a permis récemment de prendre connaissance de souvenirs de guerre rédigés par Mr. John B. Wong, citoyen américain qui, en septembre 44, commandait la Cie C du 238 Engr Combat Bn.
J'en ai traduit des extraits relatifs au franchissement de la Meuse. Si quelques imprécisions ou incertitudes (que je signale au passage) subsistent dans ce récit, celui-ci n'en constitue pas moins un témoignage direct et vivant de l'action d'une unité du Génie de Combat en opérations, non seulement sur le plan technique, mais aussi du point de vue initiative lors de l'exécution de travaux en terrain inconnu occupé par l'ennemi.
Namur
Les habitations sont silencieuses et leurs volets sont encore fermés au moment où le convoi du Génie pénètre à Namur. La première chose que nous remarquons en arrivant sur la petite place (Laquelle ?, N. d. T.) calme et déserte, ce sont les cadavres de deux soldats allemands gisant sur les pavés. Nous sommes à l'aube du 6 septembre 1944. Les rues sont vides.
Un Combat Command de la 3 Division Blindée devait traverser la Meuse à Liège, effectuer une conversion vers l'Ouest et se diriger vers Namur. Cette opération assurerait la sécurité sur la rive ennemie pour le site du pont flottant Steel Treadway à Namur. Celui-ci devait être construit dès l'arrivée du personnel et de l'équipement de la Cie C du 238 Engr C Bn.
A Namur, les rives de la Meuse sont revêtues et il y a des routes en dur sur les deux rives. Sur la rive ennemie, des bâtiments industriels et commerciaux sont mêlés aux habitations; sur la rive amie, il n'y a que des maisons d'habitation. Entre Namur et Dinant, on rencontre quelques châteaux sur chacune des rives. Du point de vue accès, la construction d'un pont est possible assez facilement à n'importe quel endroit.
La vitesse du courant, environ 4 pieds/seconde, ne posait aucun problème. L'emplacement du pont fut choisi dans un petit parc (Parc de La Plante, N.d.T,), à moins d'un mile en amont du pont de Jambes détruit. Ce pont de Jambe était constitué d'arches en maçonnerie et les Allemands avaient fait sauter 2 des 7 arches et une partie d'une pile; les culées étaient intactes.
L'obscurité règne encore lorsque la construction du pont Steel Treadway débute à 5 h. Celle-ci se déroule avec calme et rapidité et est terminée juste avant 8 h. Aucun véhicule ne s'est encore présenté pour franchir le pont, dont la longueur est de 504 pieds. La ville reste silencieuse, les habitants ne sont pas encore sortis de chez eux.
Mais où restent les Combat Command blindés ? Il est maintenant 10 h et toujours pas de trace de blindés. Une reconnaissance de la rive ennemie s'avère nécessaire. Nous avons depuis longtemps posté des sentinelles sur cette rive ennemie, mais uniquement dans le but d'assurer ta sécurité locale de routine. S'il n'y a pas de forces de sécurité importantes sur l'autre rive, où sont-elles ? Nous allons trouver le maire (II s'agit sans doute d'une autorité civile locale, qui n'est pas nécessairement le Bourgmestre de Namur, N.d.T.). Celui-ci pense qu'il pourrait y avoir environ 175 Allemands dans les alentours, la plupart sur la rive jamboise, du côté des établissements industriels. A son avis, il n'y a pas d'artillerie.
Une reconnaissance visuelle est d'abord effectuée à partir des étages supérieurs et des greniers des habitations situées le long du fleuve. Une habitante perspicace qui avait observé les ailées et venues des Allemands durant les semaines précédentes nous indique des emplacements qu'ils occupent. Aux jumelles, nous découvrons plusieurs de ces postes, notamment un emplacement de mitrailleuse dont le champ de tir couvre notre pont.
Le Lieutenant Latchaw et moi-même organisons une petite équipe pour aller reconnaître la situation. Cette équipe comprend trois jeeps : une avec une Mi .50 montée sur affût; les deux autres avec Mi .30 sur le siège avant droit. Nous avons également un bazooka et notre effectif total s'élève à une douzaine d'hommes.
Juste après la fin de la construction de notre pont, nos sentinelles placées sur la rive amie ont capturé deux Allemands installés dans un trou de fusilier à 55 yards environ en aval du pont. Ils étaient restés là pendant toute la construction du pont et, bien qu'équipés d'un poste radio, ils n'avaient alerté personne, surpris sans doute par la rapidité de notre arrivée. Nous les installons sur le capot de deux de nos jeeps. Notre équipe traverse le pont et tourne immédiatement à droite, longeant la rive vers l'amont. Notre souci principal à ce moment, c'est l'emplacement de Mi qui nous avait été signalé.
Parvenus à environ 30 yards de celui-ci, nous ouvrons le feu avec la Mi.50. Les Allemands ripostent immédiatement et le caporal Huntsinger reçoit une balle dans la jambe. Nous bondissons des jeeps et nous déployons autour de l'emplacement ennemi tout en continuant à tirer. Arrivés à portée de grenade, nous en lançons deux dans l'embrasure de l'abri. Aussitôt trois Allemands sortent de l'arrière de l'abri, les mains croisées sur la tête. Un de nos hommes, le soldat de 1ère classe Stein servant d'interprète, nous demandons où se trouvent d'autres Allemands. Stein ne reçoit aucune réponse. Un des prisonniers est un adjudant à l'uniforme impeccable, les bottes parfaitement cirées et luisantes. Il est vraiment élégant, bien que venant de surgir de son trou. Je décide de le faire interroger.
- "Où y a-t-il d'autres soldats allemands ?"
- "Heil Hitler"
- "Demandez-lui encore une fois, Stein"
- "Heil Hitler" et en même temps il fait le salut hitlérien
- "Encore une fois, Stein"
- "Heil Hitler".
Je demande au caporal allemand de me passer sa baïonnette et la fixe au fusil M1 que je porte toujours. J'en pique les fesses de l'adjudant. Toujours la même réponse. Si la situation n'était pas si sérieuse, ce serait risible; on dirait que cet adjudant revient d'un meeting nazi.
- "Stein, dites-lui d'ôter sa vareuse". En même temps, j'appuie un peu plus la baïonnette sur ses fesses, ce qui le décide à retirer sa vareuse. Sans lui en demander la permission, je lui ôte sa casquette.
- "Stein, ses bottes"
L'adjudant s'assied sur la berge et retire ses bottes, sans que je doive encore lui piquer tes fesses. Il est encore moins difficile de le décider à enlever son pantalon. Je jette dans la Meuse casquette, vareuse, bottes et pantalon, qui se mettent à dériver lentement. L'adjudant qui était si correctement vêtu en est maintenant réduit à une paire de caleçons longs, d'un gris sale, non lavés depuis longtemps et dégageant une odeur mêlée de sous-vêtements en laine et de savon réglementaire allemand. Cette odeur permettait parfois à nos patrouilles de détecter l'ennemi avant même de le voir ou de l'entendre !
