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Editorial
Ayant été prié de rédiger l'éditorial de ce trimestre, je saisis l'occasion pour évoquer deux événements dont l'un, à titre d'exemple, représente un élément très positif de l'action du C.L.H.A.M., et dont l'autre nous oblige à nous rendre compte de nos "ratés".
L'action positive, prise comme exemple (il y en a d'autres) fut l'organisation par Louis LEVAUX, aidé d'une équipe bien étoffée, de la troisième visite du Monument Interallié de Cointe, les 17 et 18 mai 1986.
Le "raté" concerne la célébration des Fastes du 3ème Régiment d'Artillerie à Liège, à l'occasion de ses 150 ans d'existence, les 29, 30 et 31 mai 1986.
En effet, nous n'avons à aucun moment, dans notre bulletin, évoqué cette fête du 3A, une des plus anciennes unités des Forces armées belges, créée en 1836, et qui participa aux deux conflits mondiaux.
Les nombreuses citations de son étendard témoignent des épisodes glorieux et tragiques à Liège, à Anvers, sur l'Yser, à Merckem, à Stadenberg et sur la Lys.
Entre 1946 et 1978, le 3A fut caserné successivement à Hasselt, Euskirchen, Liège, Lüdenscheid, Spich, Siegen, Cologne et Werl où il est toujours en garnison.
Le matériel qu'il desservit va du canon de 25 livres au lance-roquettes Honest-John en passant par l'obusier de 155 mm tracté, le 8 pouces tracté, le S.P. (Self propelled). Actuellement le 3A est la seule unité belge à être dotée du missile tactique sol-sol "Lance".
Le 3A fait partie de l'Alliance atlantique, du groupe d'armée Nord (Northag) des forces alliées du centre-Europe (AFCENT).
Différentes festivités viennent d'avoir lieu à Liège et dans certaines entités environnantes, et si nous n'en avons pas parlé - faisons notre mea-culpa - c'est parce que nous ne sommes pas allés à la recherche de l'information.
Pourquoi ? Parce que nous n'y avons pas pensé. Il faut reconnaître que l'équipe du bulletin est plus que réduite et qu'il ne faudrait guère de "cerveaux" en plus pour en doubler les effectifs.
Qui veut nous rejoindre dans cette tâche passionnante qui consiste à solliciter les auteurs d'articles intéressants (il y en a, mais ils sont timides), à corriger parfois la forme de certains textes (avec l'accord de l'auteur) et à contribuer activement à la bonne tenue de notre bulletin d'information ?
Pierre BEAUJEAN
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Le bombardement des forts en mai 1940 - J. Lebeau
Dans les récits de la chute des forts en mai 1940, il est souvent fait état de bombes d'avion de 1.400 Kg larguées par l'assaillant. Exemples :
A Barchon, on aurait retrouvé des débris de bombes d'un diamètre de 62 cm qui permettaient aux Officiers de calculer le poids de l'engin soit 1.500 Kg.
A Battice, c'est une bombe de 1.400 Kg qui a fait ricochet sur un obstacle anti-char et pénétra dans le couloir d'entrée du Bâtiment 1 avec la suite malheureuse que l'on connaît.
Si l'aviation allemande a effectivement porté un sérieux coup à nos forts, quelle était réellement la puissance des bombes utilisées ?
Dans une documentation paraissant assez bien informée et en ma possession, il est stipulé qu'au début des hostilités, la Luftwaffe ne dispose d'aucune bombe dépassant 500 Kg.
Il s'agissait de Sprengbombe Cylindrisch : SC 500 (bombe explosive cylindrique).
Des essais avaient été effectués par la Kriegsmarine et on avait même conclu que ces bombes ne pouvaient pas percer le pont blindé d'un navire cuirassé.
Le professeur H. Klein de la firme Rheinmetall, proposait même comme palliatif une bombe blindée de 500 Kg propulsée par réaction. Les opérations aériennes du début de la guerre contre la marine britannique ont confirmé entièrement l'étude de la Kriegsmarine. Göring ordonna alors la production immédiate de grosses bombes, qui fut confiée au professeur Klein et dénommée "Programme Y". La première de ces bombes, la SC 1000 fut surnommée "Hermann" puis entrèrent en production les PC 500 – 1.000 et 1.400 (Panzerbombe Cylindrisch).
Durant la bataille d'Angleterre, on aurait dû, à défaut d'autres, utiliser comme bombes des LM (Luftminen) de 500 à 1.000 Kg créées pour miner les voies navigables.
Les bombes PC furent utilisées pour la première fois en Crête en 1941. A la lecture de ces données, il semblerait qu'en mai 1940, les bombes de 500 Kg étaient les plus grosses utilisées.
La question qui se pose alors, est de savoir si nos forts sont tombés sous le coup de bombes de 500 ou de 1.400 Kg.
Un lecteur documenté, pourra-t-il donner des informations plus complètes ?
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LE GENERAL COMTE ERNEST de SUYS ET SON ROLE DANS LA GUERRE DE TRENTE ANS - Amédée FOLLET
L'histoire des civilisations est aujourd'hui fort en honneur et à juste titre. Mais on a beau vouloir remplacer l'histoire événementielle et l'histoire des guerres par celle des civilisations, les guerres surgissent régulièrement et réclament qu'on en fasse un objet d'étude.
Comment échapper à l'histoire bataille ? Celle des deux dernières guerres mondiales a d'ailleurs eu un succès sans précédent auprès des lecteurs, des auditeurs et des téléspectateurs.
Reste à l'historien de faire la part des choses et de montrer, autant que possible, que les guerres n'ont pas entravé tout à fait la marche de l'humanité vers plus de civilisation.
Il nous a paru utile et intéressant de faire revivre la figure méconnue d'un homme de guerre qui joua un rôle marquant dans la Guerre de Trente Ans.
Il s'agit du général Comte Ernest de SUYS, grand seigneur de HARZE.
Sous l'Ancien Régime, la seigneurie de HARZE (village aujourd'hui compris dans l'entité d'AYWAILLE) faisait partie du Duché de Luxembourg, dont elle formait, avec AYWAILLE et REMOUCHAMPS, une enclave dans la Principauté de STAVELOT-MALMEDY.
Les seigneurs de HARZE relevaient des comtes de Montaigu en Ardenne, mais ils jouissaient d'une grande autonomie.
HARZE a connu plusieurs races de seigneurs guerriers : les de la MARCK, les de LIGNE, et les de SUYS se sont tour à tour illustrés dans le métier des armes au cours des conflits qui désolèrent nos pays d'Europe.
Faut-il les élever au pinacle des honneurs ? Nous y hisserions plutôt des hommes de paix, tel cet autre seigneur de HARZE, WERY de CLERMDNT qui, au Moyen Age, joua le rôle de pacificateur entre les chefs de nos principautés, duchés et comtés. Cet authentique et noble seigneur de HARZE, mort en 1365, repose dans le vieux cimetière du lieu, où sa pierre tombale peut encore être remise au jour.
Parmi les guerriers seigneurs de HARZE, il faut placer sans conteste au premier rang le général Comte Ernest de SUYS. Son portrait en couleurs trône au-dessus de la cheminée de la salle des comtes du Château de HARZE et son blason, jumelé avec celui de son épouse, Ernestine de LYNDEN, se retrouve en plusieurs coins de la salle et en divers endroits sur les murs extérieurs.
Ernest de SUYS est le dynaste de HARZE qui a laissé l'empreinte la plus visible sur l'histoire de la seigneurie et sur l'histoire tout court.
Ernest de SUYS appartenait à une ancienne famille noble de Hollande, devenue liégeoise depuis deux générations.
Vers l'an 1266, lors des grandes inondations causées par la Meuse en Hollande Guido SUYSSE, natif de Savoie, vint s'établir au Pays-BAS septentrionaux. Il fut le premier à "pillotter des grands arbres aux Dicques", (1) c'est-à-dire à enfoncer des pieux à l'aide de maillets, appelés aussi moutons, pour former des digues.
