Sommaire
Editorial
Mai 1940, c’était il y a 50 ans
Remarque du webmaster : cet éditorial n’est certes plus d’actualité, mais il me permet d’insérer la carte-affiche éditée pour l’occasion.
Il faut se rendre à l’évidence, la commémoration prochaine des événements de mai 1940 ne laisse personne indifférent.
Beaucoup en effet ont encore en mémoire ces jours de deuil, de souffrance et de désillusion.
Beaucoup portent encore en eux les séquelles de ces jours tragiques : blessures de guerren ou dues à un exode meurtrier, sévices subis dans les camps d’internement ou dans les Stalags, souffrances morales dues à la séparation, à la peur, à l’incertitude …
Pourquoi dès lors rappeler ce passé peu agréable et glorieux, sinon parce que l’on ne gomme pas impunément l’Histoire, et aussi pour rendre hommage à ceux-là mêmes qui ont fait pleinement leur devoir.
N’y a-t-il pas d’ailleurs plus d’enseignements à tirer des défaites que des victoires ?
C’est dans ce contexte que le C.L.H.A.M., la C.G.E.R.-Direction Liège-Luxembourg, « Le Grand Liège », l’association « Fort d’Eben-Emael » et la Gendarmerie de Liège ont décidé de s’unir pour mettre sur pied l’exposition :
« MAI 40, C’ETAIT IL Y A 50 ANS »
Cette exposition mettra surtout en exergue les moments clé de la campagne des 18 jours.
De nombreuses photos grand format, des documents, matériels et armements d’époque permettront à tout un chacun de revivre ces événements tragiques.
Sont également prévues des visites guidées des forts d’Eben-Emael et Embourg et une conférence du Lieutenant-colonel de réserve Engels consacrée à la guerre éclair en Ardenne.
Voilà un programme copieux susceptible de rallier tous les suffrages.
Nous espérons vous rencontrer très nombreux à ces manifestations.
A. Gany
L'affiche
Retour au sommaire
Colonel IMM F. GERARD, Commandant l'As MECA - Le Major IFM Paul Dufour et les siens
Cet ouvrage est dédié à tous les membres, civils et militaires, ouvriers et gradés, de la MANUFACTURE DE L'ETAT et de la FONDERIE ROYALE DE CANONS qui, dès le 10 mai 1940, se sont courageusement lancés dans cette lutte incessante et déterminée pour l'affranchissement de la BELGIQUE, la chute de l'hitlérisme abhorré, le respect des dignités humaines et plus particulièrement à ceux qui ont donné leur vie pour un monde libéré du péril nazi et dont le nom est inscrit dans le bronze de notre Mémorial.
INTRODUCTION
II y a 40 ans, le 28 mars 1949, Monsieur DEFRAITEUR, Ministre de la Défense Nationale, inaugurait officiellement l'ARSENAL D'ARMEMENT à ROCOURT.
Après la Deuxième Guerre Mondiale, la FONDERIE ROYALE DE CANONS et la MANUFACTURE D'ARMES DE L'ETAT allaient disparaître : ces deux Etablissements prestigieux, fondés respectivement en 1803 et en 1840, avaient développé des armes de grande qualité comme le célèbre canon de 47 mm, le meilleur canon antichar de son temps ...
Après le conflit, c'était donc la fin d'une époque prodigieuse, où l'on développait de l'armement grâce aux Officiers Ingénieurs des Fabrications Militaires dirigeant de remarquables équipes de techniciens : dessinateurs de grande valeur, ouvriers de premier ordre qui faisaient honneur à la tradition séculaire des armuriers liégeois.
Nos établissements étaient alors célèbres bien au-delà de nos frontières.
En 1949, le pays meurtri se souvenait encore des souffrances subies pendant 5 longues années de guerre.
Parmi les innombrables victimes belges de la Deuxième Guerre Mondiale, figurent aussi 54 membres de la MAE et de la FRC, tombés pour s'être opposés à l'abomination du national-socialisme allemand. Afin de perpétuer leur mémoire, le Quartier que l'Arsenal occupa après le conflit reçut le nom du Major Ingénieur des Fabrications Militaires Paul DUFOUR; un monument fut érigé à l'entrée de l'Etablissement et solennellement inauguré à l'occasion de la Sainte-Barbe et de la Saint-Eloi le 01 décembre 1949.
Il y a 40 ans ...
Nous voulons célébrer ces événements en retraçant la vie héroïque du Major IFM Paul DUFOUR et des siens.
Notes de la rédaction : (1) Voir l'histoire de la FRC dans le bulletin Tome II, fasc. 2, de la MAE dans le bulletin Tome III, fasc. 1, de l'As MECA, dans les bulletins Tome III, fasc. 4 et fasc. 5.
(2). Les abréviations IMM, qui signifie Ingénieur du Matériel Militaire et IFM, Ingénieur des Fabrications Militaires, indiquent que ces officiers appartiennent à un Corps dont le statut a été modifié, ainsi que l'appellation, il y a quelques années.
Le Major IFM Paul DUFOUR
Où je meurs, renaît la Patrie. Louis ARAGON
1. L'Appel à 20 ans
Paul DUFOUR est né le 06 mars 1896 à MORLANWELZ (HAINAUT).
Le 04 août 1914, les Allemands envahissent la Belgique neutre; étudiant, il n'accepte pas de rester inactif alors que son pays est en guerre et n'a qu'un rêve: rejoindre au plus vite l'Armée Belge retranchée derrière l'YSER.
En 1916, à l'âge de 20 ans, sans rien dire à ses parents, il quitte la maison familiale, parvient à franchir la frontière néerlandaise, retrouve l'Armée et s'engage aussitôt comme volontaire.
Artilleur, il recevra sa formation sur le front, combattra avec le 1 Régiment d'Artillerie et terminera la Guerre comme Maréchal des Logis.
Après la Première Guerre Mondiale, Paul DUFOUR est détaché le 20 mars 1919 au Centre d'Instruction des Sous-Lieutenants Auxiliaires d'Artillerie. Le 16 décembre 1919, il est nommé Adjudant; le 26 mars 1920, il reçoit son étoile de Sous-Lieutenant et est désigné pour le 7 Régiment d'Artillerie. Cette mutation vers BRUGES marquera une étape importante de sa vie puisque c'est dans cette belle ville qu'il fera la connaissance de celle qui deviendra son épouse.
Après avoir été affecté au camp d'ELSENBORN, il est détaché le 16 septembre 1922, à l'Ecole Militaire en qualité d'élève de la 79 Promotion d'Artillerie et Génie.
Le 26 mars 1923, il est nommé Lieutenant et rejoint le 4 Régiment d'Artillerie Antiaérienne à ANVERS.
Le Sous-Lieutenant Paul DUFOUR (à gauche) - Les années heureuses avec les amis de promotion
2. Ingénieur des Fabrications Militaires
Le 23 décembre 1927, il est désigné pour la MANUFACTURE D'ARMES DE L'ETAT afin d'y effectuer un stage de candidat Ingénieur des Fabrications Militaires.
Pendant ce stage, il suivra, à partir d'octobre 1929, les cours de l'année complémentaire à l'Institut Electrotechnique Montéfiore de LIEGE.
Le 27 février 1930, il entre dans le Corps des Officiers IFM.
Nommé Capitaine le 26 mars 1931, il se caractérise par ses capacités de travailleur acharné, ses connaissances approfondies de l'armement et devient un expert balistique réputé.
Une partie du cadre de la M.A.E., notamment le Commandant IFM SPIRLET (2e à partir de la gauche), le Colonel IFM BERTRAND (3e), le général-Major IFM BOONE, Directeur (4e), le Capitaine IFM DUFOUR (5e) (30 mars 1935)
Il met tout en oeuvre pour donner une instruction de haut niveau au personnel technicien de la MAE : l'établissement est en effet chargé de la formation des armuriers et des maîtres-armuriers.
Le Capitaine IFM DUFOUR est choisi pour devenir Président de la Commission d'Examen : celle-ci doit faire passer les épreuves aux candidats maîtres-armuriers après une longue et très difficile période de formation.
A l'époque, Paul DUFOUR avait compris l'importance pour une armée moderne de posséder des techniciens en armement de première valeur. Dans ce domaine, il a accompli une oeuvre de très grande envergure et a largement contribué à donner au personnel de la MAE une très haute qualification.
Les maîtres-armuriers formaient d'ailleurs un Corps remarquable, qui était constitué en Fraternelle et qui apportait une aide considérable aux unités.
Le 26 mars 1937, Paul DUFOUR est nommé Capitaine en Premier IFM (Commandant). Il porte un grand intérêt au personnel de la MAE; ses contacts avec ses subordonnés sont très fréquents et il a le souci de guider les ouvriers, de les aider au maximum. D'ailleurs on vient régulièrement le trouver pour lui demander l'un ou l'autre conseil. Sa compétence est unanimement appréciée, tant à l'Etablissement de la rue Saint-Léonard qu'auprès des unités et de l'Etat-Major.
Il devient Sous-Directeur de la MAE (Chef des Services Techniques, du Service Contrôle et du Bureau d'Etudes) et participe aux travaux menés par différentes Commissions chargées de l'étude et du développement de l'armement. Son action dans ce domaine est particulièrement appréciée par l'Inspecteur Général de l'Infanterie, le Lieutenant-Général WIBIER, qui, le 27 juin 1938, lui adresse tout spécialement ses félicitations et ses remerciements pour "l'aide intelligente, sa grande puissance de travail, sa science, son inaltérable bonne volonté ..."
L'intérêt qu'il porte à l'armement et son souci d'être continuellement à la disposition des unités l'amèneront à de fréquentes visites dans les différentes garnisons et champs de tir, notamment à LOMBARDSIJDE où il conduit les essais de tir avec des mitrailleuses antiaériennes de 13,2 mm.
Evaluation de mitrailleuses anti-aériennes par le Cdt IFM DUFOUR à LOMBARDSIJDE le 06 mars 1940
3. La Deuxième Guerre Mondiale
Le 10 mai 1940, les Allemands envahissent à nouveau la BELGIQUE. Le personnel de la MAE, sous le Commandement de son Directeur, le Colonel IFM BERTRAND, quitte aussitôt LIEGE et, par GAND et BRUGES, par la route et en train, rejoint, non sans diverses péripéties, BRIVE-LA-GAILLARDE en CORREZE (FRANCE).
Pendant la Guerre 1914-1918, la MAE s'était installée à CALAIS et à BIRMINGHAM. En mai 1940, l'intention est aussi de poursuivre en pays allié les activités de soutien logistique et les réparations de l'armement léger au profit des Alliés.
Le cadre de la M.A.E. à BRIVE-LA-GAILLARDE le 01 août 1940
Mais les événements vont se précipiter : la FRANCE est défaite fin juin 1940 et l'espoir pour la MAE de poursuivre la lutte contre l'Allemagne s'effondre en même temps que l'Armée Française. Le personnel reçoit l'ordre de rentrer en BELGIQUE. Le Commandant DUFOUR rejoint LIEGE, le 24 août 1940, bien décidé à poursuivre à sa façon la lutte contre l'occupant.
Il a gardé intact son esprit combatif de la Première Guerre Mondiale et cherche d'emblée, et par tous les moyens, à nuire à l'ennemi en rejoignant les mouvements de Résistance qui commencent à se constituer.
Il n'ignore pas que l'Allemagne a installé dès le début de l'occupation la GEHEIME FELDPOLIZEI (G.F.P.), police secrète, axée sur le contre-espionnage et la sûreté et qui fera la chasse sans merci aux réseaux de renseignements et aux Résistants.
Et puis, il y a la Gestapo (GEHEIME STAATSPOLIZEI), nom aux consonances effrayantes et qui est chargée de la recherche et de la répression de tous les adversaires du Reich, qu'elle poursuivra impitoyablement dans tous les pays occupés.
BERLIN a d'ailleurs clairement fait connaître ses intentions par ses ordonnances qui introduisent en BELGIQUE le droit pénal allemand, donc la juridiction des Conseils de Guerre allemands : toute atteinte aux activités allemandes (acte de violence contre la WEHRMACHT, espionnage, entrave au recrutement d'ouvriers au profit de l'industrie allemande, aide aux soldats alliés, etc ...) est passible du Conseil de Guerre, impitoyablement réprimée, le plus souvent par la déportation et la mort.
4. Sans peur et sans reproche
Début 1943, il entre dans un des meilleurs Services de Renseignements : BAYARD. Ce service a été créé en juin 1941 par deux parachutistes, Antoine JOORIS et Auguste DUBUISSON.
Son organisation est caractérisée par la décentralisation : les groupes de renseignement travaillent de façon tout à fait indépendante. Les agents se voient désigner un objectif qu'ils sont chargés de tenir à vue, de contrôler constamment. Le pays est découpé en un certain nombre de secteurs entre lesquels les contacts sont inexistants grâce à une méthode de cloisonnement rigoureux.
Fin 1942, le réseau BAYARD a étendu son activité sur tout le pays. Chaque semaine les courriers des secteurs livrent les documents à la direction de BAYARD qui leur transmet les instructions à rapporter aux secteurs.
Un système de courrier par la FRANCE est établi. BAYARD transmettra même pendant tout un temps les rapports en provenance des Services de Renseignements néerlandais.
Cependant, malgré toutes les précautions, les arrestations par les Allemands décimeront les rangs du réseau : mais la mission sera poursuivie jusqu'au bout et les agents resteront fidèles à leur devise : "Sans peur et sans reproche". L'utilité et la valeur des renseignements fournis par BAYARD ont été consacrées à de nombreuses reprises par des félicitations transmises par LONDRES.
Grâce à ses actions incessantes, Paul DUFOUR parviendra à recueillir et à transmettre un nombre considérable de renseignements de grande valeur pour les Alliés : identification des unités allemandes, mouvement des troupes, quantités et genres de chars, de canons, de véhicules, chargement et destination des trains ...
Tous les lundis, les renseignements sont dactylographiés par Madame DUFOUR et transmis par différentes voies à leurs destinataires : "on faisait le courrier pour l'ANGLETERRE".
Le réseau est également en contact radio deux fois par semaine avec LONDRES. Au mois de novembre 1942, détecté par la radiogoniométrie allemande, DUBUISSON est arrêté en pleine émission.
BAYARD transmettra également de nombreux courriers par pigeons parachutés d'ANGLETERRE.
Le réseau connaîtra un grand essor et comptera plus de 3.000 membres, tous aussi courageux, malgré les arrestations, malgré la mort qui attend les agents pris par la Gestapo : ceux qui tombent sont aussitôt remplacés.
Le Commandant IFM DUFOUR participe aussi aux actions armées contre les installations de l'occupant. On vient d'ailleurs le consulter de plus en plus souvent: il est un incomparable conseiller technique en matière d'utilisation de charges explosives. Il instruit les Partisans afin que leurs actions soient couronnées de succès, afin que les explosions provoquent un maximum de dégâts aux installations et au matériel de la WEHRMACHT.
5. C'est un grand miracle que je n'aie pas abandonné tous mes espoirs. Journal d'Anne FRANCK.
Mais Paul DUFOUR entreprendra une véritable croisade lorsqu'il constatera que l'ALLEMAGNE, manquant de plus en plus de techniciens de l'armement, tente de recruter le personnel de la MAE et de la FRC pour le mettre au travail dans ses usines. Son mot d'ordre est impératif : "Pas une heure de travail pour les Allemands !".
Ceux-ci essaient d'abord d'attirer les spécialistes en leur promettant un travail bien rémunéré, du pain, des vêtements pour les familles restées en BELGIQUE.
Les sollicitations auprès des ouvriers qualifiés commencent en octobre 1941, puis la pression exercée par la WERBESTELLE (Office d'Embauche) devient de plus en plus forte : le 06 octobre 1942, le travail obligatoire est imposé à tous les hommes de 18 à 50 ans.
Les Allemands n'essaient plus de convaincre mais utilisent la menace, les représailles, la déportation à l'égard des récalcitrants. Diverses Ordonnances suppriment les cartes de ravitaillement aux Réfractaires.
Menacés par l'occupant allemand, les membres de la MAE retrouvent le réflexe qu'ils avaient avant la guerre : ils vont chez le Commandant pour y recevoir des conseils judicieux, une aide appréciée.
Il les dirige vers le maquis, leur procure de faux papiers d'identité, des timbres de ravitaillement, les fait entrer dans la clandestinité, bref, prend toutes les mesures pour les soustraire à la machine de guerre allemande, mais surtout à la déportation.
Sa maison au numéro 11 de la rue de la Justice à LIEGE devient un endroit de rendez-vous pour les Résistants, les membres de la MAE. Le Commandant DUFOUR prend de plus en plus de risques. On lui recommande de se réfugier dans la clandestinité, on lui conseille la prudence : "Pense à ton épouse, à tes quatre enfants". Bien sûr qu'il pense à son épouse et à ses enfants : Renée, 21 ans, Robert 13 ans, Simone, 10 ans et Marc 8 ans. Mais il ne veut en aucun cas ralentir ses activités contre l'occupant, cesser l'aide qu'il apporte au personnel de la MAE et de la FRC. "Si la gestapo vient m'arrêter chez moi, je m'enfuirai par les jardins", répond-il en riant ...
Il n'hésite pas à se rendre devant l'Office National du Travail chargé du recrutement de main-d'oeuvre, pour retenir le personnel hésitant.
Il se déguise même en fonctionnaire des Chemins de Fer et, coiffé du képi approprié, il se rend à la gare de LIEGE et à celle d'ANGLEUR dans l'espoir de sauver les quelques techniciens qui s'apprêtent à embarquer dans les trains pour le Reich.
Mais l'étreinte des Nazis se resserre inexorablement sur lui ...
6. Le 15 janvier 1944 ...
Le samedi 15 janvier 1944, à 6 heures du matin, alors que le Commandant IFM DUFOUR et son épouse se préparaient pour la journée, de violents coups sont assénés sur la porte d'entrée de leur domicile : c'est la GEHEIME FELDPOLIZEI ! Un regard à son épouse et il se lance aussitôt vers le jardin ... où il tombe sur plusieurs soldats allemands qui l'attendent, l'arme pointée sur lui.