Une fois son uniforme disparu, l'adjudant a perdu toute sa morgue. On aurait dit que sa vanité disparaissait au fil de l'eau avec son uniforme. Complètement abattu, il commence à livrer des renseignements à une allure telle que Stein peut difficilement le suivre. Il nous apprend que des troupes occupent le château voisin (Château d'Amée, N.d.T.).
Nous laissons sur place le caporal Huntsinger et les 3 nouveaux prisonniers tandis que nous repartons en direction des usines, toujours accompagnés des deux autres prisonniers. Soudain nous apercevons six Allemands courant vers le château. Nous descendons des jeeps, prenons le bazooka et les poursuivons. En utilisant le maigre couvert des arbres, le caporal allemand et moi rampons jusqu'à une quarantaine de yards de la façade du château. Le caporal allemand tire un premier coup de bazooka en visant une fenêtre au niveau du sol. Il rate son coup qui percute environ 5 pieds trop haut.
- "Allemand, lui dis-je, vous n'êtes pas fichu d'atteindre la moindre cible; passez-moi ce bazooka".
Allemand le charge et je tire; je rate le but d'environ 4 pied ! Je rends l'arme à Alleman sans dire un mot. Les projectiles du bazooka ont seulement provoqué des éclats aux pierres de taille de la façade. Mais leur effet sur les Allemands est suffisant : 6 soldats sortent par la porte principale, les mains croisées sur la tête. Cela nous fait maintenant un total de 11 prisonniers, soit presque un pour chacun de nous. Après ce combat miniature, nous nous regroupons et repartons, à pied cette fois, vers les usines.
Le Lieutenant Latchaw et moi nous arrêtons devant une porte métallique. Immédiatement un tir ennemi se déclenche, les balles traçant une ligne en travers de la porte. En nous éloignant à toutes jambes nous nous rendons compte de ce que la base de la porte s'arrêtant à environ un pied du sol, les Allemands avaient aperçu nos pieds sous la porte, ce qui avait déclenché leur tir.
Nous avançons maintenant de plus en plus prudemment. Arrivé à l'extrémité d'un mur de pierre, je place mon casque sur le canon de mon M1 et l'agite; rien ne se passe. Je recommence; toujours rien. Je remets mon casque et risque un oeil au coin du mur. Bang ! Une balle rase l'angle du mur et m'érafle le front. Nous ripostons mais le feu ennemi s'intensifie; ils tirent maintenant avec un canon AA de 40 mm. Il devient évident que l'ennemi nous est supérieur en nombre et en armement.
A ce moment, cinq tanks légers traversent le pont et viennent nous aider. Ils font partie d'un détachement de reconnaissance d'une unité de Cavalerie blindée. Mais ils n'ont que des canons de 37 mm face aux 40 mm des Allemands. Il ne nous reste qu'à replier, à regret, notre groupe hétéroclite constitué de nos 3 jeeps, 11 prisonniers et 5 tanks. Ceux-ci repartent de leur côté.
Quant à la Division Blindée, elle n'apparut jamais dans notre tête de pont. Le pont Steel Treadway resta en service pendant longtemps et fut utilisé par des milliers de véhicules.
Au pont de Jambes, la Cie A avait construit un pont Bailay T/D pour remplacer les deux arches démolies. Ce Bailay, qui s'appuyait sur les deux arches voisines intactes, était initialement de classe 40, donc capable de supporter nos tanks les plus lourds.
Il fut décidé d'augmenter sa classe et de la porter à 70 pour permettre le passage du convoi militaire le plus lourd, c-à-d un transporteur de tanks avec un tank sur sa remorque. (L'auteur fait ici une digression relative au système de classification des véhicules et convois et en conclut que le Chief of Engineers est probablement le seul capable de s'y retrouver dans les dédales de la procédure de classification !, N.d.T.).
Le Bailey existant était constitué de 150 pieds T/D et 50 pieds D/S. En réduisant de moitié, par placement d'un support intermédiaire, la portée de 150 pieds, on atteindrait la Classe 100, ce qui serait plus que suffisant.
La Cie A construisit une pile en madriers sous la partie médiane de la travée de 150 pieds. Sur cette pile fut érigé un pilier Bailey constitué de 3 panneaux de haut. Il subsistait encore un intervalle d'environ 18 pouces entre le sommet de ce pilier et la semelle inférieure des panneaux du pont. C'est à ce stade que la Cie C fut chargée de terminer le travail.
Le Lt Latchaw et moi-même nous rendons sur le site pour évaluer le travail. Nous grimpons sur le pilier jusqu'à la partie inférieure du pont. Nous sommes ainsi perchés à environs 16 pieds du niveau du sol. Nous envisageons de combler l'espace vide de 18 pouces par un empilement, soit de planches 3" x 12" dont nous disposons en quantité, soit de morceaux de madriers abandonnés sur le site.
Nous sommes occupés à cette discussion lorsque soudain le pont s'affaisse jusqu'à ce que les semelles des panneaux viennent reposer sur le sommet du pilier inachevé. En même temps, nous entendons le bruit de tonnerre d'un véhicule arrivant au-dessus de nos têtes. Je crie à Latchaw de sauter, ce que nous faisons tous les deux en même temps, plongeant vers la rive sablonneuse, pour éviter les abords du pilier qui sont encombrés de débris. Notre saut est un réflexe immédiat; par miracle, aucun de nous deux n'est blessé dans cette chute de 16 pieds. Nous nous relevons, secoués et mouillés, mais indemnes.
Notre première pensée est pour le pont; regardant la structure, nous voyons qu'elle a repris sa position initiale. Nous nous précipitons alors sur la rive la plus proche où nous trouvons le MP qui était de garde au pont, un chauffeur et son véhicule ... en l'occurrence un transporteur de tanks chargés de deux tanks légers ! C'est cette importante surcharge qui avait provoqué l'affaissement du pont. Celui-ci aurait probablement été détruit s'il n'y avait pas eu le pilier inachevé. Le chauffeur avait été terrifié lorsqu'il avait senti le pont s'affaisser. Le MP l'était tout autant, lui qui avait autorisé le chauffeur à engager le convoi sur le pont.
Le Lt Latchaw et moi, furieux, nous en prenons au MP. Celui-ci nous explique qu'il avait vu l'indication Cl 21 sur le tracteur et Cl 18 sur la remorque, ce qui est exact pour des véhicules non chargés. Mais avec les deux tanks sur la remorque, on était fort près de la Cl 70, soit près du double de la classe permise pour le pont de 150 pieds. Le coefficient de sécurité calculé par Sir W. Bailey pour son matériel s'était, heureusement, avéré suffisant, mais on ne saura jamais ce qui serait arrivé si le pilier inachevé n'avait pas arrêté l'affaissement du pont. Le MP fut remplacé par un homme du Génie pour le contrôle du trafic et le chauffeur reçut l'ordre d'indiquer correctement la classe de son véhicule chargé. Personne ne s'est inquiété de savoir si les deux tanks légers évacués appartenaient à l'unité de reconnaissance de Cavalerie blindée qui nous avait aidés.
