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F. TIRTIAT - Les tours d'air des forts réarmés des PFL et PFNl
Lors des combats d'août 1914, la principale cause de la chute de la majorité des forts fut la menace d'asphyxie de la garnison.
Ces forts ne disposaient pas de système de ventilation artificielle, à l'exception du fort de LONCIN, qui en était équipé à titre expérimental. Seules les coupoles étaient pourvues d'un ventilateur à main permettant d'y obtenir une surpression de 6 à 10 mm d'eau, destinée à l'évacuation des gaz de tir. (1)
(1) En ce qui concerne la ventilation dans les forts en 1914, il est nécessaire de préciser que le bureau de tir et la salle de la machine à vapeur étaient aérés par un petit ventilateur extracteur. Le sens de rotation du moteur électrique de ce ventilateur pouvait cependant être inversé.
Par suite de ce manque de ventilation, les fenêtres des locaux de gorge étant blindées (système par poutrelles métalliques), l'aération naturelle était très précaire et les fumées des explosions des projectiles tombant sur le fort, ainsi que les poussières de béton, pénétrant par les ouvertures d'accès simplement fermées par des grilles, envahirent rapidement les locaux du fort, rendant l'atmosphère irrespirable. Il faut ajouter à cela les odeurs pestilentielles des bacs dits "inodores", installés dans un local contigu à la salle de rassemblement et tenant lieu de latrines à la garnison en temps de guerre, les toilettes étant bizarrement (sauf à LONC1N) situées dans un local de la contrescarpe. Ces inconvénients ne se sont pas manifestés à LONCIN, jusqu'au moment où la machine à vapeur fournissant l'énergie électrique au fort s'arrêta par suite de l'obstruction de sa cheminée, ce qui provoqua l'arrêt du ventilateur.
Certains commandants de forts ont créé une circulation d'air naturelle en maintenant certaines baies ouvertes, mais ce procédé était évidemment aléatoire.
Après les combats, les Allemands occupèrent les forts, les réfectionnèrent et les perfectionnèrent. Ils y établirent une ventilation artificielle générale, dont la prise d'air était constituée soit par un puits bétonné profond, soit par une galerie grillagée établis au pied du glacis près d'un des saillants de gorge, ou sur le glacis même. Ces prises d'air, encore visibles actuellement, sont parfois dénommées "galeries allemandes". L'air était amené dans le fort par une canalisation de 80 cm de diamètre, passant sous le fossé et aboutissant sous un des locaux extrêmes de l'escarpe de gorge. L'air était aspiré par un ventilateur électrique placé dans ce local, et était distribué dans les pièces servant au logement et aux services (pas dans les magasins) par une canalisation établie sous le couloir d'escarpe. Sur cette canalisation étaient raccordés des tuyaux de distribution en tôle, suspendus à l'intrados des voûtes des locaux. L'air vicié était évacué, par 4 bouches de 20 x 20 cm aménagées dans le bétonnage des fenêtres de façade (bétonnage effectué par les Allemands, ainsi d'ailleurs que la fermeture de la poterne d'escarpe par béton et porte blindée) et pouvant être obturées par des volets. Certains locaux étaient pourvus d'une bouche d'air supplémentaire, protégée par une plaque métallique percée de trous. La disposition intérieure laisse supposer qu'on pouvait y placer un ventilateur.
Lors du réarmement des forts, on les équipa de prises d'air extérieures, situées à une distance de plusieurs centaines de mètres (200 à 600 m parfois) et installées invariablement au flanc ou au sommet d'une pente (les gaz de combat sont plus denses que l'air...). Ces tours, en forme de champignon de hauteur variable suivant les cas, sont reliées au fort par un long couloir au départ duquel, côté fort, est installé un ventilateur d'aspiration.
Ce ventilateur est entraîné par un moteur de marque A.C.E.C.-C.B.V.81 de 40 CV sous 110 V continu à 300 tours/minute. Une démultiplication par courroie amène ce ventilateur à la vitesse de 700 tours/minute. L'air est refoulé dans un réseau de caniveaux vers les différents locaux et galeries qui sont tous sous pression. Deux petits ventilateurs auxiliaires (caractéristiques non connues) permettent l'alimentation de deux locaux distincts:
- Le premier est placé dans le corps de garde de guerre situé dans la poterne de contrescarpe, l'air arrivant de l'escarpe par le conduit assurant le passage sous le fossé des câbles électriques et téléphoniques de ce local.
- Le deuxième est placé dans le coffre de défense du pied de la tour d'air. II puise son air directement dans le couloir.
L'évacuation de l'air vicié se fait soit directement à l'extérieur (culasse des armes ou volets d'évacuation) ou bien par l'intermédiaire des anciens locaux non renforcés du massif central.
Sur le couloir d'aspiration sont greffés des locaux à usage de dépôts de munitions et d'artifices, ainsi que, parfois, des locaux de détente pour le personnel (galerie de bombardement). Ces dispositifs ne sont pas systématiques à tous les forts (BONCELLES, par exemple, n'en possède aucun...). A NAMUR, un local radio est également placé dans ce couloir (radio à télécommande). On y trouve étalement la niche d'arrivée du câble téléphonique de la Position Fortifiée.
A une certaine distance qui varie d'un fort à l'autre, le tracé du couloir est brisé, soit horizontalement (FLEMALLE, BONCELLES...), soit verticalement (BARCHON, DAVE...) et à cet endroit est établi un petit emplacement de défense bétonné, équipé d'un créneau pour FM et parfois, d'une goulotte lance-grenades. De plus, à environ 6 m de ce coffre de défense, est installée une grille de fer constituant un obstacle supplémentaire. Ce couloir, de section réduite (1,6 m de haut et 0,96 m de large à BONCELLES) est réalisé en béton non armé car, à NAMUR, une des antennes radio y est installée.
Au fort de DAVE, deux fortins extérieurs (TROONOIS et ABRIS DES RELEVES) sont également reliés au couloir de prise d'air. Ceci n'est d'ailleurs pas unique dans les deux Positions Fortifiées (MAIZERET et EMBOURG par exemple).
Au pied de la tour d'air se trouve un fortin pourvu d'un débouché d'infanterie défendu par un ou plusieurs FM qui servait, en temps de guerre, de sortie pour les patrouilles et à la relève de la garnison. A côté du local de tir de ce fortin se trouve un local qui a manifestement été construit plus tard que le reste de l'ensemble. Destiné à devenir un local radio (Réseau Radio Aérien - Système de transmission avec un avion relais), il fut aussi utilisé comme local de réserve à munitions (LIEGE uniquement).
Dans la tour, l'aspiration normale de l'air se fait par une ouverture fermée par une porte métallique double à panneaux, percée dans le corps de cette tour, à la base de la tête de celle-ci. Les deux battants de cette porte, montés sur des gonds de fort calibre et verrouillés par un système fortement blindé, sont réalisés en tôle de 1 mm d'épaisseur rivée sur de forts montants. Le débit d'aspiration est réglé par le degré d'ouverture de la porte, commandé depuis la chambre de tir située dans la tête de la tour. Dans cette chambre se trouvent 6 embrasures pour 6 goulottes lance-grenades dirigées vers le pied de la tour, 6 hublots d'observation en direction de ce même pied, et les commandes de la porte d'aspiration.
En outre, on y trouve également un système mécanique permettant, en cas d'attaque par gaz et après fermeture de la porte d'aspiration, d'élever 6 m plus haut un manchon télescopique allant puiser de l'air frais au-dessus de la nappe de gaz toxique. Ce manchon anti-gaz de prise d'air, en forme de soufflet, est commandé en son centre par un vérin à 4 éléments, actionné par un ingénieux système de câbles, de poulies de rappel, et d'un petit treuil à manivelle avec indicateur de positionnement (système ultrarapide). Il permet de sucer, à plus de 18 m de hauteur par rapport au sol, de l'air beaucoup moins pollué, c'est-à-dire bien moins saturé en gaz toxiques. Ce manchon en toile de bâche, à fine corde de lin simple croisement, mais à trame très serrée, est imperméabilisé par application, après mise en forme (soufflet et couture sur des cercles en fer galvanisé de centrage), d'un mélange d'huile de lin chauffée à 115-155 degrés, de noir de fumée (pour la coloration) et, peut-être, d'un badigeon de siccatif, à raison de 100 cm³ par m2 (Le sulfure d'éthyle dichloré, mieux connu sous le nom d`YPERITE, gaz très vésicant et persistant par temps froid, attaque et traverse les peintures, les tissus, le cuir et même le caoutchouc naturel, mais pas la toile de lin ainsi traitée).
II est à noter qu'aucun système de filtration ne semble avoir été prévu. Des essais ont bien été effectués (notamment au fort de FLEMALLE en 1931), mais il semblerait qu'aucune suite ne leur ait été donnée. Le colonel LHOEST, qui était lieutenant au fort de BONCELLES du 21 février au 16 mai 1940, déclare: "… J'ai retenu qu'il y avait des boîtes filtrantes qui, lors d'essais, avaient fait chuter la surpression de façon catastrophique..." (lettre du colonel LHOEST à M. VIATOUR, le 19 novembre 1985).
La chambre, de tir du sommet de la tour pouvait encore servir à l'observation des environs proches et, dans certains forts, on s'est servi de l'orifice de sortie du manchon anti-gaz (fermé par un volet blindé à deux battants) pour faire du tir anti-aérien, en y installant un FM protégé par un petit parapet de sacs de sable. Le servant de ce FM se tenait debout sur le sommet du système de prise d'air, positionné à la hauteur idéale pour lui. Il existait également dans la chambre de tir des phares portatifs permettant l'éclairage du pied de la tour, à travers les hublots d'observation. La dotation de la tour en armes et munitions était de 6 FM plus un de réserve, 12.000 cartouches, soit 100 chargeurs de 20 cartouches par FM, de 48 grenades par trou lance-grenades, soit 288 grenades. Ces munitions étaient montées dans la chambre de tir à l'aide d'un treuil manuel.
Ces tours que les Allemands, pourtant bien renseignés sur nos fortifications, ont souvent confondues avec des châteaux d'eau (jusqu'au 10 mai 1940...) furent pour eux des objectifs fort vulnérables, que leur bombardement par 37 PAK et 88 FLAK a parfois fortement endommagés (FLEMALLE, BONCELLES, MARCHOVELETTE...) et dont la mission a parfois dû être interrompue à cause des poussières de, beton provoquées par ces tirs.
Il reste enfin à signaler qu'à LIEGE, deux forts ne possédaient pas ce système de prise d'air, leur couloir d'aspiration débouchant par l'intermédiaire d'un petit fortin à flanc de coteau d'une vallée fort abrupte: il s'agit des forts d'EMBOURG et PONTISSE. A NAMUR également, deux forts ne possédaient pas de, tour, cette organisation n'étant pas nécessaire grâce à la présence proche d'une falaise: il s'agit des forts de DAVE et de MAIZERET. Quant à SAINT-HERIBERT, il semble qu'il ne possédait pas d'organisation de prise d'air extérieure au massif, celle-ci se faisant par des "viroles" situées au niveau des locaux d'escarpe (2)
(2) "Viroles" - définition du dictionnaire: du latin viriola: petit bracelet. Petit cercle de métal qu'on met au bout d'une canne, d'un manche de couteau, d'outil, etc. pour empêcher le bois de se fendre.