(1) Voir le "Recueil généalogique" de J.C. Le Fort, 1ère partie, tome 22, fol. 80 V°, aux Archives de l'Etat à Liège.
Ce qui explique que les SUYS portaient "d'azur à 3 maillets quarrés d'or avec un anneau y attaché en haut de même et 2 travers sortants des deux cotés aussi de même, les deux maillets servants à enfoncer les pilotis" (2).
(2) Voir le "Recueil généalogique" de J.C. Le Fort, 1ère partie, tome 22, fol. 78, aux Archives de l'Etat à Liège.
Né à la fin du XVIe siècle (au plus tard en 1599), Ernest de SUYS était fils de Jacques de SUYS, mort le 08 janvier 1599. Ce gentilhomme de la Chambre du Prince-Evêque de LIEGE, Ernest de Bavière était l'époux de Georgine de LYNDEN, morte le 16 janvier 1635 et enterrée au vieux cimetière de HARZE.
Ernest de SUYS était le petit-fils de l'humaniste et poète latin Jacques de SUYS, qui avait latinisé son nom en Jacobus SUSIUS. Ce fin lettré était l'ami de notre grand humaniste Juste LIPSE, avec qui il échangea quelques lettres que nous possédons.
C'est sans doute sous l'influence de Juste LIPSE que ce SUSIUS donna à sa famille la devise "PORTAT CONSTANTIA PALMAM" ("C'est la constance qui remporte la palme"). Juste LIPSE avait, en effet, écrit un traité "De Constantia" ("Sur la Constance"), inspiré de celui du stoïcien latin Sénèque, et publié un Manuel de philosophie stoïcienne ("Manuductionis ad Stoïcam. Philosophiam libri tres") en trois volumes, à une époque où cette école philosophique connaissait un regain de faveur, teinté de Christianisme.
L'humaniste Jacques de SUYS avait émigré à LIEGE en 1590 pour fuir les Calvinistes hollandais. Né en 1520, il mourut à LIEGE en 1592, Il avait épousé Marie de BERCHEM, Dame de LAER, morte en 1591.
Leur petit-fils, Ernest de SUYS, qui s'était déjà illustré dans la guerre de trente ans, fut, en récompense, créé baron par l'Empereur Ferdinand II d'Autriche le 23 avril 1629. Un mois après, le 21 mai 1629, il achetait la seigneurie et terre de HARZE à Albert de LIGNE, prince de Barbanson, contrairement à ce que dit le Dr THIRY, dont nous avions reproduit l'affirmation dans notre livre "HARZE dans le passé ou mille ans d'histoire" (3). Le dépouillement des archives de la Haute Cour de Justice de HARZE (4) nous permet, en effet, d'affirmer l'erreur du Dr THIRY quand il écrit que Ernestine d'Aspremont-Lynden avait reçu HARZE en dot de ses parents lors de son mariage avec le baron de SUYS (5). C'est ce dernier qui apporta à son épouse, le 1er juillet 1637, la seigneurie et terre de HARZE (6). Ernestine d'Aspremont-Lynden était la fille d'Ernest d'Aspremont-Lynden, comte de Reckheim et du Saint-Empire, mort en 1636, et d'Anne Antoinette de GOUFFIER de BONNIVET, décédée en 1620.
(3) P. 12.
(4) Aux Archives de l'Etat à Huy.
(5) L. Thiry, Histoire de l'ancienne seigneurie et commune d'Aywaille, t. III, pp. 477-481. (1940).
(6) C'est ce que révèlent les archives de la Cour de Harzé, n° 34 et 35.
Seigneur de NEDERVEEN, de CLINGELARDE, de KOERICH, Villenstrasse, Calonne et HARZE, baron de Doubadel depuis 1629, Ernest de SUYS fut créé comte du Saint-Empire par Ferdinand III le 11 avril 1639 (7).
(7) Et non 1640, comme l'écrit P. Bergmans, in : Biographie Nationale, tome XXIV, col.328-329. Bergmans cite aussi la devise de travers : "Portat constantiae (sic) palmam".
Il mourut en 1645, après avoir combattu pendant 25 ans dans la guerre de 30 ans au service de la cause impériale, en s'élevant jusqu'au grade de général commandant l'artillerie de l'armée des Empereurs Ferdinand II et III.
Il fut enterré, selon son voeu, dans la crypte de l'église St-Remacle à STAVELOT et son épouse l'y rejoignit en 1654.
De leur mariage étaient nés deux enfants :
1) Ernestine Constance Isabelle, née en 1642 et morte le 14 juillet 1702. Elle avait épousé, le 08 juin 1672, Ferdinand Maximilien Henri comte d'Aspremont-Lynden, baron de Froidcourt, grand mayeur de LIEGE et gouverneur du marquisat de FRANCHIMONT, mort le 06 mai 1689;
2) Ernest Ferdinand Octave Léopold, né après 1637 et mort avant 1681. Il avait épousé Odile Thérèse de Lohinel, qui lui survécut et se remaria avec le Comte Jobert de l'Estang.
Détail intéressant : ce Comte de SUYS fut le parrain de la petite cloche de l'église de HARZE en 1667, comme on peut encore le voir aujourd'hui.
Nous reproduisons le portrait du général comte Ernest de SUYS, gravé par F. HARREWIJN et qui figure dans le "Recueil généalogique" de Jean-Gilbert Le FORT, aux Archives de l'Etat à LIEGE.
Ernest de SUYS
Au moment où nous avons publié notre "HARZE dans le passé ...", en 1972, nous ne disposions que de la reproduction peu claire de la gravure en question par le Dr THIRY, ce qui ne nous permit pas de lire avec l'exactitude voulue les vers latins qui se trouvent sous le médaillon. C'est pourquoi aussi la gravure ne figura pas dans notre livre. Nous comblons ici cette lacune et corrigeons cette imprécision.
Signalons aussi l'erreur du Dr Thiry, qui confond le portrait de la salle des comtes avec la gravure de Harrewijn, alors que le premier a été inspiré à l'auteur par l'oeuvre du graveur.
Celle-ci, admirable de netteté, nous montre, en médaillon, le général en grand uniforme, revêtu de la cuirasse, traversée par la grande écharpe, le regard fier et dominateur, le nez puissant. Il porte la moustache et la mouche, la chevelure ou perruque et le rabat blanc à la mode à l'époque de Louis XIII et de la guerre de Trente Ans. On fait le rapprochement avec le Louis XIII de Philippe de Champaigne, on pense au Wallenstein et au Gustave-Adolphe de Van Dijck et même au Descartes de Frans Hals, tous trois (le dernier dans une moindre mesure évidemment) acteurs dans le même conflit. Le casque avec son panache figure à gauche du général, qui tient son bâton de commandement de la main droite; la main gauche, mutilée, qu'on ne voit pas, est appuyée sur la hanche gauche, où l'on voit sortir le pommeau de l'épée.
Le bord du médaillon porte le texte suivant :
PERILLUSTRIS & GENEROSISS(imus) D(OMI)NUS D. ERNESTUS, COMES DE SUYS, BARO in DUBADIa, DYNASta IN HARSee, CALLONne & ULLENSTRASsen, S. CAES(ari)ae MAI(ESTATI)S CAMERarius & CONSILIarius BELLIcus, SUPREMus EIUSD(em) ARMAMENTarij PRAEFECTus, Equestris et pedestris Chiliarcha &c.
Traduction :
Très illustre et très noble seigneur défunt Ernest, ccmte de Suys, baron de Dubadel, dynaste de Harzé, Callonne et Ullenstrassen, chambellan de Sa Majesté Impériale, conseiller de guerre et préfet suprême des armements de l'Empereur, colonel de cavalerie et d'infanterie etc.