L'achèvement du pilier fut réalisé facilement et rapidement à l'aide de madriers, permettant ainsi au pont de supporter toutes les charges militaires
Septembre 1944. Des soldats du génie de l'Armée US reconstruisent le pont de Jambes avec de solides armatures de fer pour l'usage des colonnes armées qui repoussent les Allemands dans une avancée éclair
Le franchissement de la Meuse à Liège le 8 septembre 1944
Photos
En quelques heures, le Génie US lança deux ponts depuis le Bd Frère Orban vers le Parc de la Boverie
La préparation des berges, le gonflage des canots, le franchissement de la Meuse se font sous le regard attendri des Liégeois libérés
La traversée du charroi des plus divers ...
A l'arrière-plan, le pont du Commerce provisoire et le "gratte-ciel" de la Place d'Italie
... et l'arrivée sur terre ferme
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Epinglé pour vous

A propos de Jean-Joseph Charlier dit "La Jambe de Bois". (Voir bulletin Tome V, fasc. 5, page 42)
Lorsqu'il meurt en 1866, la Presse signale à peine l'événement. Mais à ses funérailles, il y a une compagnie d'infanterie, des vieux combattants de 1830, des blessés de septembre, une poignée d'officiers de l'Armée et de la Garde Civique.
Après sa mort, il y eut quelques pèlerinages à sa tombe. On parla même d'élever un monument au héros populaire, puis on oublia. En 1878, quand on éleva l'actuelle église Sainte-Walburge, l'ancien cimetière fut désaffecté. La tombe de Charlier ne fut pas épargnée.
Aujourd'hui, de ce brave Liégeois, il reste encore une rue Jambe de Bois et, visible au musée de la Vie wallonne, le pilon taillé dans le frêne.
Sans lui, Charlier serait-il vraiment entré dans la légende ?
(Source : Revue Artemis de l'Amicale du 80A.)
G.S.
Le célèbre opticien liégeois François Villette (1729-1809)
Le célèbre opticien liégeois dont une rue porte le nom, François Villette, est né à Liège en 1729 et est décédé à Flémalle-Grande, où il possédait une maison de campagne, en 1809. On peut lire sur sa pierre tombale toujours visible dans le cimetière de cette commune : "... fils et petit-fils des célèbres Villette de Lion, ingénieurs de Louis XIV. il les surpassa de beaucoup dans la physique et surtout dans l'optique".
A noter que de son vivant, le célèbre physicien avait été aidé par le Prince-Evêque François de Velbruck (1771-1784) qui avait mis à sa disposition à la Société d'Emulation, créée en 1789, un cabinet de physique équipé de plusieurs appareils scientifiques. C'est Villette qui initia le Chanoine Dony, inventeur du procédé liégeois de fabrication du zinc, à l'étude de la physique
(Source : Histoire de la Principauté de Liège par Yves Bricteux, Ed. Desoer, Liège.)
G.S.
Routes militaires et déclassement de fortifications
Les deux cartes ci-dessous sont tirées de l'ouvrage "Historique de l'Etablissement Militaire de la Belgique" par le Major d'Etat-Major Baron de Rijckel (Gand 1907).
Ce sont les seules jamais rencontrées jusqu'à présent qui reprennent de manière claire le tracé des routes militaires établies à l'origine entre les différents forts des PFL et PFN.
L'ouvrage cite encore l'A.R. du 8 juillet 1891, qui suit :
"Attendu que la Citadelle et le fort de la Chartreuse à Liège, ainsi que la Citadelle de Namur ne seront plus conservés que comme casernes et magasins militaires lorsque les nouveaux forts formant la ligne de la Meuse seront terminés;
"Considérant que la construction des ouvrages est assez avancée pour pouvoir déclasser les installations ci-dessus sans nuire à la défense des places;
"Le Roi arrête :
"La Citadelle et le fort de la Chartreuse à Liège ainsi que la Citadelle de Namur sont déclassés."
A. G.
La Position Fortifiée de Liège
L
Les Forts de Namur
Rôle du Portugal dans la Guerre 14-18
Le 9 mars 1916, l'Allemagne avait déclaré la guerre au Portugal.
Les Portugais se sont battus particulièrement dans le nord de la France lors des batailles des Flandres et de la Lys.
Le corps portugais formé de 80.000 hommes a subi de lourdes pertes estimées à 17.278 officiers et soldats.
G.S.
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Bibliographie

1692. Louis XIV à NAMUR. Histoire d'un siège.
A l'occasion du 300e anniversaire du siège de Namur par Louis XIV, "Les Amis de la Citadelle de Namur" ont publié une brochure de 162 pages (23 cm x 23 cm) sur l'histoire du siège.
Certains chapitres traitent entre autres d'armement, d'uniformes, de méthodes d'attaque et de défense, de personnalités en présence, etc.
Un travail sans prétentions, bien illustré et facile à lire.
L'armée belge de France en 1940. par le Colonel B.E.M. Hre Jean Jamart
La plupart des gens ignorent que 100.000 militaires belges se sont repliés en France, par ordre, en mai 1940 (accompagnés d'environ 125.000 jeunes gens de la réserve de recrutement). Ils ont été impliqués dans certaines opérations militaires (défense de Boulogne et de Calais, évacuation de Dunkerque, formation de bataillons de travailleurs), au cours de leur mouvement vers le Midi.
A peine installées dans le Midi, ces troupes ont dû subir les conséquences des déclarations politiques officielles.
Ultérieurement, ce potentiel non négligeable d'unités combattantes sera abandonné par le gouvernement Pierlot et rapatrié. C'est une histoire incroyable qui mérite d'être connue.
Jeune candidat officier à l'instruction, l'auteur a fait partie de cette "Armée belge de France". Il s'est intéressé à cet aspect malheureux de l'histoire de la campagne de l'Ouest, en exploitant de manière systématique les archives conservées au Centre de Documentation Historique (C.D.H.) des Forces Armées. Ce travail inédit de treize années, complété par de nombreuses lectures et des interviews de témoins de ces événements, ouvrira les yeux de beaucoup de Belges ... et de Français.
La préface a été écrite par le Lt Gen. e.r. Roger Dewandre, élève à l'Ecole Royale Militaire et donc témoin de ces événements.
G.S.
Le fort de Loncin
Divers ouvrages peuvent être acquis soit au local d'accueil du fort, soit par envoi postal.
Sont actuellement disponibles :
- Fort de Loncin. Une nécropole, un site de guerre. Guide illustré de la visite. En français, en néerlandais, en allemand.
- Fort de Loncin. La visite en photos, 90 pages, 124 photos.
- Kolonel Naessens en L. Lombard : "Loncin" (Ned. uitgave).
- Colonel Naessens : "Les derniers jours du fort de Loncin"
- Kolonel Naessens : "De verdediging van het fort van Loncin"
- C. Faque : "H.-A. Brialmont - Les forts de la Meuse".