Il semblerait que, dans le cas qui nous occupe, il s'agisse du puits de prise d'air, ou du système de protection de l'embouchure de celui-ci, installé à travers les anciens locaux d'escarpe et relié à une galerie souterraine menant jusqu'au ventilateur. Le fort de Saint-Héribert étant totalement comblé, il nous a été impossible de vérifier sur place la nature de cette organisation.
SOURCES
Etudes sur place par le groupe de recherches (G. de SAIVE, R. COUNE, M. VIATOUR, G. SCHALICH et F. TIRTIAT).
Denkschrift über die Belgischer Landesbefestigung (O.K.H. Berlin 1941). Etude de G. de SAIVE sur le manchon anti-gaz (non publiée).
Journal de campagne du fort de DAVE (capitaine NOEL).
Le fort de SAINT-HERIBERT (commandant L'ENTREE).
Archives C.D.H. à EVERE. - Archives Q.G.T., Dossiers n° 149 et 420 - Ventilation.
Rapport "Commission JAMOTTE" - Archives C.L.H.A.M.
La tour d'air du fort de BONCELLES par M. VIATOUR (C:L.H.A.M., bulletin octobre-décembre 1985).
Rapport du Général LEMAN sur la défense de LIEGE en août 1914 (G. HAUTECLER).
Interviews d'Anciens du fort de BONCELLES, réalisées par M. VIATOUR.
Cours de fortification, par le major du Génie BEAUPAIN (Ecole Militaire 1936).
Archives personnelles de l'auteur.
Manuel des cours pour la formation des machinistes-chauffeurs et électriciens de l'Artillerie de Forteresse - 1ère partie: électricité - (Ministère de la guerre - Direction générale de l'Artillerie - 1901).
PLANS ET CROQUIS
- Denkschrift über die belgischer Landesbeféstigung. - M. VIATOUR.
(3) La prise d'air du fort de Battice, dont la photo figure dans le bulletin Tome II fasc. 6, est une organisation datant des années 1934 - 1937 (forts nouveaux). La présente étude ne concernant que les forts réarmés, ce type de prise d'air n'y figure pas et sera décrit dans un prochain article.
FLEMALLE, le 8 mars 1987
Fortin de la tour d'air (extérieur)
Fortin de la tour d'air (extérieur)
Fortin au pied de la tour d'air (intérieur)
La prise d'air du Fort de Fléron (photo P.B.)
Au pied de la tour d'air du fort de FLERON, le fortin et sa porte permettant, en temps de guerre, la sortie des patrouilles et la relève de la garnison (photo P.B.)
Bouche d'évacuation d'air vicié dans le bétonnage d'une fenêtre du fort de BONCELLES (travail allemand entre 1914 et 1918) (photo F. TIRTIAT)
La même en gros plan (ne peut pas être agrandie)
Bouche d'air supplémentaire allemande des locaux d'escarpe du fort de BONCELLES (travail allemand entre 1914 et 1918)
La même en gros plan
Prise d'air allemande (galerie allemande) sur le glacis (vers le saillant I) du fort de LANTIN
La même en gros plan
Evacuation d'air vicié établie dans les anciens locaux non réutilisés du fort de CHAUDFONTAINE, lors du réarmement (photo F. TIRTIAT)
Prise d'air du fort de PONTISSE en 1940 (Collection F. TIRTIAT)
Tour d'air du fort d'ANDOY (P.F.N.). Le manchon anti-gaz est partiellement sorti au sommet de la tour (photo DENKSCHRIFT, collection F. TIRTIAT)
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Général-Major e.r. J. R. MATTHYS - La Place Forte de MAASTRICHT
Le présent article comprend un aperçu succinct du passé militaire de la ville de MAASTRICHT et de ses fortifications, et une description des fragments encore existants de ces dernières. La plupart des informations proviennent de l'ouvrage de L. J. MORREAU "Bolwerk der Nederlanden" (Van Gorcum, Assen, 1979) qui contient tout ce qu'il y a à dire sur Maastricht en tant que place forte. Il a également été fait usage de la documentation fournie par la fondation "Maastricht Vestingstad" (boîte postale 230, 6200 A. E, Maastricht).
MAASTRICHT doit son importance stratégique et sans doute son origine à un pont qui, jusqu'au milieu du XIXe siècle, était le dernier pont permanent sur la Meuse avant son embouchure. Ce pont fut bâti au IIIe s. par les Romains pour la chaussée de Boulogne à Cologne et devint au Moyen Age le passage obligé de la route commerciale dont dépendait en grande partie le commerce des Flandres et du Brabant. Alors qu'elle appartenait à l'origine au Prince-évêque de Liège, elle fut partiellement donnée en fief par l'empereur au duc de Brabant Henri Ier (1202). D'où il résulte que Maastricht dépendit jusqu'en 1795 de deux seigneurs, les droits des ducs de Brabant étant passés successivement aux rois d'Espagne et au Etats-Généraux des Provinces-Unies.
Les premiers remparts et la première enceinte en maçonnerie, dont il subsiste d'appréciables fragments, furent élevés au milieu du XIIIe s., mais, déjà à la fin de ce siècle, elle devint trop étroite, de sorte que l'on éleva vers 1300 une nouvelle enceinte, d'abord simplement terrassée. On travailla tout au long du XIVe et du XVe s. à munir cette enceinte d'un mur avec tours et portes et à l'entretien de ces ouvrages. Dès la fin du XVe s. et dans la première moitié du XVIe, ces remparts furent progressivement adaptés à l'emploi de l'artillerie par des travaux d'une conception nouvelle.
Avant de poursuivre l'aperçu du développement des fortifications, il nous paraît utile de préciser quelques aspects militaires de l'assiette de la ville à l'aide du croquis (Fig. 1) ou d'un plan de la ville, si le lecteur en a un à sa disposition.
Comme la plupart des villes situées au bord d'une rivière assez large en terrain peu accidenté (voir Anvers, Cologne, etc.), le vieux Maastricht s'est développé en forme d'un demi-cercle fort irrégulier, dont le côté plat est appliqué à la rivière. Un faubourg - qui ici s'appelle WIJCK - se développa parallèlement sur l'autre rive (en l'occurrence la rive droite ou orientale). Comme ce faubourg n'a conservé aucune trace de ses fortifications, il n'en sera plus question ici.
Sur la rive gauche de la Meuse, le terrain s'élève progressivement vers l'ouest pour atteindre, en dehors des limites de la ville ancienne, des hauteurs dont !e CABERG (+/- 70 m), au nord-ouest, et la Montagne Saint-Pierre (+/- 100 m), au sud, auront une certaine importance pour nous. En raison de ces différences de niveau, la partie occidentale, la plus élevée de l'enceinte, (entre les points A et B du croquis Fig. 1) se trouve en site sec et a un fossé sec.
Figure 1
Note de la rédaction: DE VESTING MAASTRICHT a été publié dans le bulletin de la Simon Stevinstichting N° 3 - automne 1936.
Nous remercions Monsieur le Général-Major e.r. J. R. MATTHYS qui a eu l'amabilité de nous remettre la traduction de son article.
C'est pourquoi cette partie a reçu le nom de "Hoge Fronten" (fronts hauts) tandis que le nord et le sud (entre la Meuse et les points A et B) se trouvent en "site aquatique" avec fossé humide et possibilités d'inondations de l'avant terrain. Ces inondations pouvaient être réalisées au sud, au bas de la Montagne Saint-Pierre, avec les eaux du Geer qui pénètre en ville de ce côté-là, tandis que les fossés du front nord - "Bossche Fronten" ou fronts de Bois-le-Duc - étaient alimentés par la Meuse et seulement à partir du XVIIe s., par le Geer grâce â une conduite souterraine en dessous du fossé des "Hoge Fronten".
Le système de fortification hollandais étant essentiellement adapté aux travaux en site aquatique, les "Hoge Fronten" de Maastricht allaient poser des problèmes particuliers aux ingénieurs hollandais et ceci peut sans doute expliquer pourquoi les fortifications de cette ville diffèrent assez bien des types classiques rencontrés ailleurs. De plus, la guerre souterraine de mines et contre-mines, impraticable en site aquatique, y est largement appliquée à partir du XVIe s.
Les "Hoge Fronten" étant donc plus accessibles par l'assaillant, il importait de les munir de fortifications plus complètes. Ainsi, au cours des nombreux sièges de la ville, les travaux d'approche furent dirigés contre les "Hoge Fronten" (Portes de Tongres et de Bruxelles) en 1579 (Alexandre Farnése, duc de Parme), en 1632 (Louis XIV avec Vauban), tandis qu'en 1676 (Guillaume III d'Orange), en 1748 (Français sous le maréchal de Saxe), en 1793 et 1794 (Français sous Miranda et Kléber), les tranchées furent ouvertes en face des portes "Lindenkruis" et de Bois-le-Duc. Seuls les fronts sud ne furent jamais attaqués.
C'est avec son enceinte moyenâgeuse "améliorée" que Maastricht subit son siège le plus sanglant - celui de 1579 -, résistant pendant quatre mois aux assauts des troupes de Farnèse. La ville fut prise d'assaut le 29 juin 1579 - cas exceptionnel parmi les sièges de Farnèse qui généralement se terminèrent par des capitulations - et, comme l'autorisaient dans un cas pareil les lois de la guerre de ce temps, elle fut pillée de fond en comble. Après cela, la ville resta quelque 50 ans aux mains des Espagnols qui firent restaurer l'enceinte et y ajoutèrent quelques "dehors", notamment un chemin couvert. Ces ouvrages subirent le siège du 9 juin au 21 août 1632, permettant à la garnison de repousser tous les assauts jusqu'à ce que les habitants forcent le gouverneur à la capitulation.
Après cela, les fortifications de Maastricht connurent une extension considérable (voir le plan de Mérian). Le vieille enceinte de la ville fut maintenue mais entourée d'une chaîne â ouvrages "modernes" du type "ancien-hollandais" comprenant un ravelin (*), quatre bastions revêtus, quatre derni-lunes et six grands ouvrages à cornes, plus un certain nombre de redoutes carrées. Comme dans beaucoup d'autres villes des Pays-Bas méridionaux (Bruxelles, Louvain, Tournai, etc.) ces ouvrages étaient placés dans ou devant le fossé du rempart et n'étaient pas reliés par une courtine.
(*) Ravelin: demi-lune, dans un système de fortification (Larousse universel en deux volume, 1949).
A la suite des traités de 'Westphalie (1648), les fortifications de Maastricht, comme celles des autres places fortes des Provinces-Unies, furent laissées à l'abandon jusqu'à ce que la guerre avec la France (guerre de Hollande, 1672 -1673) amène une hâtive remise en état.