Arrêté, il est brutalement arraché à sa famille et emmené sur le champ par les sinistres gardes : il a juste le temps d'embrasser son épouse et de lui dire dans l'oreille : "N'oublie pas le 6,35". Il lui recommande ainsi de faire disparaître un pistolet qu'il avait reçu pour expertise balistique et qu'il avait soigneusement caché.
La maison au n° 11 de la rue de la Justice, à Liège, où Paul DUFOUR a été arrêté par le G.F.P. le 15 janvier 1944 à 6 heures du matin. Madame DUFOUR et ses enfants y habitèrent jusqu'en 1948 (photo prise en juillet 1989)
Madame DUFOUR, effondrée, reste à la maison sous la surveillance d'un garde armé : c'est alors qu'elle se rend compte de la présence de la machine à écrire ainsi que d'une partie du courrier avec des adresses de Résistants, de Réfractaires et d'autres documents contenant des renseignements importants sur les Forces allemandes. Encore heureux que deux colis avec de très importantes informations confidentielles aient été livrées au vicaire de la paroisse il y a juste deux jours !
L'Allemand ne semble pas comprendre le français : Madame DUFOUR parvient à faire comprendre à son fils Robert qu'il doit se préparer à brûler les papiers compromettants.
Elle demande alors au soldat allemand l'autorisation d'aller chercher du charbon dans la cave pour recharger le poêle : le garde accepte mais l'accompagne dans la cave où elle remplit lentement le seau ... Lorsqu'elle remonte, les documents ont disparu dans le poêle : son fils avait parfaitement compris la manoeuvre.
La perquisition qui aura lieu quelque temps après ne permettra plus à la G.F.P. de découvrir des informations sur la Résistance.
Happé par la monstrueuse machine répressive allemande, le Commandant ne retrouvera plus jamais la liberté, ne reverra plus jamais sa femme et ses enfants. De bien cruelles épreuves attendent Paul DUFOUR et les siens.
Le Colonel IFM BERTRAND et les amis viennent aussitôt apporter leur réconfort à la famille éprouvée.
Le 17 janvier, Madame DUFOUR apprend que son mari est au secret à la prison Saint-Léonard.
Le 19, elle reçoit la visite d'amis, de Monsieur MOORS, secrétaire de la MAE, et d'un groupe de Sous-officiers et d'ouvriers qui viennent prendre des nouvelles de leur chef.
7. Dans les cellules de la Citadelle
Le Commandant est bientôt transféré à la Citadelle, transformée en sinistre prison et où séjourneront tant de Résistants arrêtés par les Allemands.
La Citadelle, transformée par les Allemands en sinistre prison
Les Résistants arrêtés y étaient enfermés en attendant l'exécution ou la déportation en Allemagne.
Paul DUFOUR y a été emprisonné pendant quatre mois et demi.
Madame DUFOUR reçoit de l'occupant un document rédigé en allemand et en français, qui précise notamment que le prisonnier peut recevoir des colis et de l'argent. Mais les Allemands ont barré les lignes autorisant l'échange de lettres entre l'Officier et la famille. Le document a été rempli au crayon par le Commandant qui a indiqué le montant qu'il pouvait recevoir par quinzaine (100 francs), son numéro de matricule de prisonnier (n° 4236) et l'a signé.
Document rempli et signé par le Commandant DUFOUR et que les Allemands ont remis à la famille
La Citadelle ne se trouve pas loin du domicile de Madame DUFOUR. Le bâtiment est visible de la maison et on peut l'observer facilement puisqu'il se trouve sur une hauteur de LIEGE. Madame DUFOUR examine minutieusement chaque fenêtre à l'aide d'une paire de jumelles. Et puis, à partir de la fenêtre supérieure de sa maison, elle agite un drap blanc pendant de longues heures car elle se dit que son mari a peut-être la possibilité d'observer la ville entre les barreaux; peut-être voit-il sa rue, sa maison ?
La Citadelle est visible de la rue de la Justice où habite Madame DUFOUR (carte de 1970)
Et effectivement, son émotion est grande quand elle aperçoit un drap blanc, accroché à une fenêtre de la Citadelle. Les signaux qui deviendront quotidiens ne constituent qu'un fil très ténu entre les deux époux, mais Madame DUFOUR sait au moins que son mari est encore en vie.
Le 07 mai 1944, il n'y a plus de drap blanc à la fenêtre; il n'y a plus le moindre indice visible, même à l'aide de jumelles.
Quelques jours après, elle constate qu'un drap blanc apparaît à une fenêtre de la partie inférieure de la Citadelle; ce changement est durement ressenti car tout le monde sait que les Allemands réservent les cachots du bas à ceux qui vont être condamnés à mort et qui seront fusillés ou déportés !
Les cellules du bloc 24 de la Citadelle : celles du rez-de-chaussée étaient destinées aux condamnés à mort.
De ce bloc, les prisonniers entendaient régulièrement les salves des pelotons d'exécution, tirées à l'aube...
Madame DUFOUR veut absolument améliorer ses contacts avec son mari, avoir des nouvelles de sa santé ...
Et puisque l'échange de courrier est interdit, elle trouvera un autre moyen. Elle prend un miroir et envoie des signaux lumineux sur la cellule; peut-être pourra-t-elle ainsi mieux communiquer avec lui ?
Mais il faut arrêter de suite les signaux par miroir : les gardes allemands sont intrigués et s'apprêtent à intervenir. Heureusement, un ami parvient très vite à faire parvenir à Madame DUFOUR un petit papier sur lequel il a rédigé un message laconique mais clair : "ne plus se servir du miroir".
Petit bout de papier, plié en quatre, qu'un ami de la Citadelle a rédigé et fait parvenir à Madame DUFOUR
Ce document renseigne aussi que "tout va bien, santé bonne", mais annonce une nouvelle inquiétante : "passera bientôt Conseil de Guerre". Madame DUFOUR marque la date sur ce papier, le jour où elle l'a reçu : "22-5".
Le bail de la maison est à échéance depuis fin avril 1944 : Madame DUFOUR trouve là une bonne occasion de forcer la garde allemande afin de demander conseil à son mari. Elle rédige vite un petit mot et se rend aussitôt à la Citadelle; peut-être pourra-t-elle le voir ? Mais la sentinelle accepte tout juste de prendre le message et de le porter au prisonnier.
La réponse est marquée sur le même document et le Commandant IFM DUFOUR y appose sa signature après y avoir ajouté "Bons baisers" : ce sera là le dernier message écrit qu'il pourra faire parvenir à sa famille.
Il y a presque 5 mois que Paul DUFOUR a été arrêté, 5 mois de cachot, de privations, de séparation. L'échange quotidien de signaux par draps blancs se poursuit, mais, le 31 mai, il y a un brouillard tenace qui empêche de voir la Citadelle.
Les jours suivants, il n'y a plus de drap blanc ! On a beau observer toutes les fenêtres du bâtiment aux jumelles, il n'y a plus le moindre signal.
Qu'est devenu le Commandant IFM DUFOUR ?
Pendant de longs mois personne ne pourra répondre à cette angoissante question ... Tout au plus, certains prisonniers de la Citadelle parviennent-ils à faire savoir à la famille qu'il a été déporté en ALLEMAGNE.
8. Ami, si tu tombes ...
Dès que le Commandant est arrêté, la relève est assurée.
"Ami, si tu tombes, un ami sort de l'ombre à ta place ..." : telles sont les paroles du "Chant des Partisans".
Mais la famille DUFOUR donnera au texte écrit par Joseph KESSEL et Maurice DRUON un sens plus grandiose encore.
En effet, Renée remplace son père dans la dangereuse lutte contre l'ennemi, bien qu'elle sache que la famille est repérée par la Gestapo. Il est vrai que la jeune fille mène le combat contre l'occupant depuis le début de 1943 : à 20 ans, comme son père pendant la Première Guerre Mondiale, elle avait répondu à l'appel de son pays. Elle portait en effet de nombreux documents sur la WEHRMACHT aux agents de la Résistance.
Renée DUFOUR : un visage juvénile, un tendre sourire qui cachent une volonté farouche de combattre l'occupant
Elle reprend avec courage le flambeau tombé des mains de son père et redouble d'ardeur dans la lutte contre les Allemands. Elle dactylographie le courrier et acheminera un grand nombre de documents, de timbres et de l'argent qu'elle portera sur elle ou qui seront cachés dans les vêtements de sa soeur ou de ses frères. Les pantalons golf de ses frères sont d'ailleurs pratiques pour dissimuler quantité de papiers.
Elle franchira ainsi, avec le sourire, un nombre important de contrôles allemands : sa jeunesse, son assurance, sa foi inébranlable lui permettront de passer sans encombre au travers des mailles serrées du filet tendu par la Gestapo dans tout le pays.
Elle deviendra, elle aussi, membre du Réseau BAYARD.
Elle prendra les risques les plus grands en allant chercher un pilote américain, un aviateur canadien, qu'elle conduira au nez et à la barbe de l'occupant vers un autre rendez-vous où ils seront pris en charge pour une évasion vers l'ANGLETERRE. Elle les conduit au tram, tout simplement.
Elle demande aux militaires alliés de ne parler à aucun prix surtout quand le contrôleur vient vérifier les billets; la consigne ne sera pas toujours respectée par ces aviateurs parfaitement flegmatiques, et plus d'un Liégeois sera surpris d'entendre quelques mots d'anglais dans un tram bondé alors que l'on voit des uniformes Feldgrau dans les rues de la ville ... Nul doute qu'elle a souvent frôlé la mort.
En évoquant l'action valeureuse de Paul et Renée DUFOUR, on ne peut s'empêcher de penser à Walthère DEWE, grand Résistant liégeois tombé sous les balles allemandes le 14 janvier 1944 et dont les deux filles participaient également à la lutte acharnée contre l'occupant.
9. Adjudant de Renseignements et d'Action
Les services éminents rendus au pays par Renée DUFOUR à partir du 25 février 1943 ont été officiellement reconnus par le Ministère de la Justice le 03 janvier 1945.
De plus, la lutte courageuse qu'elle a menée pendant la guerre lui a valu d'être nommée Auxiliaire des Services de Renseignements et d'Action de Première Classe à la date du 01 mars 1944 (Arrêté du 04 juin 1948), puis Adjudant à la date du 01 mai 1944, c'est-à-dire à l'âge de 21 ans (Arrêté du 04 avril 1946).
Sa carte de membre à l'USRA
10. L'attente
Les mois passent sans qu'aucune nouvelle ne parvienne à la famille sur le sort de Paul DUFOUR. Heureusement, Madame DUFOUR est entourée de l'affection de ses quatre enfants : Renée seconde admirablement sa maman.
Et puis, il y a tous les amis, les Officiers, le personnel de la MAE qui réconfortent régulièrement la famille ... Le Colonel IFM BERTRAND et son épouse viennent un dimanche sur deux, rue de la Justice; les autres dimanches, la famille se rend au domicile du Directeur de la MAE.
Le débarquement en Normandie en juin 1944, la libération de la BELGIQUE et l'effondrement progressif des armées hitlériennes apportent les plus grands espoirs au Pays et en particulier aux familles qui ont un être cher quelque part en ALLEMAGNE.
Chaque jour, on pense au prisonnier, on prépare son retour au Pays, son accueil au foyer ...
Début 1945 : Madame DUFOUR reçoit une demande de renseignements émanant du S.G.A.R.A. (Service Général des Agents de Renseignements et d'Action) afin d'orienter les recherches; ce document sera également transmis à des milliers de familles comptant des prisonniers politiques.
Un jour, le Colonel IFM BERTRAND vient à la maison; son visage est grave; il annonce la nouvelle tant redoutée : Paul DUFOUR a succombé aux terribles sévices qu'il a subis pendant de longs mois dans les prisons et camps de concentration nazis. La pénible nouvelle vient de lui être transmise par le Ministère de la Défense Nationale le 05 mai 1945 ...
11. Les témoignages.
Dans les "Ordres de Service n° 37 du 07 mai 1945, le Colonel IFM BERTRAND, devenu entre-temps Directeur de l'ATELIER CENTRAL D'ARMEMENT (A.C.A.), regroupant les membres de la MAE et de la FRC, fait part au personnel du décès de celui qui "possédait des qualités d'homme de science, d'organisateur et de chef, qui prêcha la résistance à la mise au travail du personnel, prit une part prépondérante aux Services de Renseignements et d'Action et qui fut pour ses subordonnés un chef bienveillant, compréhensif et profondément humain".
ORDRES DE SERVICE N° 37
Les témoignages affluent aussitôt de toutes parts : c'est le Colonel IFM PARIS, Directeur du Matériel de Guerre, qui, dans sa très belle lettre du 17 mai 1945, adressée à madame DUFOUR, écrit que : "sa mort pour la Patrie n'est que le couronnement tragique d'une carrière empreinte d'un dévouement absolu à l'Armée et d'une très haute conception du devoir".
Sa famille, ses amis apprendront qu'il avait d'abord été emprisonné au camp de concentration de GROSS-STREHLITZ puis à celui de GROSS-ROZEN (*), où entouré des soins de deux médecins belges, il a succombé à une pneumonie suivie d'une dysenterie.
(*)GROSS-ROZEN (actuellement ROCOZNICA en POLOGNE) construit en 1940.
200.000 détenus de différents nationalités y ont été déportés. Le camp a été libéré par les soldats soviétiques le 14 février 1945.
Le Sous-Directeur de la MAE est décédé à la fin du mois de janvier 1945, 3 semaines avant que les soldats de la 52 Armée du Premier Front d'UKRAINE fassent leur entrée dans le camp de la mort ...
Par une lettre très émouvante datée du 22 mai 1945, le Docteur ANDRE, qui l'a assisté dans ses derniers jours, rend hommage "au moral, au courage et à la sérénité qu'il a montrés, malgré les privations et les travaux durs qu'il a supportés jusqu'au bout, en beau Soldat qu'il était" et fait part de l'admiration de tous pour "ce mari, ce père, ce Belge grand Soldat" ...
La lettre
Et puis ce sont les Sous-Officiers et les ouvriers de deux « Belgian L of C Troops Workshops » provenant en grande partie de la MAE et se trouvant à l’entraînement en GRANDE-BRETAGNE, qui, par la lettre du Colonel IFM PARIS, datée du 29 mai 1945, tiennent à exprimer leur douloureuse émotion à l’annonce du décès de celui qui fut leur chef estimé. Ils se souviennent encore de son action courageuse qui a sauvé des dizaines d’ouvriers de la déportation vers l’Allemagne.
D'autres prisonniers qui ont partagé avec lui l'horreur du camp de concentration de GROSS-ROZEN apportent également leurs témoignages rédigés sur un simple petit papier : en décembre 1944, Paul DUFOUR est entré à l'infirmerie, souffrant d'une pneumonie, puis succomba à une dysenterie. Sa mort se situe entre le 20 et le 25 janvier 1945.
Ce message cite aussi ceux qui l'ont "connu personnellement et l'ont apprécié".
Le message
Le 27 octobre 1945, le journal "LIBERTE", organe de la Fédération Liégeoise du Parti Communiste, qui publia 82 numéros clandestins pendant la Guerre, consacre au Commandant IFM DUFOUR un article intitulé "Ceux qu'il faut venger !".
L'article du journal
Dans un style encore très influencé par les souffrances que la population venait d'endurer pendant cinq ans de la part d'un occupant haï, le journal rend un hommage vibrant au Résistant, à l'expert en explosifs, conseiller technique précieux des Partisans, mais surtout à "l'homme décidé à tout pour arracher les ouvriers de la MAE et de la FRC aux mains de l'ennemi".
Cet article prouve, s'il en était encore besoin, combien le Commandant était proche de ses ouvriers et combien il était estimé et aimé par eux.
Le 29 novembre 1945, Louis BOSNY, prisonnier avec lui à la Citadelle de LIEGE, met en exergue les hautes valeurs morales de celui qui "était pour ses compagnons de cellule, un professeur d'énergie et de patriotisme dont les propos et l'exemple étaient un sujet d'admiration".
Le message
La famille apprendra aussi que le Commandant a été arrêté suite à une dénonciation arrachée par la G.F.P. à un détenu qui n'a pas résisté aux terribles tortures de ses bourreaux.
Le 26 mars 1946, le Field Marshal B. L. MONTGOMERY, Commandant en Chef du 21e Groupe d'Armées, rend un bel hommage à Paul DUFOUR, qui, "comme volontaire des NATIONS-UNIES donna sa vie afin que l'EUROPE soit libre".
Ce "CERTIFICATE 0F SERVICE" a été personnellement remis au cofondateur et chef du Réseau BAYARD, Antoine JOORIS, par le célèbre vainqueur d'EL-ALAMEIM et transmis ensuite à Madame DUFOUR
Le 28 mars 1946, le Pays reconnaissant, commissionne Paul DUFOUR au grade de Major IFM à la date du 26 décembre 1944 ...
L'oeuvre généreuse accomplie par l'héroïque Officier et son rôle au sein d'un Service de Renseignements et d'Action à partir du 01 janvier 1943 ont été officiellement reconnus par le S.G.A.R.A..
Après la Guerre, la médaille du célèbre Réseau BAYARD lui sera attribuée à titre posthume : Madame DUFOUR recevra la médaille des mains d'Antoine JOORIS.
12. L'ARSENAL D'ARMEMENT
En octobre 1949, par Décision Ministérielle, le Quartier dans lequel vient de s'installer l'ARSENAL D'ARMEMENT et qui regroupe ainsi la MAE et la FRC, reçoit officiellement l'appellation QUARTIER MAJOR IFM PAUL DUFOUR en hommage à l'ancien Sous-Directeur de la MANUFACTURE.
Le Quartier sera inauguré le 28 mars 1949 par Monsieur DEFRAITEUR, Ministre de la Défense Nationale et la dénomination de l'Etablissement sera publiée dans l'Ordre Général n° 89 du 20 février 1950.