G.S.
Publication du cercle d'histoire de Bastogne
Un recueil de souvenirs intitulé "Sous les bombes et les obus ... mes dix ans" est publié par le Cercle d'Histoire de Bastogne.
L'auteur en est M. Norbert Léonard, qui raconte comment il a vécu, enfant, l'offensive Von Rundstedt dans son village de Bastogne.
Commandant de compagnie - Combattants américains dans la guerre d'Europe - 6 juin 1944-8 mai 1945, par Charles B. Mac Donald en 1947. Editions Didier Hatier, Bruxelles, 1990.
Charles Mac Donald commanda sa première unité, en tant que jeune capitaine, en septembre 1944. C'est la Compagnie 1 du 23e Régiment d'Infanterie, appartenant à la 2e Div. Inf. U.S.
Après s'être illustrés depuis le jour J + 1, avoir préparé la percée de Saint-Lo et conquis Brest, les rescapés de cette fameuse compagnie furent mis au repos pendant cinq jours dans les champs de la pénisule de Bretagne, puis amenés en train de marchandises jusqu'à la gare de Longuyon, à la frontière franco-belge.
Traversant en camions une partie de la Belgique et du Grand-Duché de Luxembourg, ils arrivent à leur point de première destination ; Schonberg, près de Saint-Vith. Puis c'est la montée au front, dans la forêt de Schneeeifel, à Grofkampenberg, face à la Ligne Siegfried.
La Compagnie 1 s'installe le 13 octobre 44 à Uttfeld, face aux fortins occupés par la 91e Div. Inf. allemande du général Lucht, relevant ainsi une compagnie de la 28e Div. Inf. U.S. qui était là depuis la mi-septembre.
C'est une rude guerre de positions avec prédominance de l'artillerie. Une contre-attaque allemande d'envergure est difficilement repoussée.
La Compagnie 1 est relevée le 17 octobre et s'installe à Heckuscheid, dans les positions défensives qu'occupait la compagnie C, pour y rester jusqu'au 11 décembre.
C'est alors la relève par la 106e Div. Inf. U.S. dont nous avons décrit le destin tragique dans la rubrique biographique de notre bulletin de mars 93.
La compagnie s'installe en réserve de division avec son régiment à 5 Km à l'est d'Elsenborn, tandis que la 2e Div. Inf. a amorcé une offensive dans le secteur fortifié de Nalherscheid, dans la forêt de Montjoie.
Arrive le 16 décembre 44.
Les Allemands ont pénétré dans le secteur de la 99e Div. Inf. U.S. près de Rocherath (voir rubrique bibliographique du bulletin Tome V. fasc. 3 de septembre 1992 : "Histoire oubliée des Hommes perdus" par G. Gallez). C'est le début de la Bataille des Ardennes.
La Compagnie 1 s'installe dans le bois de Krinkelt face à l'est, en position de recueil du 393e Reg. de la 99e Div. Inf., accroché plus à l'est encore par l'ennemi. Ces unités avancées sont basculées par des forces blindées très supérieures (12e Div. Blindée SS) et se replient en désordre vers Wirzeld et Elsenborn. Mais la 1 Div. Inf. U.S. a été amenée en ligne en toute hâte et défend Butgenbach. La 2e Div. Inf. U.S. ramène rapidement ses 9e et 38e Reg. Inf. de l'attaque sur Walherscheid et occupe Krinkelt et Rocherath avec la 9e Div. Inf.
Les Allemands, dont c'est l'effort principal, ne perceront pas et, lorsqu'ils voudront s'infiltrer par Bullange, ils rencontreront la 1ère Div. Inf. sur leur route.
Le 21 décembre 44, la Compagnie 1 s'installe en deuxième ligne entre Nidrum et Berg, dominant ainsi le barrage de Butgenbach. Le 22, elle fait mouvement vers une position en bordure de Nidrum.
Le 15 janvier 45, la Compagnie 1 rejoint Waimes avec son bataillon. Le 16, elle est à Steinbach. La 3e Div. Para. du LXVII Corps (général Otto Hitzfeld) de la 15e Armée allemande (général Von Zangen) tient Ondeval.
Le 17. à 16 h, la Compagnie 1 attaque avec la Compagnie L pour s'emparer du col entre Ondeval et Iveldigen. Lors de cette opération, l'auteur est blessé par balle au mollet droit. Il est transféré au poste de secours du bataillon à Waimes; on vérifie sa blessure puis il est conduit en ambulance à la section de triage arrière de la division où l'on extrait la balle, puis hospitalisé au 46e Hôpital de Campagne à Verviers avant d'être transféré en train sanitaire à Paris.
Le 12 mars 45, quand il est rétabli, Charles B. Mac Donald rejoint Sinzig sur le Rhin, à 3 Km du pont de Remagen. Il n'allait pas retrouver la Compagnie I mais bien la Compagnie G dont nous pourrons suivre la progression en Allemagne : le franchissement du Rhin, le 23 mars 45; Hembach, Bendorf-Sayn. Mengeringshausen, le 2avril; Berlingerode, le 9; Oberhausen-Petri, le 12; Dorstewitz et les canons AA de la 14e Div. de FLAK du général-major Gerlach, le 13; puis la reddition de Leipzig, puis Tremova au nord de Pilsen en Tchecaslovaquie, et enfin la fin du conflit, le 8 mai 45.
G.S.
Charles B. Mac Donald a également écrit en 1984 "Noël 44 - La Bataille d'Ardenne", Editons Didier Hatier. 1989, 588 pages.
II fut l'historien en chef de l'histoire officielle de la guerre au Vietnam. Il est décédé en décembre 1991.
P.B.
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Le courrier des lecteurs

La ligne de chemin de fer Libramont-Bastogne et ses tribulations de M. Patrice Erler
"Monsieur G. Spoiden,
"Suite à votre article concernant la ligne de chemin de fer Libramont-Bastogne et ses tribulations, vous trouverez ci-après quelques notes :
"1°) Désignation de ligne : le numéro "ligne 165" ne peut s'appliquer que pour le tronçon Libramont-Bastogne. Celui-ci était totalement intégré dans la dorsale stratégique des crêtes, "Ligne 163", itinéraire France-Bertrix-Libramont-Bastogne-Gouvy-Saint-Vith avec une dérivation Bastogne-Benonchamps-Kautenbach. La "Ligne 163" recoupait les grandes lignes Luxembourg-Arlon-Jemelle vers Namur à Libramont, et Luxembourg-Kautenbach-Trois Vierges-Vielsalm vers Liège à Gouvy, et à Saint-Vith la ligne Aix-La-Chapelle-Luxembourg. Le tronçon Bastogne-Gouvy comportait les points particuliers suivants : Bastogne Sud - Bastogne Nord - Foy - Bourcy - Suret - Limerlé - Gouvy.