Le médaillon est surmonté de la devise : Portat Constantia Palmam. Il est entouré d'une couronne d'étendards, trompettes, tambours, faisceaux romains avec les initiales S.P.Q.R. ( Senatus Populusque Romanus), canons, etc.
Sous le médaillon figurent les armoiries complètes du comte et plus bas les quatre vers latins (deux distiques élégiaques) :
Aspice magnanimi sculptos in imagine vultus
Suijsiadoe Comitis : Mens latet, ora patent.
Fors tamen occultum pariter vis carnere pectus ?
Hoc DEUS hoc CAESAR vendicat omne sibi.
Traduction:
Regardez le portrait du magnanime comte de Suys
Sa pensée est cachée mais son visage est ouvert.
Peut-être voulez-vous voir aussi le fond de son coeur ?
Ce secret, Dieu et l'Empereur le revendiquent pour eux tout entier.
Armoiries du Comte de SUYS
LA GUERRE DE TRENTE ANS (1618-1648)
La première moitié du XVIIe siècle est une grande époque dans l'histoire de la civilisation européenne. C'est l'âge dit "baroque".
En Allemagne et en Espagne, c'est le règne des Habsbourg; en France, celui de Louis XIII et Richelieu. Richelieu, qui fonda, en 1635, l'Académie française.
Corneille publie ses chefs-d'oeuvre : Le Cid est de 1636, Horace et Cinna de 1640, Polyeucte de 1642.
Descartes, ancien combattant de la Guerre de Trente Ans, révolutionne la pensée philosophique par son "Discours de la Méthode", qui est de 1637.
La peinture française est illustrée par Nicolas Poussin, Georges de La Tour et Philippe de Champaigne, peintre (né à Bruxelles) de Louis XIII et Richelieu.
La peinture hollandaise brille avec Rembrandt (la "Ronde de Nuit" est de 1642) et Frans Hals. Le poète Vondel fait la gloire de la littérature néerlandaise.
En Espagne, la peinture jette tous ses feux avec Velasquez et la littérature compte de grands noms : Calderon et Lope de Vega.
Chez nous, le géant Rubens et Jordaens dans la peinture, en Italie Le Bernin dans l'architecture, créent le style "baroque", appelé aussi "jésuite" quand il s'agit des églises bâties sur le modèle du "Gesu" de Rome.
Le style baroque, caractérisé par l'outrance et la magnificence, triomphe avec la Contre-Réforme.
Chez nous encore Van Dijck se révèle le plus grand portraitiste de l'époque.
Galilée meurt en 1642, la même année que Richelieu, un an avant Louis XIII.
Dans le monde des sciences encore, Harvey, en Angleterre, découvre la circulation du sang.
Dans le domaine religieux enfin, 1640 voit paraître l'"Augustinus" de l'évêque d'Ypres, Dansenius, qui est à l'origine du mouvement religieux auquel il a donné son nom.
Catholicisme, luthéranisme, calvinisme et jansénisme se partagent et se disputent les âmes.
Fallait-il que 30 années de guerre politico-religieuse vinssent endeuiller cette brillante civilisation ? L'Allemagne, qui sera le principal théâtre des combats, en sortira ravagée, presque annihilée.
La Guerre de Trente Ans n'a pas seulement ruiné l'Allemagne, la laissant dans un état comparable, toutes proportions gardées, à celui qu'elle connaîtra trois siècles plus tard. Ce long conflit a empêché la civilisation européenne d'atteindre, en cette première moitié du XVIIe siècle, l'apogée auquel on pouvait s'attendre.
Retracer la carrière du général comte Ernest de SUYS nécessite de la replacer dans le cadre de la Guerre de Trente Ans, où elle s'insère intégralement.
Pour ce faire, nous sommes bien servis, du moins jusqu'en 1639, grâce au diplôme de comte octroyé à Ernest de SUYS, le 11 avril 1639, par l'empereur FERDINAND III d'Autriche, diplôme qui est un véritable panégyrique.
Le document, rédigé en latin de chancellerie, style "baroque", qui n'a rien de la période cicéronienne, est une source exceptionnelle (emphase mise à part) pour l'établissement de la carrière du général de SUYS.
Les Belges jouèrent un rôle capital dans cette longue guerre européenne.
La Belgique, à l'époque, possédait l'Ecole militaire la meilleure de l'Europe. Aussi nos grands capitaines et nos fameux régiments wallons se distinguèrent-ils par leurs faits d'armes au service de la Maison d'Autriche et des Habsbourg d'Espagne.
Les feld-maréchaux TILLY et MERSCH, les colonels BECK et BUCQUOY, les généraux WEERT et SUYS, ce dernier commandant en chef de l'artillerie impériale, figurent parmi les principaux chefs de l'armée catholique en guerre contre les princes protestants allemands et leurs alliés.
La Guerre de Trente Ans, cette guerre de religion, la dernière du genre, marquée par tant de destructions et de calamités, d'épidémies de peste [La peste se manifesta un peu partout, aussi bien en France, en Espagne et en Italie qu'en Allemagne : de 1624 à 1640, la peste est endémique en France, au Nord de la Loire; en 1630, elle fait un millier de victimes en Italie; en 1647, 500.000 morts en Espagne (autant que dans les années 1598 à 1603)] et de sorcelierie, devait se muer en guerre politique et économique.
Elle mettait aux prises, d'un côté le "Saint Empire romain germanique" (qui n'était ni saint ni romain ni uniquement germanique ...) et l'Espagne, de l'autre côté les princes protestants allemands, les Pays-Bas du Nord, le Danemark, la Suède et la France de Louis XIII et Richelieu.
Le conflit prit une ampleur croissante au fur et à mesure de l'apparition de nouveaux belligérants, mais l'Allemagne resta au centre des opérations.
On peut distinguer, dans cette guerre, quatre périodes principales :
1) la période bohémienne et palatine (1618-1624);
2) la période danoise (1625-1629);
3) la période suédoise (1631-1634);
4) la période française (1635-1648).
Le protestantisme luthérien avait été reconnu par la "Paix d'Augsbourg" (1555), sur la base du principe : "cujus regio, ejus religio", c'est-à-dire : tel pays, ou plutôt tel chef d'Etat, telle religion. C'est le roi ou le prince qui dictait la foi religieuse. Mais les dissensions n'en continuèrent pas moins entre catholiques et protestants, et, les passions aidant, la haine religieuse ne cessa de sévir dans toute l'Europe, principalement dans l'empire germanique, où le luthéranisme et le calvinisme faisaient des progrès constants.
La "Paix d'Augsbourg" marqua, en fait, plutôt le début d'une guerre larvée, d'où devait sortir cet interminable conflit appelé "Guerre de Trente Ans".
Le calvinisme, non reconnu par la "Paix d'Augsbourg", se répand par la force, en dépit du principe "cujus regio, ejus religio".
De leur côté, les catholiques sont animés d'un zèle ardent, sous la conduite des Capucins et des Jésuites, les premiers usant de l'arme de la prédication, les seconds de celle de l'enseignement dans leurs collèges.
Il n'est pas surprenant que, dans une Allemagne déchirée par les convoitises princières et les passions religieuses, une révolte locale ait suffi à mettre le feu aux poudres et à plonger presque toute l'Allemagne d'abord, puis les voisins du "Saint-Empire" dans une guerre qui fut l'une des plus terribles des temps modernes.
Généalogie du la Famille de SUYS
Gustave ADOLPHE, Roi de Suède, 1594-1632, Portrait par VAN DIJCK
René DESCARTES - (1596-1650) - Portrait par Frans HALS
LA PERIODE BOHEMIENNE ET PALATINE (16I8-1624)
C'est un Wallon ! Respect pour lui.
La Bohême et la Moravie comptaient une majorité de protestants, mais une minorité très puissante de catholiques.
En 1609, le roi Rodolphe avait accordé à ses sujets bohémiens la "Lettre de Majesté", qui leur reconnaissait la liberté de conscience et de culte.