13. La 118 Promotion Polytechnique
En 1963, la 118 Promotion Polytechnique entre à l'ECOLE ROYALE MILITAIRE. Sur proposition des anciens de la 79 Promotion d'Artillerie et Génie, elle recevra le nom de "Promotion Major IFM DUFOUR" à l'occasion de la prise d'armes du 15 octobre 1963. C'est le secrétaire de la 79 Promotion, René DELOBELLE, qui en fait part à Madame DUFOUR.
Lors de cette cérémonie, les élèves écouteront avec grande attention le récit de la vie exemplaire de leur Parrain de Promotion.
14. Le tombeau des héros est le coeur des vivants - André MALRAUX
Le 02 décembre 1983, à l'occasion des Fêtes de Sainte-Barbe et Saint-Eloi, en présence de Madame Paul DUFOUR et de sa famille, du Général-Major IFM e.r. DUPUIS, du Général-Major JULIAM, Commandant de la Division Logistique, d'Anciens de la MAE et de la FRC, le Colonel Ingénieur SALLE, Chef de Corps, procède à l'inauguration de la plaque commémorative placée près du Mess Officiers, dans le Bâtiment Etat-Major de l'Arsenal.
La plaque retraçant brièvement une vie généreuse...
Plus d'un visiteur lit le texte résumant la carrière généreuse de ce chef d'élite. Le visiteur soupçonne-t-il un instant que derrière ces quelques phrases, il y a toute une vie de courage, de don de soi, de lutte désespérée d'un Résistant dont les dernières forces ne se sont éteintes que dans l'enfer concentrationnaire nazi ?
En 1985, dans "A L'OMBRE DE LA MORT", livre sur les camps de concentration qu'il a connus, le Professeur Léon-Ernest HALKIN de l'Université de LIEGE écrit en citant quelques officiers, dont Charles CLASER et Paul DUFOUR, assassinés par le Troisième Reich : "Tous sont morts après avoir donné le plus bel exemple de résistance d'un groupe social qu'il m'ait été donné de constater".
L'inauguration de la plaque commémorative, le 02 décembre 1983, en présence de Madame Paul DUFOUR
Commandant BEM Charles CLASER de la LEGION BELGE, Commandant IFM Paul DUFOUR du Réseau BAYARD : ils ont connu la même fin tragique. Déjà affaiblis par les épreuves endurées, ils ont été évacués le 01 octobre 1944 de GROSS-STREHLITZ à GROSS-ROZEN. Ils ont été soumis au régime inhumain qu'ont connu tant de détenus politiques.
La médaille (agrandie ici) du Service BAYARD, portant la célèbre devise : "SANS PEUR ET SANS REPROCHE", et qui a été remise à Madame DUFOUR après la Guerre. Remarquez les initiales B.B. : elles signifient BRISE et BROTE, noms de guerre des fondateurs de ce Service, les agents parachutistes Emmanuel JOORIS et Joseph ROMAINVILLE. Le Réseau B.B. éprouva de très lourdes pertes et fut pratiquement anéanti par la Gestapo; il fut pris en charge par BAYARD à partir de 1943.
Le revers de la médaille porte les indications : "DUFOUR P.E.".
Début décembre 1944, squelettiques, ils sont entrés ensemble à l'infirmerie du camp : le Docteur ANDRE les a assistés jusqu'à leur décès, respectivement en décembre 1944 et en janvier 1945.
Nul doute que ses paroles, si justes, étaient adressées à ces deux martyrs : "Quand je les vis emmenés vers le crématoire, j'eus l'impression que notre Patrie perdait les meilleurs de ses enfants".
Madame DUFOUR : le souvenir et l'émotion de ses précieux documents, témoins d'une période tragique
(N.d.l.r. : Ici en compagnie du Colonel IMM GERARD)
15. La part de l'homme ...
En rédigeant cet ouvrage, nous nous sommes souvenu des mots d'André MALRAUX :
"La vraie barbarie, c'est DACHAU; la vraie civilisation c'est d'abord la part de l'homme que les camps ont voulu détruire".
Quarante-quatre ans après le décès de l'ancien Sous-Directeur de la MAE, quarante ans après l'inauguration du Quartier Major IFM Paul DUFOUR, nous avons retracé, partiellement et de façon bien imparfaite sans doute, la vie de l'héroïque Officier ...
En hommage à son dévouement, à son sens du devoir, à son combat inlassable, poursuivi au péril de sa vie, jusqu'à l'aube de la victoire sur l'Allemagne hitlérienne ...
Afin que les vertus exceptionnelles qui l'ont animé ne soient pas oubliées ...
La suite de l'ouvrage paraîtra dans le prochain bulletin et aura pour titre "54 noms sur notre Monument".
Retour au sommaire
Jules LOXHAY - Histoire d’un soldat, classe 1938
1. Le service militaire
Le 20 mars 1937, j'ai reçu l’ordre de comparaître devant le bureau de recrutement.
L'appel sous les armes
Le jour venu, je m'y suis présenté. On m'a examiné, toisé et pesé.
Je suis en bonne santé, je n'ai pas les pieds plats, je mesure 1,78 m et je pèse 69 kg.
On a pris bonne note des études que j'ai faites, du métier que j'exerce et on m'a demandé vers quels régiments allaient mes préférences ; j'ai cité dans l'ordre : le 14ème de Ligne, le 1er Lanciers et le Régiment de Forteresse.
Dans toutes ces unités, on fait 17 mois; celles où le service est de 12 mois sont réservées aux miliciens dont un frère a déjà servi.
Trois semaines plus tard, j’ai été avisé que j’étais bon pour le service.
Bon pour le service
Le 22 décembre, j’ai reçu notification de mon affectation et de la date de mon entrée sous les drapeaux.
La désignation
Au jour dit, mon père m’a accompagné jusqu’à la caserne. J’ai reçu ses dernières instructions et nous nous sommes quittés.
Un dernier signe de la main, puis, sous le regard amusé de la sentinelle, j'ai pénétré dans le couloir d'entrée au-dessus duquel on lit une devise gravée dans la pierre par les Hollandais qui bâtirent le fort : NIHIL INTENTATUM RELINQUIT VIRTUS (traduction libre : le courage peut tout oser).
Le sergent de garde m'a arrêté. Je lui ai présenté ma convocation et il m'a indiqué où je devais me rendre. Je venais d'abandonner ma vie civile pour une longue période.
On m'a montré ma chambre et désigné mon lit. J'ai fait la connaissance de mes compagnons de chambrée : j'ai retrouvé Julien, un petit cousin, et Hubert, le gardien de but du R.F.C. Bressoux; j'apprends que Georges et Lucien sont de Liège, Henri de Herstal, Jean de Waremme et que le reste est Bruxellois, sauf un Flamand qui vient pour apprendre le français. Nous sommes 15, plus le caporal Sergeïv, de la classe 37, qui sera notre chef de chambrée.
Nous avons à peine eu le temps de déposer nos valises, qu'avec ceux des chambres voisines, nous sommes appelés pour le premier rassemblement.
Le commandant de compagnie vient nous dire quelques mots : il nous informe que nous serons une compagnie de mitrailleurs, il espère que nous serons de bons soldats et qu'il pourra être fier de nous, puis il nous laisse aux bons soins d'un sous-officier qui nous donne des explications sur ce qui nous attend dans l'immédiat et dans les jours qui viennent.
Il y a plus d'une heure que nous sommes sur place quand, près de moi, quelqu'un part la tête en avant et s'écroule évanoui.
Finalement, nous pouvons regagner nos chambrées qui se trouvent au deuxième étage, à l'extrémité de l'aile droite de la caserne. Ma chambre donne sur l'arrière des bâtiments; elle est juste à l'aplomb du passage qui traverse ceux-ci. Il y a 7 lits du côté gauche, un entre les deux fenêtres et 8 du côté droit. La porte d'entrée est percée au centre du mur de 2,50 m de haut qui sépare la chambre du couloir central; ce mur est prolongé par un treillis qui va jusqu'au plafond.
L'espace entre les 2 rangées de lits est occupé par : le râtelier d'armes, le poêle en fonte, le bac à charbon, la table et les deux bancs. Une cassette en bois, accrochée au mur à la tête de chaque lit, complète le mobilier.
Le caporal nous conduit chez le fourrier, au troisième étage, pour y recevoir notre équipement qui consistera en :
- une série d'étiquettes en toile portant notre numéro matricule (le mien est le n° 114 44384) que nous devrons coudre sur différentes fournitures,
- une gourmette avec plaque d'identité,
- deux capotes et deux tenues de drap (une neuve et une usagée),
- une tenue de toile pour l'été,
- un bonnet de police,
- des chiffres et des couronnes, en laiton, pour le bonnet de police et les pattes d'épaules,
- deux paires de chaussures cloutées et une paire de guêtrons (jambières, en cuir, à lacer),
- un jersey et une paire de gants (en laine),
- des chemises, caleçons et chaussettes, ainsi que 2 "bavettes" (pour dissimuler le col de la chemise),
- des mouchoirs de poche, des essuie-mains et un bassin de toile,
- une paire de bretelles,
- un casque en acier,
- un masque à gaz en cuir, modèle 1924,
- un havresac en peau de vache (poil vers l'extérieur) et une besace,
- un ceinturon, deux cartouchières à trois pochettes, un porte pelle et un porte-baïonnette (en cuir),
- une gourde, une gamelle, un couteau pliant, un ensemble cuillère/fourchette et une boîte à biscuits,
- un sachet de pansement, un nécessaire à coudre, un peigne, une brosse à vêtements et une à chaussures,
- une carabine Mauser modèle 1889, une baïonnette avec gaine et une pelle,
- un sac à bagages en toile.
Notons qu'après quelques mois, le masque à gaz sera remplacé par un autre en caoutchouc souple et que nous échangerons notre carabine contre le fusil modèle 1936 ou, pour ce qui concerne les servants de la mitrailleuse, contre un pistolet G.P. 9 mm, avec une gaine contenant une crosse.
Il faut également signaler que la plupart des soldats s'achèteront un ceinturon et un bonnet de police "de fantaisie". La floche du bonnet réglementaire pend jusqu'au bord de celui-ci, tandis que celle du bonnet de fantaisie pend plus bas, mais, le plus souvent, elle est, d'un coup sec de la tête vers l'arrière, projetée sur le dessus du bonnet où elle reste couchée.
Histoire du bonnet de police
L'histoire du bonnet de police est en fait l'histoire du bonnet de nuit.
Aux XVIIe-XVIIIe siècles, les troupes étaient coiffées de bicornes, de tricornes et de nombreuses autres coiffures assez peu pratiques. Comme elles étaient fabriquées sur le même gabarit, il fallait les ajuster au tour de tête à l'aide d'un ruban ou d'un cordon, qu'on serrait plus ou moins selon les besoins. C'est d'ailleurs l'origine des rubans de nos chapeaux actuels, rubans qui ne sont plus là que pour la décoration. Les militaires avaient également, dans leur équipement, un bonnet de nuit comme tout le monde d'ailleurs à ces époques-là.
Le bonnet de police avait la forme d'un cône assez allongé, muni à son sommet d'un cordon auquel était attaché un pompon.
Le service au quartier, les corvées et autres besognes, ainsi que la salle de police rendaient le port de la coiffure réglementaire assez désagréable, aussi, pour se faciliter les choses, les soldats portaient le bonnet de nuit.
Mais ce bonnet avait aussi ses inconvénients : généralement trop grand, il glissait sur le front et la partie flottante retombait souvent sur les yeux. Alors, nos trouffions imaginèrent de replier le bord du susdit bonnet et d'y coincer, à droite, la pointe du cône en laissant librement flotter le pompon.
Puis un jour, par coquetterie sans doute, ils découpèrent un cran sur le devant du repli et y firent passer le pompon. Les officiers trouvèrent l'idée originale et firent modifier quelque peu la nouvelle coiffure : le rebord du bonnet fut fait d'une sorte de tissu, le cône d'un autre tissu aux couleurs du régiment, et soutaché d'autres couleurs, puisque, à cette époque, tous les uniformes comportaient deux couleurs suivant l'arme.
On raccourcit un peu l'ensemble et le bonnet de police était né.
Sur le bonnet de police qui fut porté jusqu'en 1940, on trouvait les couleurs de l'arme : la floche avec la couleur principale et le liséré avec la couleur secondaire. Ainsi, l’infanterie dont l’écusson de col était rouge bordé de bleu avait une floche rouge et un liséré bleu.
Fantassin en tenue de campagne avec fusil Mauser M89
Fantassin en tenue de campagne avec fusil Mauser M89
Toile de tente utilisée comme imperméable
Equipement réglementaire du fantassin
Fusil Mauser Mod 35
Masque à gaz Mod 24
Sachet de pansements
Fusil Mauser 36
Nécessaire à coudre
Boîte à biscuits en aluminium
Baïonnette-épée Mod 16 modifiée 35 pour fusils Mod 35 et 36
Bassin de toile
Après avoir reçu notre équipement, nous avons dû apprendre comment le ranger, et le caporal nous a donné les explications nécessaires :
- sur le dessus de la cassette accrochée au mur, on place le havresac entouré de la toile de tente, la gamelle et le casque.
- la cassette comporte deux parties :
+ une partie plus étroite fermée par une porte, c'est là que nous rangerons notre linge et nos objets personnels.
+ la partie la plus large n'a pas de porte, nous y mettrons, après les avoir plies, les vêtements non utilisés. Un ingénieux système de pliage avec des planchettes de mêmes dimensions pour tous (40 cm x 6 cm) permet un alignement impeccable.
- la cassette est munie de crochets :
+ sur le côté, où l'on accroche : le bassin de toile, l'essuie-mains, la pelle et la baïonnette.
+ au-dessous, où l'on accroche : la besace avec la gourde fixée sur la rabat, les cartouchières et le masque à gaz.
- les chaussures sont placées sous le lit, au pied de celui-ci.
- la carabine est rangée dans le râtelier d'armes.
On nous a également montré comment nous devrions, chaque matin, arranger nos fournitures de couchage :
- le lit est constitué d'une armature métallique avec un treillis formant sommier,
- la literie se compose : d'un matelas, d'un oreiller, de trois couvertures et de deux draps de lit,
- après les avoir pliés à la largeur du matelas, on place, successivement, sur la partie inférieure de celui-ci : une couverture, un drap de lit, l'oreiller, un drap de lit, une couverture.
- on rabat la partie supérieure du matelas sur le tout et on pousse l'ensemble à la tête du lit, puis on enveloppe le matelas avec la dernière couverture (voir croquis ci-dessous).
On peut s’asseoir sur son lit, mais il est défendu de s’appuyer contre les fournitures.
Avant de nous laisser sortir, on nous a appris à reconnaître les grades et à saluer nos supérieurs.
Après une semaine, nous avons enfin la permission de quitter le quartier.
Nous en profitons pour ramener chez nous nos vêtements civils.
Sanglés dans nos uniformes, nous sentons confusément qu'une nouvelle mutation s'opère en nous. Tout comme la mise au travail nous avait fait passer de l'enfance à l'adolescence, le service militaire va transformer en adultes les adolescents que nous sommes encore.
Mes parents, mes frères et mes copains posent des tas de questions : qu'est-ce qu'on mange ? Qu'est-ce qu'on fait ? Les chefs sont-ils gentils ? etc, etc.
En ce qui concerne la nourriture, je leur dit que : le pain est bon, la soupe ne vaut pas celle de maman, les pommes de terre me donnent le brûlant, la rata (patates, fèves et viande mélangées) n'est pas si mauvaise que ça, la viande et la sauce ont un goût neutre et les légumes ne me laisseront pas un souvenir impérissable.
Je leur apprends que j'appartiens à la 12e compagnie, IIIe bataillon du 14e régiment de ligne. Le régiment est commandé par le colonel LAMBERT, le bataillon, par le major GUERIN et la compagnie par le commandant B.E.M. THOUMSIN (qui est fort sévère). Notre instructeur est le 1er sergent ALBRECHT (qui est plutôt "vache") et nos chefs de sections sont les sergents CHARTOTTEAUX, COLIN, LAMBERT et MERVEILLE.
Je leur explique que nos journées se déroulent selon un rite bien établi :
- 0600 hr : réveil et appel au pied du lit, débarbouillage, déjeuner, corvées
- 0730 hr : rassemblement
- 0800 hr : exercices ou théorie
- 1200 hr : dîner, repos, corvées
- 1400 hr : exercices ou théorie
- 1800 hr : souper, quartier libre
- 2200 hr : appel au pied du lit
- 2230 hr : couvre-feu.
Les différentes corvées sont exécutées à tour de rôle ou par les punis. Il y a :
- garde chambre,
- nettoyage des couloirs et des escaliers,
- balayage de la cour,
- enlèvement de la nourriture à la cuisine,
- vaisselle,
- chargement des caissons,
- etc ...
En outre, il y a : les piquets (le soir) et les gardes (24 hr).
Si on échappe à ces différentes contraintes, on a quartier libre de 18 à 22 hr (parfois minuit), et chaque mois, on bénéficie d'un à quelques jours de congé.
En plus nous avons droit à une solde qui s'élève à 0,30 f par jour.
Les manquements à la discipline sont sanctionnés par des punitions dont l'importance varie avec la gravité de la faute. Ainsi, on aura :
- les arrêts de chambre (privation de sortie)
- la salle de police (cachot de 18 à 6 hr)
- le cachot (en cellule tout le temps de la punition)
- la prison militaire (suite à un jugement)
- la dégradation et le renvoi de l'armée.
La vie à la Chartreuse est rythmée par les sonneries de clairon (pour l'infanterie et le génie) ou de trompette (artillerie et garde-frontières).
Il y a :
- la sonnerie du réveil, qui nous dit :
"Allons soldats, levez-vous
"pour éplucher les patates et les choux
"si vous n'voulez pas vous lever
"demain vous serez consignés."
- la sonnerie des repas qui chante :
"Les patates sont cûtes (les patates sont cuites)
"c'est po turto (c'est pour tout le monde)
"qwand enn'a pu (quand il n'y en a plus)
"on n'è r'frè co." (on en refait).
- la sonnerie pour la visite médicale, à laquelle on fait dire, dans un langage un peu cru :
"Ce n'est pas à l'école
"qu'on attrape la vérole
"ce n'est pas à l'église
"qu'on attrape la chaude-pisse
"allons les anciens
"la biroute à la main
"pour passer la visite du médecin."