Plan de Maastricht après 1648 d'après MERIAN "Topographie…" 1659
Le siège de 1673 par l'armée de Louis XIV, forte de 40.000 hommes, au cours duquel Vauban fut chargé de la conduite des travaux d'approche, ne dura qu'une bonne quinzaine de jours. Il est généralement admis que c'est au cours de ce siège que Vauban mit en oeuvre pour la première fois sa méthode d'attaque enveloppante devenue classique par la suite (Fig. 1 bis).
Plan des attaques de Maastricht (1673) conduites par Vauban contre la Portes de Tongres. La "demi-lune des Mousquetaires" se trouve à droite de la "Batterie avancée de 12 pouces".
Durant l'occupation française de 1673 à 1678, les fortifications de Maastricht furent améliorées suivant des plans essentiellement dus à Vauban. Il s'agit d'une série de lunettes (ou bastions détachés) situés de 200 à 300 m du rempart, d'une amélioration des inondations, de la conduite souterraine amenant les eaux du Geer dans le fossé des fronts nord et de l'extension des ouvrages souterrains. Une tentative de Guillaume III d'Orange pour reprendre la ville (juillet-août 1676) échoua devant ces nouvelles fortifications.
Que celles-ci ne satisfaisaient pas encore leur auteur, ressort de la correspondance entre Louvois et Vauban. Ce dernier attribuait ces défauts au fait que les ouvrages édifiés lors des entreprises de construction successives l'avaient été sans plan général, d'où il devait résulter un ensemble confus et incohérent. Vauban établira pour Louis XIV, lequel espérait conserver Maastricht lors de la paix à venir, un plan de rénovation générale de la place forte. Cette rénovation fut à peine entamée et, lorsque Maastricht, rendue aux Provinces-Unies en 1678, devint une base importante dans les deux longues guerres de la Ligue d'Augsbourg (1688-1697) et de la succession d'Espagne (1702-1713), de nombreux nouveaux ouvrages (entre autres les bastions Waldeck, Saxe et Holstein et le Fort Saint-Pierre dont il sera question plus loin), vinrent s'ajouter à ce système déjà fort compliqué; toutefois, la place ne fut pas assiégée.
En transférant le long de notre frontière méridionale la barrière de forteresses des Provinces-Unies, le traité d'Utrecht (1714) créa un tel sentiment de sécurité dans la République, qu'une fois de plus, il parut superflu d'entretenir les forteresses de l'intérieur du pays. La chute rapide des forteresses de la Barrière au cours de la guerre de Succession d'Autriche (1741-1748) nécessita la remise en état précipitée de Maastricht qui, assiégée, opposa une résistance honorable et n'ouvrit ses portes aux Français qu'après les préliminaires de la Paix d'Aix-la-Chapelle (mai 1745). La brève période d'occupation qui suivit fut mise à profit par des ingénieurs français pour faire les levés nécessaires au plan-relief de Maastricht qui fait partie de la collection de l'Hôtel des Invalides à Paris. Une bonne copie de ce précieux document se trouve au "Bonnefanten Museum" à Maastricht. Elle donne une image saisissante de l'étendue des ouvrages fortifiés au milieu du XVIIIe siècle.
Le piètre comportement des forteresses de la Barrière, qui furent d'ailleurs en grande partie rasées avant leur évacuation par les Français en 1748, incita les Provinces-Unies à consacrer plus d'attention à l'avant-poste stratégique que constituait Maastricht. On redécouvrit les défauts constatés par Vauban 75 ans plus tôt, résultat de l'accumulation d'ouvrages sans plan d'ensemble: la protection insuffisante du rempart principal (du XIVe s.), le flanquement défectueux des ouvrages extérieurs trop écartés les uns des autres et ne disposant pas de communications abritées.
Un premier projet de modernisation générale établi en 1751 par le colonel ingénieur P. de la Rive fut approuvé à La Haye, mais ne put être exécuté, les moyens financiers disponibles devant être affectés en priorité à Namur, forteresse de la Barrière. Lorsqu'enfin quelques fonds purent être appropriés, ils servirent à des améliorations fragmentaires, e.a. à l'inondation du Geer et aux ouvrages qui la contrôlaient, aux bastions devant les portes de Tongres et de Bruxelles qui furent agrandis et pourvus de couvre faces, et enfin à quelques petits ouvrages des fronts nord.
Tous ces ouvrages furent exécutés dans le style bastionné classique repris à Vauban et aux ingénieurs de son école, mais le tout demeurait un assemblage incohérent d'ouvrages de nature différente qui contrastait avec la régularité des forteresses de Vauban le long de la frontière du nord de la France.
Le successeur de P. de la Rive, le colonel ingénieur Carel Diederich Du Moulin, qui ne resta en fonction que de 1772 à 1774 pour devenir ensuite Directeur général des fortifications nationales, produisit une oeuvre qui serait à la fois plus originale et plus durable. Lui aussi commença par établir un plan d'ensemble assez ambitieux pour "établir une fois pour toutes cette forteresse comme une formidable place frontière pour l'Etat", critiquant la situation existante, l'absence de plan d'ensemble, le nombre excessif d'ouvrages extérieurs généralement non revêtus et mal couverts par des fossés sec peu profonds. Il se risqua même à attribuer ce triste état à l'esprit d'économie mal compris du pouvoir central, d'où il résultait que les dépenses faites par bribes et morceaux depuis le début du XVIIIe s. pour améliorer les fortifications auraient largement suffit pour mettre la forteresse en "un état de défense formidable" s'ils avaient été affectés à une seule campagne de travaux.
Son grand projet de 1775, auquel un commencement avait été donné dès 1773, englobait tous les "Hoge Fronten" à partir du bastion Holstein. A côté de cela, il fallait rénover complètement les fronts nord (fronts de Bois-le-Duc) et construire un grand fort en forme d'ouvrage à cornes sur le Caberg. La rénovation des fronts nord et le fort de Caberg ne verraient le jour qu'après 1815 et alors, sous une forme tout à fait différente.
On peut toutefois admettre que la place forte se trouvait vers la fin du XVIIIe s., sinon dans un état de défense idéal, du moins dans un état respectable, lorsqu'une armée républicaine française, commandée par le général Miranda vint l'encercler en 1793. Dégagée par une contre-offensive autrichienne après huit jours de bombardement, elle fut de nouveau assiégée en octobre 1794, cette fois défendue par une garnison autrichienne. Lors des deux sièges, l'assaillant ne se préoccupa guère d'employer les méthodes d'attaque classiques, comptant sur la terreur provoquée par les bombardements pour amener la reddition, ce qui se fit le 4 novembre 1794 après la destruction de 2.000 bâtiments.
Pendant cette nouvelle occupation française, Maastricht servit de point d'appui et de dépôt pour une éventuelle ligne de défense le long du Rhin. Les ingénieurs français se montrèrent assez critiques pour les "systèmes particuliers des anciens ingénieurs hollandais" et le tracé "exécuté dans le goût du sistème (sic) de Coehorn". Toutefois, ils n'exécutèrent aucun de leurs projets, sauf une lunette devant les fronts du nord.
Tout changerait après 1814 et la chute de Napoléon. Maastricht vint à occuper une position-clé dans la Barrière de Wellington, à l'extrémité gauche de la deuxième ligne de places qui, partant d'Ostende, passait par Gand, Termonde, Anvers et une place en Campine qui ne fut jamais créée et aboutissait à Maastricht. En même temps, elle constituait un chaînon dans la ligne des forteresses qui dominaient la Meuse. Dinant, Namur, Huy, Liège, Maastricht, Venlo. Puisque cette fois-ci on ne manquerait pas de moyens - la France devait payer l'essentiel et les Alliés apporteraient leur contribution - on élabora des projets ambitieux. Pour accélérer les travaux, on se servit, suivant les directives de Wellington, de projets établis sous l'occupation française pour les travaux nouveaux, comportant pour l'essentiel:
1) la construction du Fort "Koning Willem Ier" sur le Caberg,
2) l'amélioration du Fort Saint-Pierre,
3) la restauration des maçonneries des ouvrages existants,
4) la remise en état des ouvrages souterrains,
5) la construction de fronts du nord (Lossche Fronten) entièrement nouveaux.
Ces derniers comporteraient quatre grands bastions avec une courtine revêtue continue, trois ravelins et un chemin couvert avec glacis et réduits dans les places d'armes rentrantes, le tout suivant le "tracé moderne" de Cormontaigne, soit le système Vauban "amélioré" auquel les ingénieurs français - et les ingénieurs hollandais formés au service de la France - restaient fidèles, tandis qu'ailleurs (Allemagne, Autriche), des systèmes plus modernes: tenailles, perpendiculaires ou polygonaux, étaient mis en pratique. Cette campagne de construction qui se poursuivit jusque dans les années 1320, fut le dernier grand effort de modernisation de la place forte et il est paradoxal qu'elle se fit suivant des méthodes largement dépassées.
Maastricht sera encore mis en état de défense lors de la révolution belge et le blocus qui s'ensuivit de 1830 à 1839, au cours duquel l'énergique général Dibbets parvint à conserver la place, complètement isolée, au pouvoir des Hollandais.
Tout comme les forteresses du système de 1815 situées en Belgique, et qui avaient été construites suivant les mêmes méthodes surannées, la place forte de Maastricht cessa de jouer ce rôle vers le milieu du XIXe siècle. Son démantèlement fut décidé en 1867, soit à la même époque que celui des places de la frontière sud de la Belgique, au moment où les Pays-Bas, tout comme la Belgique, optèrent pour le système du réduit national par l'érection, d'une part, de la "Vesting Holland", d'autre part, de la place forte d'Anvers.
LES ENCEINTES MOYENAGEUSES
Maastricht a conservé de sa première enceinte du XIIIe s., divers fragments partiellement incorporés dans des constructions ultérieures et partiellement encore bien visibles, e.a. le long du "Lang Gracht" et le long du ou "Onze-Lieve-Vrouwal" (rempart Notre-Dame). Ce dernier tronçon qui fit partie du mur longeant la Meuse, demeura en service comme partie de l'enceinte jusqu'à la suppression de la place forte en 1870 et fut à ce titre régulièrement entretenu et réparé, la dernière restauration ayant lieu en 1977. Egalement de cette première enceinte subsistent la porte dénommée "Hellepoort" (perte d'enfer) et le "Jekertoren" (tour du Geer). La plupart des fragments conservés sont exécutés en appareil irrégulier de grès carbonifère, les portes et les tours étaient d'une exécution plus soignée. Certaines de ces parties présentent des réparations ultérieures; ainsi les murs près de la "Hellepoort" sont visiblement une reconstruction récente.
La deuxième enceinte du XIVe s. est présente par la tour dite "achter de Feilzusters" (derrière les Soeurs Voilées) ou "Pater Vincktoren" (tour du Père Vinck), et par un tronçon de 500 à 600 m depuis la porte Saint-Pierre (disparue) jusqu'à la porte de Tongres (également disparue). Seule la première tour a conservé son aspect moyenâgeux, surtout grâce à la restauration du XXe siècle. Les autres parts ont gardé l'aspect résultant de la "modernisation" intervenue à partir de 1542 pour répondre à l'emploi de l'artillerie. A cet effet, on a élevé contre la face intérieure du mur un rempart de terre destiné à accroître sa résistance et à créer un chemin de ronde plus large, permettant l'installation de bouches à feu. Ce rempart est encore présent sur sa plus grande longueur. Là où il a été enlevé, la structure intérieure du mur est rendue visible.