Peu après, un statut à peu près semblable fut consenti à la Moravie, sous le nom de "Confession tchèque".
Ferdinand de Styrie, couronné roi de Bohême en 1617 (et qui sera empereur de 1619 à 1637), confirma la "Lettre de Majesté". Mais catholiques et protestants ne s'entendaient pas sur son interprétation.
Le 23 mai 1618, devait éclater un incident grave, appelé la "Défenestration (en allemand "Fenstersturz") de Prague. Deux gouverneurs impériaux, conseillers tchèques de l'empereur Mathias (I6I2-I6I9), Martinitz et Slamata, avec leur secrétaire Fabricius, furent précipités par la fenêtre du château de Prague, d'une hauteur de 17 mètres (selon certains de 30 m ou de 80 pieds), par des nobles protestants. Ils eurent la chance de tomber dans un fossé rempli de fumier ou de débris et seul Slamata fut blessé grièvement, mais survécut. Les catholiques crièrent au miracle. On dit que, plus tard, l'empereur Ferdinand II nomma Fabricius "seigneur de la haute chute" ! ...
La "Fenstsrsturz" était une vieille coutume bohémienne remontant aux guerres hussites, une sorte de jugement populaire, d'ordalie, qu'on retrouve aussi chez nous, puisque, un jour de décembre 1378, 17 échevins patriciens furent défenestrés de l'ancien hôtel de ville (pas l'actuel) de Louvain. Mais ceux-ci eurent le malheur de tomber sur les piques que leur tendaient les hommes des métiers, des tisserands.
La "Défenestration de Prague" fut le signal de la révolte générale chez les protestants de Bohême. C'est elle qui enclencha le processus de la guerre de Trente Ans.
Ferdinand, roi de Bohême depuis 1617, de Hongrie depuis 1618, ayant succédé, en 1619, à son cousin Mathias comme empereur sous le nom de FERDINAND II, les insurgés de Bohême, conduits par le comte de Thurn, votèrent la déchéance de Ferdinand et élurent à sa place, comme roi de Bohême-Moravie, le chef ce l'"Union évangélique", l'Electeur palatin FREDERIC, prince calviniste, qui fut couronné, le 4 novembre 1619, sous le nom de FREDERIC V.
Le traité d'ULM (3 juillet 1620) mettait d'accord la "Sainte Lique" (catholique), présidée par Maximilien de Bavière, et l'"Union Evanqélique", dirigée par Ansbach.
Le royaume de Bohême n'étant pas compris dans l'accord, l'empereur FERDINAND II voulut reprendrr la Bohême par les armes. Et ce fut le début des hostilités, marqué par la bataille de la "Montagne blanche" (Weissenberq), le 8 novembre 1620.
Les deux camps s'étaient assuré le concours des meilleurs stratèges de l'époque. La Belgique passait alors, nous l'avons dit, pour la meilleure école militaire de l'Europe. Elle avait été, au temps des FARNESE, des NASSAU, des SPINOLA, des TILLY, à la faveur, si l'on peut dire, des guerres entre l'Espagne et les Provinces-Unies, le champ par excellence d'expériences militaires de l'Europe. (8)
(8) Alexandre FARNESE (Rome 1545 - Arras 1592) était fils d'Octave Farnèse, duc de Parme, et de Marguerite de Parme, fille naturelle de Charles-Quint, Gouvernante des Pays-Bas de 1559 à 1567. Il assista à la bataille de Lépante (1571) avec son beau-frère Don Juan d'Autriche. Stratège de génie, il reconquit les Pays-Bas méridionaux sur Guillaume d'Orange en reprenant les villes de Tournai, Bruges, Gand, Bruxelles et Anvers. Gouverneur des Pays-Bas depuis 1578.
Guillaume 1er de NASSAU, prince d'Orange (1533-1584), le Taciturne et ses fils Maurice et Frédéric-Henri de Nassau, grands ennemis de l'Espagne.
SPINOLA (Ambroise de), commandant de l'armée de Philippe III aux Pays-Bas, vécut de 1569 à 1630. Prit Ostende en 1604 et Breda en 1625.
TILLY (1559-1632) avait été formé à l'Institut militaire d'Alexandre Farnèse et avait participé avec lui au siège d'Anvers (1584-85). Il passa toute sa vie sur les champs de bataille, en France contre les Huguenots, ensuite contre les Turcs. Sa renommés comme organisateur d'armées était reconnue de toute l'Europe.
Pierre-Ernest, comte de MANSFELD (1580-1626), catholique de naissance, mais passé à la cause protestante. Véritable condottiere, partout où passait son armée, ce n'était que massacres et dévastations. Mourut près de Serajevo.
Le roi de Bohême fit appel à Ernest de MANSFELD né à Luxembourg en 1580, fils naturel du célèbre général du même nom, au service de Charles-Quint et Philippe II, et qui s'était brouillé avec l'empereur RODOLPHE II (1576-1612).
Déjà l'empereur MATHIAS avait demandé à son frère, l'Archiduc ALBERT, souverain des Pays-Bas catholiques, de lui envoyer du secours. Il reçut un contingent de 11.000 hommes : 2 régiments wallons de 3.000 hommes chacun, sous les ordres du colonel de BUCQUOY et du colonel de HENNIN. BUCQUOY avait fait une brillante carrière dans les armées de Philippe II. Vainqueur de Mansfeld à Nadelitz et à Tsablats, c'est lui qui avait empêché Bethien Gabor, prince de Transylvanie, de prendre Vienne, en 1619, mais avait perdu dans la bataille le bras gauche, emporté par un boulet (9).
(9) Charles Bonaventure de Longueval, baron de Vaux, comte de BUCQUOY, fut gouverneur du Hainaut. Né à Arras en 1571, il fut élève de Farnèse et lieutenant de Spinola. Il combattit avec ce dernier en Hollande et prit part avec lui au siège d'Ostende (1601-1604). Mort à Neuhäusel en 1621, il fut remplacé par un autre Wallon, Jean d'Arcy, dans la défense de l'Empire du côté hongrois.
A ces deux réqiments wallons s'ajoutait un régiment de "Bas-Allemands", levé dans la Principauté de Liège par le comte de NASSAU. Cette infanterie était complétée par deux régiments de 1.000 cuirassiers wallons chacun, celui de Jean Barroz, dit GAULCHER, et celui levé en Belgique du calonel tchèque WALDSTEIN, absent des opérations (10).
(10) Cf. Ch. Terlinden, Histoire Militaire des Belges, Bruxelles, 2e édit., 1866, vol I, p. 155.
Ernest de SUYS faisait partie de ce contingent, avec quantité d'autres jeunes nobles belges, avides de mettre leur ardeur combative au service de la cause catholique et impériale.
Maximilien de Bavière confie le commandement de la Ligue à un autre grand chef belge, Jean t'SERCLAES de TILLY, né à Bruxelles ou Tilly en 1559. Général de cavalerie en 1604, feld-maréchal en 1605, il avait déjà été placé à la tête de la Ligue en 1609.
A la bataille de la "Montagne blanche", l'armée du roi de Bohême, peu disciplinée, réduite à 20.000 hommes, était commandée par trois chefs : le Prince d'ANHALT, le comte de THURN et le comte de MANSFELD.
L'armée impériale, forte de 25.000 hommes, avait pour chef unique le fameux TILLY; armée disciplinée, composée pour un cinquième de ces Wallons qui ont fait l'étonnement et même l'admiration des contemporains, des historiens et des poètes.
"'S ist ein Wallon ! Respekt vor dem"
"C'est un Wallon ! Respect pour lui" dit Schiller, dans un vers célèbre de sa trilogie "Wallenstein" (Le Camp de Wallenstein, scène XI). Et c'est une cantinière flamande qui le crie ! ...