- la sonnerie d'appel des consignés, qui rappelle la période où la corvée "chiottes" existait encore :
"Consignés descendez
"consignés descendez
"y a d'la merde à pomper
"tant qu'vous voudrez."
- le couvre-feu, dont les dernières notes répètent : do do.
(Quand cette sonnerie est faite "en fantaisie", elle est toujours fortement applaudie.)
- les sonneries pour : le rassemblement, la relève de la garde, l'alerte, etc.
- les sonneries pour appeler : les caporaux, sergents, adjudants de semaine ou l'officier de garde.
Le réveil et le couvre-feu sont joués par l'unité qui assure la garde du jour. Les autres sonneries sont faites par les différents régiments et sont précédées de l'indicatif de l'unité concernée.
Et le temps a passé. Nous avons reçu "les piqûres".
Nous avons été entraînés :
- à marcher au pas et à évoluer en groupes,
- au maniement d'armes,
- à porter et à mettre en batterie la mitrailleuse,
- à démonter, remonter et entretenir nos armes,
- à tirer à la carabine, à la mitrailleuse et au pistolet,
- à progresser en utilisant le terrain,
- à lire une carte et à repérer un objectif,
- à creuser des tranchées et des emplacements de tir, etc.
mais nous n'avons fait que très peu de sport : course à pied et natation.
Régulièrement, nous avons eu droit à l'inspection :
- du fusil (gare à la poussière oubliée dans le canon, sur la hausse, sur la détente ou dans la rainure des vis de la plaque de crosse),
- de l'équipement (attention aux taches, au linge mal plié, au bouton manquant et à la doublure décousue).
Après trois mois de service, le caporal Sergeïv a rejoint son peloton et on a remis des galons à ceux qui étaient désignés pour exercer les fonctions de caporal : j'en étais.
D'autres fonctions ont été attribuées : ordonnance, planton, serveur au mess sous-officiers, conducteur de caisson, etc.
Quelques-uns sont passés au peloton des éclaireurs (cyclistes puis motorisés) et quelques T.S. (chargés des liaisons optiques et téléphoniques) sont venus nous rejoindre; on les reconnaît au losange vert qu'ils portent sur le haut de la manche gauche.
J'ai fini par retenir quelle était l'organisation :
a) de l'armée :
b) d'un régiment d'infanterie
+ état-major de régiment comprenant :
- la compagnie E.M.
- la musique régimentaire
- le service de santé
- le corps de transport
- le personnel de chiffrement, d'observation et de transmission
- la compagnie école,
+ trois bataillons d'infanterie numérotés : I, II et III et un bataillon d'engins portant le numéro IV,
+ un peloton d'éclaireurs.
+ En plus des trois bataillons de notre régiment (le 1 est à Huy), la Chartreuse est occupée par d'autres unités :
c) Le 15e d'artillerie, dont une moitié est à Tirlemont, est composé de groupes formés de batteries attelées : canons de 105 et obusiers de 155, ou tractées : canons de 120 longs.
+ L'écusson est bleu bordé de rouge et la floche du bonnet est bleue.
+ Les appellations : caporal et sergent, sont remplacées ici par : brigadier et maréchal-des-logis.
d) Le 3e génie, qui loge dans des baraquements à l'extérieur de la caserne, est formé de trois bataillons à deux compagnies; on y trouve : des pontonniers, des sapeurs et des artificiers.
+ L'écusson est noir bordé de rouge et la floche du bonnet est noire.
e) Le régiment cycliste de garde-frontières (U. Cy. F.) n'a ici que deux compagnies et son E.M. Cette unité est composée de volontaires.
+ Le bonnet de police est remplacé par un béret bleu foncé orné d'une roue de bicyclette. L'écusson est rouge bordé de bleu et est également orné d'une roue.
Les années passent, mais les souvenirs restent :
Chaque matin, nous avions rassemblement devant l'armurerie. A côté de nous, venait se ranger la 9e compagnie. L'amusant, c'est que la répartition dans les compagnies avait, semble-t-il, été faite par ordre de taille; ainsi, on avait approximativement :
+ la 9e Cie, où les hommes mesuraient 1,65 m et moins,
+ la 10 Cie, où les hommes mesuraient 1,65 m à 1,70 m,
+ la 11e Cie, où les hommes mesuraient 1,70 m à 1,75 m,
+ la 12e Cie, où les hommes mesuraient 1,75 m et plus,
Ce qui fait que les plus grands semblaient dominer les plus petits et le contraste était encore accentué par le fait que ces derniers étaient dotés d'un fusil presque aussi grand qu'eux, alors que nos carabines étaient 20 cm plus courtes.
A la Noël 1938, lorsque, rentrant de la messe de minuit, j'ai ouvert la porte de la chambre, une odeur de vinasse et de vomi m'a sauté au nez. Les Bruxellois avaient fait la fête et le bac à charbon avait recueilli le trop-plein de leurs libations. Lucien, le planton qui rentre avec moi, me dit qu'il ne pourra pas supporter cette odeur et qu'il va aller dormir dans le bureau. Il m'invite à le suivre. Le temps de prendre matelas et couvertures et je l'accompagne, tout heureux d'échapper à ces effluves.
Nous avions près d'un an de service, quand il y a eu des changements dans notre compagnie : notre commandant a reçu une promotion et a été remplacé par le capitaine BROSSE, et puis d'autres sous-officiers ont remplacé nos chefs de section.
Le nôtre est flamand, il s'appelle MESDAGH. Chaque fois qu'il entre dans la chambre, il me voit assis sur mon lit, le dos contre les fournitures, alors, il se retourne et fait un trait sur le montant de la porte (près de laquelle mon lit se trouve). Cela veut dire : encore une fois en défaut.
Or il faut savoir que chaque matin, un caporal et deux hommes devaient procéder au chargement du caisson et ce, avant le rassemblement. Mais le caporal avait beau se démener, les hommes ne descendaient qu'à la dernière minute, c'est-à-dire trop tard.
Quand c'était mon tour, je ne m'occupais pas des hommes désignés; j'avais des copains chez les T.S.; ils étaient toujours prêts et ils acceptaient de m'aider à charger les mitrailleuses; ainsi, mon caisson était toujours chargé avant le rassemblement. Mesdagh s'en est aperçu et (est-ce pour me punir?) m'a dit que je devrais assumer cette corvée tous les jours.
Brave sergent Mesdagh ! Le lendemain, une fois le caisson chargé, au lieu de me mettre dans les rangs, j'ai accroché mon sac derrière le conducteur, j'ai mis la carabine en bandoulière, j'ai passé les pouces sous les pattes des poches du dessus de ma veste et j'ai accompagné le charroi.
Je n'ai plus jamais fait l'exercice.
Quand j'étais de garde, nous relevions assez souvent des Flamands.
Les quelques mots de néerlandais que je connaissais me permettaient, lors du changement de sentinelles, de faire les commandements dans les deux langues
- geef acht : garde à vous
- op de schouder geweer : portez armes
- voorwaarts march : en avant marche
- sectie halt : section halte
- presenteer geweer : présentez armes
- zet af geweer : reposez armes
- ter plaats rust : en place repos
Il en avait été ainsi ce jour-là, quand, vers les neuf heures du soir, l'officier de garde vint me demander de prendre les clés des cachots et de l'accompagner.
En vue des bâtiments, il me fit signe d'avancer sans bruit jusqu'à la porte. Là, nous entendîmes des voix et des rires venant du couloir longeant les cellules. Les hôtes de cet endroit charmant avaient quitté leurs cachots (c'était, paraît-il assez facile d'ouvrir les portes de l'intérieur) et avaient l'air de bien s'amuser.
Le lieutenant lui aussi s'amusait. Après un instant, il me dit d'ouvrir la porte. A peine la clé était-elle dans la serrure, qu'à l'intérieur ce fut le sauve-qui-peut, les portes claquaient les unes après les autres, et, quand nous sommes entrés, le couloir était vide et le silence régnait.
Le lieutenant me fit ouvrir une cellule et fit sortir son occupant. Celui-ci, au garde-à-vous, se demandait ce qui allait lui arriver. L'officier lui déboutonna une de ses pattes d'épaule et, l'air sévère, sortit quelques allumettes et un bout de frottoir que le soldat y avait cachés. Sans dire un mot, le lieutenant fit rentrer le puni dans sa cellule et nous sortîmes.
L'officier me regarda en riant, puis, fier de lui, regagna son local.
Ces mêmes cachots ont, hélas, hébergé pendant la guerre 14-18, quarante-neuf personnes qui, à des moments divers, y sont venues passer une nuit, leur dernière nuit.
Le lendemain à l'aube, elles en sortaient pour se rendre au lieu d'exécution et être fusillées.
J'étais de semaine et je devais faire l'appel du soir et du matin. Ce soir-là, tout le monde étant présent. Je descendis en rendre compte à l'adjudant de semaine. Je me mis au lit, mais, avant de m'endormir, je remarquai qu'il y avait beaucoup d'allées et venues, ça arrive parfois.
Le lendemain, nous étions en train de faire de l'escrime à la baïonnette dans la grande cour, quand le planton s'amène, dit un mot au sergent et celui-ci nous met au repos. Le planton énumère alors une longue liste de noms et invite les intéressés à se rendre au rapport du commandant.
Que s'était-il passé ?
Une quinzaine de soldats, dont plusieurs de ma chambre, avaient "fait le mur" et étaient allés attendre le bus pour descendre en ville. Or l'arrêt en question se trouvait juste devant la maison du 1er sergent, qui, entendant nos lascars rire et parler haut, n'avait eu aucune peine à les reconnaître et avait noté les noms.
Ils étaient rentrés avant l'appel du matin et comme je dormais pendant leur escapade, je n'avais pas eu à les renseigner.
Ils avaient fait la bringue toute la nuit dans les petits cafés de la ville, et l'un d'eux, encore tout ému, me raconta qu'une fille prenait, avec son sexe, des pièces d'un franc posées sur le coin d'une table. Si on se rappelle que notre solde était de 0,30 F par jour, on se rend compte que chaque pièce qui disparaissait laissait un grand trou dans le budget du généreux donateur.
L'affaire se termina par huit jours d'arrêt pour chacun.
J'ai eu une angine et le médecin m'a envoyé à l'hôpital. J'y suis resté six jours. J'ai gagné 20 F aux cartes (avec lesquels j'ai racheté la montre de Hubert). Après, j'ai eu trois jours de convalescence.
Notre compagnie a un chant de marche. Les paroles ne sont pas très intellectuelles, mais l'air est entraînant; en voici le refrain :
"C'est la fille à la fatma - qu'habite dans la casbah,
"au fond de l'Algérie. - Elle n'est pas jolie, jolie,
"mais dans tout le pays, - tous les sidis l'envient.
"Au paradis d'Mahomet, - sitôt qu'elle paraissait,
"c'était de la folie, - et tout d'suite mon coeur aima
"la fille à la fatma - qu'habite dans la casbah".
Pour rapporter ce qui va suivre, je dois faire un retour en arrière.
Une nuit, vers une heure du matin, nous avons eu un exercice d'alerte.
Nous avons mis dans le sac à bagages tout ce qu'on ne porte pas sur soi.
Puis nous nous sommes équipés : uniforme avec capote, casque et havresac avec du linge à l'intérieur, la gamelle attachée sur le rabat, une couverture et la toile de tente roulées et attachées sur le pourtour, de même que la deuxième paire de chaussures; la besace avec la gourde sur le rabat et le masque à gaz en bandoulière; le ceinturon garni : des cartouchières (avec fausses cartouches), de la pelle et de la baïonnette; les pieds chaussés des meilleures godasses, et les tibias protégés par les guêtrons.
Nous avons été rassemblés, prêts à partir, et puis, le temps de voir si nous avions bien fait tout ce qui devait être fait, on nous a renvoyés nous coucher.
Quelques semaines plus tard, l'alerte réelle a sonné et le P.P.R. (pied de paix renforcé) a été décrété. Nous étions en septembre 1938 et l'Allemagne venait d'annexer les Sudètes. Cette fois, des camions ont emmené le régiment sur ses positions, mais notre section est restée, et nous avons mis deux mitrailleuses en batterie contre avions, sur les remparts.
Le soir, nous avons rejoint notre unité à Retinne, et après quelques jours, les accords de Munich ayant été signés, tout le monde est rentré dans ses quartiers.
Les anciens, qui devaient être libérés vers la mi-octobre, ont pu faire la classe 8 à 10 jours plus tôt. Dès qu'ils ont connu la nouvelle, les Liégeois ont entonné le chant de circonstance :
"Les omes del classe di cist'anneye.
"aprèstant nos ann'èraler..
"Nos n'avant pu qu'quéquès djourneyes.
"a chervi to ces djones gradés..
"Nos n'irant pu à l'exercice.
"divint les plèves, les mâvas timps..
"C'sêrè les bleus qu'f'ront l'chervice.
"è les ancyins ni front pu rin.
Les hommes de la classe de cette année,
apprêtons-nous à rentrer.
Nous n'avons plus que quelques journées
à servir tous ces jeunes gradés.
nous n'irons plus à l'exercice
dans la pluie et le mauvais temps.
Ce seront les bleus qui feront le service
et les anciens ne feront plus rien.
"Les omes del classe è n'avant,
"v'la l'clairon qui sone,.
"les ancyins sèrez le rans,.
"l'comandant l'ôrdone..
"Nos brêrant, nos tchantrant,.
"viv'les omes dèl classe..
"Li ci qu'n'a nin fê qui fasse..
"Viv'les pantalons blans.
Les hommes de la classe en avant,
voilà le clairon qui sonne,
les anciens serrez les rangs,
le commandant l'ordonne.
Nous crierons, nous chanterons,
vive les hommes de la classe.
Celui qui n'a pas fait, qu'il fasse.
Vive les pantalons blancs. (*)
"Sale bleu pilou (bis)
"les hommes de la classe (bis)
"sale bleu pilou (bis)
"les hommes de la classe numérotez-vous
"avec, avec plaisir,
"sur la route."
(*) Pour quitter l'armée, le milicien démobilisé portait une veste de drap et un pantalon de toile d'une couleur la plus proche possible du blanc.
- - -
Après le départ des "anciens", nous avons cessé d'être des "bleus".
(Il paraît que cette appellation viendrait d'une époque où les nouvelles recrues auraient porté, pendant l'instruction, un treillis de toile bleue.)
De plus en plus souvent, nous avons quitté la caserne pour faire l'exercice sur la plaine des manoeuvres. Nous allions aussi, quelquefois, dans l'intervalle des forts de Chaudfontaine et de Fléron pour faire du repérage sur les positions que nous aurions à occuper en cas de conflit.
Nous avons été au camp, à Beverloo.
Nous avons fait "les marches" : 36 Km le premier jour, 34 Km le deuxième jour et 30 Km de nuit, le troisième jour.
Nous avons fait du tir contre avions à Nieuport.
Nous avons eu des moments durs : quand nous fondions dans nos capotes en été ou quand nous rentrions avec le casque couvert de glace en hiver. Mais, à condition de ne pas faire l'idiot, les journées ne se passaient pas trop mal.
En ce qui me concerne, je n'ai eu que deux jours d'arrêt. Motif : se promenait en ville, les mains dans les poches.
Pourtant, j'ai frôlé la grosse punition :
Quand un soldat est puni de salle de police, le caporal de semaine doit, après le souper, le conduire au cachot.
Il se fait qu'un soldat de la classe 37 qui avait six semaines à faire après son terme, venait encore d'écoper de 8 jours de salle de police. C'était un Bruxellois que ses camarades avaient surnommé "l'os". Ce garçon avait une amie à Liège et son tempérament le poussait à "la voir" tous les jours.
A ce régime-là, il n'avait vraiment que la peau sur les os, d'où le surnom.
Les trois premiers jours de sa punition, je suis allé le conduire au cachot, puis il m'a dit qu'il n'était pas nécessaire que je l'accompagne et que je pouvais voir, de loin, s'il se rendait au cachot. Pendant trois jours, cela se passa ainsi, et puis, un soir, je n'ai pas fait attention, mon gars s'en est aperçu, en a profité pour sortir, mais, manque de pot, il s'est fait ramasser.
J'ai appris la chose le lendemain quand le sergent de semaine, à qui je rendais souvent le service de le remplacer le soir, vint me demander d'un air ironique où notre lascar avait passé la nuit. Heureusement, le sergent a arrangé l'affaire avec le sergent de semaine à qui j'aurais dû, la veille, signaler l'absence, et je n'ai pas été puni.
En 1939, se tenait à Liège une grande exposition internationale sur le thème de l'eau. Dans le cadre des festivités, des spahis sont venus faire quelques démonstrations de cavalerie.
Comme ils logeaient à la Chartreuse, nous avons eu des contacts amicaux avec eux. J'avais appris qu'ils devaient, ce soir-là, se produire vers 23 h. Après l'appel du soir, je suis allé voir l'officier de garde et lui ai demandé une permission spéciale pour me permettre de me rendre, avec quatre compagnons, à l'exposition et assister au spectacle.
La permission nous ayant été accordée, il ne nous restait plus qu'à trouver un truc pour entrer "à l'oeil". J'ai pris le commandement de notre petit groupe et j'ai prétendu que nous étions de corvée et ce fut suffisant pour nous ouvrir les portes.
Au début du mois de juillet, il nous restait encore cent jours avant la classe. Un loustic a ramené un mètre ruban et a coupé un centimètre chaque jour. C'est sans déplaisir que nous voyions le ruban se raccourcir. Il ne restait qu'environ 20 cm à couper et voilà que, le 26 août, le clairon sonne l'alerte.
Comme la menace allemande sur la Pologne se précisait, le gouvernement belge venait de décider de procéder à la phase A de la mobilisation, et nous avons vite compris que notre libération allait être remise à une date très ultérieure.
Le fantassin et son fusil
Le fusil-mitrailleur .30 sur un "trépied" de fortune
Le lance-grenades V.B. en service avec des fusils Lebel
Le mortier F.R.C. de 7,6
Le Prince Baudouin intéressé par le D.B.T.