"2°) 1914-1918 : la "163" ne pouvant écouler le débit important vers la France que les Allemands envoyait vers Verdun, ceux-ci ouvrirent dans un premier temps (1915) l'axe Saint-Vith-Gouvy et puis portèrent l'axe Saint-Vith-Bertrix à deux voies (1916), avec des travailleurs civils et des prisonniers russes, logés dans des camps itinérants. Un camp avait été installé un moment à Limerlé et je possède une photo d'un prisonnier russe dans cette localité. Les Allemands réalisèrent aussi de nombreux terrassements, des agrandissements de gares (à Bastogne, quais de chargement), de nouvelles alimentations en eau pour les locos à vapeur (Etang de la gare à Bastogne), à Gouvy, un dépôt de machines. La ligne reçut une signalisation de chemin de fer, prussienne, à droite (circulation des trains à droite). A Bourcy, on a construit des voies de triage. Ils démontèrent le vicinal de Houffalize pour en utiliser le matériel.
On effectuait également les travaux de Bertrix vers Muno et frontière.
(Réf. : "Le Chemin De Fer de Bastogne à Gouvy" d'André Dagant - in "Souvenir de la vapeur n° 28" - 1983 - Ed. Schmitz, Bastogne.)
Prisonnier russe (Photo Patrice Erler) travaillant à la pose d'une seconde voie sur la ligne de chemin de fer n° 163 (Muno-Bertrix-Libramont-Bastogne-Gouvy-Saint-Vith) vers 1916, près du camp de baraquements de Limerlé. Les Prussiens se constituaient un réseau ferré stratégique vers la France, véritable cordon ombilical du front de la Meuse (Verdun).
"3°) 1940-1945 : durant la "drôle de guerre", on démonta la seconde voie en partie et on prépara la destruction des ouvrages d'art de la ligne.
En 1940, à Bastogne Sud, une loco T9 de Bertrix, la n° 9326, fut lancée dans la fosse du pont tournant pour la bloquer. Le pont de Bourcy fut détruit, un pont de béton fut détruit près de Gouvy, à l'entrée de la courbe.
"Pendant la guerre, il y eut des sabotages, actions de la Résistance locale, dont mon grand-père fut un membre actif (il était ouvrier d'équipe de voies sur la ligne Gouvy-Limerlé-Bastogne) : déraillements de manoeuvres, entraves d'aiguillage, démontages d'éléments de la voie, poteaux téléphoniques coupés et fils coupés.
"Fin août 1944, la Résistance reçut l'ordre de bloquer la ligne Bastogne-Gouvy-Saint-Vith. Le 24/08/1944, on fit sauter le château d'eau de Bastogne et celui de Gouvy, et destruction des installations fournissant l'eau nécessaire aux machines à vapeur. Plusieurs ponts ont sauté (dont encore une fois celui de Bourcy). Le 25/08/1944, destruction des aiguillages de Sibret, à 23h30, et destruction de la ligne Bastogne-Kautenbach. Le chef du sous-secteur de Bastogne était le sous-lieutenant Michel, de l'A.S. (Armée Secrète, branche "Résistance du Rail").
N.B. Avant de se replier, les Allemands avaient fait sauter la remise à locomotive et les deux cabines saxby de Bastogne.
(Réf. : André Dagant, op. cit., p. 19 4 21).
"Dans la région, un autre Groupe de la Résistance, Secteur Gouvy-Baclain, nommé groupe "G", ayant comme commandant-adjoint Pol Remacle, avait également la voie Limerlé-Gouvy-Saint-Vith dans son secteur (Commandos Wallons).
(In Patriote Illustré n° 18 - 5 mai 1946).
Bien amicalement.
Le signe "V" de M. Louis Freuville
"Depuis la deuxième guerre mondiale, le signe "V" est devenu le symbole de tout ce qui combat, de tout ce qui résiste à l'oppression. Les Palestiniens, les Noirs d'Afrique du Sud ou des Etats-Unis, les ex-Yougoslaves, .... tous, dès qu'ils sont en présence d'une caméra, lèvent l'index et le majeur de la main droite en prenant un air convaincu. Seul De Gaulle, pour bien se distinguer des Anglo-Saxons, ne se contentait pas de deux doigts mais levait les deux bras, qu'il avait immenses.
"La légende veut que ce symbole fut créé par Victor de Laveleye, homme politique belge qui avait rejoint Londres pendant la guerre et qui servait en temps que speaker aux émissions belges de la BBC. Ce signe tout simple était facile à crayonner sur les murs ... et on ne s'en privait pas. Le "V" était l'initiale de Victory, Victoire, Vrijheid et même Victoria quand les nazis le kidnappèrent. Sur les ondes hertziennes, on le représentait par les quatre premières notes de la 5e symphonie de Beethoven (bom,bom,bom,boom) et, en morse, la lettre V est codée par ti ti ti taa.
"A cette époque où le moral avait bien souvent besoin d'un petit coup de main, le succès du "V" fut considérable.
"Une chose, toutefois, m'intriguait. Je n'étais certes pas le seul à avoir remarqué que l'homme de la rue britannique utilise le "V légèrement différemment, le poignet venant du bas vers le haut, la paume en l'air; ce signe, généralement accompagné d'un truculent "up your arse" (dans ton c...) est, en fait l'équivalent du bras d'honneur ou du majeur dressé. J'ai personnellement vu Winston Churchill passer les troupes en revue et les saluant d'un "V" qui débutait de la manière injurieuse pour se terminer en signe de victoire, le tout accompagné d'un sourire naïf qui déclenchait l'hilarité de tous les John Doe présents.
"Et en fait, le "V" fait partie d'un folklore britannique qui remonterait au 25 octobre 1415. Lors de la bataille d'Azincourt, le "long bow" (grand arc) fit pour la première fois son apparition sur le champ de batailles; c'était "l'arme secrète" anglaise de l'époque. Le bruit courut que les Français sectionnaient l'index et le majeur des prisonniers de manière à les mettre dans l'impossibilité de pincer la corde de leur arc. Suite à cela, dans un geste de défi, les Anglais prirent l'habitude de montrer ces deux doigts et, respectueux des traditions, ils le font depuis quelque 570 ans ..."
Citons nos sources :
Le Major e.r. Davreux attire une nouvelle foi notre attention sur la nécessité d'indiquer la source des emprunts que les auteurs font, aussi bien dans leur texte que dans les illustrations qui les complètent. Le cas échéant, il convient de placer le texte emprunté entre guillemets.
En l'occurrence, complétons l'article de J. Thonus "Regard sur l'histoire de l'Artillerie" paru dans le dernier bulletin, en signalant que onze des illustrations sont reprises de l'Encyclopédie médiévale d'après Viollet-Le-Duc.
Quant aux autres, qui sont des reproductions de reproductions, il faudrait faire des recherches pour en trouver la source initiale, recherches que ne justifie pas le but poursuivi, qui est surtout d'amuser le lecteur et de l'inciter à lire le texte.
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Major SIMONIS : Retinne, 5 et 6 août 1914

Dans l'article du colonel Spoiden "La Citadelle de Liège en août 1914", paru dans le bulletin Tome V, fasc. 5 de mars 1993, il est question du commandant Jean Simonis, fait prisonnier après les combats de la Redoute 25, à Retinne.