Et ailleurs ce même grand dramaturge met à l'adresse de nos compatriotes dans la bouche de Wallenstein le plus bel éloge qui puisse être fait par un chef parlant à ses soldats :
"Je sais que vous êtes intelligents, que vous pensez et jugez par vous-mêmes, sans suivre la foule, et c'est pour cela que je vous ai toujours distingués du reste de l'armée ... Comme, dans votre rude métier, vous avez le sentiment, de vous-mêmes, comme j'ai lu dans vos yeux que vous saviez penser en hommes, je vous ai toujours traités en hommes libres, je vous ai reconnu le droit d'exprimer une opinion à vous".
Ceci est dit à un caporal (Gefreiter) brugeois, Heinrich Merch. (Schiller, La mort de Wallenstein, acte III, scène 15), et à ses cuirassiers.
Il faut savoir que le nom générique de "Wallon" désignait un brassage de "Belges" recrutés dans toutes nos provinces, sans doute en majorité Wallons, mais où se trouvaient également des Flamands et ce que nous appelons aujourd'hui Grand-Ducaux . Le fait, on vient de le voir, est confirmé par Schiller, qui met le brugeois Merch au nombre des fameux cuirassiers du colonel autrichien Papenheim, qui était fier de ses cuirassiers wallons.
Le concept "flamand", quand il s'agit de nos peintres, recouvre également la totalité des Belges, avec une majorité de Flamands, mais une minorité importante de Wallons. Qu'il suffise de citer Roger de la Pasture, dénommé Rogier Van der Weyden à partir de son établissement à Bruxelles; ce peintre était un Wallon de Tournai. Citons aussi Patenir, né à Dinant, le Maître de Flémalle, Jean Gossart de Mabuse (Maubeuge), le Liégeois Lambert Lombard, etc.; tous considérés, du moins à l'étranger, comme "Flamands", c'est-à-dire Belges de l'Ecole flamande.
L'armée catholique était surtout "fanatisée par les prédications ardentes des moines qui l'accompagnaient, en particulier des Carmes, parmi lesquels le P. Dominique de Jésus Marie avait été délégué par le Pape. Ils donnaient à l'expédition une allure de croisade" (11).
(11) G. Pages, La Guerre de Trente Ans, 1618-1648, Paris Payot, 2e édit. 1972, p. 69.
LA BATAILLE DE LA MONTAGNE BLANCHE
Dans la nuit du 7 au 8 novembre 1620, l'armée du roi de Bohême s'installa sur les collines dominant, à l'ouest de Prague, la rive gauche de la Moldau, autour de la "Montagne blanche". De son côté, l'armée impériale arriva devant les collines le 8 novembre au petit jour.
La bataille - ou plutôt l'échauffourée - ne dura guère plus d'une heure, mais elle fut épique. BUCQUOY, redoutant un échec, ne voulait que harceler l'ennemi, mais, dès que le P. Dominique eut célébré la messe, TILLY donna l'ordre d'attaquer. Commandant l'aile gauche, il lança les 500 cuirassiers wallons du Sire de Herzele et les arquebusiers a cheval de Jean van der Meeren dans l'intervalle large entre la première et la seconde ligne de l'adversaire. Cette manoeuvre fut décisive : elle entraîna la débandade chez l'ennemi, qui s'enfuit vers Prague. Anhalt fut fait prisonnier.
Le tableau célèbre de Pierre Snayers, au Musée de Bruxelles, représente la bataille : les Tchèques et les Palatins sont sur la hauteur, les Impériaux et les Ligueurs en trois lignes dans la plaine.
Maurice des Ombiaux, de son côté, décrit en termes dramatiques la bataille de la "Montagne blanche" dans ses "Fastes militaires des Belges" (12).
(12) Paris, 1916, 2e partie, pp. 139-145.
"Sept mille fantassins et trois mille trois cents cavaliers wallons, soit plus du quart de l'armée victorieuse, y avaient pris une part glorieuse. Bien que courte, la lutte avait été sanglante", écrit Ch. Terlinden, dans son livre "A travers notre histoire et nos gloires" (13).
Seize officiers supérieurs belges furent tués, parmi lesquels Jean de Mérode et Henri de Harre, seigneur de Noirmont; au nombre des dix-sept officiers belges qui se distinguèrent le même historien cite "Ernest de SUYS, baron de Clingelandt, plus tard comte de l'Empire et général en chef de l'artillerie impériale.
(13) Bruxelles, 1943, p. 278.
"La "Montagne blanche" est un des plus beaux fleurons des gloires militaires belges", écrit. encore Ch. Terlinden, qui cite tous les noms des officiers belges qui tombèrent ou se distinguèrent dans la bataille. On trouve ces noms dans l'ouvrage de l'auteur : "Histoire Militaire des Belges" (14).
(14) Bruxelles, 2e édit. 1966, (2 vol), vol. I, pp. 157-158.
Le diplôme du comte de SUYS confirme la présence du futur général à la "Montagne blanche" :
"Enrôlé dans le régiment de cuirassiers du colonel GAUCHER, Ernest de SUYS était à la "Montagne blanche", sous les ordres du colonel comte d'Isembourg. Cornette, c'est-à-dire porte-étendard d'un escadron, SUYS fait montre d'une telle impétuosité que son cheval est transpercé de coups et que lui-même reçoit de face deux blessures très graves et dangereuses, son bras gauche et son pied droit atteints par des balles de plomb d'escopette."
Dès lors, Ernest de SUYS participera à presque toutes les batailles de la guerre de Trente Ans, au service de l'empereur, dit le diplôme lui octroyé par Ferdinand III le 11 avril 1639, rappelons-le.
Ajoutons et précisons que notre héros se battra jusqu'à sa mort, en 1645.
Le roi Frédéric, absent de la "Montagne blanche", apprit à la fois que la bataille était engagée et qu'elle était perdue. Il quitta Prague avec sa cour a l'aube du 9 novembre et les troupes de TILLY y firent leur entrée. Leur victoire foudroyante eut des conséquences décisives; Bohême et, Moravie firent leur soumission à l'empereur FERDINAND II et FREDERIC V passa à la postérité sous le nom de "roi d'un hiver" (il n'avait régné que du 4 novembre 1619 au 8 novembre 1620).
Ferdinand II, qui se croyait élu par Dieu pour exterminer les hérétiques, se montra impitoyable. La répression fut terrible : nombreuses condamnations à mort, confiscations de biens, abolition de la "Lettre de Majesté", que l'empereur déchira de ses propres mains. La couronne de Bohême-Moravie devint héréditaire pour les Habsbourg. On assista au retour des Jésuites bannis et à la réouverture de leurs collèges, à la proscription des calvinistes, qu'aucune loi ne protégeait. En 1622, les pasteurs luthériens furent expulsés à leur tour et, en 1623, les bourgeois et les paysans luthériens. Le culte catholique, réorganisé par les Jésuites et les Capucins, remplaça partout les cultes hérétiques. Le tout fut couronné par la germanisation complète du pays. "La vieille Bohême hussite devint, l'un des pays les plus catholiques de l'Europe" (15).
(15) G. Pages, op. cit., p. 73.
Dès 1620, SPINOLA, commandant militaire des Pays-Bas du sud, conquérait le Palatina sur l'Electeur Frédéric V et l'Union Evangélique était dissoute.
Ferdinand II, surnommé "l'homme des Jésuites", était résolu à extirper l'hérésie de tout l'Empire. Aussi la guerre continua. Elle prit, hélas, parfois et même souvent le caractère horrible que représentent les fameuses estampes de Jacques Callot, intitulées "Petites misères de la guerre" (euphémisme), qui se trouvent à la Bibliothèque Nationale de Paris.
Officier au régiment de Bucquoy en 1621, Ernest de SUYS fut à nouveau blessé en 1623, frappé qu'il fut d'une balle d'escopette au fémur droit.
Au début de 1624, le triomphe de l'empereur et de la Ligue semble complet. Victoire indubitablement due au génie militaire de TILLY.
LA PERIODE DANOISE (1625-1629)
Qu'a fait Suys ?