La mitrailleuse Maxim en batterie
Le célèbre et efficace canon de 4,7 de la F.R.C. (Fonderie Royale des Canons)
Un exercice des pontonniers du 3e Génie, nos voisins de la Chartreuse sur l'Ourthe, à Chênée
Débarquement des mitrailleuses de leur caisson
Les T.S. au travail
Quelques mitrailleurs et T.S. de la 12e
Mars 1939 - Nieuport
Le 21 juillet 1939, les Spahis à la Chartreuse. A l'arrière-plan, se distingue une cuisine roulante
Le bloc des cachots de la Chartreuse
Notes de la rédaction.
1. La suite du texte, racontant "La mobilisation" paraîtra au prochain bulletin.
2. Nos lecteurs remarqueront que M. J. Loxhay indique bien, tout à la fin du texte ci-dessus, que le gouvernement belge vient de procéder à la phase A de la mobilisation. Comme un de nos membres nous l'a fait remarquer, le bulletin précédent, à la page 58, indique que, le 3 septembre 1939, la Belgique procède à la mobilisation générale. En réalité, il faut lire qu'à cette date, la phase C de la mobilisation est décrétée.
Retour au sommaire
André GANY - Souvenirs de guerre d’un enfant de huit ans
Avant-propos.
J'ai repris une fois de plus le chemin du Bois de la Commune, tout en haut du village de Flawinne, au-delà des Gomognes et du Grestia...
Les choses y changent peu.
Et cette fois, plus encore que d'habitude, les souvenirs refluent, tenaces, précis, vivants...
C'était il y a 50 ans.
Le bois se peuplait de soldats en kaki. Des tranchées balafraient les sous-bois. Le canon tonnait. Les stukas mitraillaient et bombardaient. L'exode nous entraînait et nous ramenait. Le bois était jonché d'équipements militaires hétéroclites. Des tombes bosselaient les bas-côtés du chemin...
La guerre était passée telle une bourrasque; elle avait marqué mon bois à jamais.
Cinquante ans de vie et d'événements n'ont pu occulter ces souvenirs.
Et un jour, l'envie de raconter tout cela à mes petits-enfants,m'est venue.
Ils ne savent pas encore écouter. Peut-être auront-ils un jour le courage de me lire.
+ Septembre 1938
J'ai pris ce matin, le chemin de l'école communale, avec un cœur "gros comme ça". C'est que, l'on était bien à l'école gardienne, avec Madame Fournaux et Madame Warègne.
Finie la culotte en tricot si pratique. Finis les piquetages (découpes de motifs en papier avec une grosse aiguille). Finis les rudiments d'écriture et de calcul avec la touche et l'ardoise...
Nous voilà donc, tout juste assez fier pour ne pas pleurer.
Heureusement, on se fait vite au changement, d'autant qu'il y a la récréation et les longs trajets aller et retour vers la maison, soit par le chemin du "Bâti", soit par les Tiennes "Puille" et "Fondaire". C'est du chemin du Bâti, qu'on voit le mieux la toute nouvelle caserne de Flawinne. On y travaille d'ailleurs encore...
L'autre jour, les soldats s'affairaient à faire monter un ballon captif dans la prairie qui sépare l'école de la caserne. Cela semblait fort compliqué. Certains retenaient le ballon par des filins et d'autres donnaient des ordres pour le laisser partir...
Je n'ai pas la moindre idée de ce à quoi ce ballon pouvait servir.
C'est vers cette époque, que nous avons fait la connaissance du Lieutenant Tislair. Sanglé dans son uniforme ajusté, sévère, moustachu, il m'impressionne beaucoup. Il travaille au fort de Suarlée, mais il ne parle guère de ce qu'il y fait.
+ Septembre 1939
Nous voici de retour, mes parents et moi, d'un beau voyage à Lourdes. C'était, à l'époque, la destination préférée des cheminots qui disposaient de tickets de service.
La joie des retrouvailles avec mon frère et mes grands-parents est à peine tempérée par le souvenir de tous ces militaires français que nous avons vu embarquer dans des trains spéciaux, tout au long du chemin du retour. Les grands parlent entre eux de la mobilisation.
Quelques jours après, le garde-champêtre nous remet un billet de réquisition, nous enjoignant de loger des soldats rappelés.
C'est le grand branle-bas de combat.
Il s'agit de vider rapidement une des pièces de la maison : la grande salle à manger avec la véranda.
Ce soir, déjà, ils vont loger chez nous.
Une dizaine de soldats sentant le kaki, nous arrivent dans la soirée, avec leur barda, leur fusil et leur sac à paille.
Parmi eux, un clairon toujours premier levé et premier parti, et d'autres fort gentils, d'où une figure et un nom émergent, ceux de Marcel Dives, que je retrouverai 50 ans après, par un heureux hasard.
Cette intrusion va modifier considérablement le train-train quotidien. On peut même dire qu'à partir de ce moment-là, rien ne sera plus comme avant, car des militaires et de toutes les nationalités, on ne va pas cesser d'en voir jusqu'en 1945.
Des soldats chez nous, c'est la grille du jardinet devant la maison ouverte en permanence. C'est la liberté offerte aux enfants curieux que nous sommes. Quel spectacle en effet, que de voir, en ce coin perdu de Flawinne, les allées et venues de tous ces mobilisés. Et puis, les soldats et les enfants ne sont-ils pas faits pour s'entendre ?
On les accompagne donc vers l'endroit de rassemblement (le PC comme ils disent) ou dans les bois communaux ou ils vont faire l'exercice. C'est là qu'ils s'entraînaient à creuser des tranchées ou à dissimuler des canons et des caissons dans la verdure. Parlons-en de ces canons !
Quatre chevaux impétueux, attelés deux à deux emmènent chaque pièce à toute vitesse dans les chemins forestiers.
Ce qui n'est pas sans danger pour les enfants, lesquels se font proprement "engueuler" par les chefs de pièce et sont sommés de déguerpir. Les soldats cuistots sont beaucoup plus gentils. Ils n'hésitent pas à partager leur tambouille quand on les rencontre en leur cuisine de campagne installée chez les Dupuis. Dommage que la soupe contienne des asticots ! (j'ai appris qu'ils utilisaient l'eau de pluie des citernes de chez Dupuis!) La soupe des soldats, devient du coup un cadeau bien encombrant, dont on se débarrasse bien vite un peu plus loin dans le fossé.
Leur jeu favori, faire semblant de crever les pneus de nos vélos avec leur couteau. Mon frère, qui y croit vraiment, s'échappe au plus vite qu'il peut...
Mais un soir, en rentrant de l'école, j'apprends qu'ils sont partis; sans doute les choses s'arrangent-elles ?
Car, dans l'entre-temps, le 23 septembre exactement, tous les gosses du village sont rentrés à l'école.
(A Flawinne, on rentrait traditionnellement, le mercredi suivant la Kermesse de la Saint-Lambert.)
Grosse effervescence sur la cour de récréation : notre instituteur titulaire, Monsieur Vandy est mobilisé lui aussi. Une jeune institutrice souriante, Madame Vandermeuse, va désormais s’occuper de nous.
+ Vendredi 10 mai 1940
Tôt matin, notre voisine Angèle frappe à la porte.
"La guerre est déclarée, on l'a dit au poste !"
Vite, on branche l'INR. L'annonceur parle d'une voix grave :
"Ce matin à l'aube, l'ennemi a franchi nos frontières. Ses avions ont bombardé nos aérodromes. Des bombes sont tombées en beaucoup d'endroits. Nous tenons fermement nos positions". Tout cela, ponctué de divers messages pour les rappelés ou d'incitations au calme pour la population. Beaucoup de marches militaires et de musique "sérieuse" aussi...
A Radio-Châtelineau, c'est la même chose. En un instant, tout l'édifice de nos habitudes bascule dans l'incertain. Tout le monde est consterné. Qu'allons-nous devenir ? Une seule chose est sûre ce matin, nous n'allons pas à l'école ! Mais ce jour de congé imprévu n'a pas la saveur des jours heureux.
Du reste de la journée et du samedi 11 mai, je n'ai que des souvenirs confus faits surtout de nouvelles alarmantes et d'angoissantes questions.
+ Dimanche 12 mai
Une nouvelle terrible nous parvient en fin d'après-midi : des dizaines de soldats belges ont été tués par des bombes allemandes dans les vergers de Temploux.
Je crois bien avoir vu ce jour-là les premiers "Sénégalais", ces soldats français de couleur, appartenant aux renforts que la nation amie nous envoie rapidement.
Il est heureux qu'ils soient nos amis, car ils sont plutôt inquiétants, tout noirs, avec leurs grands yeux mobiles et leur curieux calot rouge. D'autant, qu'on leur prête les plus sombres desseins. Ils s'expriment d'ailleurs de manière éloquente par le geste et l'expression "couper cabèche !" (on va leur couper la tête) !
+ Lundi 13 mai
Comme tous les cheminots âgés, mon grand-père a reçu l'ordre d'évacuer vers la France. On parle de plus en plus de faire la même chose. Des directives en ce sens nous sont parvenues depuis l'Administration Communale. Elles recommandent, en particulier, de bien fermer sa maison, d'emmener des provisions et de munir chaque enfant d'une sorte de scapulaire contenant toutes les indications d'identité.
+ Mardi 14 mai
En fin de matinée, nous disons adieu en larmes à notre père.
Il a reçu, lui aussi, l'ordre d'évacuer vers la France et s'en va tristement...
Mais, oh surprise, il réapparaît dans l'après-midi et nous invite à faire très rapidement nos bagages, car les deux derniers trains à quitter Ronet (la grande gare de formation de Namur) vont partir vers 6 heures du soir. Il faut donc se décider. Les valises sont bouclées en un tournemain.
Ma mère m'enfile trois costumes l'un sur l'autre; celui du dessus est un costume marin avec pantalon long.
Mon frère et moi, ressemblons à des momies !
Inutile de fermer la maison, des soldats déjà l'occupent !
Vers 4 heures, sous un soleil de plomb, nous nous mettons en route. Nous sommes à peine sortis que commence la ronde infernale des Stukas. Ils se déchaînent sur la colline de la Vecquée, à l'autre côté de la Sambre. Ils visent le Fort de Malonne ! On a beau être à environ 2 Km à vol d'oiseau, le spectacle nous effraie, autant par le bruit strident des avions en piqué que par l'éclatement des bombes.
Nous nous collons tous (mes parents, ma grand-mère, mon frère et moi )tout contre le pignon de chez Marie "Gawe".
C'est plein d'orties, mais nous n'en sentons pas la piqûre, tant est grande notre frayeur et isolante notre triple couche de vêtements. Le bombardement cesse après quelques minutes. Nous dévalons les tiennes (*) Pondaire et Puille, aussi vite que le permet notre imposant chargement, fait de valises sacs à provisions, sacoches diverses... car il faut emporter tout ce que l'on a de plus précieux, y compris les photos de familles. On ne part pas sans son passé !
(*) Tienne : route en forte pente. Dénomination employée dans l'Entre-Sambre et Meuse.
Des soldats français nous croisent en chemin, affairés, apeurés, dégoulinant de transpiration...
Que cela semble long ! D'autant qu'au poids des bagages s'ajoutent la tristesse de quitter notre maison, l'appréhension du voyage, l'incertitude du lendemain...
Par la route pavée (la rue Emile Vandervelde), la rue de l'Eglise et le "Trieu Josse", nous atteignons Ronet vers 5 hr.
Les longs quais tout au fond de la gare, sont pleins de monde.
Mais, sommes-nous bien sur le bon quai ? Mon père court aux nouvelles. Ce n'est pas le bon quai; il faut changer, car l'autre train part en premier lieu.
Pendant le transfert des bagages, on nous rafle une de nos valises (la valise aux photos !) Cela commence bien !
Et dire que nous sommes entre Flawinnois souffrant des mêmes incertitudes et de la même peur !
Tant pis, embarquons donc dans la cohue sur le train qui vient enfin d'arriver à quai.
A 7 heures du soir, le train démarre vers Charleroi.
(A ce moment, mais nous ne le saurons que beaucoup plus tard, la bataille de Gembloux débute et celle de la Haute Meuse est déjà perdue. L'ennemi nous a déjà débordé au Nord comme au Sud).
Un long voyage commence. Pensez donc : toute une nuit pour parcourir les 35 Km qui séparent Ronet de Charleroi. Voyage par ailleurs ponctué d'arrêts divers, d'abord à Floreffe (Al'Latche) jusqu'à la nuit noire, puis à Auvelais et Tamines, sans raison apparente. Enfin, vers 5 heures du matin, à Châtelineau, station qui vient d'ailleurs d'être bombardée.
+ Mercredi 15 mai
Un soleil éclatant nous accueille à Charleroi-Sud.
Le train ne va pas plus loin. Pour nous, l'exode se termine ici, ou plus exactement, à Lodelinsart chez une cousine de ma grand-mère.
Une fois la famille casée et en sécurité, mon père se rend à la gare de Charleroi pour y chercher des ordres. Mais il revient rapidement bredouille car plus aucun train ne s'en va vers la France et il règne, semble-t-il une pagaille certaine.
+ Jeudi 16 mai
Pour survivre, il faut manger.
Fort de cette vérité, mon père entreprend de rechercher du travail. La boulangerie St-Antoine, chaussée de Jumet, manque justement de personnel; mon père va prendre le relais.
C'est ainsi que mon frère et moi allons faire connaissance avec le petit monde clos et odorant que constitue la boulangerie, apprenant à connaître la réserve de farine, le pétrin, les claies pour les pâtons, le four brûlant, la salle de ressuage...
Voilà notre pain quotidien assuré pour un petit temps.
Quinze jours vont ainsi passer à Lodelinsart ou les seuls événements saillants (ceux tout au moins qui sont restés ancrés dans ma mémoire d'enfant de 8 ans) sont les lueurs des bombardements (aérodrome de Gosselies ?)la nuit de notre arrivée, la destruction du pont de Sambre qui nous coupe définitivement de la France et l'arrivée des troupes allemandes à Charleroi.
Cela doit s'être passé 2 ou 3 jours après notre arrivée.
La nouvelle a couru comme l'éclair : les Allemands arrivent.
Une foule nombreuse et silencieuse s'aligne des deux côtés de la chaussée de Jumet.
Et les voilà nos ennemis: motos side-car, petits véhicules blindés couverts de peinture bariolée, officiers impeccablement sanglés dans leur uniforme, fiers, impressionnants, souriants, presque rassurants... D'autant qu'ils ponctuent leur passage de grands lancers de caramels à destination des enfants.
Ils ne sont peut-être pas aussi méchants que l'on dit !
Quelques jours après !
Ainsi donc, on va pouvoir rentrer chez soi.
Mais il semble que les choses ne sont pas aussi simples; notre maison est-elle toujours debout ? Les routes sont-elles praticables? Ne vaut-il pas mieux attendre encore un peu ?
Mais rien n'arrête ma grand-mère. Cette maison qu'elle a payé sous par sous au prix d'un labeur incessant et à force d'économies, elle veut la revoir au plus vite.
Elle se met donc en route un samedi matin, (sans doute le 18 mai).
Ma mère l'a emmenée sur son porte-bagages jusqu'à Ransart.
C'est là que les Allemands vont réquisitionner son vélo.
A charge pour elle, d'en trouver un autre. Ce qui est vite fait !
Ma grand-mère nous racontera plus tard les péripéties du retour : passage de l'Orneau à Mazy (ou était-ce Onoz ?) avec l'aide des Allemands - car les Français ont fait sauter tous les ponts - logement la nuit à Spy dans une maison vidée de ses habitants, bonheur de retrouver la maison intacte le dimanche matin mais stupeur et fureur de la voir vidée de son contenu, récupération rapide et sans discussion de matelas, couvertures et autre matériel divers, "empruntés" par des voisins peu scrupuleux, ébahissement de voir des bulbes de tulipes épluchés comme s'il s'agissait de vulgaires oignons...
La semaine suivante, c'est notre tour.
Deux vélos équipés de porte-bagages pour enfants nous servent de monture.
Rencontre à Ransart, celle de notre voisine, la vieille Marie "Gawe"; elle a près de 75 ans et a perdu son mari lors de l'exode.
Sur nos instances, un motocycliste allemand accepte de ramener la brave vieille vers Namur dans son side-car.
Mon père peu enthousiaste est sommé de grimper en tape-cul pour servir de guide. Cela va durer trois bons quarts d'heure, le temps de l'aller-retour jusqu'à Spy-Saussin où il y a un arrêt du tram vicinal.
A peine rentré à la maison, je m'échappe pour reconnaître les alentours marqués par les stigmates de la guerre.
Dans la prairie de Vanderzande, une dizaine de vaches gonflées comme des outres et pattes en l'air, commencent a empester.
Pourquoi diable les a-t-on abattues ?
Quant au Bois de la Commune, il évoque, aux blessés près, un véritable champ de bataille. Les clairières et taillis sont parsemés de caisses éventrées, de pièces d'équipements, de boites de conserves... Les calots rouges très caractéristiques, portés par les "Sénégalais" fleurissent un peu partout.
Que de choses à récupérer... que je laisse cependant sur place, par crainte, ou désarroi, ou parce que toutes ces choses évoquent trop la guerre.
Combien de fois ai-je regretté cette "innocence" par après !
Au bord du chemin, vers l'a Flache, deux tombes ont été creusées et remblayées, deux crois de bois avec plaquette d'identification, deux corps enfouis, ceux d'un soldat français et d'un soldat allemand, m'a-t-on dit, qui seront transportés au cimetière de Flawinne par après. Ces deux corps enfouis m'impressionnent beaucoup et je m'empresse de passer en courant ou de faire un détour par un sentier latéral.
Aux confins du bois vers Suarlée, gît une carcasse de camion incendié... Les gosses du coin vont désormais désigner l'endroit par l'appellation "A l'auto brûlée", appellation qui a survécu jusqu'à aujourd'hui. (C'est là qu'est dressé le monument à l'agent des Eaux et Forêts Villeval).
Au bas du Tienne Fondaire, sous le noyer d'Eva Mascune, un énorme canon tracté pointe sa gueule menaçante vers la vallée de la Sambre. Les Français l'ont abandonné là dans leur fuite éperdue... Il va nous servir de trophée et d'engin d'escalade pendant plus d'un mois encore.