Le mur portait à l'origine des créneaux qui furent remplacés par un gros parapet de briques. La hauteur du mur varie entre 6 et 7 mètres. Depuis l'angle sud-ouest du mur, près de la Porte de Tongres jusqu'à la Meuse en aval, le mur s'élevait sur un talus par endroits d'une hauteur considérable, talus qui doit avoir été la première forme de l'enceinte. Les tours qui se trouvent dans le mur ont également été modifiées au XVIe siècle. Les toits pointus ont disparu et les tours ont été arasées jusqu'au niveau du mur. L'intérieur en a été comblé au moyen de terre et de débris, de manière à permettre l'installation de bouches à feu au sommet.
La différence des matériaux de construction des murs indique les périodes de construction successives. Les parties les plus anciennes sont exécutées en appareil irrégulier de grès carbonifère mélangé à du calcaire, les parties les plus récentes, en pierre marneuse et en pierre de taille dite de Namur. A certains endroits, des réparations ont été effectuées en briques, celles-ci étant utilisées également pour les parapets. La porte d'eau "de Reek" qui laisse entrer le Geer dans la ville est une construction assez remarquable avec ses deux tours et les batardeaux qui séparent les eaux du Geer de celles des fossés.
Les fortifications de Nieuwstad (ville neuve) constituent une partie distincte de l'enceinte. Elles couvrent une petite partie de la "Franchise de Saint-Pierre" appartenant à la Principauté de Liège et annexée à la ville au XVe siècle. Ce territoire situé devant l'angle sud-est de la deuxième enceinte, reçut une protection distincte qui se rattachait au nord à la première enceinte près de la tour du Geer (Jekertoren) et à l'ouest, à la deuxième enceinte près de la porte Saint-Pierre. Les fragments conservés sont représentatifs d'une architecture militaire influencée par l'emploi de l'artillerie mais datant d'avant l'introduction généralisée du système bastionné; ils témoignent des recherches en cours à cette époque. La solution adoptée en l'occurrence paraît assez conventionnelle: un mur massif en pierre de taille adossé à un large rempart de terre (la passerelle au-dessus de la rue est moderne!) et des "rondelen" (boulevards ou tours à canon), bas et massifs, contenant des casemates avec embrasures flanquantes. Le cordon en forme de frise et les inscriptions de la tour occidentale dénommée "Haat en Nijd" (haine et envie), qui a conservé son parapet d'origine, lui donnent encore un aspect moyenâgeux.
Le mur de la seconde enceinte prend un aspect tout différent à son extrémité occidentale. Ce n'est certainement plus le mur original du XIVe s.; le fruit (*) de ce mur et l'appareil: pierre de taille à la base, chaînage de pierres marneuses et de briques, renvoient à une date plus récente (fin du XVIe s.?).
(*) Fruit: obliquité donnée, du dehors en dedans, au parement extérieur d'une construction. (Petit Larousse illustré)
L'angle aigu formé par les faces sud et ouest du mur a déjà l'aspect d'un saillant de bastion. Cet angle portait le cavalier (**) dit "de Tongres" dont subsiste la poudrière.
(**) Cavalier: ouvrage surélevé installé sur un fort pour accroître ses vues et son champ de tir. (Petit Larousse illustré)
Nous nous trouvons ici à un des points les plus vulnérables de l'enceinte d'où il était possible de prendre la porte de Tongres en écharpe. Il fut le théâtre des opérations principales des sièges de 1579 en de 1673 ainsi qu'en témoigne la brèche, réparée en pierre marneuse, qui date de ce dernier siège.
Il subsiste à cet endroit quelques fragments des ouvrages extérieurs dont une partie de la face gauche du bastion "`Wilhelmina" de 1768 situé le long du Geer et quelques fragments de la lunette "Dreuthe" de 1776 située au nord du bastion Waldeck.
LE BASTION WALDECK
Ce bastion fut établi en couverture avancée d'un ravelin plus ancien devant la porte de Tongres. II remplaça une lunette de 1673 qui fut au centre des combats lors du siège de cette année. A cette occasion, les Français y enga gèrent le corps de Mousquetaires qui subit de lourdes pertes, parmi lesquelles le célèbre d'Artagnan. C'est pourquoi les Français le rebaptisèrent "demi-lune des mousquetaires".
Le nouveau bastion de 1690 - qui reçut le nom du comte de Waldeck, à cette époque gouverneur militaire de Maastricht - possède toutes les caractéristiques du style dit de Vauban, des faces de 45 m à revêtement de briques et montants en pierre marneuse formant un saillant de +/- 90 degrés et des flancs légèrement rentrants de 22 m.
A l'origine, la gorge était fermée par un mur crénelé comme il était d'usage pour un ouvrage détaché; il s'agissait en effet d'une lunette plutôt que d'un bastion, puisqu'à l'époque, il était situé bien en avant de la ligne de défense principale et n'était pas flanqué par d'autres ouvrages. Ce bastion subit d'importantes modifications en 1775 lorsque Du Moulin voulut transformer les "Hoge Fronten" en un ensemble cohérent. Le mur crénelé de la gorge fut démoli et, à chaque flanc, on ajouta des remparts en terre, aujourd'hui disparus, respectivement longs de 60 et 70 m et parallèles aux faces du bastion.
En face du saillant, on établit dans la contrescarpe une galerie crénelée, dénommée "caponière à revers", destinée au flanquement des faces. Cet organe de flanquement - que nous retrouverons dans les lignes de Du Moulin - est le précurseur des coffres de contrescarpe qui joueront un rôle important dans la fortification des XIXe et XXe siècles.
La galerie de contrescarpe est reliée au système de galeries de mines et de communication qui se trouve sous le bastion et qui se prolonge sous les autres ouvrages, existants ou disparus, dés "Hoge Fronten". Cet énorme complexe de galeries maçonnées fut épargné lors du démantèlement de la ville et fut aménagé en abris au cours de la deuxième guerre mondiale. Bien restauré dans les années 1967-1968, le bastion Waldeck offre l'exemple d'une bonne intégration d'un ancien ouvrage fortifié dans un jardin public.
LE FORT SAINT-PIERRE
Plan des souterrains avant les transformations en 1815
Ce fort n'est en fait qu'une grande lunette. La valeur militaire de la Montagne Saint-Pierre était connue depuis le XVIe s. et l'armée du duc d'Albe s'y retrancha pour interdire Maastricht et son pont à Guillaume d'Orange lors de l'incursion manquée de 1568. Vauban, de son côté, semble avoir reconnu, en 1673, la nécessité de fortifier les deux hauteurs de la Montagne Saint-Pierre au sud et du Caberg au nord-ouest. C'est finalement en 1701 que fut approuvé le plan d'un ouvrage en forme de bastion établi par l'ingénieur baron von Dopff, lequel avait déjà travaillé aux "Hoge Fronten" en 1690.
Etant essentiellement destiné à empêcher l'ennemi de prendre les fronts méridionaux de la place sous le feu de l'artillerie qu'il placerait à cet endroit, le fort fut établi à l'extrémité nord de la Montagne Saint-Pierre. Il en résultait que le fort était dominé par le terrain plus élevé vers le sud, ce qui en diminuait considérablement la valeur, et, par la suite, on s'efforcera de remédier à cet inconvénient par des expédients plus ou moins efficaces.
Complètement isolé, sans possibilité de flanquement de l'extérieur, le fort est conçu pour assurer sa propre sécurité rapprochée. Celle-ci est fournie par une galerie crénelée circulaire qui suit toute l'escarpe. Au saillant, sur les faces et à la gorge, cette galerie est pourvue d'une double rangée de meurtrières dont la rangée supérieure bat le chemin couvert et la rangée inférieure, le fossé. Chaque meurtrière a trois débouchés, celles du saillant en ont cinq. En outre, une galerie crénelée de contrescarpe se trouvait en face du saillant et flanquait également le fossé.
Les flancs, tournés vers l'arrière, étaient pourvus d'embrasures pour canon, indiquant ainsi que la fonction principale du fort était de tenir sous son feu le terrain devant les fronts méridionaux de la place. A l'origine, il y avait huit embrasures au flanc droit, c'est-à-dire en direction de la porte de Tongres qui, comme il a été dit, constituait un point sensible de la place. Le flanc gauche n'avait que quatre embrasures, ce que l'on estimait suffisant pour couvrir les fronts inondables et la Meuse.
A remarquer le système de ventilation de cette galerie : les voûtes de la galerie et des niches pour le recul sont pourvues à distances régulières de trous d'aération et à l'extrémité de chaque galerie à canons, le mur de gorge est pourvu d'une porte d'aération devant assurer une bonne circulation d'air. Il est probable que ces aménagements sont à mettre au crédit des méthodes de construction de Coehoorn. Le maître hollandais était en effet partisan des casemates ou caves à canon et était parvenu à résoudre de manière satisfaisante le problème essentiel de l'évacuation de la fumée, alors que l'école française resta jusqu'au XIXe siècle fidèle à l'artillerie uniquement placée en plein air. Il n'est donc pas étonnant, qu'en 1748, un technicien français s'émerveilla en voyant ces trous qui "sont si heureusement pratiqués qu'on y tire du canon sans se trouver incommodé de la fumée".
Intérieurement, le fort possédait encore des couloirs en forme de croix, un certain nombre de casemates, un puits, et était relié aux galeries des carrières de la Montagne Saint-Pierre. Il était entouré d'une contrescarpe avec chemin couvert tandis que le front de gorge était couvert par une enveloppe et disposait d'une communication enterrée avec le front sud de la place.
Il était néanmoins admis par la plupart des ingénieurs du XVIIIe s. que ce fort n'avait qu'une capacité défensive réduite, ce que prouva le siège de 1794: la superstructure d'où devait être effectuée la contrebatterie dut être abandonnée très rapidement.
Les plans établis par les Français entre 1794 et 1814 ne connurent même pas un commencement d'exécution, mais ils donnèrent des idées aux ingénieurs hollandais qui en entreprirent la modernisation en 1815. Les embrasures pour canon furent ramenées à quatre dans chaque flanc. Le chemin couvert et la galerie de contrescarpe au saillant disparurent mais quatre nouvelles galeries de contrescarpe furent établies en face des angles d'épaule et de gorge; les deux dernières étant également pourvues de meurtrières du côté de la ville. L'escarpe, haute à l'origine de 8,40 m, fut rehaussée de 3 m afin de porter la crête du parapet sensiblement au niveau du sommet de la Montagne Saint-Pierre. On créa sur la superstructure du fort une batterie couverte pour canons et mortiers. La batterie â mortiers se trouvait dans une casemate enterrée à la pointe du saillant. II est à regretter que la démolition de l'avant de cette casemate ne permette plus de se faire une idée précise de cet ouvrage assez rare. La batterie à canons était en deux parties: une aile courbe face à l'est (donc vers la Meuse), comportait 7 casemates, une aile droite face au sud (vers le sommet de la montagne) en avait 5. Toutes ces casemates, à deux prés, étaient ouvertes à l'arrière de sorte qu'il n'y avait pas de problème de ventilation.