Son devoir : il a marché.
C'est alors qu'interviennent le roi de Danemark CHRISTIAN IV, oncle de FREDERIC V, et le duc d'OLIVARES, ministre du roi d'Espagne PHILIPPE IV.
Le premier, duc de Holstein et donc prince allemand, guidé par des motifs à la fois religieux et économiques, soutient les protestants; le second lie le sort de l'Espagne au triomphe de l'empereur et du catholicisme dans l'empire.
Son cousin l'archiduc ALBERT étant mort, le 13 juillet 1621, FERDINAND II fait appel à sa veuve ISABELLE, Gouvernante générale des Pays-Bas du sud, qui lui promet ses meilleurs régiments wallons. Et Ferdinand II autorise WALLENSTEIN, nommé généralissime des troupes impériales, à lever en Belgique plus de 6.000 hommes.
WALLENSTEIN bat MANSFELD à DESSALI, le 25 avril 1626. Mansfeld mourra peu après, le 15 novembre 1626, à Rakovitza, près de Serajevo, en Bosnie.
En 1625, Ernest de SUYS, commandant le régiment de la garde impériale, prend part aux atroces combats qui se déroulent près de BRUNSWICK, en Basse-Saxe. Et l'année suivante, il perd trois doigts de la main gauche, atteint qu'il est par deux boulets de grosse bombarde, lors du siège de LISWIC. (Diplôme).
En mai 1625, SPINOLA, commandant en chef des armées espagnoles en guerre centre les Provinces-Unies, s'empare de BREDA, défendue par Justin de NASSAU.
La prise de BREDA par SPINOLA a fait le sujet du célèbre tableau de VELASQUEZ, conservé au musée du Prado, à Madrid.
Si nous insistons sur cet événement, c'est aussi pour une autre raison. C'est que SPINOLA fut secondé dans la bataille par Albert de LIGNE, prince de BARBANCON, seigneur de HARZE et MONTJARDIN, qui, pour équiper une armée à ses frais, vendit, le 21 mai 1629. la seigneurie et le château de HARZE à son compagnon d'armes Ernest de SUYS, .jeune baron frais émoulu.
Nous avons dit ailleurs (16) la part prise par les familles de LIGNE-BARBANC0N et de SUYS-de LYNDEN dans la construction du château de Harzé au XVIIe siècle.
(16) Voir notre "Radioscopie" historique du château de Harzé, 3980, qui corrige ce que nous disions dans "HARZE dans le passé ou mille ans d'histoire", 1972, où nous signalions, par ailleurs, que la reconstruction du local de justice de Harzé en 1632 était l'oeuvre du comte de Suys. Ce qui est exact.
Le panneau armorié qui somme la porte cochère de la grande cour, ancienne basse cour, et qui représente les blasons jumelés des SUYS et des LYNDEN, pierre rapportée et datée de 1647, prouve seulement que la construction du château a été continuée et achevée par les de SUYS.
Il faut souligner le fait, la chance, que Harzé ne subit aucune destruction pendant la Guerre de Trente Ans. Au contraire, puisque l'époque vit l'achèvement du château et la reconstruction de la Halle, qui menaçait ruine.
Colonel de cavalerie et d'infanterie, capitaine-général d'artillerie, Albert de LIGNE fut arrêté avec d'autres nobles belges, suspects de conspiration contre le régime espagnol dans nos provinces. Enfermé au château d'Anvers en 1634, il fut élargi en 1650 selon PIRENNE (17), en 1644 selon THIRY (18) et mourut à Madrid en avril 1674.
(17) Voir H. PIRENNE, Histoire de Belgique, La Renaissance du Livre, vol. III (1973), p. 96.
(18) Voir L. THIRY, Histoire de l'ancienne seigneurie et commune d'Aywaille ... vol. III, pp. 476-78.
Cette période est marquée par la figure, haute en couleur, du condottiere WALDSTEIN, dit WALLENSTEIN, que le portrait peint par Van Dijck (musée de Munich) représente, le regard dur, portant moustache et barbiche, cuirasse et rabat blanc, le bâton de commandement dans la main gauche.
Schiller fera de ce personnage le héros de sa trilogie "Wallenstein", un des chefs-d'oeuvre de la littérature allemande (19).
(19) Diffusé par TF 1 en janvier 1983, un film remarquable de la Radio-Télévision bavaroise, avec Rolf Boysen dans le rôle de Wallenstein, a fait revivre le grand condottiere et son époque.
Né en Bohême en 1583, luthérien converti au catholicisme, enrichi par son mariage et d'heureuses spéculations, il réussit, dans son ambition et par ses services, à se faire créer par Ferdinand II, en 1623, duc de Friedland et prince d'empire. Ses soldats wallons avaient combattu à la "Montagne blanche". Nommé généralissime en 1625, il se distingua surtout comme recruteur et meneur d'hommes. Mais ses soldats, payés au minimum et très irrégulièrement, étaient parfois et même souvent forcés de déserter ou de voler; ils exerçaient partout la terreur. "L'armée de Wallenstein est devenue pour les historiens, le type des armées allemandes de la Guerre de Trente Ans" (20).
(20) Pagès G., La guerre de Trente Ans, p. 104.
Wallenstein ne rejeta pas dans l'ombre le grand TILLY, qui remporta, le 27 août 1626, à Lutter (Basse-Saxe), une grande victoire sur CHRISTIAN IV. Et, en 1627, Wallenstein et Tilly, aidés de SUYS, dispersèrent les troupes du roi de Danemark, à Oldenbourg. (Diplôme).
L'année 1628 marque l'apogée du grand condottiere Wallenstein.
Le 6 mars 1629, Ferdinand II signait l'"Edit de Restitution", qui rendait aux catholiques les évêchés, couvents et biens qui leur avaient été saisis. C'était le retour au temps de la "Paix d'Augsbourg".
C'est à cette époque que Ferdinand II, voulant récompenser les services d'Ernest de SUYS, le créa baron de Tubadel, le 23 avril 1629. Et, le 21 mai (un mois après), le baron de Tubadel achetait HARZE au prince de Barbançon, Albert de LIGNE.
Le 16 mai 1629, le roi de Danemark et Ferdinand II signaient la "Paix de Lubeck", qui marquait le triomphe du catholicisme sur le protestantisme.
Victorieux, Ferdinand II, en désaccord avec Wallenstein, dont la puissance et l'autorité portaient ombrage en outre aux Electeurs, décide de licencier le condottiere et son armée. Et, le 3 août 1650, le duc de Friedland est destitué et son armée dispersée. Ce qu'il en reste, y compris le baron de Tubadel, qui, le 16 novembre 1629, y était lieutenant-colonel, se joindra à celle de TILLY, c'est-à-dire à celle de Bavière et de la Ligue. Mais les troupes du nouveau généralissime TILLY sont épuisées. Composées de mercenaires et d'aventuriers, de prisonniers incorporés de force, elles manquent de tout. Seuls les vieux régiments wallons y formaient encore une élite.
Il faut souligner ici la "constance" et la fidélité de SUYS à l'Empereur. Bien qu'il tînt ses pouvoirs de Wallenstein, il refusa de suivre celui-ci dans son ambition dangereuse, comme le confirme SCHILLER, dans la deuxième partie de sa trilogie, "Les Piccolomini" (acte II, scène 7).
Voici le passage :
QUESTENBERG, conseiller de guerre, envoyé de l'empereur : "Sa Majesté veut que l'armée quitte sans délai la Bohême."
WALLENSTEIN : "Dans cette saison ? Et où veut-on que nous portions nos pas ?"
Quest. : "Là où se trouve l'ennemi. Car Sa Majesté veut voir Ratisbonne purgée d'ennemis avant les fêtes de Pâques; que les dogmes de Luther ne soient pas prêchés plus longtemps sous les voûtes des églises, et que l'abominable hérésie ne souille pas plus longtemps la pureté de ces fêtes solennelles."