Autant de traces d'une guerre qui semble désormais finie.
Cependant, la paix retrouvée a des relents de tristesse; beaucoup de maisons sont encore vides de leurs habitants, nos soldats sont au loin, mon grand-père erre quelque part...
Les vacances, cette année là, vont durer jusqu'à la mi-septembre, presqu’autant qu’en 1944 !
Nous nous installons dans l’attente…
+ Interview de Monsieur Marcel DIVES
(Milicien cl. 34/35 - rappelé en 38 (PPR) et en 39 - campagne des 18 jours - prisonnier au STALAG XVI B pendant 5 ans.)
Ce 22 décembre 1988, après des mois et des mois de recherches et grâce surtout à l'aide efficace de l'Office Central de la Matricule, je peux enfin mettre la main sur l'adresse de Monsieur DIVES, un de "nos" rappelés de 1939, dont nous étions sans nouvelles depuis lors. Je lui téléphone tout aussitôt.
D'abord surpris et quelque peu méfiant, il se fait beaucoup plus chaleureux quand il comprend le sens de la démarche : faire revivre une tranche de vie passée en commun.
Nous convenons d'un rendez-vous pour la semaine suivante. Le jour dit, Monsieur DIVES, 74 ans, plutôt petit et râblé, l'oeil malicieux, l'air déluré, m'accueille en sa maison de Wépion. Nous allons pouvoir parler du passé !
Il passe vite, trop vite à mon gré, sur la période "flawinnoise" de sa mobilisation. Il est vrai que ce ne fut pour lui qu'un cantonnement parmi les nombreux autres de cette période de 39/40. Et il est vrai que la campagne des 18 jours et un séjour de 5 ans au Stalag ont eu autrement d'importance et de répercussion sur sa propre vie.
Ils ont séjourné une vingtaine de jours à Flawinne; c'était en septembre 1939, "à la période des dahlias" a précisé Monsieur DIVES. Ils arrivaient de Champion (Couvent des Soeurs de la Providence). Plutôt que de loger dans un fenil inconfortable, M. DIVES avait choisi de cantonner chez nous avec ses 7 ou 8 camarades de la section d'appui. La salle à manger et la véranda étaient réservées à leur usage. Que faisaient-ils ?
Eveillés le matin par le clairon de service, ils rejoignaient la cuisine de campagne installée 200 mètres plus loin pour y recevoir leur petit déjeuner.
Ils partaient ensuite à l'exercice dans les bois de Floriffoux (la Flache) pour la journée et nous rentraient le soir après souper.
Ils montaient la garde à tour de rôle.
Le moment le plus attendu : la distribution de la correspondance !
M. DIVES se souvient particulièrement bien de mes grands-parents : "ils m'avaient pris en affection... !" A propos de mon grand-père, il me raconte l'anecdote suivante.
"Ce jour-là, les rappelés avaient fait une sortie dans un café de la rue de l'Eglise. Ayant rencontré mon grand-père en cours de route, ils l'avaient invité à participer à la beuverie. Ce qu'il fit sans trop se faire prier. La remontée vers la Leuchère fut dure ! Et la rentrée encore davantage, car ce soir-là, faut-il le dire, mon grand-père n'a pu rejoindre le lit conjugal, ma grand-mère lui ayant enjoint de dormir avec les soldats dans la véranda !"
Fin septembre 39, la 10e Cie du 19 Régiment de Ligne a quitté Flawinne pour Suarlée - Comognes.
Elle séjournera successivement à Flawinne (caserne), Seilles (caserne), à Petit-Waret et Ville en Waret, de nouveau à Seilles, puis à Waret la Chaussée où la guerre rencontrera M. DIVES.
A ma question de savoir s'il a gardé des contacts avec la Fraternelle des 13e/19e Régiments de Ligne, M. DIVES me répond :
"Cela ne m'intéresse pas. Comprenez-moi ! L'Armée m'a déjà pris les meilleures années de ma jeunesse (Ndlr : de 1935 à 1945); je ne souhaite pas lui en donner davantage !"
Comme je le comprends bien !
Le château de Flawinne
Quelques-uns parmi les nombreux militaires hébergés au château de Flawinne
(extrait du Livre d'Or du Château David de Lossy prêté par G. David de Lossy)
La caserne de Flawinne
+ La Caserne de Flawinne
Elle a été construite à partir de 1937 sur des terrains nouvellement expropriés aux confins de la commune de Flawinne vers Belgrade, en vue de loger des éléments de la 2ème Division de Chasseurs Ardennais.
C'est surtout le 20ème régiment d'Artillerie des Chasseurs Ardennais qui profitera de cette nouvelle infrastructure.
Pendant la guerre, les occupants ont ajouté un étage aux blocs servant au logement de la troupe.
Après la guerre, elle verra s'y succéder le Centre d'instruction des Troupes blindées (Montgomery y viendra en visite en 1945 et le prince Baudouin en 1951), le Centre d'instruction N° 1 pour toutes armes, et enfin le 2è Bataillon de Commando qui l'occupe encore actuellement.
+ Namur, 12 mai 1940
Depuis l'aube, Stukas et Dorniers bombardaient Namur. Dans une ronde infernale, les appareils allemands piquaient sur les toits, bombardaient, mitraillaient et remontaient pour piquer encore dans le hurlement de damnation des moteurs.
Dans les rues, c'était la cohue et la pagaille effroyable. Des réfugiés, des militaires de toutes armes, des caissons d'artillerie, des pièces de D.C.A., des Spahis et des Marocains de la 5e D.I.N.A (Division d'Infanterie Nord-Africaine) gisaient dans l'affolement le plus complet, bloquant les passages, déchiquetés par les obus. ensevelis sous les décombres des maisons en flammes.
Dans ce chaos, les hommes du 2e et 3e Ch. A. se glissèrent en file indienne, s'aplatirent sous les bombes et filèrent grand train vers le lieu de rassemblement qu'on leur avait indiqué : Suarlée. Ils y arrivèrent presque tous, regroupés aussitôt par leurs officiers.
Tout proches, les bombardiers allemands arrosaient le fort de Suarlée. qui grondait sous la pluie d'acier.
(Les Chasseurs Ardennais - Xavier Snoeck)
+ Les Français à Flawinne en mai 1940
Des troupes françaises vont être amenées à combattre dans la région de Flawinne, dès les premiers jours de la guerre.
Elles appartiennent essentiellement à la 5e Division d'Infanterie Nord-Africaine – 5 DINA. (Les"Sénégalais" comme nous les appelions).
Cette division est la division de droite de la 1ère Armée française à qui incombe la défense de la "Trouée de Gembloux".
Ces troupes excellentes vont y mener un combat remarquable.
Nous nous attarderons plus particulièrement au comportement du 6 RTM et du Génie divisionnaire, ces deux unités ayant séjourné et combattu sur le territoire de la Commune.
Pour la compréhension du lecteur nous donnons ci-après la composition de la 5 DINA.
Ordre de bataille de la 5 DINA le 10 mai 1940
Général commandant la Division : Gl AGLIANY
Chef d'Etat-Major : Lt Col de GOURNAY
Infanterie
- 24ème Régiment de Tirailleurs tunisiens (24 RTT)
- 1er Bataillon : Col OGER
- 2e Bataillon : p.m.
- 3e Bataillon : p.m.
- 5ème Régiment de Tirailleurs marocains (5 RTM)
- 1 Bataillon : Lt Col MARIOGE
- 2e Bataillon : p.m.
- 3e Bataillon : p.m.
- 14ème Régiment de Zouaves (14 RZ) : Lt Col GALTIER
- 1er Bataillon : p.m.
- 2e Bataillon : p.m.
- 3e Bataillon : p.m.
Artillerie
- 22e Régiment d'Artillerie de Campagne (22 RAC)
- groupe N° 1 : Lt Col GUILLEMET
- groupe N° 2 : p.m.
- groupe N° 3 : p.m.
- 222e Régiment d'Artillerie de Campagne (222 RAC) : Col. RENAUD
- 10e Batterie Antichar Divisionnaire
Génie : Cdt BOMBARDIER et Capt COLOMBANI
Transmissions - Service de santé - Service vétérinaire :p.m
Abréviations: CA : Corps d'Armée - DI ; Division - DIM : Division Infanterie Marocaine - DLM : Division Légère Mécanisée - PC : Poste de Commandement
Tranchées 5 DINA dans le bois de la Commune à Flawinne
(5 DINA : 5e Division d'Infanterie Nord-Africaine)
+ Ordres et Contre-ordres...
Le cas du 6 RTM.
14 mai
Le 14 mai à l'aube, le 6 RTM arrivant par marches forcées de ses cantonnements situées en Thiérache, s'installe dans la vallée du Houyoux (Bois de Morivaux) La situation sur la Meuse, au Sud de Namur, de l'armée voisine va entraîner, pour ce régiment, dans la journée du 14, une succession de missions différentes.
A 9 hr, la mission reçue est la suivante : "garder les ponts sur la Sambre, de Flawinne jusqu'à Namur et sur la Meuse en amont de Namur jusqu'à Wépion, pour assurer la liaison avec les forces françaises tenant la Meuse, dont la gauche est à Wépion. Le nouveau dispositif est réalisé à 16 hr.
A 16 hr, le 6 RTM est relevé de sa mission sur la Meuse, mais conserve la garde des ponts de la Sambre face au Sud, de Namur aux Cailloux (ouest de Floriffoux). Le nouveau dispositif est en cours de réalisation, lorsque, à 23 hr, le Colonel commandant la 6ème est convoqué au PC de la Division, où il se voit attribuer une nouvelle mission : "s'appuyant à la Meuse à l'ouest, se porter sur la ligne Wépion, St Héribert, en vue de réaliser la liaison avec la 5 DIM de la 9ème Armée. Progression en deux bonds :
1er bond : ligne La Pairelle-Malonne"
Le Commandant du 6 RTM alléguant l'état de fatigue de son régiment à la suite des marches continues entamées le 10 mai et des installations successives de la journée du 14, demande que cette opération soit ajournée.
L'ordre d'exécution est néanmoins maintenu.
15 mai
Le 6 RTM dont le P.C. a été porté à l'église de Flawinne le 15 à 4 hr, atteint son 1er objectif vers 9 hr.
Vers 11 hr, il atteint la ligne Basse Fontaine-Fort St Héribert. C'est alors que parvient à ses unités le contre-ordre de reprendre la mission initiale sur la Sambre. Vers 17 hr, le Général commandant le 5 C.A. donne au Colonel commandant le 6 RTM à Flawinne, l'ordre de constituer un détachement comprenant un bataillon du 6ème, une Cie de chars et un escadron moto, et de retraiter au sud de la Sambre.
16 mai
A partir du 16, le détachement aux ordres du Lt-Colonel commandant le RTM, n'a plus aucune liaison avec la Division.
Le bombardement de Temploux
Dans la campagne, les Chasseurs Ardennais se regroupèrent. Au-dessus de l'horizon se défaisaient les grappes noires des obus antiaériens. Le fort de Suarlée se défendait contre l'essaim des Messerschmidt.
Une chaîne continue de barrières métalliques sillonnait la plaine verte. Les chars ennemis devaient se heurter à cette muraille de fer, derrière laquelle l'Armée belge prendrait position.
C'est la ligne K.W. expliqua Coquelle au lieutenant. En 1938, elle était loin d'être terminée. Comme jeune recrue, j'ai participé au montage de quelques éléments C. Croyez-vous à la solidité de ce verrou-là ?
Rascard montra du doigt des entonnoirs de bombes, de part et d'autre de l'immense barrière : "Un verrou peut sauter", dit-il.
Les Chasseurs Ardennais firent halte à Temploux, un hameau disposé autour d'un carrefour. Tout le bataillon y fut bientôt concentré. Enfin, on allait pouvoir se reposer en toute quiétude. Plusieurs centaines d'hommes s'installèrent dans un verger, à l'ombre de pommiers dont plusieurs étaient encore en fleur.
Le verger respirait le printemps. Sous les arbres, les soldats allaient et venaient ou s'étendaient confortablement. Qui dort dîne ! se disaient-ils philosophiquement. Cependant, beaucoup d'entre eux cassaient la croûte. Un soldat belge est rarement pris au dépourvu.
Collé au sol, René Gillot avait attendu la chute des bombes. Quelques instants plus tôt, le verger ressemblait à un quelconque bivouac de soldats. Soudain, tout était figé. Deux cents Chasseurs Ardennais avaient plongé le nez dans le gazon, persuadés que leur dernière heure était venue. Sur leur tête, les cieux croulaient avec fracas. A travers cette tempête, les projectiles fonçaient vers l'objectif : le cœur pantelant de toute cette jeunesse. Combien de stukas attaquaient en piqué ? Un, dix, cent, … ? Il semblait que les éléments fussent déchaînés par les puissances infernales. Un vrai prélude pour la fin du monde.
Dans l'herbe chaude, les soldats affolés s'efforçaient de perdre tout relief. Les mains grattaient la terre dure, mais il était trop tard, il n'était pas possible de creuser le moindre abri. Les quelques secondes qui précédèrent l'explosion des bombes, parurent à tous une éternité.
Trois bombes explosèrent dans le pré et tout sombra dans un abîme ténébreux : l'azur, le soleil, et le feuillage des pommiers.
A la première explosion, Bourdouxhe s'était soulevé, mortellement atteint d'un éclat au cervelet. D'instinct, Marcel Borlon, son voisin, l'avait saisi dans ses bras. La seconde explosion faucha le soldat trop secourable. Frappé par de gros éclats en pleine poitrine, il s'écroula sur le cadavre de son ami. Il était évanoui et râlait. Il était entré dans cette zone située entre la vie et la mort, dont toutes les forces meurtries de sa jeunesse le tireraient, après un combat sans merci.
Trois fois, il y avait eu ce jaillissement insensé de feu et de mitraille. Trois fois, les bombes avaient labouré le verger tragique, déchiré les entrailles de la terre, brûlé de leur flamme les hommes confondus et les insectes étonnés, semé à la volée leurs grains d'acier. Quarante-quatre cadavres lacérés jusqu'à l'os, grillés jusqu'au cœur, gisaient, les dents serrées sur une dernière bouchée de pain, sous un soleil voilé par la fumée. Des dizaines de blessés, monstrueusement mutilés, criaient leur épouvante et leur souffrance. Les rescapés, frappés de démence, couraient dans tous les sens, la tête pleine de l'horrible hurlement des avions d'assaut.
Le verger de Temploux – Chronique de mai 1940 – André Glaude
Le Monument aux militaires tués à Temploux le 12 mai 1940
Trac diffusé par l’Armée française
(original au Musée de l’Armée – Invalides – Paris)
Le Fort de SUARLEE en 1940
1. La situation au 10 mai 1940
Le fort de Suarlée, construit en 1888-1889, a subi l'épreuve du feu pour la première fois en août 1914.
Désarmé après la première guerre mondiale, il a été remis en état au cours des années 30.
Les travaux d'aménagement ont consisté essentiellement en d'importants travaux en sous-oeuvre (creusement de galeries de circulation et d'abris), dans le renforcement des locaux essentiels à la défense (par gainage en béton armé et tôles d'acier ondulées) et dans la construction d'une tour d'air de 18 m de haut avec galerie d'amenée d'air frais vers le fort. Ce dernier dispositif servait également à assurer la relève quotidienne de la garnison.
L'armement consistait en 4 coupoles d'obusiers de 75, une coupole de 2 pièces de 75 GP (portée 10 Km), 2 coupoles de mitrailleuse et quelques armes de défense rapprochée et antiaérienne.
Le fort disposait de 5 postes d'observation avancés à Spy, Suarlée, Emines (La Croix), Flawinne et Floriffoux.
Un réseau téléphonique complet dessert l'ouvrage.
Les liaisons extérieures (vers les forts adjacents de la Position Fortifiée de Namur) se font par câble téléphonique enterré et par T.S.F (poste radio émetteur-récepteur).
Deux groupes électrogènes de 75 CV fournissent l'électricité nécessaire au fonctionnement des organes vitaux.
La garnison est forte de deux équipes d'environ 200 hommes chacune : une équipe au fort, l'autre au cantonnement de repos.
La mission essentielle du fort consiste à interdire à l'ennemi l'utilisation des axes routiers Namur-Bruxelles, Namur-Nivelles et Eghezée-Auvelais.
2. Déroulement des combats
(Extraits du Journal de Campagne du Commandant du Fort)
Du 10 au 15 mai 1940
Peu d'événements saillants.
Journée du 16 mai 1940
- Dès le 16 mai, le fort est isolé, les troupes françaises s'étant repliées.
- Le fort exécute un tir au profit de Marchovelette et une série de tirs à vue directe sur des colonnes ennemies défilant sur la route de Nivelles. - Des tirs de contre-batterie sont également exécutés.
- Le fort essuie les premiers tirs d'infanterie mais il n'y a pas d'assaut véritable. Il subit également un premier bombardement aérien. Il y a peu de dégâts.
Journée du 17 mai 1940
- Le fort est bombardé par une batterie ennemie qui est rapidement mise hors service à l'intervention du fort de Malonne. Des tirs d'interdiction sur des colonnes ennemies sont encore exécutés.
- Attaque de nuit par surprise; elle est repoussée par l'entrée en action de tous les organes du fort.
- Tir de neutralisation sur le Fontillois où se trouve une batterie ennemie.
Journée du 18 mai 1940
- Vers 0915 hr le fort subit un 2ème bombardement. Il s'agit cette fois d'une attaque en règle : longue, terrible, dévastatrice...
- Deux coupoles sont mises hors service, une troisième est coincée.
- L'action des coupoles de mitrailleuse est gênée par les débris de béton et les bourrelets de terre.
- Le massif central en béton est fissuré et certains locaux vitaux sont atteints.
- Aucune perte en hommes n'est cependant à déplorer.
- Au cours de la journée, les dégâts sont réparés au mieux.
- Un obus parvient à détruire un avion ennemi sur la plaine de Belgrade.
Journée du 19 mai 1940.