Le C.L.H.A.M. a reçu, de l'un et de l'autre, des documents précieux pour la Mémoire, documents qui sont soigneusement conservés dans un local où ils peuvent être consultés par les chercheurs. C'est d'un paquet de "Courriers de l'Armée" datant de 1920 (n° 732 du 12 décembre), que nous extrayons le récit, fait par le major Simonis lui-même, des combats de la Redoute 25, les 5 et 6 août 1914 et de la façon dont il a été fait prisonnier.
D'autre part. on trouve la relation de ces faits dans "L'Armée belge dans la Guerre mondiale" de Tasnier et Van Overstraeten sous la forme suivante :
"Au Nord, la redoute érigée en bordure du chemin d'Evegnée était assaillie de flanc et de front et se défendait valeureusement; elle ne tomba qu'à 3 heures et demie. Il se passa au Sud de Retinne, où s'élevait une deuxième redoute, un incident singulier. Vers 3 heures, un parlementaire demanda la reddition de l'ouvrage. L'officier belge qui commandait, et dont les hommes étaient presque dépourvus de munitions, accueillit la proposition sous la réserve expresse qu'il s'éloignerait sans être inquiété. Il marchait avec sa troupe depuis quelques minutes quand les mitrailleuses allemandes crépitèrent : peu après, nos deux compagnies, cernées, étaient faîtes prisonnières ..."
Retinne a gardé le souvenir de ces combats. La rue qui part du carrefour de la rue de Liéry et qui arrive au carrefour de Sur Fossé a été baptisée "Rue du 6 Août". Depuis le 24 novembe 1964, une plaque est apposée sur une maison proche du carrefour de la rue de Liéry. Elle se rapporte à un autre épisode et porte l'inscription :
En effet, la brigade était en complet désarroi, son commandant, le général von Wüssow et le colonel du 27e Régiment ayant été tués; c'est alors que le général Lüdendorff se mit spontanément à sa tête.
Retinne, 5 et 6 août 1914 - Major Simonis
Ce petit village devait de par sa situation géographique avoir, au mois d'août 1914, le douloureux privilège d'être le premier exposé aux feux de l'envahisseur. Il est à 8 Km à t'est de Liège et à 2 Km des forts d'Evegnée et de Fléron.
Le 4 août 1914, les troupes des 14e et 34e de ligne, ce dernier régiment formé d'unités dédoublées du 14e de ligne, cantonnaient à Queue-du-Bois, Romsée et environs.
Le 5 août, à l'aube, alerte.
La 3e compagnie du 3e bataillon du 14e de ligne reçoit l'ordre de construire une tranchée entre Sur Fossé et la redoute 25, qui, elle, se trouvait sur le chemin qui va de Sur Fossé à Evegnée. Quelques cyclistes précèdent la compagnie pour reconnaître l'emplacement à occuper.
A peine arrivés à Sur Fossé, un shrapnell éclate contre le mur d'une ferme au-dessus des têtes. Personne n'est atteint : c'est le baptême du feu. Pendant toute la journée du 5, on creuse le sol. on dégage le champ de tir, secondés par une cinquantaine d'ouvriers de charbonnage sous la conduite d'un ingénieur. Ces braves gens y allaient de tout coeur; aussi, la soirée n'était pas arrivée que la position était organisée, permettant de battre tout le terrain environnant et la route de Sur Fossé à Liéry.
La 3e compagnie du 3e bataillon du 34e de ligne, commandée par le capitaine Bocart, était venue, dans l'après-midi, occuper la redoute 25 (emplacement actuel d'un cimetière allemand).(*)

(*) Note de la rédaction : l'auteur fait ce récit en 1920. Les corps ont été exhumés par la suite et regroupés au cimetière allemand de Wandre qui, lui-même, actuellement, n'existe plus.

Position de la 3Cie
L'ennemi n'était pas loin. Pendant toute la journée, son artillerie n'avait cessé de lancer des projectiles. A la soirée, le tir de l'artillerie ennemie avait cessé.
Les habitants des maisons voisines avaient apporté aux hommes du lait, des fruits. Vers 21 heures, un ordre. Le général Leman fait savoir qu'une attaque est imminente et ordonne : "Tenir les positions à outrance".
Chacun était à sa place dans la tranchée, l'oeil aux aguets, essayant de percer les ténèbres, car le ciel était très noir, un orage avait éclaté et la nuit, très sombre, ne permettait pas de voir à 50 mètres.
L'attaque éclata tout à coup.
Entre 23 et 24 heures, les Allemands assaillent la droite, au sud de Retinne. Ils ont pu se glisser en dehors des vues, entre Sur Fossé et Retinne, et ils se lancent sur les troupes qui occupent cette partie de la position.
Une vive fusillade éclate, accompagnée de cris sauvages, de hurlements féroces, de charges stridentes sonnées par les trompettes.
On écoute haletant. On croirait que l'enfer a ouvert ses portes et qu'il vomit des flots de damnés. Tout à coup, au milieu du carnage, un son se fait entendre : "Ecoutez, c'est la charge belge, sonnée par un de nos clairons. Les nôtres attaquent à leur tour".
Mais brusquement, le clairon belge se tait, frappé, sans doute, en pleine course.
Bientôt cependant, les Allemands se heurtent à nous. De petits groupes d'abord, mais qui augmentent rapidement, attaquent la redoute et la tranchée, de trois côtés à la fois. Nous ripostons par un feu violent.
La tranchée dans laquelle nous étions n'a pas été construite pour résister à une attaque par derrière; les hommes n'ont rien pour se protéger et la situation devient critique.
Un peloton, cependant, peut être abrité, grâce à une traverse. C'est le sergent-fourrier Joris qui restera avec ses hommes dans la tranchée-annexe. Le restant de la compagnie ira dans la redoute 25, assez grande pour être défendue par deux compagnies.
Nous sommes entourés, sauf au nord, vers le fort d'Evegnée; par là, grâce à la nuit, nous pourrions encore nous échapper.
"Si on nous a mis dans une redoute, ce n'est pas pour en sortir lorsque nous sommes attaqués", s'écrie le capitaine Bocart.
Sans l'ombre d'une hésitation, nous décidons d'y rester, d'arrêter l'adversaire, de protéger ainsi la retraite des troupes amies et de favoriser peut-être un retour offensif des nôtres.
Les Allemands nous attaquent avec de l'infanterie et des mitrailleuses. Ils tentent de nombreux assauts. Nos fils de fer les arrêtent et nous ouvrons sur eux un feu meurtrier. La nuit reste très sombre, souvent nous tirons sur l'adversaire sans le voir, lorsque nous l'entendons, à 50 mètres de nous, couper les fils de fer. Nos hommes sont superbes de calme et de sang-froid.
Toute crainte a disparu, remplacée par un pur sentiment de fierté, inconscient mais réel.