Wall. : Généraux, parlez; cela se peut-il ?" (Généraux ILLO et BUTLER).
Illo : "Cela est impossible."
Butler : "Cela est impraticable."
Quest. : "L'empereur a déjà envoyé au colonel SUYS l'ordre de se diriger en Bavière."
Texte allemand : "Der Kaiser hat auch schon dem Oberst SUYS Befehl geschickt nach Bayern vorzurücken."
(D'après Wallenstein, "l'empereur n'avait pas ce droit, Wallenstein étant l'officier supérieur de Suys)."
Wall. : "Qu'a fait SUYS ? (Was tat der SUYS ? )
Quest.: Son devoir; il a marché." (Was er schuldig war. Er rückte vor).
Wall. : "II a marché ? Et moi, son chef, je lui avais donné l'ordre exprès de ne pas quitter son poste. Est-ce ainsi qu'on se moque de mon commandement ? Est-ce là l'obéissance qu'on me doit, et sans laquelle il n'y a pas moyen de faire la guerre ? Généraux, soyez ses juges; que mérite l'officier qui a violé ses ordres et son serment ?"
Illo : "La mort" (Den Tod).
Wall. : Comte Piccolomini, que mérite-t-il ?" (Le comte était colonel).
Max Piccolomini : "La mort, selon la lettre de la loi" (Nach des Gesetzes Wort - den Tod).
Isolani (général) : "La mort" (Den Tod).
Butler : "La mort, selon les règlements militaires" (Den Tod, nach Kriegesrecht).
Wall. : "C'est la loi qui le condamne, pas moi; et si je lui fais grâce, ce n'est que par respect et par le sentiment de mes devoirs envers l'empereur" (21).
(21) Traduction Hatier. (Les Classiques pour tous).
Les limites de l'Empire. D'après G. Pagès, la Guerre de Trente Ans, pp. 24-25
D'après G. Pagès, la Guerre de Trente Ans, pp. 24-25
LA PERIODE SUEDOISE (1631-1634)
Le "Lion du Nord"contre l'ascète guerrier.
Une nouvelle phase de la guerre commence avec le "Traité de Bärwalde", signe, le 23 janvier 1631, pour 5 ans, entre la France et la Suède.
Un nouveau stratège entre en scène. Monarque d'une rigidité morale toute "puritaine", peint par Van Dijck sous les traits d'un cardinal barbichu et replet (Musée de Münich), GUSTAVE-ADOLPHE, roi de Suède, mu par des motifs religieux mais aussi politico-économiques, va, tel un météore, faire une apparition fulgurante sur le champ de bataille.
Disposant d'une armée moderne, formée surtout de conscrits luthériens, basée sur une artillerie redoutable, fruit d'une métallurgie réorganisée par notre compatriote Louis de GEER, usant d'une tactique nouvelle, GUSTAVE-ADOLPHE, surnommé le "Lion du Nord", va remporter une série de victoires retentissantes (22).
(22) Sur Louis de GEER, lire Pierre de WITT, "Louis de Geer", Paris,. 1885.
Il s'empare d'abord de Stettin, capitale de la Poméranie, puis pénètre en Allemagne et prend Francfort-sur-Oder, Berlin et Magdebourg. Mais cette ville est reprise par le Feld-Maréchal TILLY le 20 mai 1631. Dernier succès du grand stratège belge et qui pèse sur son nom, car ce fut un massacre effroyable, accompagné de l'incendie de la ville.
Le sac de Maqdebourq, détaillé et flétri par Schiller, qui utilise la version suédoise condamnant Tilly, dans son "Histoire de la Guerre de Trente Ans", Tilly en porte peut-être à tort la responsabilité, dit G. Livet (23).
(23) G. Livet, "La Guerre de Trente Ans", P.U.F. (Collection "Que sais-Je ?) 3e édit., Paris, 1972, p.33.
Pour nos historiens belges, Kurth et Terlinden, ce sont les protestants qui ont allumé l'incendie, pratiquant en cela la tactique de la terre brûlée, comme feront les Russes pour Napoléon en brûlant Moscou en 1812 et comme ils feront contre Hitler.
"La science moderne (y compris les historiens protestants eux-mêmes) a lavé Tilly de toute responsabilité dans l'incendie de cette malheureuse cité (de Magdebourg) et a établi, à rencontre de la légende répandue par Schiller, que ce sont ses propres habitants qui, désespérant d'arrêter les Impériaux parvenus jusqu'au centre de la ville, y mirent le feu dans un sentiment d'exaltation mystique", dit Terlinden (24).
(24) Histoire Militaire des Belges, I, p. .162. Voir aussi, du même auteur : "A travers notre histoire et nos gloires. Le Passé. Les Oeuvres. Bruxelles. 1943, p. 284. Les pages 273 a 292 de ce livre sont consacrées aux Grands Belges de la Guerre de Trente Ans".
"Ni Pappenheim, qui avait décidé l'assaut sans l'ordre de son chef, ni Tilly ne purent contenir leurs troupes", écrit Pages (25).
(25) Op. cit., pp. 130-131.
Le Colonel SUYS était-il présent ? Le diplôme n'en dit mot.
Quoi qu'il en soit, la destruction de Magdebourg fit l'union sacrée de toute l'Allemagne protestante et la rangea du côté suédois.
Les 17 septembre 1631, à Breitenfeld, près de Leipzig, Gustave-Adolphe bat Tilly qui est blessé mais pas mortellement, et inflige une défaite sanglante aux régiments wallons.
Cette bataille marque un tournant dans la guerre. Gustave-Adolphe prend successivement Würzburg, Erfurt, Schaffenburg, Frankfurt-am-Main et Mayence (20 décembre).
L'empereur Ferdinand II, aux abois, rappelle WALLENSTEIN, limogé en 1630. Le duc de Friedland lève une armée de 40.000 hommes et, en mai 1632, il reconquiert la Bohême. De son côté, Tilly reprend Bamberg aux Suédois.
Le diplôme du comte de SUYS nous révèle le rôle capital joué par notre guerrier dans ces événements, A Leipzig, à Nüremberg, en 1632. lorsque, colonel de régiment d'infanterie, il commandait l'aile gauche de l'armée impériale, il soutint la violente attaque des Suédois pendant environ 30 heures, jusqu'à ce qu'elles cessassent le combat, après avoir essuyé une insigne défaite. Investi ensuite dans la place forte de Zwickau, il a repoussé l'assaut des Suédois (tout comme il l'avait fait à Weimar et à Lüneburq) et ce pendant 36 jours, déjouant et détournant ainsi leur dessein d'envahir la Bohême.
1632 verra les dernières victoires de Gustave-Adolphe et sa mort.
Il s'empare de Nüremberg et d'Augsbourg. Tilly essaye de l'arrêter au passage de la rivière Lech, affluent du Danube, la nuit du 14 au 15 avril 1632, mais il est grièvement blessé. TILLY mourra 15 jours plus tard, à Inqolstadt. Il avait 73 ans. Ainsi finit celui qui fut "peut-être le plus illustre des hommes de guerre produits par la Belgique sous l'ancien régime", écrit Terlinden.(26)
(26) Hist. Mil. des Belges, I, 156.
Véritable ascète guerrier, on dit de lui qu'"il ne connut jamais de femme et ne but jamais de vin". Idole de ses soldats, il leur laissa par testament 60.000 écus d'or. On l'appelait "le moine casqué"; "le vieux caporal", disait Gustave-Adolphe. (27)
Le 16 novembre 1632, non loin de Leipzig, a Lützen. les Suédois, alliés aux troupes de Bernard de Saxe-Weimar, remportent une éclatante victoire sur Walienstein, mais Gustave-Adolphe est tué dans la bataille, à la tête de ses cavaliers. Le colonel autrichien Papenheim, commandant des cuirassiers wallons, y trouva aussi la mort.
(27), ibid. I, 163.