LES LIGNES DE DU MOULIN
Il a déjà été question du grand projet de 1775 du colonel ingénieur C. D. Du Moulin destiné à transformer les "Hoge Fronten" avec leurs multiples ouvrages d'époques différentes en un ensemble cohérent. Pour la partie située entre le bastion Waldeck et la porte de Bruxelles maintenant complètement disparue, il fut surtout fait usage des ouvrages existants qui furent peu ou prou adaptés et complétés. Par contre, le tronçon entre la porte de Bruxelles et le bastion Holstein, qui a été en grande partie sauvé, est plus original de conception et peut être considéré comme unique de son espèce.
Ce qu'il est convenu d'appeler "les lignes de Du Moulin" consiste actuellement, partant du côté de la campagne, en un glacis, un chemin couvert avec trois places d'armes appelées lunettes et une contrescarpe revêtue. Il y a ensuite le fossé sec dans lequel se trouve un couvre-face, puis l'enveloppe composée de trais ouvrages reliés entre eux et que l'on a appelé bastions. Derrière cette enveloppe subsiste une partie d'un second fossé sec au-delà duquel quatre bastions détachés (dont un seul, le bastion "Saxe", subsiste) et une tenaille couvraient le vieux rempart de la ville.
Le plan des ouvrages encore existants indique clairement que Du Moulin a été forme à l'école de Coehoorn. En comparant les figures 3 et 4 et en négligeant les bastions et le ravelin de ce dernier dessin, on remarquera en effet, les similitudes entre l'oeuvre de du Moulin et la "deuxième manière" de Coehoorn telle qu'il l'a exposée dans son ouvrage "Nieuwe Vestingbouw" de 1683 et qu'il a entre autres appliquée aux fronts nord de la forteresse- (disparue) de Bergen-op-Zoom.
La caractéristique principale de l'enveloppe se trouve dans le fait qu'à chacun des "soi-disant bastions" dont elle est composée, les faces et les flancs sont de chaque côté situés dans le prolongement l'un de l'autre mais que le flanc présente une courbure rentrante. Cette courbure peut répondre à deux fonctions: briser la longue ligne de la face prolongée afin de la soustraire à l'enfilade et concentrer en un point le feu des armes placées sur la courbure. Hormis cette courbure, on se trouve devant un tracé tenaillé tel que Coehoorn l'a appliqué entre autres dans la "Hoge Linie" près de Doesburg et qui connaîtra de multiples applications, en Prusse et en Rhénanie (entre autres à Mayence) au début du XIXe siècle. Les lunettes à flancs retirés et le couvre-face devant un des "bastions" correspondent également aux idées de Coehoorn.
Méritent en autre notre attention:
- les galeries crénelées de contrescarpe ou caponnières à revers qui flanquent chacun des saillants de l'enveloppe ou du couvre-face, comme cela a déjà été vu au bastion Waldeck. Toutes ces galeries sont connectées entre elles, ainsi qu'avec les ouvrages de l'enveloppe, par des souterrains et se trouvent au départ d'un système de contre-mines très développé. Une galerie similaire existe au front de gorge du bastion Holstein qui flanquait le saillant de l'ouvrage "van Welderen" démoli en 1818.
- les quatre passages du fossé sec arrière vers le fossé sec avancé à travers l'enveloppe. Trois de ces passages dénommés "Royales Sorties" sont suffisamment larges pour permettre le passage de la cavalerie et de l'artillerie afin d'exécuter des contre-attaques dans les fossés. Chaque passage est pourvu de dispositifs de sécurité très élaborés.
- le plan général de ces lignes est d'une irrégularité assez surprenante : abstraction faite des lunettes et du chemin couvert, aucun ouvrage n'est pareil à un autre, ce qui contraste avec la régularité des enceintes bastionnées classiques. La raison première et sans doute principale en est le fait que des ouvrages plus anciens comme les bastions "Hostein" et "Saxe" durent être incorporés moyennant certaines adaptations, notamment aux flancs. Les différences de niveau, le terrain s'élevant sensiblement d'est en ouest, aura également influencé le tracé, et on peut enfin se demander s'il n'y avait pas aussi l'intention de compliquer la tâche de l'assaillant dans la détermination de sa direction d'attaque.
Quoi qu'il en soit, les ingénieurs français de formation classique n'eurent aucune indulgence pour les lignes de Du Moulin. L'un d'entre eux les décrivit en 1794 comme "des ouvrages défendus par des revêtement presque tous neuves (sic); il est malheureux que leur tracé, exécuté dans le goût du sistème (sic) de Coehoorn, présente beaucoup de parties mortes, d'autant plus susceptibles d'escalades que les escarpes sont basses".
En dépit de ce jugement fort sévère, on peut dire qu'il s'agit d'un morceau d'architecture militaire assez exceptionnel, marquant une étape dans le développement de l'art de la fortification, non seulement à cause de l'originalité du plan, mais surtout parce que l'on y retrouve nombre d'éléments de la méthode de Coehoorn dont il ne subsiste pratiquement plus d'oeuvres originales.
Conscientes de la valeur de ce monument culturel, les autorités de Maastricht ont fait reprofiler les terrassements en 1946-1952 et ont entrepris en 1977 la restauration totale des maçonneries, entreprise qui, malheureusement, a dû être suspendue en 1981 par manque de crédits.
Tracé général des "Lignes de Du Moulin"
La "Deuxième manière" de Coehoorn d'après son "Nieuwe Vestingbouw" de 1685
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J. HARLEPIN - Les forts de BREENDONCK, de LIESELE et la redoute de LETTERHEIDE
Une visite de ces fortifications a permis d'examiner un tronçon de la ceinture extérieure de la Position Fortifiée d'ANVERS (P.F.A.) en 1914.
CARACTERISTIQUES DE CES OUVRAGES
1. LES FORTS
Il y eut 5 forts construits sur le même modèle, à savoir HAASDONCK, LIEZELE, BREENDONCK, BROECHEM et ERTBRAND (voir plan type).
Il s'agit de forts de deuxième ordre avec caponnières casematées conjuguées.
Armement:
- 2 coupoles de 1 x 12 cm (Howitzer)
- 1 coupole de 2 x 15 cm
- 4 coupoles de 1 x 7,5 cm
- dans les caponnières: chacune 5 canons de 5,7 cm
- aux batteries traditores: à chaque flanc, 2 canons de 12 cm + 2 canons de 7,5 cm
- à la gorge (entrée) : 2 x 2 canons de 5,7 cm
- aux angles: 2 coupoles de 1 x 5,7 cm.
Voir ci dessous les plans types des coupoles de 5,7 cm, 7,5 cm et 15 cm. Les coupoles de 5,7 cri, 7,5 cm et probablement 12 cm sont les mêmes.
Ces forts sont en béton non armé avec fossé humide. Il y a une caserne casematée sur le front, avec galeries desservant les coupoles centrales (15 + 12) et latérales (4 x 7,5 et 2 x 5,7). Il y a des locaux le long de la galerie en capitale ainsi que de part et d'autre de l'entrée (caserne de gorge).
Ces forts ont été construits vers 1910.
2. LES REDOUTES
Il s'agit d'ouvrages intermédiaires entre les forts, destinés à assurer le flanquement par croisement des feux avec les forts voisins. Sur le front intéressé, il y en a de deux types:
- simple, comme DORPVELD et BORSBEEK
- double, comme LETTERHEIDE.
Les redoutes comportent essentiellement un bâtiment principal allongé et incurvé avec une entrée en saillie (voir plan). Sa façade se trouve du côté ami. Son dos est fermé et recouvert de terre du côté ennemi.
En tête du talus, se trouve un petit bâtiment avec une coupole de 7,5 cm.
Ce bâtiment est isolé par rapport au bâtiment principal.
L'ensemble est entouré d'un fossé humide.
De part et d'autre de l'entrée, se trouvent des casemates armées de canons tirant latéralement. L'ensemble de ces casemates forme le pendant des batteries traditores situées à la gorge des forts et possède le même armement.
LA VISITE
La visite a eu lieu sur les trois sites et a donné lieu aux commentaires ci-après.
1. BREENDONK
A l'entrée du fort se trouve une salle dans laquelle sont exposés un plan mural et deux maquettes; l'une d'elles représente le fort d'origine avec ses terres et l'autre représente le même fort dans son état actuel, c'est-à-dire dénudé, d'où l'intérêt de la comparaison avec celui de LIEZELE.
Cette situation a permis de faire un exposé sur les différentes parties constitutives de ce type de fort. Dans le cas de BREENDONK, on constate qu'il y a eu divers ajouts par rapport au plan initial; certains d'entre eux sont belges, d'autres sont allemands.
Avant 1940, le fort fut un quartier général et, pour avoir des locaux disponibles, on a prolongé latéralement, de part et d'autre, la caserne de gorge. On a également ajouté un grand bâtiment à un étage, au sol carrelé, ayant vraisemblablement servi de bureau ou de logement.
Le roi y aurait séjourné en 1940.
D'autres bâtiments ont été ajoutés par les Allemands après 1940, pour faire du fort une sinistre prison et même un véritable camp de concentration pour le transit vers les camps en Allemagne. Actuellement le fort est un mausolée dont la visite fut à la fois un pèlerinage en un lieu où il y eut tant de souffrances, et aussi un examen intéressant d'un fort dont on a enlevé les terres. Ne perdons cependant pas de vue que ce déblaiement fut imposé aux prisonniers par les nazis et cela dans des conditions inhumaines.
On constate en détail les diverses parties constituant le gros œuvre en béton. On retrouve les caponnières, gauche et droite, les puits des tourelles, les bâtiments séparés du corps central (coupoles 7,5 et 5,7), les galeries, etc.
On remarque quelques réparations au béton suite au bombardement de 1914.
2. LETTERHEIDE
Située entre BREENDONCK et LIEZELE, cette redoute n'est plus dans son état initial. Il reste le bâtiment principal, en béton, très représentatif. Tout le reste, terres, fossé, bâtiment avant (tourelle de 7,5), a été nivelé pour récupérer le terrain (actuellement propriété de la commune qui a fait du bâtiment principal un hall de dépôt).
L'accès était à ce moment libre et nous avons pu voir l'intérieur. Les étages ont été supprimés par enlèvement du plancher, mais les traces permettent de reconstituer les diverses parties (entrée avec, de part et d'autre, les casemates de tir en flanquement, les deux ailes se terminant par des murs de soutènement des terres).
Une chose anormale a été constatée: aux deux extrémités, il y a sur le toit une excroissance de béton, laissant supposer la présence d'un observatoire.
Ce point reste à éclaircir.
A noter enfin qu'à la partie centrale arrière, une grande ouverture a été pratiquée comme entrée et accès.