On entend la voix du lieutenant Moussa :
"Voulez-vous bien descendre, vous allez vous faire tuer !"
"Mon lieutenant, c'est ma baïonnette qui est tombée en bas de mon fusil."
Et malgré les balles qui font rage, le soldat, ou plutôt le caporal, car c'était un gradé, grimpé sur le parapet, ramasse sa baïonnette, se laisse glisser dans la tranchée et, bien posément, comme à l'exercice, il adapte soigneusement l'arme au bout de son fusil.
Soudain, du côté de Liéry, un feu rapide d'artillerie éclate : c'est la batterie du commandant Cotot, où se trouve aussi le commandant du groupe, le major de Hontheim. Les Allemands, profitant de la nuit et des couverts, se sont approchés en formation compacte de cette batterie. Les artilleurs ont ouvert sur eux un feu terrible, fauchant les Allemands entassés dans le chemin creux, un peu en avant de Liéry, et du même coup, ils abattent le général von Wüssow. Ce fut le premier général allemand tué.
Cependant, le sergent-fourrier Joris, que j avais laissé avec son peloton dans la tranchée-annexe, se conduisait lui aussi en héros. De la position qu'il occupait, il battait très bien la route de Sur Fossé à Liéry. Une compagnie allemande s'engage sur cette route. "Ne tirez pas", dit Joris à ses hommes, "attendez mon commandement".
Les Allemands s'avancent sur quatre rangs et, quand ils sont bien en vue : "Feu à volonté", crie Joris, et son peloton démolit la plus grande partie des Boches et abat trois ou quatre officiers.
Mais les ennemis sont nombreux. On a beau en tuer, il en revient toujours. Peu à peu, ils s'approchent, ils entourent la tranchée-annexe; ils sont à moins de 50 mètres, mais ils n'osent pas se risquer entre cette tranchée et la redoute. Ils lancent des explosifs sur les défenseurs très imparfaitement abrités. La situation devient désespérée, et Joris, avec son peloton, se décide à venir, lui aussi, dans la redoute pour continuer la lutte.
Ces braves partent l'un après l'autre, en rampant, s'arrêtant pour tirer, déroutant les Allemands par la hardiesse de leur acte, et parviennent à la redoute.
Joris vient près de moi : "Mon Commandant", me dit-il, "on voit briller votre shako de loin. Les Allemands pourraient le prendre pour cible. Donnez-le moi, je vais faire comme pour le mien". Et mon brave fourrier prenant ma coiffure, l'enduit consciencieusement de boue argileuse qu'il ramasse dans le fond de la tranchée. "Comme cela, le shako en toile cirée, qu'on nommait parfois le huit reflets, ne brillera plus".
Les assauts, de plus en plus violents, se succèdent sans interruption, mais toujours ils se brisent devant nos fils de fer et devant notre feu. Sur notre gauche, en dehors de la redoute, sont installées deux mitrailleuses belges, sous les ordres du lieutenant Muttenders. Leur tir bien repéré creuse de larges brèches dans les rangs des assaillants. A certains moments, nous sommes soumis à un feu infernal.
Les hommes s'abritent derrière le parapet, laissent passer la bourrasque, puis reprennent bravement leur place sur la banquette de combat.
Je m'approche et je vois un homme couché au fond de la tranchée qui, la tête dans les mains, sanglote éperdument. "Maman ! Maman !" répète-t-il d'une façon continue au milieu de ses sanglots. Je me penche sur lui : "Et bien, mon vieux" lui dis-je, "on a bien du chagrin. Es-tu blessé ?" Il ne m'entend pas et continue à sangloter.
Le prenant par les épaules, je le soulève. Il me regarde alors, mais il fait bien noir, on ne se voit guère. "Es-tu blessé?" lui dis-je une deuxième fois. Il fait "non" de ta tête.
"Et bien alors, pourquoi pleures-tu ? Ta maman ? Mais tu la reverras, mon garçon. Et pour qu'elle soit fière de son fils, tu vas tout de suite reprendre ta place à côté de tes camarades". Mon petit soldat cesse de pleurer. Il prend son fusil qu'il avait posé près de lui, et, tout secoué encore par les sanglots. qu'il étouffe, il se relève et remonte sur la banquette de combat.
"Rote chal, valet, c'esse t'ine bonne plesse. On y est st'ossi bin qu'an cinéma" (*). C'est son voisin qui fait cette remarque et tous deux recommencent à tirer.

(*) Traduction : "Viens ici, mon garçon, c'est une bonne place. On y est aussi bien qu'au cinéma".

Le lieutenant Houssa, officier calme et d'une bravoure étonnante, commande le front droit de la redoute. Ne tenant aucun compte du danger, il surveille incessamment le terrain, signale les objectifs et les fait balayer au fur et à mesure qu'ils se présentent. Le jour commence à arriver.
Les Allemands amènent des canons qu'ils essayent d'installer au N.-E. de Sur Fossé. Le lieutenant Houssa les voit, il fait abattre les servants.
Sous la protection d'un feu intense d'infanterie et de mitrailleuses, les Allemands parviennent à mettre deux canons en batterie, à environ 100 mètres au S.-E. de la redoute, et ouvrent le feu sur nous, à outrance. Les obus passent dans nos fils de fer, sans beaucoup les détruire et ricochent sur le parapet sans nous atteindre.
Un grand gaillard de Diepenbeek, le soldat Louis Claessens, est debout et son buste tout entier émerge de la tranchée. C'est un enragé braconnier, ont dit ses camarades, et c'est un excellent tireur. Maintenant que l'on commence à voir un peu mieux, Claessens s'en donne à coeur joie.
Il reste en joue, le doigt sur la détente, son fusil suit un Allemand qui rampe pour venir couper nos fils de fer. Le coup part. Et Claessens, impassible, les abat les uns après les autres, comme si c'étaient des lapins. "A tout coup, on gagne", crie un loustic, "c'est comme à la foire, une rose ou un cigare pour chaque Allemand touché".
Tout te monde rit. Je crois qu'on s'amuse bien; en tout cas, il n'est pas question d'avoir peur.
Et la nuit s'écoule dans cette lutte héroïque, où 400 hommes armés uniquement de fusils, derrière un simple parapet en terre, repoussent victorieusement les assauts répétés et furieux d'une brigade allemande, aidée par de l'artillerie et commandée par Lüdendorff.
Ne parvenant pas à passer, c'est alors que les Allemands eurent recours à la ruse, ou plutôt à la félonie. Il était à peu près 4 heures du matin. On me signale un drapeau blanc agité à environ 100 mètres au nord de la redoute. Je fais cesser le feu. Un officier allemand se montre, porteur du drapeau blanc, et crie : "Le commandant de l'ouvrage". Je monte sur le parapet et lui ordonne de s'arrêter. Il obéit. Je me rends auprès de lui.
Une douzaine d'officiers et de sous-officiers allemands se précipitent sur moi en hurlant et en me menaçant de leur revolver. J'entends mes hommes crier : "Ils vont tuer notre Commandant".