- La fatigue, la sensation d'isolement et un irrépressible sentiment d'insécurité ont eu raison de la résistance physique et morale de la garnison.
- Le fort se rend vers 1400 hr au moment où les Allemands s'apprêtent à l'assaut final.
Fort de Suarlée. Ce qui reste d'une coupole de 75
Retour au sommaire
Pierre BEAUJEAN - Il y a 50 ans
Le 10 janvier 1940, les plans d'invasion allemands tombent du ciel.
En octobre 1939, Hitler avait demandé à ses généraux un plan d'opération à l'ouest, qui prévoirait le passage à travers la Belgique, la Hollande et le Luxembourg. Il avait fixé la date de l'offensive au 12 novembre. En raison des conditions météorologiques, elle fut ajournée 14 fois jusqu'au 10 mai 1940.
Ce plan, appelé Fall gelb (opération jaune) était largement diffusé dans les états-majors allemands lorsque, le 10 janvier, l'état-major belge obtint des documents s'y rapportant, grâce à un incident quasi incroyable.
En effet, ce jour-là, un avion Me 108 (1) piloté par le major Hoenemanns et transportant le major Rheinberger, officier d'état-major de la Luftwaffe, fait un atterrissage forcé à Mechelen-sur-Meuse.
(1) Selon la référence 1., il s'agirait d'un avion Fieseler Storch; selon la référence 2., il s'agit d'un Messerschmitt "Me 108" du type "Taïfun", immatriculé D.NF+AW, avion de tourisme mis en service le 24 juin 1939.
Rheinberger est chargé de porter au général von Bock, chef d'armée B, des modifications au plan détaillé de l'avance à travers la Belgique, confiée à la 6e armée. Ce plan comporte, entre autre, un projet de débarquement de parachutistes à Gand.
Ayant raté son train, Rheinberger accepte l'offre de Hoenmanns de le transporter de Munster à Cologne. Au-dessus de la Ruhr, le pilote s'égare à cause d'une nappe de brouillard, prend la Meuse pour le Rhin, et, dans son désarroi, branche l'arrivée d'essence sur un réservoir déjà vide. C'est la panne sèche, avec un réservoir rempli ! Et l'arrestation par une patrouille belge.
Dès l'atterrissage, Rheinberger tente, à deux reprises, de brûler ses documents. Chaque fois, les documents sont récupérés, partiellement consumés mais suffisamment lisibles pour que leur traduction ne laisse aucun doute sur leur importance.
Il s'agit de dix feuillets dactylographiés et de deux fragments de carte.
Le tout contient des instructions concernant les missions de reconnaissance et les débarquements aériens que devaient effectuer les 2e et 3e flottes aériennes. Les zones à bombarder (secteur de Dinant), l'état de défense du territoire situé entre la Meuse et la frontière française, une appréciation des possibilités d'atterrissage à l'ouest de la Meuse sont aussi indiqués.
Seule la date d'exécution manque.
Le général Van Overstraeten est averti de la découverte le soir même et reçoit la traduction le lendemain matin. Le roi Léopold décide d'aviser le général Gamelin et les états-majors anglais et néerlandais. Un résumé parvient le jour même au général Gamelin. (2)
(2) Un de nos membres, mobilisé, a assisté dans un état-major, en 1940, à des discussions portant sur la probabilité de réalité de la menace d'invasion ou d'essai "d'intoxication" par les Allemands.
Berlin ignorait le contenu des documents saisis. Hitler, dans l'incertitude de ce que les Belges ont pu apprendre, renonça le 13 janvier, "en raison de la situation météorologique", à l'exécution de l'opération jaune et retarda l'invasion. Le plan d'opération fut amélioré. Le général von Manstein ayant suggéré de lancer des divisions cuirassées à travers l'Ardenne pour bénéficier de l'effet de surprise, Hitler fit sienne cette idée. Le débarquement aérien à Gand fut remplacé par un débarquement aérien en Hollande.
Après le 10 mai 1940, les deux officiers allemands prisonniers furent remis aux Anglais, transférés en Angleterre, puis au Canada. Tous deux seront rapatriés en Allemagne dans le cadre d'un échange de prisonniers de guerre malades. Traduits en cour martiale, Hoenmanns sera acquitté et terminera la guerre comme lieutenant-colonel. Rheinberger verra sa carrière brisée et ne recevra plus aucune promotion. Tous deux survivront au conflit.
Références :
1. "Les Grandes Controverses de l'Histoire Contemporaine - 1914-1945" - Jacques de LAUNAY - Editions Rencontre Lausanne - 1964.
2. "La drôle de guerre en Belgique - Les plans tombés du ciel" - Jean VANWELKENHUYZEN - dans le Bulletin spécial 27 de février 1880 édité par "Les Amis du Musée de l'Air et de l'Espace".
Des documents d'Il y a 50 ans
Le 15 avril 1940, un officier du 3e Bataillon du Génie régularise la réquisition de parcelles utilisées dès le mois de janvier et le mois de février pour la construction de baraquements destinés à la troupe, près du fort de Barchon.
Il y a 50 ans
La mort du sous-lieutenant aviateur Xavier HENRARD
Le 2 mars 1940, un avion militaire allemand du type Dornier 17 violait la neutralité du ciel belge. Ce n'était ni le premier, ni le dernier.
Au-dessus de St HUBERT, une patrouille belge composée de trois chasseurs "Hurricane" commandée par le SLt HENRARD a encadré l'intrus. Il est impensable qu'à ce moment, les Allemands aient pu penser qu'ils étaient ailleurs qu'en Belgique. Si la fuite devenait pour eux impossible, ils devaient se résigner à se poser. Au lieu de cela, ils ont brusquement ouvert un feu nourri de mitrailleuse et ont abattu l'avion du SLt HENRARD qui a trouvé la mort en faisant son devoir, près de BASTOGNE.
Le gouvernement du Reich a exprimé des regrets en réponse à l'énergique protestation du Ministre belge des Affaires étrangères. Monsieur P.-H. SPAAK.
Le Sous-Lieutenant Xavier HENRARD
Les funérailles du SLt HENRARD à Bruxelles
Ce panneau découvert montre le mécanisme de commande automatique des mitrilleuses permettant le tir à la cadence de 1.200 coups/minute
Une escadrille de Hurricane
Si l'escadrille de chasseurs est considérée comme "la police du ciel" ou "les gendarmes de l'air", les appareils à grand rayon d'action, tels les FAIREY BATTLE, peuvent être chargés de missions de reconnaissance ou de photographie. Ils peuvent aussi prendre à bord une charge de bombes et se transformer en bombardiers.
Un mécanicien vérifie le fonctionnement des volets qui, en se refermant, escamoteront les bombes
Avant le décollage, le pilote s'assure du bon fonctionnement des armes automatiques
près une mission de reconnaissance photographique, l'appareil est retiré et emmené au laboratoire où le film sera développé
La mise en place du parachute dorsal du pilote
Une escadrille de FAIREY-BATTLE
Retour au sommaire
Gaston Salle - Le fort d’Embourg (suite et fin)
Document du Service de l'Historique de l'Armée à Bruxelles
(aimablement communiqué par le Général-Major Hoyos Commandant la 3ème Circonscription militaire)
12 Mai 1940
D'après le journal de campagne de Chaudfontaine, à 0225 hr, Embourg signale que Beaufays doit être plein de parachutistes.
Vers 0800 hr, combat des patrouilles du fort et des cyclistes ennemis aux lisières nord-ouest de Beaufays (1 brigadier tué, 1 soldat blessé).
Le poste d'observation de Beaufays, attaqué par canons de 37 mm se déplace par ordre : attaqué à nouveau, il se replie sur le fort (1 soldat blessé).
Le poste d'observation d'Avister s'est replié avec les troupes du 4ème Cyclistes.
Sans nouvelle du poste d'observation de Bois-les-Dames depuis le 12 à l'aube.
Vers 7 hr, le fort n'est plus en communication téléphonique qu'avec Chaudfontaine, Boncelles, E.B.8 et E.C.1 bis.
A 0800 hr, prise de contact avec l'ennemi.
Du 12 au 17 mai, exécution de tirs d'interdiction et de harcèlement sur des voies de communication, des destructions et obstructions et sur des objectifs décelés ou imposés.
13 Mai 1940
A 0900 hr, le fort est investi (ennemi aux abords du front de gorge - zone en contrebas), dans la maison du 1er Chef (front de gorge) et sur la crête "vers le Bout du Monde" (crête à l'ouest du fort). L'ennemi commande aussi la poterne et la prise d'air.
A partir de l'aube, bombardement par artillerie (150, 38 et 37 mm) et ce, jusqu'à la reddition du fort (instruments du P.O. - poste d'observation cuirassé du fort et du P.O. cuirassé de l'Eperon sont détruits par canons de 37).
A 2200 hr, attaque importante par l'infanterie. Mitraillettes et canons de 37 attaquent les embrasures des coffres des fossés. Réseau de barbelés cisaillé au front coupoles II et III. L'attaque est repoussée.
D'après le journal de campagne de Chaudfontaine :
2030 hr, le fort de Chaudfontaine tire sur la prise d'air d'Embourg.
2115 hr, le fort d'Embourg signale que les canons de 37 ne tirent plus sur lui.
2245 hr, le fort d'Embourg demande de tirer sur les canons de 37 se trouvant dans les carrières d'Embourg.
14 Mai 1940
Bombardement presque continu du fort par canons de 150. A partir de ce jour, tous les soirs à la tombée de la nuit, activité ennemie sur les glacis. Tirs à boîtes à balles.
D'après le journal de campagne de Chaudfontaine :
A 0630 hr, bonne intervention des forts de Fléron et d'Embourg sur ennemi dans la plaine Grisard (immédiatement à l'est du fort de Chaudfontaine).
A 1600 hr, Embourg tire en fusant sur Chaudfontaine attaqué par avions.
D'après le journal de campagne de Flémalle :
A 0930 hr, Flémalle tire sur une batterie ennemie située près du carrefour de Rony (à la demande d'Embourg).
15 Mai 1940
Bombardement presque continu par canons de 150.
A 1400 hr, jusque la nuit, bombardement par bombes lourdes d'avions (coupole IV est hors de service, colonne centrale rompue). Quelques blessés légers.
Vers 1500 hr, l'abri E.B.8 (Tilff) est attaqué. Intervention du fort à son profit. Son personnel est fait prisonnier (1 soldat blessé).
16 Mai 1940
Toute la journée, bombardement du fort par avions et artillerie.
D'après le journal de campagne de Chaudfontaine :
1110 hr, Embourg demande du secours, mais Chaudfontaine est aussi bombardé par avions.
1320 hr, bombardement simultané par avions des forts de Fléron, Chaudfontaine et Embourg.
17 Mai 1940
Vers 12 heures, tirs au profit de Chaudfontaine attaqué. A ce moment, le fort est bombardé par avions; les coupoles II et III ont la calotte emportée (un soldat tué à la coupole III); la coupole 1 a ses voussoirs atteints, ne tourne plus, ne se soulève plus (quelques blessés aux coupoles II et III; la voûte du massif à l'aplomb du poste d'observation cuirassé est défoncée; un bloc de 2 à 3 m est tombé devant l'embrasure du corps de garde de guerre, empêchant les vues et les tirs.
L'abri E.C.1 bis est bombardé par artillerie dans l'après-midi (1 brigadier blessé) : il tient jusque la reddition du fort.
Vers 2000 hr, le drapeau blanc est hissé.
Toutes les destructions sont opérées (documents, armes, installations électriques, etc...)
ANALYSE DES FAITS
1. Les 4 coupoles de 75 sont hors service et les instruments des deux postes d'observation cuirassés sont détruits.
De ce fait, l'ennemi peut impunément occuper les glacis pour attaquer les armes de flanquement des fossés et occuper les dessus des coffres de flanquement.
Le secours des forts voisins ne peut plus être escompté (aucune réponse aux S.O.S. lancés du fort).
2. La démolition, en deux endroits, de la contrescarpe de gorge et spécialement celle du Saillant IV rend difficile l'accès dans le fossé et sur le massif (il y a une zone en angle mort à l'escarpe SaillantIV).
Le massif est ouvert en trois endroits (à l'aplomb du P.O. cuirassé et aux deux coupoles décalottées).
3. Action nulle du corps de garde. Action difficile, dans un secteur réduit, du F.M. battant la poterne.
4. Action du F.M. défendant le front de gorge fortement gênée par l'état du demi-fossé de droite (éboulements).
5. Depuis le 13 à 0900 hr, l'ennemi tient sous son feu la poterne et la prise d'air, empêchant ainsi toute sortie de patrouilles (à noter les zones de contre-bas au pied des glacis).
CONCLUSION
Au moment de la reddition :
a) Matériel d'artillerie :
1. Coupoles 75 du Saillant IV hors de service le 15 (colonne rompue par bombe d'avion).
2. Coupoles des Saillants II et III, calottes enlevées.
3. Coupoles du Saillant IV, voussoirs atteints : hors de service.
b) Fortifications :
1. Voûte de l'aplomb du puits d'accès au P.O., cuirasse percée.
2. Voûte du local d'escarpe voisin de l'infirmerie percée et bouchon fermant la fenêtre de 1914 incliné vers le fossé.
3. Sortie de secours de l'infirmerie enfoncée par l'effet de la bombe en face, sur la contrescarpe (1/2 fossé de gorge de droite)
.
4. Contrescarpe fortement effondrée au Saillant IV, rendant facile la descente dans le fossé.
5. Mur d'escarpe de gorge effondré (1/2 fossé de droite).
6. Bloc de 2 à 3 m³ devant l'embrasure du corps de garde de guerre dont la porte blindée ne ferme plus (verrou arraché).
c) Flanquement des fossés et rampes d'accès
1. Les organes de défense des fossés sont encore en état de tirer (bombe non explosée devant le coffre I et le coffre II).
2. Corps de garde de guerre : ni vue, ni tir possible.
3. F.M. flanquant la poterne : atteint à l'embrasure; le déplacement de l'arme, et dans un secteur réduit seulement, est très difficile.
4. Le fossé de gorge, surtout le 1/2 fossé de droite, fortement bouleversé.
Il n'y a plus de secours à attendre des forts voisins.
Carnet de campagne d’un « Bleu » de 1940 du fort d’Embourg
J'ai fait la connaissance de mon fort, le 14 janvier 1940. Quel ne fut pas mon étonnement en voyant son entrée ! Celle-ci, au lieu de descendre pour l'atteindre, il fallait monter et c'est cela qui m'a surpris.
Nous fûmes désignés par chambrée et la mienne fut la n° 6, sous les ordres du Mdl Chantraine, ainsi que du chef de chambrée, un brigadier rappelé. De suite, on nous désigna notre lit et, lorsque le soir vint, nous étions tous équipés.
Avant tout exercice, on nous fit visiter le fort et nous sommes restés pensifs en voyant la devise de celui-ci :
"S'ensevelir sous les ruines du fort plutôt que de se rendre".
Notre instruction fut poussée à fond et de main de maître par des Mdl qui connaissaient leur métier et qui nous ont appris à aimer notre fort.
En avril, j'étais capable de démonter et remonter sans hésitation la carabine, le fusil-mitrailleur, la mitrailleuse "Maxim", ainsi que la culasse du canon, sans oublier ma fonction de pointeur de hausse et tout cela, grâce au Mdl Courtois qui ne ménageait pas ses peines afin de faire de nous de véritables artilleurs de forteresse.
10 Mai 1940
Nous fûmes réveillés en sursaut par le Mdl de semaine, car j'étais de "piquet" et il nous annonça : Alerte "Joseph" ce qui fit comprendre que nous étions en guerre et cela à notre grande surprise du fait que les permissions avaient été rétablies le jour précédent. Les hommes de piquet gagnèrent leur place dans le fort, pendant que les autres faisaient des travaux différents.
J'étais donc à la coupole du Saillant III sous les ordres du Mdl Courtois, en tant que pointeur de hausse.
Nous avons vérifié si tous les instruments étaient en ordre, c'est-à-dire la lunette panoramique, la lunette de visée, l'ouverture et la fermeture de la culasse, l'élévation, la rotation et l'éclipsé de la coupole ainsi que la pose du sac en cuir de récupération des douilles et le débouchoir de fusées.
Pendant ce temps, notre Commandant Jaco et ses officiers ont formé les équipes de combat en prenant les hommes dans l'équipe "A".
Je m'aperçus que j'étais versé dans l'équipe "B" qui devait descendre chez Deflandre, notre cantonnement.
Je me suis permis, avec l'autorisation du Mdl Courtois, de demander au Commandant Jaco de pouvoir occuper le place de pointeur de hausse dans la coupole III, équipe "A", ce qui me fut accordé par le Commandant.
En attendant cette permission, j'étais sur les glacis du fort pour aider les civils qui passaient et nous leur distribuions des bouteilles de lait et de chocolat pour les enfants.
Ayant après regagné ma coupole et mes amis, je ne devais plus revoir le jour que le 17 mai quand nous nous rendîmes, la rage au coeur, si ce n'est que lorsque je regardais par la lunette panoramique.
11 Mai 1940
Les équipes étant bien en place, nous avions toutes les alvéoles de la coupole ainsi que les escaliers remplis d'obus percutants et des fameuses boîtes à balles qui contenaient 214 plombs antimoniaux et dans la coupole des fusées instantanées, à court retard, et des fusantes. Donc, nous étions prêts pour la réception.
C'est alors que nous avons, pour la première fois, tiré à tir réel et nous étions enchantés du résultat, mais, bon Dieu, quel bruit cela faisait au début, car plus tard, nous ne faisions plus attention à celui-ci, tant notre désir de bien faire était grand.
A ce moment, nous avons baptisé notre canon "Antoine" et comme notre ami Kirpac avait un fils, on lui donna le même nom.
12 Mai 1940
Notre temps passait par des tirs commandés, à réapprovisionner les alvéoles en obus que nous donnaient nos pourvoyeurs qui ne chômaient pas, car ils devaient monter les munitions par un treuil actionné à la main, et le reste du temps, nous nous couchions dans la coupole jusqu'au tir suivant.