3. LIEZELE
Ce fort semblable à celui de BREENDONCK est dans un excellent état de conservation, car pris en charge par la commune. Ce fort n'a pas été bombardé en 1914 et on a pu avoir accès à la plupart des parties essentielles.
L'examen de ce fart, par comparaison avec celui de BPEENDONCK, permet de se faire une très bonne idée de la disposition des diverses parties et de leurs particularités de construction.
De cet examen nous tirerons les points suivants:
- une voie de 60 (Decauville) a été installée pour relier l'entrée aux diverses casemates. Probablement construite par les Allemands, elle desservait un magasin d'habillement.
- le fort a été équipé d'une ventilation dont on retrouve plusieurs traces: tuyaux de passage, armoire métallique (ventilateur?).
- le fort a gardé au niveau des coupoles un certain nombre de pièces métalliques
La coupole de 5,7 de gauche conserve les éléments suivants: les voussoirs intacts, le chemin de roulement des galets (anneau), le monte-charge (noria) l'escalier d'accès (échelle), le plancher, et probablement la colonne qui le supporte. Le puits est évidemment intact. Voir le plan de la coupole et un agrandissement de la partie "voussoir + chemin de roulement"
Voir ci dessous les plans types des coupoles de 5,7 cm, 7,5 cm et 15 cm. Les coupoles de 5,7 cri, 7,5 cm et probablement 12 cm sont les mêmes.
Coupole de 5,7 (détails)
Le puits situé à gauche de la coupole centrale (15 cm), possède également ses voussoirs, ainsi qu'une plaque en tôle épaisse entourant la partie avant extérieure du puits (renforcement?). II s'agit d'une coupole de 12 cm (Howitzer). On y a accès par l'intérieur où on retrouve un escalier d'accès au pied du puits, une colonne métallique centrale (support du plancher et guide du contrepoids) et une échelle. Le toit est une dalle en béton posée sur les voussoirs. Outre ces derniers, il semble que l'anneau métallique support de la calotte et comportant donc les galets, soit toujours en place. On y remarque deux manetons (fixation de la partie avant de l'affût du canon).La hauteur de ce puits est plus grande que celle des 5,7 cm.
On remarque une tentative de renforcement de la tourelle de 15 cm. Le puits, extérieurement, a céé recouvert, à la hâte, de béton dans lequel on a jeté sans ordre quelques barres de fer à béton; on a manifestement utilisé le terrain environnant comme coffrage.
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LA BATTERIE TRADITORE - J. LEBEAU
CONSTITUTION
En Belgique, elle est constituée par des casemates en béton simple, en béton armé en France et en Allemagne après 1910. Les épaisseurs des voûtes et des murs sont celles des abris de l'époque.
Des canons de 7,5 cm et des obusiers de 12 cm (ou canons de 12 cm) armaient les batteries traditores des forts et redoutes d'ANVERS. Les embrasures de ces pièces étaient munies de blindages métalliques.
EMPLACEMENT
La batterie traditore devait être placée de manière à:
1. être parfaitement dissimulée aux vues terrestres lointaines de l'ennemi,
2. défiler les embrasures aux vues des observateurs de l'ennemi se trouvant dans une zone déterminée,
3. pouvoir tirer en avant de l'ouvrage voisin et de la ligne de défense de l'intervalle, dans un secteur suffisant pour bloquer une attaque.
Pour satisfaire à ces conditions, la batterie traditore était placée généralement au front de gorge et attachée à l'escarpe en capitale de ce front.
Dans ce cas, les deux flancs pouvaient être réunis dans une même construction, qui portait le nom de batterie traditore double. Les flancs pouvaient être également séparés et chaque construction portait le nom de batterie traditore simple.
La batterie traditore double a l'avantage d'être mieux protégée par tout le massif du fort et d'être plus économique, puisqu'elle forme une construction unique; mais (inconvénient) elle permet à l'adversaire de faire coup double et de compromettre l'action des deux flancs si l'un seulement est touché. En outre, les vues dans l'intervalle sont souvent moins avantageuses.
La batterie traditore simple a les inconvénients et les avantages contraires à la précédente. La dispersion et les vues souvent meilleures lui sont particulièrement favorables.
ORGANISATION DES BATTERIES TRADITORES
Généralement la masse du fort permettait d'établir deux étages de feux bien défilés. En principe, on trouvait, à l'étage inférieur, des obusiers, deux par flanc; à l'étage supérieur, des canons, généralement deux par flanc et un projecteur de grand diamètre (60 à 90 cm). On profitait de la présence de la batterie traditore pour abriter à l'étage inférieur, les armes de flanquement du fossé de gorge de l'ouvrage.
Des abris à munitions et à matériel étaient prévus à côté des casemates des canons. Une série de créneaux permettaient la défense à revers et la défense intérieure de la batterie.
ENSEIGNEMENT
Durant la guerre 1914-1918, l'absence de ces organes à mission spéciale est une des raisons de la percée des intervalles par l'ennemi, à LIEGE et à NAMUR. Celui-ci plaçait un détachement devant les ouvrages pour faire diversion. Les forts, astreints à leur propre défense, ne purent guère intervenir dans la défense des intervalles. D'autre part, les pièces situées sur la superstructure, et devant remplir cette mission de flanquement et de soutien, étaient parfois mises hors de combat prématurément.
REMARQUE
Le flanquement des intervalles était encore appelé "grand flanquement" par opposition au flanquement des fossés dit "petit flanquement".
BREENDONCK - Vue d'ensemble, sans terres de protection
BREENDONCK - Batterie Traditore - Côté gauche en entrant
LIEZELE - Coupole 15 cm - Vue des voussoirs, blindage incomplet
La redoute de LETTERHEIDE
Impact d'obus dans la redoute de LETTERHEIDE
LIEZELE - Entrée du fort
Photos J. Lebeau
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LA TENUE DES CASEMATES ET COUPOLES SOUS LE FEU EN 1914
(Addenda à l'article paru dans les bulletins Tome III, fasc. 6 et 7) - J. HARLEPIN
Lors de la parution de l'article précité, j'ai eu le plaisir de recevoir divers commentaires, très intéressants de lecteurs, tant par écrit que de vive voix.
Etant donné que de mon coté, j'ai continué les recherches et les contacts, je suis à même d'apporter quelques précisions rectificatives ou complémentaires qui intéresseront sûrement les lecteurs. Certaines d'entre elles proviennent d'ailleurs de ces derniers.
JH
N.B. Les chiffres entre () rappellent les pages du premier bulletin, où le sujet a été traité.
1. (P 13) Concernant la coupole de COLES (bois de teck + tôle) il est à noter que les forts 1 à 7 (ou 1 à 8) avaient été prévus pour recevoir cette coupole. Seul le fort 3, l'a effectivement reçue.
2. (P 13 et 14) Concernant les coupoles du fort Saint-Philippe, elles datent de 1877 à 1881, tandis que le fort lui-même fut construit de 1869 à 1872. Nous avons reçu de Mr GILS de la Simon Stevinstichting, des plans donnant avec précision leur position et leur disposition.
Ces coupoles avaient des canons de 24 et 28 cm qui allaient par paire.
3. (P 13) Concernant les coupoles rotatives en fonte, type GRUSON, il ne semble pas qu'il y en ait eu en Belgique.
4. (P 15) La tourelle de Fives Lille mentionnée, aurait été celle conçue par le Lieutenant Colonel BUSSIERE. Celui-ci recherchait la solution éclipsable (1888). Une telle tourelle fut proposée et essayée avec 2 pièces de 155.
Cylindrique, s'appuyant sur 3 voussoirs, elle pesait 180 tonnes. L'éclipse était obtenue à l'aide d'un contrepoids de 68 tonnes et d'un accumulateur hydraulique actionné par une machine à vapeur de 7 CV.
Cette tourelle fut installée à Verdun, au fort de Souville, et fut réduite au silence en 1916, après avoir tiré 600 coups. Ce fut le seul exemplaire.
5. (P 15) Il ne semble pas exact que les Roumains aient commandé 29 tourelles du type oscillant (3ème version du commandant MOUGIN). Il est néanmoins vraisemblable que le seul exemplaire construit par Saint Chamond, avec 2 canons de 150 pour essais, ait été placé dans un fort de Bucarest.
D'autres commentaires laissent en effet entendre que ces tourelles françaises ne furent pas retenues au profit de tourelles GRUSON. Cette question reste obscure.
6. Le même MOUGIN avait au préalable développé une coupole rotative, à voussoirs en fonte, mais non éclipsable. (voir plan ci après). Cette coupole équipa des forts français tels que ceux de Maubeuge, le Barbonnet, près de Nice, etc.
Aucune coupole de ce type en Belgique.
Tourelle Mougin (1874-75)
7. Selon des documents français, ce serait le major Schuman qui chercha, le premier,à réaliser une tourelle à éclipse, de petite taille. Schuman s'associa avec GRUSON WERKE à Magdebourg, lequel réalisa son projet sous la forme des tourelles de 5,7 des forts de Liège et Namur en 1914. Une série des mêmes tourelles, un peu plus robustes, fut installée dans les forts allemands de l'est de la France.
En 1893, la firme Gruson fut rachetée par KRUPP.
Pour l'armement de la ligne GALLWITZ (Metz - Thionville) ainsi que pour Mutzig, il fut encore réalisé à cette époque 114 tourelles avec canon de 105 et 150 mm.
P.S. Il s'agit sans doute, des tourelles que l'on peut encore voir au fort de Guentrange près de Thionville, et peut-être aussi des tourelles récupérées pour le réarmement des forts de Liège et Namur (entre les 2 guerres).
8. (P 25) Fort Sainte Marie: Batterie cuirassée. Contrairement à la légende du dessin de cette batterie, il y a bien eu dans ce fort une batterie de ce type. Mr GILS nous a envoyé des copies de plans y relatifs (voir plan ci après) Il s'agit de 6 canons de 24 cm, type Gruson, montés en casemates réalisées en plaques blindées Gruson. Enlevées par les Allemands en 1944; la batterie elle-même a disparu.
Batterie cuirassée
9. Fort De Perel: identique à Saint Philippe, il ne fut jamais armé et est disparu.
10. (P 27 et 35) Forts de la grande ceinture d'Anvers:
Nous avons cité les calibres de 5,7 - 7,5 - 15 cm, pour, les tourelles de 1906/1909 type Cockerill.
En fait, et cela a été vérifié à Liezele, il y avait aussi des obusiers de 12 cm dans les mêmes tourelles que pour les pièces de 5,7 et 7,5. Grâce à Mr GILS, nous pouvons vous en présenter le plan (voir ci après).
Pour les mêmes coupoles, nous nous posions la question: "avec quelle firme étrangère, Cockerill a-t-il fabriqué ces tourelles?" On peut répondre qu'il s'agit d'une construction propre à la Sté Cockerill.
Coupole cuirassée pour un obusier de 12 cm, modèle 1909
11. (P 41) Forts modernisés, de l à 8 à Anvers.
Tous ces forts ont reçu 2 coupoles de 7,5 cm type Cockerill 1909. On en voit les traces au fort IV. (ajouter le chiffre 2 dans la colonne rubrique 75- première ligne).