L'officier porteur du drapeau blanc éloigne les fous furieux, puis il me dit : "Voulez-vous rendre votre ouvrage ?" Devant mon étonnement, il ajoute : "J'ai derrière moi plusieurs régiments et toute résistance de votre part serait inutile". - "Moi aussi", lui dis-je, "j'ai plusieurs régiments derrière moi".
Il me propose alors d'éviter un massacre inutile. Puis il m'avoue que les Allemands, faisant le cercle complet autour de la redoute, tirent les uns sur les autres en essayant de nous atteindre.
"Et c'est pour cela", lui dis-je, "que vous me proposez de rendre mon ouvrage ?"
Afin de gagner du temps, car j'espère toujours un retour offensif, je lui propose un armistice de 10 minutes pour consulter mes officiers.
Accordé et convenu.
En retournant à la redoute, je constate que les Allemands ont un grand nombre de tués et de blessés. Notre glacis en est couvert.
Lorsque j'arrive à la redoute, le capitaine Bocart et les chefs de peloton me disent : "Commandant, les hommes n'ont plus de cartouches".
Je vérifie, c'est vrai.
Quelques hommes ont encore cinq cartouches, peu en ont dix, le plus grand nombre n'en ont plus du tout. En commençant le combat, nous avions 165 cartouches par homme. Pendant toute la nuit, nous avons repoussé, par le feu les assauts incessants de l'ennemi.
Le capitaine Bocart me dit : "Si nous n'avons plus de cartouches, nous avons encore des baïonnettes..."
Les troupes de l'intervalle doivent être sur la rive gauche de la Meuse. Nous sommes seuls depuis longtemps et notre rôle est terminé. Plus de cartouches ! Les Allemands vont pouvoir s'approcher à leur aise, ils nous lanceront leurs explosifs, tout en restant à l'abri. Alors nous foncerons sur eux à la baïonnette et ce sera la fin. Les Allemands ignorent que nos munitions sont épuisées.
Je retourne près de l'officier allemand et lui dis : "Si je quitte mon ouvrage, vous en retirerez un avantage. Il est juste que j'en retire un aussi. Je veux bien m'en aller, mais à une condition : c'est que je quitte librement ma redoute, avec mes hommes, avec armes et bagages, et cela sans être poursuivi".
Après avoir consulté d'autres officiers allemands, le parlementaire revient et me dit : "Voulez-vous donner votre parole que vous ne prendrez pas position avant 15 minutes ?" Je réponds : "Je vous donnerai ma parole, si vous me donnez la vôtre que vous ne me poursuivrez pas avant 15 minutes".
Conclu. Nous échangeons nos paroles d'honneur et nous réglons nos montres.
Immédiatement, je quitte la redoute avec mes deux compagnies; les quelques blessés que nous avons nous accompagnent, et nous nous dirigeons vers Saive. Un mouvement de terrain à environ un kilomètre nous permettra de nous mettre à l'abri et de nous échapper sous la protection d'une petite fraction, à qui nous donnerons les cartouches restantes. Nous avions quitté la redoute depuis six minutes, nous étions à découvert près de la maison occupée alors par M. Hompèche, lorsque les Allemands ouvrent sur nous un feu violent de mitrailleuses.
Beaucoup d'hommes tombent. Le caporal Laveau, qui marchait près de moi, est mortellement frappé, il se cramponne à moi, tombe et m'entraîne dans sa chute. Je me relève et j'abrite ce qui reste de mes hommes derrière la maison, puis, je m'avance avec un clairon dans la direction d'où partait le feu des mitrailleuses.
Le feu cesse et les mitrailleuses disparaissent. Je reviens vers mes compagnies. Les Allemands les avaient entourées et les avaient faites prisonnières. Un certain nombre d'hommes avaient réussi à s'enfuir. Le capitaine Bocart, le modèle des officiers, qui pendant toute la nuit terrible était resté impassible au milieu du danger, veillant à tout, s'exposant sans cesse pour donner l'exemple du plus pur héroïsme, le capitaine Bocart avait été lâchement tué par l'Allemand traître à sa parole.
Et pour ceux qui avaient échappé à la mort, ce furent alors la captivité atroce, les souffrances physiques et morales, les humiliations sans nombre. Mes braves ont tout supporté avec courage, soutenus par la pensée qu'ils avaient fait tout leur devoir.
De tels actes posés par de jeunes soldats le premier jour de la guerre, la première fois qu'ils étaient soumis au feu. de tels actes ne peuvent rester dans l'ombre et tomber dans l'oubli.
Major S...
Deux remarques
1. Dans la relation des faits empruntée à Tasnier et Van Overstraeten (voir préambule), "l'incident singulier" se serait passé au sud de Retinne, où s'élevait une deuxième redoute. Le récit du major Simonis ne laisse aucun doute : ce sont bien les défenseurs de la redoute 25, au nord de Retinne, sur le chemin qui va de Sur Fossé à Evegnée. qui en furent victimes. Une partie du mur de pierres qui entourait le cimetière allemand dont parle le major Simonis en 1920. existe toujours (voir photos).
2. Grâce à un ami, le commandant e.r. Charles Dor, qui habite à Retinne, face au Monument aux Morts, à quelques pas de l'emplacement de la redoute 25, la maison Hompèche, auprès de laquelle les hommes du commandant Simonis se trouvaient lorsqu'ils furent pris sous le feu des mitrailleuses, est identifiée, bien qu'elle ait changé de propriétaire, vraisemblablement avant 1920 (voir photos ci-après).
P.B.
A lire :¨
"Lüdendorff à Liège" de Laurent Lombard. Editions Vox Patriae;
"Chocs de Feu dans ta nuit" de Laurent Lombart, Ed. Vox Patriae;
"Liège Août 14" de J.M. Lhoest et M. Georis. Presses de la Cité 1964.
Le Major Simonis
Le Monument aux Morts de RETINNE, place du Marché (Sur Fossé)
Le Sergent-Fourrier Fernand Joris, rue Carl Jost
Le mur visible sur les deux photos est ce qui reste du cimetière allemand, sur l'emplacement de la redoute 25. Entre la prise de la 1ère photo et celle de la deuxième (mai 93), une maison a été construite. On a cependant gardé une partie du mur. La maison marquée d'une flèche est la maison "Hompèche". Le chemin qui y conduit se dirige vers Saive en passant par Miermont et la Malle Fosse, où le Cdt Simonis espérait arriver à couvert des tirs allemands.
1ère photo
2e photo
Au carrefour de Sur Fossé, dans 4 murs de maisons de coin, sont scellées des paires d'anses métalliques destinées, sans doute, à fixer des câbles pour barrer les routes. Toutes les attaches subsistantes sont visibles sur la photo des maisons (entourées d'un ovale). Les 2 paires d'attaches les plus éloignées ont perdu leurs vis-à-vis. La route se dirigeant vers la droite conduit à Evegnée.
Paires d'attaches
Paires d'anses
Sur cette même photo, au loin, l'église de Retinne.
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