13 Mai 1940
Même scénario, à part les bombardements qui nous faisaient rentrer la tête dans les épaules, mais cela n'atteignait pas notre moral, au contraire !
Pendant la nuit, nous faisons notre premier tir à boîtes à balles.
Je me souviens du calme que le Mdl Courtois étalait et nous communiquait quant il commandait : 200/1000 feu, 200/1000 droite, 200/1000 bas, 200/1000 haut, ce qui faisait un beau roulement de tambour, mais aussi une belle débandade chez nos voisins les Allemands, qui ne s'attendaient pas à une pareille réception de notre part.
14 Mai 1940
Les bombardements ennemis se firent plus précis et nous encaissions des coups directs sur la coupole; quant à nous la vie était la même, et après chaque tir commandé par le bureau de tir, nous éclipsions notre coupole.
Le soir, nous croyions que les Allemands nous laisseraient plus ou moins tranquilles, mais nous nous vîmes obligés de tirer en fusant dans la direction du poste d'observation de l'Eperon et ensuite à boîtes à balles sur les glacis.
Le reste du temps se passa sur les caisses à munitions.
15 Mai 1940
Nous faisions des tirs commandés le plus rapidement possible, car à chaque tir, les bombardements allemands s'amplifiaient et notre fort était secoué dans tous les sens et notre moral avait bien besoin d'être entretenu, car nous comprenions que nous ne jouions pas à la petite guerre, surtout lorsque nous apprîmes que la coupole IV avait le socle de colonne cisaillé par un coup direct. Mais qu'à cela ne tienne, nous étions là pour défendre le pays, et nous redoublions d'ardeur pour suppléer à l'absence de la coupole IV.
Le soir, les Allemands croyaient que nous n'avions plus autant de cran, et ils se permettaient de revenir sur les glacis; là ils ont compris après notre riposte en boîtes à balles.
16 Mai 1940
Toujours la même vie et toujours le moral gonflé à bloc !
Un petit incident va pourtant nous distraire un moment; nous accomplissions une série de tirs percutants quant notre ami Kirpac nous annonça froidement que nous avions un long feu.
Le Mdl Courtois nous dit d'attendre le temps réglementaire pour ouvrir la culasse et, pendant ce temps, il a prévenu le bureau de tir de ce qui se passait dans notre coupole. Après les conseils reçus de l'officier de tir, nous avons éjecté l'obus et désamorcé la fusée; ensuite l'obus fut placé en lieu sûr et, si mes souvenirs sont exacts, car il y a longtemps de cela, l'obus a été déposé dans le couloir d'évacuation des douilles.
Nous n'étions pas au bout de nos peines, car à un moment de la journée, le poste d'observation central signalait des Allemands au-dessus du coffre du Saillant III et nos canons ne pouvaient pas les atteindre.
A ce moment, le 1er Mdl Dejong nous rendit visite et, par le tube du canon, regarda où les Allemands se trouvaient et jugea que l'on pouvait les avoir en direct en tirant au GP par le tube du canon, étant donné la trajectoire que les balles pourraient avoir. Je ne connais pas le résultat, mais après cette petite récréation, nous apprîmes par téléphone que le fort tout entier avait été félicité pour sa tenue au combat.
La nuit se poursuivit par des tirs à boîtes à balles et des fusants ainsi que des percutants sur certains mouvements ennemis signalés.
17 Mai 1940
Au matin, la petite séance de bombardements continue avec la conséquence que nous sommes beaucoup plus secoués et nous apprenons que certains postes sont touchés.
Le Commandant nous dit de descendre à l'étage inférieur lorsque nous ne tirons pas, car tout le fort remuait avec les bombardements. Nous sentions alors que l'ennemi y mettait tout le paquet et qu'il ne nous faisait pas de cadeau.
A un moment donné, on nous ordonne de faire des tirs de 6 coups, tir rapide, pour dégager le fort de Chaudfontaine. Nous faisons une série de 6 coups et nous éclipsons immédiatement car nous en recevons pour notre grade. Après quelques instants, nous recommençons une nouvelle série que nous n'avons jamais terminée.
A ce moment, nous avons reçu une bombe qui a tout ébranlé, nous projetant dans tous les sens et c'est à l'instant même que nous avons vu une grande lueur : c'était le ciel.
Le Mdl Courtois nous fit évacuer la coupole qui était hors de service et, vu le danger, car il y avait des obus dans les alvéoles qui pouvaient éclater à tout instant, nous nous sommes rendus dans la galerie qui nous conduisait à la principale et nous avons fermé les portes des sas.
C'est alors que le Mdl s'est aperçu qu'il lui manquait un homme; il est remonté dans la coupole pour apercevoir notre ami Kirpac couché sur le plancher. Croyant qu'il était blessé, on a prévenu le médecin qui a aussitôt envoyé des infirmiers qui ont malheureusement dû constater que notre ami était mort. On l'a descendu par l'échelle pour le déposer dans un local de détente.
Me trouvant près de l'infirmerie, le médecin m'appela près de lui, et, à ma grande surprise, me montra ma manche déchirée et le sang qui coulait de mon bras gauche. Je ne m'étais rendu compte de rien, à part une gêne que je croyais due au choc au moment de l'explosion.
Après avoir reçu des soins, le Commandant me félicita pour ma tenue au combat, ce qui me réconforta beaucoup.
C'est à ce moment que j'ai appris que les coupoles I et II étaient aussi hors de service et là, nous ne riions plus, nous étions à la merci de l'ennemi. Nous n'avions plus rien à défendre.
Le coeur bien gros, nous apprîmes que les officiers avaient décidé de rendre le fort. Que faire d'autre ! Nous avions accompli notre mission jusqu'au bout.
Nous avons brisé toutes les armes que nous avions encore, afin que l'ennemi ne puisse en profiter et, le soir, après des pourparlers, nous nous sommes rendus, avec les honneurs de la guerre. L'officier allemand a rendu le pistolet à notre Commandant : honneur rendu à un officier et à ses hommes par un ennemi qui a su apprécier leur bravoure.
Les Allemands nous ont fait jeter nos couteaux et fourchettes et après, nous ont conduits par les glacis sur la route de Beaufays, où nous avons pu voir, le coeur serré, notre fort bien meurtri.
Ils nous ont dirigés sur Sprimont dans une école où nous avons passé notre première nuit de captivité, avant d'être transportés en camions à Malmédy et ensuite en train dans une caserne de Soest, ... pour revenir 61 mois après.
Jean LOXHAY - Matricule 290/7.560 - R.F.L.
LES DERNIERS MOMENTS DE E.C.1 BIS.
Extrait du Journal de campagne du Brigadier Albert Pirson du fort d'Embourg.
Nous sommes le 17 mai 1940. E.C.1 bis travaille depuis l'aube. Chaudfontaine a été dégagé à deux reprises par des tirs de contre-batterie réglés et exécutés avec succès.
L'ennemi attaque sans relâche avec l'artillerie et l'aviation. Le spectacle est féerique, nous vivons des instants uniques dans la vie d'un homme.
Nous sentons la responsabilité qui pèse sur nos épaules; cette bataille des forts, nous la possédons et la conduisons. Depuis plusieurs jours, E.C.1 bis est le seul poste d'observation qui fonctionne pour Embourg et Chaudfontaine.
La porte de Liège est bien verrouillée. L'ennemi le sait et s'acharne sur les deux ouvrages. Jusqu'à présent tous ses efforts sont stériles.
Il est 14 heures. L'ennemi s'est retiré et, désirant profiter de l'accalmie, le Mdl Bodson me remplace au poste de guet. J'en profite pour faire ma toilette et prendre une légère collation. Je gagne le local de détente où, en compagnie du soldat Brevers, j'espère jouir de quelques instants de repos.
A peine en place, une secousse formidable ébranle l'abri, suivie bientôt de plusieurs autres.
Le Mdl Bodson et le soldat Vannieuwhuysen descendent précipitamment de la coupole d'observation et nous rejoignent dans le local de détente. La porte hermétique est poussée et verrouillée, le tir de l'ennemi est régulier et porte chaque fois sur l'abri.
Le bombardement s'intensifie et la cadence des coups devient beaucoup plus rapide. Soudain une explosion nous bouleverse; étant appuyé contre le verrou de la porte hermétique, je me trouve littéralement collé contre la paroi opposée du local.
Cette fois, la situation s'aggrave; un projectile a percuté à l'intérieur de la coupole, les éclats frappent les chargeurs du fusil mitrailleur qui explosent. Des éclats atteignent aussi le différentiel à bain d'huile du ventilateur; l'huile se répand sur le sol et s'enflamme.
Le conditionnement de l'abri n'étant pas très heureux, notre matériel donne un aliment de choix aux flammes et c'est l'incendie dans toute son horreur. Nous ne pensons plus qu'à une chose : sortir de cet enfer le plus rapidement possible. Je gagne le couloir afin de me rendre à la porte blindée, je tire le verrou supérieur, mais celui se trouvant à la partie inférieure ne prétend pas rentrer dans sa gaine. Nous sommes donc emmurés vivants.
L'incendie et la poussière aidant (poussière provenant du ciment sortant des parois sous l'effet du bombardement) rend l'atmosphère irrespirable. Nous ajustons nos masques à gaz.
La situation devient tragique au possible et, pendant quelques secondes, nous croyons que tout est fini; le bombardement fait rage, nous assourdissant tous.
Reprenant conscience, l'instinct de conservation aidant, nous voulons à tout prix sortir. Brevers reste à la porte blindée et moi, je m'occupe de la porte de secours. Je déboulonne la plaque qui obstrue la galerie, ayant toutes les difficultés pour desserrer les boulons, étant gêné dans ce travail par le matériel qui m'entoure et surtout par l'obscurité dans laquelle nous vivons depuis le début du tir ennemi.
Mon travail était à peu près terminé lorsque mon camarade Brevers me crie que la porte blindée est ouverte, le verrou ayant cédé sous l'extrême violence du bombardement.
A présent, c'est la lumière. Je respire à pleins poumons, le ciel est sans tache, je suis ébloui et instinctivement mon regard se porte vers la verdure, cette verdure qui semble ignorer tout le drame qui se déroule sous ses yeux.
J'admire, peut-être pour la dernière fois, ces magnifiques campagnes, ce fort où vibrent à l'unisson des coeurs de camarades, de frères aveugles.
Un craquement sec accompagné de projectiles, de terre et de pierres me rappelle à la réalité. Il s'agit de s'éloigner pour chercher abri dans les tranchées environnantes. Une reconnaissance s'impose.
Cette reconnaissance, je décide de l'effectuer. Un obus vient frapper l'abri que je quitte immédiatement, me faisant le plus petit possible, me terrant chaque fois qu'un obus explose. J'arrive à la tranchée d'où surgit notre fameux câble téléphonique. J'effectue un rapide tour d'horizon. Rien à signaler. J'appelle les camarades. Dès ce moment, un seul souci nous guide : nous écarter le plus rapidement possible et nous mettre hors de portée des explosifs qui continuent à pilonner notre ouvrage.
Nous partons et, après quelques bonds, je suis à proximité des positions de l'artillerie de tranchée. J'effectue un arrêt brusque afin d'attendre les camarades. Malheureusement, ce geste brutal et désordonné provoque une chute dont je ne peux me relever.
Le camarade Brevers m'aide à me relever, mais je ne peux tenir debout. Je constate qu'il n'y a rien de cassé et que c'est l'articulation du genou qui a cédé. Mes camarades m'attachent avec leurs ceinturons et je suis évacué vers la ferme Vierge Marie. Ils y arrivent épuisés par le sublime effort qu'ils viennent d'accomplir et moi par des souffrances atroces.
Ici se situe le dernier acte d'E.C.1 bis. Il ne répond plus. La porte de Liège est ouverte.
Ce poste d'observation était terminé depuis quelques jours avant l'invasion allemande et situé entre les forts d'Embourg et de Chaudfontaine, à un endroit dénommé "Trixhay", exactement au-dessus de l'Eperon du "Fond-des-Cris", le long de la route de Chênée à Verviers.
(Extrait de la revue Belgique-Belgium n° 1, 1ère année, 26 mai 1946).
Le poste d'observation EC1 bis au Trixhay. Vue prise après la reddition le 17 mai 1940
La coupole III après la reddition le 17 mai 1940
Canons de 12 cm pour les forteresses de LIEGE, NAMUR, ANVERS (1890) - Ateliers de la Meuse - Sclessin-Liège - 1890
Coupole de 2 canons jumelés - Ateliers de la Meuse - Sclessin-Liège - 1889
Retour au sommaire
Emile COENEN - Les observatoires du fort d’Embourg
Désirant apporter quelques rectifications et compléments d'information à l’article de Gaston SALLE sur le fort d’Embourg, je vous propose de détailler les observatoires de ce fort.
Pour observer le terrain environnant, les forts réarmés de la P.F.L. 2 ne disposent, en 1937, que de leur observatoire cuirassé (ancienne coupole phare) au centre du massif central, et de leur prise d'air. Ces deux systèmes d'observation sont cependant très aléatoires étant donné les nombreuses vues cachées par les vallons, les dépressions de terrain, les bois, les haies, etc...
Aussi, le 13 juin 1937, le Ministre de la Défense Nationale estime qu'il est préférable que les forts disposent d'une série d'observatoires sous abris.
Après de nombreux projets, c'est la solution la plus économique qui est adoptée, à savoir : la modification des observatoires d'infanterie, déjà construits, en observatoires au profit des forts. Les différents intervalles des forts de la P.F.L. 1, 2 et 4 comprennent une série d'observatoires d'infanterie. Certains de ceux-ci seront modifiés.
En ce qui concerne le fort d'Embourg, celui-ci disposera, le 10 mai 1940, de deux observatoires que sont l'abri BE 8 et EC 1 bis.
Le premier, implanté dans l'intervalle Boncelles-Embourg, est repris sous le dénomination BE 8. Cet abri, construit en 1934 par les entreprises DUYVE-WAARDT de Roulers, comprend deux niveaux et dispose de deux mitrailleuses tirant dans des axes divergents, et d'une cloche de guet. De janvier à décembre 1939, BE 8 sera modifié par la firme Travaux Hydrauliques et Entreprises Générales, autrement dit TRAVHYDRO.
Les modifications les plus importantes apportées à l'abri sont les suivantes : tout d'abord, on modifie les embrasures de la cloche de guet en vue d'étendre son champ d'observation et permettre le tir au G.P. (pistolet à grande puissance). Le local de l'étage-bas devient un "local de détente hermétique". Pour ce faire, les portes sont rendues hermétiques ainsi que la trappe d'accès vers l'étage-haut. De plus, chaque ouverture est pourvue d'un volet hermétique et un ventilateur de type "BOCKHOLTZ" y est installé. A l'étage-haut, les deux bacs à argile, permettant l'emploi de la mitrailleuse ou du fusil-mitrailleur sur leur affût de campagne, sont remplacés par deux affûts "Chardome".
Les embrasures sont modifiées et un volet d'acier de 6 cm d'épaisseur, provenant de la batterie Wilheim II à Knokke, obture celles-ci. Divers aménagements sont réalisés à l'intérieur de l'abri afin de permettre à la garnison de 7 hommes de vivre dans un confort relatif. Le local de détente sera équipé de lits et de transatlantiques ainsi que d'une table et divers petits matériels tels que : lampes, réchaud, rations et boissons, pharmacie, etc... Tout ce matériel est livré par des fournisseurs qui sont encore connus à Liège : TROISFONTAINE, quai de la Batte, FONDER BURNET, rue des Dominicains, WUIDAR et Fils, de Wandre, NIJSTROM, rue des Rivageois, PETIT, de Grivegnée, etc...
Malheureusement BE 8 a un champ d'observation plutôt réduit. Il n'observe que le pied des collines d'Embourg et un peu le village et le pont de Tilff.
De plus, n'ayant pas d'embrasure frontale, il n'a aucune action sur une grande étendue. Cela causera probablement sa perte en mai 1940.
1. sas d'entrée - 2. local de détente - 3. ventilateur - 4. sortie de secours - 5. étagère - 6. accès vers étage - 7. local cloche - 8. embrasure - 9. lance-grenade.
Quant au second observatoire du fort d'Embourg, EC 1 bis, nous allons nous y attarder un peu plus longuement.
Dès 1937, il est prévu de construire un abri-observatoire au sommet de l'éperon rocheux au lieu-dit "Trixhay" à Embourg. Tout d'abord, on dresse un plan de l'abri à l'aide d'une cloche de mitrailleuse primitivement destinée au fort de Sougné-Remouchamps (plan 1).
Représentant une masse trop importante, le premier projet est supprimé et remplacé par un second de dimension plus réduite (plan 2).
A. entrée en puits - A'. entrée avec sas - B. latrine - C. ventilateur - D. local de repos avec lit et étagère - E. sortie de secours en puits - F. local de la cloche 2,20 m de diamètre - G. barrage de poutrelles.
Mais, à partir de mai 1939, l'emploi de cette cloche est réservé à un autre usage; aussi, le 7 juin 1939, établit-on alors un plan, celui-ci définitif, d'un abri-observatoire possédant une cloche F.M. type 1 d'un poids de 18 tonnes avec des parois de 1,30 m d'épaisseur.
La masse totale de cet abri est de 106 m³ et son coût est estimé à 275.000 francs de l'époque (en francs actuels, il convient de multiplier par 21).
Ce projet est approuvé et la soumission se fait en date du 18 décembre 1939. Elle est adjugée à la firme DERIDDER-CANTILLANA de Bruxelles.
L'hiver 1939-1940 étant très rigoureux, le bétonnage est très souvent interrompu. Aussi, le jour de l'invasion allemande, l'abri venait à peine d'être terminé.
A'. entrée avec sas - B. latrine - C. ventilateur - D. local de détente - E. sortie de secours - F'. local cloche 1,20 m de diamètre - G. barrage de poutrelles - H. conduit de sortie.
Je profite de cet article pour lancer un appel à tous les Anciens qui ont vécu la drôle de guerre et les événements de 1940 dans les abris.
Si vous possédez des documents écrits ou photographiques, auriez-vous la gentillesse de les communiquer au C.L.H.A.M.?
Merci d'avance.
Retour au sommaire