12. (P 19) AIROLO (Suisse)
Un contact avec l'association St Maurice de Lausanne, nous a donné quelques précisions sur ce qui s'est fait en Suisse.
Le fort d'Airolo fut mis en chantier en 1887. Il y eut également les forts d'Andermatt en 1889 et les ouvrages de Saint-Maurice en 1892. Les Suisses, après consultation de plusieurs constructeurs, choisiront pour Airolo, la tourelle double de Saint Chamond avec des pièces de 12 cm.
Mais par la suite, Gruson s'opposa à cette fourniture en faisant état d'accords avec St-Chamond et il fut intraitable (il avait le monopole de fait pour certains armements et canons).
Les Suisses durent s'incliner. La coupole fut réétudiée par Gruson en reprenant des éléments de la tourelle française.
La nouvelle construction comportait une chambre de tir en fer double T, tournant sur une couronne de rouleaux et couverte par une toiture en fer forgé, en forme de calotte sphérique de 5160 mm de diamètre et de 200 mm d'épaisseur. Il y avait une avant-cuirasse haute de 940 mm (diamètre extérieur 8300 mm).
La tourelle comportait 2 canons de 12 cm type 1882.
13. (P 37) La vue de l'atelier de montage page 37, est bien celle des "ATELIERS DE LA MEUSE" (selon information de Mr Richely).
14. Nous avons trouvé dans une vieille revue COSMOS, un projet de tourelle système CANET.
Il s'apparente aux tourelles BRIALMONT, mais n'a jamais été réalisé.
Coupole cuirassée, système Canet - Coupe parallèle à l'axe des canons
La coupole cuirassée, système Canet - Coupe perpendiculaire à l'axe des canons
15. Nous avons trouvé dans des vieilles revues de 14 - 18, des photos, difficilement reproductibles de batteries de coupoles, par 3 ou par 4.
- Ouvrage LEONE sur la Cima de Campo (I)
- Fort de Chiusaforte (I) - bombardé.
Il s'agit vraisemblablement de types Gruson avec canons longs.
16. Nous avons trouvé des croquis (voir ci après) des coupoles Bussière et Souriau.
Tourelle à eclipse du colonel Bussière
Tourelle hydrostatique du colonel Souriau
Mise à l'épreuve aux expériences du camp de Châlons
P.S. Je voudrais encore rappeler ici, que beaucoup d'information: utilisées dans cette étude, proviennent d'ouvrages souvent anciens, consultés à la bibliothèque du M.R.A. et à la bibliothèque de la défense nationale à Evere.
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LE FORT D'EMBOURG - MES SOUVENIRS DE GUERRE par Ludendorff
Traduction par le Colonel-Médecin Mathar d'un extrait de document
Fourni par la Bundesarchiv - Militärarchiv de Coblence (République fédérale allemande)
LA BATAILLE POUR LIEGE (1914)
Tôt le 4 août, la frontière belge fut traversée, tandis qu'à Berlin, dans une manifestation patriotique, le Reichstag approuvait le gouvernement et que les chefs de partis présents après lecture du discours du trône par l'Empereur, lui promettaient solennellement par une poignée de main, une fidélité inconditionnelle pour les bons et mauvais jours.
Le même jour, je vécus à Visé, tout près de la frontière hollandaise, mon premier combat.
Il était très clair, que la Belgique était préparée depuis longtemps en vue de notre invasion. Les routes étaient systématiquement détruites et barrées, comme ce n'est possible qu'au moyen d'un travail continu.
Nous n'avons rien trouvé de semblable à la frontière du S-O de la Belgique.
Pourquoi la Belgique n'a-t-elle pas pris les mêmes mesures contre la France?
La question de savoir si nous pourrions prendre intacts les ponts près de Visé était d'une importance capitale. Je me rendais auprès du Corps de cavalerie von der Marwitz, qui opérait dans ce secteur. Ce corps n'avançait que très lentement, car une barricade après l'autre bloquait les rues. A ma demande, on faisait avancer une Compagnie de cyclistes. Peu après un cycliste revenait en déclarant que la Compagnie était entrée â Visé et avait été complètement détruite.
Je me rendis sur place avec deux hommes et, à ma grande joie, trouvai la Compagnie intacte; seul le commandant avait été gravement blessé par une balle tirée de l'autre rive. Le souvenir de cette petite histoire m'a été utile plus tard. J'étais devenu moins sensible aux racontars de Tartares, ou, comme on disait ultérieurement, aux bruits d'étape.
Les beaux grands ponts sur la Meuse étaient détruits.
La Belgique était préparée à la guerre.
Le soir, je me trouvais à Herve, mon premier cantonnement sur territoire ennemi. Nous logions dans une auberge en face de la gare. Tout était intact. Nous nous mettions calmement au lit. Au cours de la nuit, j'ai été réveillé par des coups de feu très vifs, dirigés également contre notre maison. La guerre des francs-tireurs commençait en Belgique. Le lendemain, elle s'étendait partout et a ainsi contribué d'une manière décisive à l'expansion qui caractérisait cette guerre de l'Ouest au cours des premières années, contrairement à la mentalité qui régnait à l'Est.
Le gouvernement belge a pris sur lui une lourde responsabilité. Il a organisé systématiquement la guerre du peuple. La garde civique, qui, en temps de paix gardait ses armes et ses uniformes, pouvait un jour se présenter dans telle tenue, un autre jour dans une autre. Les soldats belges aussi devaient, au début de la guerre, porter dans leurs bagages un costume civil spécial.
J'ai vu en effet, sur le front N-E de Liège près des tranchées du fort de Barchon, traîner des uniformes abandonnés par des soldats qui y combattaient.
Cette sorte de guerre n'était pas conforme aux coutumes de la guerre et il ne faut pas en vouloir à nos troupes d'y réagir avec une sévérité extrême. Des innocents ont probablement souffert, mais les "horreurs belges" sont une légende très adroite, inventée et répandue avec toute la subtilité imaginable. Elles doivent être mises exclusivement à charge du gouvernement belge. Moi-même, j'étais parti en campagne avec l'idée de conduire une guerre d'une manière chevaleresque et humaine. Cette guerre de francs-tireurs doit écoeurer tout soldat. Mon sentiment de soldat a subi une grave déception.
La mission qu'avaient à accomplir les brigades lancées en première ligne était très difficile. D'autre part, il était extrêmement audacieux de vouloir pénétrer â l'intérieur d'une forteresse moderne en traversant la ligne des forts. Les soldats étaient oppressés. Des conversations avec des officiers, je concluais qu'ils n'avaient que peu de confiance dans la réussite de l'entreprise.
Au cours de la nuit du 5 au 6 août, l'avance à travers les fortifications en direction de Liège démarrait. Toute l'opération est décrite dans une monographie parue chez Stalling à Oldenburg.
Je n'ai pas l'intention de la répéter, je veux simplement conter ce que j'ai vécu moi-même.
Vers minuit du 5 au 6 août, le Général von Emmich quittait Herve. Nous allions à cheval à une réunion de la 14ème Brigade d'Infanterie (Général-Major von Wussow) à Micheroux, distant de 2 à 3 Km du fort de Fléron. Sur la route, qui pouvait être prise directement sous le feu du fort, les troupes se rassemblaient (accompagnées des cuisines de campagne encore peu connues, mais très salutaires) d'une manière peu militaire. Cette réunion fut touchée par quelques coups dé feu tirés d'une maison située au Sud de la route. Ainsi eurent lieu quelques combats, mais, par miracle, le fort se taisait. Vers une heure du matin, la marche en avant commençait. Nous allions du côté Nord du fort de Fléron par Retinne, jusque derrière la ligne des forts en direction des hauteurs de la Chartreuse, située en bordure de la ville. Nous devions arriver là tôt le matin. Les autres brigades, qui devaient traverser la ligne des forts en d'autres endroits, étaient attendues au même moment aux abords de la ville.
L'Etat-Major du Général von Emmich se trouvait presque en fin de colonne. Brusquement, un arrêt prolongé. Je me glissais à travers la colonne vers l'avant. L'arrêt n'avait aucune raison valable; au con traire, l'idée de la situation qui l'avait motivé avait plutôt été piteuse. Personnellement, je n'étais qu'un promeneur, sans aucun commandement; je n'avais qu'à renseigner mon Commandant d'armée, attendu pour plus tard, sur les évènements dans le secteur de Liège et à coordonner les mesures du Général von Emmich avec celles qu'on attendait du Général von Bullow.
Evidemment, je remis la colonne en marche et restais à sa tête. Entre-temps, la liaison avec l'avant avait été perdue. En pleine obscurité, suivant péniblement notre chemin, nous arrivions à Retinne. Toujours pas de liaison avec l'avant. Avec la tête de colonne, j'avais pris une mauvaise sortie du village. On tirait sur nous; je n'oublierai jamais le bruit que faisaient les projectiles en pénétrant dans les corps humains. A droite et à gauche, des hommes tombaient. Nous faisions quelques sauts vers l'ennemi invisible, dont le feu devenait plus intense. Dans l'obscurité, il était difficile de s'orienter; mais il ne faisait pas de doute que nous nous étions trompés et il fallait sortir du feu, chose pénible, car les hommes ne pouvaient croire que j'avais peur. Rien à faire, des choses importantes étaient en jeu; je rampais en arrière et donnais ordre aux hommes de me suivre jusqu'à la limite du village.
A Retinne, je pris le bon chemin. Je rencontrais l'ordonnance du Général von Wussow avec ses chevaux. Il était d'avis que le Général était mort. Avec quelques hommes je pris le bon chemin, c'est-à-dire la chaussée vers Queue-du-Bois. Tout à coup, des flammes devant moi, un coup de mitrailles éclata le long de la route sans toutefois nous blesser. Quelques pas plus loin, nous tombions sur un tas de soldats allemands morts ou blessés. C'était la pointe avancée avec le Général von Wussow; ils devaient avoir été fauchés par un autre coup de mitraille. Je rassemblais les soldats du 4ème Bataillon de Chasseurs et du 27ème Régiment d'Infanterie qui arrivaient peu à peu et décidais de prendre le commandement de la Brigade.
Il s'agissait d'abord d'éliminer les canons qui tiraient sur la route. Les Commandants von Harbou et Brinckmann de l'Etat-Major Général se glissaient avec quelques hommes courageux entre les haies et les fermes des deux côtés de la chaussée jusqu'aux canons, dont l'équipage se rendait. Le chemin plus loin était libre.
Nous avancions et bientôt, à Queue-du-Bois, nous étions impliqués dans un violent combat de maison à maison. Tout doucement, il commença â faire clair. Les deux commandants de l'Etat-Major général, le Chef de Corps du 4ème Chasseurs, le Major von Marcard; le Commandant de la 2ème sub-division du régiment de campagne n° 4, le Major de Greiff et son excellent adjoint, le lieutenant Neide, quelques soldats et moi-même, nous avancions. On amena un premier obusier de campagne, puis un second, qui nettoyaient les rues et tiraient dans les maisons à droite et à gauche. Nous progressions lentement. Souvent, j'étais obligé d'avertir les hommes, qui hésitaient, de ne pas me laisser seul. Finalement, le village était derrière nous; la population s'était d'ailleurs enfuie. Il s'agissait ici de combat contre l'armée belge régulière.
En sortant du village, nous vîmes du côté de la Meuse, une colonne marchant en direction de Liège. J'espérais que c'était la 27ème brigade d'Infanterie. Mais c'étaient des belges qui ayant perdu la tête, se retiraient au-delà de la Meuse au lieu de nous attaquer. Il fallut beaucoup de temps pour stabiliser la situation.
Pendant ce temps, mes effectifs se renforçaient par l'arrivée de soldats qui étaient restés en arrière.
La percée à travers la ligne des forts avait été une réussite. Le Régiment d'Infanterie 165, sous les ordres de son éminent commandant, le Colonel von Oven, arrivait en bloc; le Général von Emmich était présent. La marche vers la Chartreuse continuait.
Le Général von Emmich mettait encore à sa disposition des unités de la 11ème Brigade d'Infanterie, mise en oeuvre plus au Sud et qu'il supposait avoir réussi également à percer la ligne des forts.
L'avance continuait sans incident. Sous le nez des fortifications du front Nord de Liège, nous remontions de la vallée de la Meuse vers les hauteurs â l'Est de la Chartreuse. Lorsque la brigade y arriva, il était presque 2 heures. Les canons étaient mis en position contre la ville. De temps en temps, un coup était tiré, soit comme signal pour les autres brigades, soit pour rendre le Commandant de la ville plus "malléable". Je devais économiser les munitions, car les stocks avaient fondu. La troupe était épuisée et certaines unités avaient subi de grandes pertes au cours des combats harassants. Les officiers avaient perdu leurs chevaux. Les cuisines de campagne étaient restées en arrière. Je mis la brigade au repos et la faisais ravitailler, tant bien que mal, par des réquisitions faites dans les maisons du voisinage.
Bientôt, le Général von Emmich rejoignait à nouveau la brigade. Des hauteurs à l'Est de la Chartreuse, nous avions une belle vue d'ensemble sur la ville; elle était à nos pieds. Sur l'autre rive, émergeait la Citadelle. Là, tout à coup, on hissait des drapeaux blancs.
Le Général von Emmich avait l'intention d'envoyer un parlementaire; moi, je proposais d'attendre celui de l'ennemi, mais le Général maintenait son idée. Le Commandant von Harbou allait en ville. A 7 heures du soir, il rentrait: les drapeaux blancs avaient été hissés contre la volonté du Commandant de la ville. Il était trop tard pour entreprendre l'entrée dans la ville. Nous avions devant nous une nuit dure.
Entre-temps, j'avais laissé la brigade s'installer. Notre situation était très sérieuse. Nous n'avions pas de nouvelles des autres brigades, même de la 11ème; les estafettes n'avaient pu passer; il fallait bien se rendre à l'évidence: la brigade était seule dans la ligne des forts, coupée du monde extérieur. Nous devions compter avec des contre-attaques ennemies. Ce qui nous gênait spécialement, c'était la présence d'un millier de prisonniers belges. Lorsque nous avons appris que la Chartreuse, une vieille forteresse située devant nous, n'était pas occupée, j'y ai envoyé une compagnie avec ces prisonniers. Le Commandant de cette compagnie s'est sans doute demandé où j'avais ma raison!
A la tombée de la nuit, la nervosité des hommes augmentait. Je passais parmi eux, les invitais au calme et à une tenue ferme. La phrase : "Demain nous serons à Liège" les encourageait.
Le Général von Emmich et son état-major trouvaient à se loger dans une petite ferme.
Je n'oublierai jamais la nuit du 6 au 7 août.
Il faisait froid, mes bagages étaient restés en arrière et le Major von Marcard me passait son manteau. Avec attention, j'écoutais pour entendre les bruits d'un combat éventuel. J'espérais toujours que l'une ou l'autre brigade aurait pu percer la ligne des forts. Tout restait calme: toutes les demi-heures, un coup d'obusier s'abattait sur la ville. La tension devenait insupportable. Vers les 10 heures du soir, je donnais ordre à la Compagnie de Chasseurs du Commandant Ott d'occuper les ponts sur la Meuse dans la ville; ceci afin de les avoir en mains pour la progression ultérieure et pour assurer les avants de la brigade. Le Commandant me regardait et... partait. La compagnie atteignit son but sans combat; après nous n'en avons plus eu de nouvelles.
Le matin approchait. Je me rendis chez le général von Emmich pour discuter avec lui de la situation: nous étions décidés à entrer en ville; le Général se réservait seulement d'en fixer l'heure. Pendant que j'améliorais le dispositif de la brigade et tentais d'atteindre la route empruntée par la 11ème brigade, je reçus bientôt du Général l'ordre,de me mettre en marche. Le Colonel von Oven commandait l'avant-garde. Le gros de la brigade, avec les prisonniers, suivait à une certaine distance, avec en tête l'Etat-Major du Général von Emmich et moi-même avec l'Etat-Major de brigade.
Pendant l'entrée en ville, de nombreux soldats belges isolés se rendaient. Le Colonnel von Oven avait pour mission d'occuper la Citadelle. Des renseignements complémentaires l'incitaient à ne pas le faire, mais de prendre plutôt la direction du fort de Loncin au Nord Ouest de la ville et d'occuper cette sortie de ville.
Supposant que le Colonel von Oven se trouvait â la Citadelle, je m'y rendais en compagnie de l'Adjudant-Major de la brigade dans une voiture belge dont j'avais pris possession. Lorsque j'y arrivais, aucun soldat allemand ne s'y trouvait. La Citadelle était encore entre les mains de l'ennemi; je frappais sur le portail fermé, qui fut ouvert de l'intérieur. A ma demande, les quelques centaines de belges qui s'y trouvaient, se rendaient.
Maintenant la brigade avançait et occupait la Citadelle, que j'organisais en vue de sa défense.
Ainsi la mission que je m'étais donnée moi-même, était accomplie. Je pouvais prier le Général von Emmich de me laisser partir. Mon intention était de quitter la position fortifiée par le même chemin que j'avais emprunté pour y entrer; je pensais mettre le Commandant d'armée au courant de ce qui s'était passé, rechercher les autres brigades et amorcer le dispositif de l'artillerie contre les forts.
Pendant que j'étais encore à la Citadelle, arrivèrent quelques centaines de prisonniers allemands qui venaient d'être libérés. La 34ème brigade d'Infanterie avait fait passer une partie de ses troupes sur la rive Ouest de la Meuse, mais avait dû cesser le combat; les hommes ayant fait la traversée furent faits prisonniers. Venait ensuite la 11ème brigade, plus tard encore la 27ème, de sorte que, au moment de mon départ, le Général von Emmich disposait d'une force appréciable. Malheureusement, on avait appris que des français, partis de Namur, approchaient; la situation restait donc désespéramment sérieuse. Elle ne pouvait être considérée comme sûre qu'après la chute d'au moins quelques forts du côté Est.
Mon congé du Général von Emmich fut émouvant. A 7 heures, je partais pour Aachen, voyage assez drôle.
Un homme de la garde civique se présentait pour m'y conduire. Il choisit un véhicule, que je refusais. Celui que moi j'avais choisi, tomba en panne dans la Citadelle même. Il ne me restait donc qu'à me confier aveuglément au soldat belge. Le voyage se passa sans histoire: nous traversions Herve, où mon cantonnement et la gare avaient été incendiés. Arrivé en territoire allemand, le conducteur s'arrêta tout à coup et me déclara ne pas pouvoir continuer à rouler. Par divers autres moyens de transport, j'arrivais tard le soir à Aachen avec mon soldat belge. A l'hôtel Union, je fus salué comme un rescapé. J'y trouvais aussi mes grands bagages avec mon ordonnance Rudolf Peters qui m'est resté fidèle pendant six longues années. Son désir le plus cher était d'obtenir la Croix de Fer; elle ne pouvait pas lui être attribuée car dans son cas, cela aurait été contraire à mes conceptions.
A Aachen, je mangeais vite et peu, puis retournais vers le front pour chercher les brigades. Pendant presque 90 heures, je ne quittais pas mes vêtements. Par hasard, je tombais sur mon ancien régiment qui avait été mis en route à toute vitesse pour porter aide à ceux qui se battaient à Liège.
Le Commandement Suprême de l'Armée à Berlin avait aussi eu les plus grandes craintes sur notre sort. La situation de nos troupes dans la forteresse est très tendue, je me faisais des soucis pour eux. La tension se relâchait cependant, car l'ennemi ne bougea pas. Le récit des événements ultérieurs devant Liège fait partie de l'histoire de la guerre.
J'ai seulement eu l'occasion de participer à la prise du Fort de Pontisse au front Nord et ai pu assister à la chute du Fort de Loncin. Un coup de notre canon de 42 cm l'avait touché; les stocks de munitions avaient fait explosion et l'ouvrage s'était effondré. Des soldats tout noirs et complètement troublés sortaient du tas de décombres, mélangés à des prisonniers allemands de la nuit du 5 au 6. Saignants, les mains en l'air, ils venaient vers nous. Ils parvenaient à balbutier "Ne pas tuer, ne pas tuer". Nous n'étions pas des Huns. Nos hommes apportaient de l'eau pour rafraîchir l'ennemi.
Peu à peu les ouvrages tombaient entre nos mains et assez vite pour que l'aile droite de l'armée allemande puisse continuer, sans être gênée au-delà de la Meuse vers l'intérieur de la Belgique. Une pierre venait de tomber de mon coeur.
J'ai considéré comme une faveur spéciale du sort d'avoir pu participer à la prise de Liège, d'autant plus qu'en temps de paix, j'avais collaboré à la mise au point des plans d'attaque et que j'étais persuadé de l'importance de la mission.
Pour avoir conduit la brigade, Sa Majesté m'octroya l'Ordre pour le Mérite. Le Général von Emmich, reçut naturellement cet ordre avant moi, car c'était lui le Commandant responsable. D'autre part, la prise de Liège n'était pas le fait d'un seul homme, mais le fruit de la collaboration de toute une série de militaires qui peuvent se partager la gloire d'avoir soumis la forteresse.
En ma qualité de Quartier-Maître Principal, j'ai pu vivre notre marche plus en avant. J'ai l'occasion d'étudier à fond tous les problèmes de ravitaillement d'une armée, ce qui ultérieurement, m'a grandement facilité mes fonctions de Chef.
Au cours de mes voyages à travers le pays, je suis passé par Andenne où j'ai eu une image saisissante et émouvante des horreurs de la guerre des francs-tireurs. Le 21 août, j'assistais encore au passage de la Sambre à l'Ouest de Namur par la 2ème Division de la Garde. Les déploiements pour le combat se faisaient dans le calme. Il est exaltant de voir les beaux gaillards du Régiment Augusta se jeter au combat.
Le 22 août au matin, je recevais ma mutation pour l'Est.
Le Fort d'Embourg
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