Quant à SUYS, commandant général de la garde, il s'y acquitta qlorieusement de sa charge, dit le diplôme (28).
(28) Erreur du scribe : en 1632 et non en 1633.
Quoique battu, WALLENSTEIN, délivré de son ennemi le plus redoutable est, à 37 ans, à l'apogée de sa fortune.
Un nouveau tournant, au surplus, s'opère dans la Guerre de Trente Ans.
Après la disparition de TILLY et de GUSTAVE-ADOLPHE, "on enregistre la naissance d'un esprit nouveau : la troupe est liée à la fortune de son chef, le soldat ne combat plus pour une cause, mais pour une solde et des avantages en nature."(29) La guerre est vraiment devenue un métier.
(29) G. Livet, op. cit., p.83.
Un autre Belge, le Luxembourgeois Jean d'ALDRINGEN, né en 1584, remplace TILLY à la tête de l'armée de la Ligue. Colonel en 1622, il avait contribué à la victoire de WALLENSTEIN à Dessau, en 1626. En 1629, il aida le général GALLAS et SUYS, colonel de régiment d'infanterie, à prendre d'assaut la ville de MANTOUE, défendue par les Français, qui revendiquaient le duché de Mantoue pour le duc de Nevers (guerre de trois ans).
Blessé avec TILLY au passage du Lech, le Feld-naréchal d'ALDRINGEN aida WALLENSTEIN à tenir tête à GUSTAVE-ADOLPHE au Nord de Nuremberg. Il succombera en 1634, en défendant Landshut contre les Suédois.
Jean TRERKLAES, Comte de Tilly,(1559-1632) - Portrait par VAN DIJCK
Albert de WALLENSTEIN, Duc de Friediand, (1583-1634) - Portrait par VAN DIJCK
LA "TRAHISON" DE WALLENSTEIN ET LA DEFAITE SUEDOISE.
C'est dans ton coeur que se trouvent les étoiles de ton destin.
La guerre, jusqu'ici surtout religieuse, devient avant tout politique.
Resserrant davantage les liens entre les Habsbourg d'Autriche et ceux d'Espagne, le futur Ferdinand III, roi de Hongrie, épouse, en 1631, sa cousine Marie, l'Infante d'Espagne.
Gustave-Adolphe mort, la petite reine Christine, 6 ans, lui succède, avec OXENSTIERN comme chancelier.
L'armée suédoise est commandée par deux généraux suédois, HORN et BANER, et deux généraux allemands, Guillaume de HESSE-CASSEL et Bernard de SAXE-WEIMAR.
Mais nous ne sommes plus au temps de GUSTAVE-ADOLPHE. Les troupes suédoises tout comme celles de la Ligue et de WALLENSTEIN, sont devenues de pures armées de métier, qui ne combattent plus que pour la solde et le butin. C'est le règne de l'indiscipline et de la terreur, compliqué des épidémies de typhus et de peste. Les désertions se multiplient dans les rangs des armées. Même parmi les "élus" (conscrits) de HARZE !
Notons le fait, intéressant pour la petite histoire de HARZE déjà, le 17 juillet 1632, Mathy, fils de Hubert de Remouchamps, et quatre autres "esleus pour le service de Sa Majesté", sont portés déserteurs, bien que, dit le sergent de la cour de justice, ils aient touché leurs gages ordinaires de Sa Majesté (le roi d'Espagne) et, en outre, quelques deniers des sujets de Harzé et il leur est. enjoint de retourner sous les drapeaux, sous peine de condamnation car la cour ou le conseil de guerre (30).
(30) Cour, 18.
Cela se passait au moment du siège de Maestricht (10 juin-22 août 1632), par Frédéric-Henri de NASSAU contre le marquis de SANTA CRUZ DE CORDOBA et le général impérial PAPENHEIM, commandant des fameux cuirassiers wallons (31).
(31) H. PIRENNE, Histoire de Belgigue, édit. 1973, vol. III, pp. 91-92.
Et, le 17 août 1634, le sergent Jean Charette fait savoir à Pierre Doucet, Simon Lierneux, Nicolas Charette, Mathy de Luhan et Orban, fils à Lambert du Col, qu'ils ont à "retourner à leurs drapeaux" (32).
(32) Cour, 18.
Le 18 septembre de la même année, Willem, fils à Jean Remy, Henri Remacle, Jean, fils à Hubert de Remouchamps, Nicolas Charette, Pierre Poulcet, Pierre Doulcet, Urban de Col, Pierre Donnay, Noël, fils à Lambert Jacquemin, sont "adjournés", c'est-à-dire cités en justice par l'officier de la cour "pour ne pas retourner sous les drapeaux de Sa Majesté". Mais ils prétendent qu'ils ne sont pas payés et qu'ils sont revenus chez eux pour éviter de mourir de faim. La cour leur ordonne néanmoins "de se conformer ponctuellement au Règlement du Roy, notre Sire" (Philippe IV d'Espagne) "concernant les esleus, à peine qu'aultruy en serat pourvu" (33).
(33) Cour, 18.
Mais c'est le moment de parler de la conjuration de WALLENSTEIN.
Drôle de personnage que ce duc de Friedland. Mégalomane, superstitieux, croyant aux astrologues et aux songes.
Schiller lui fera dire par un personnage de sa trilogie : "In deiner Brust sind deines Schicksals Sterne". "C'est dans ton coeur que se trouvent les étoiles de ton destin" ...
Versatile et sujet aux dépressions nerveuses, vieux à 48 ans, il aspirait, depuis 1632, à devenir roi de Bohême, son pays natal. Pour parvenir à ses fins, il négocie secrètement avec la France, la Suède et les émigrés tchèques d'Allemagne. Abusant des larges pouvoirs que lui a concédés FERDINAND II, il essaye de priver celui-ci de tout contact avec ses généraux GALLAS et PICCOLOMINI, qui tenaient leur commandement de WALLENSTEIN. FERDINAND II reproche à ce dernier de n'avoir pas mis à profit la mort de GUSTAVE-ADOLPHE et le désarroi des protestants. Et il le fait surveiller de près par PICCOLOMINI. Dès décembre 1633, il est résolu à la révoquer.
Le 11 janvier 1634, éclate la conjuration de WALLENSTEIN et de ses principaux officiers, à Pilsen.
Le 24 janvier, FERDINAND II ordonne aux lieutenants de WALLENSTEIN qui lui étaient restés fidèles d'arrêter le chef de la conspiration et ses principaux complices, de les conduire à Vienne ou de les tuer, comme coupables et convaincus de trahison.
PICCOLOMINI et GALLAS, usant de ruse et feignant de soutenir WALLENSTEIN, arrivent avec deux armées.
"Une autre armée", dit Schiller ("Histoire de la Guerre de Trente Ans"), commandée par le général SUYS, s'avance à marches forcées vers Prague, pour mettre cette capitale au pouvoir de l'empereur et la défendre contre toute attaque de la part des rebelles.
(Diffusé par TF 1, en janvier 1983, avec l'acteur Rolf Boysen dans le rôle de Wallenstein, le remarquable film de la Radio-télévision bavaroise consacré au grand condottiere, fait allusion au rôle joué par le général SUYS dans l'affaire Wallenstein. On annonce à ce dernier que "le baron de SUYS s'avance vers l'Inn". - "A la tête de mes troupes" s'écrie Wallenstein.-Non, à la tête des troupes impériales"", lui dit-on.)
PICCOLOMINI et GALLAS préparent alors le drame du 24 février 1634. Le soir de ce jour, à Eqer (Bohême), près de la frontière saxonne, au cours d'un banquet, les trois colonels complices, Ille, Terzki et Kinski, sont tués. Wallenstein, malade au lit, reçoit aussi le coup de grâce. Il a 51 ans. Les trois meurtriers étaient des officiers anglais, irlandais et écossais. Toutefois, Schiller dit que c'est le capitaine Dévereux qui transperça la poitrine de Wallenstein.
C'est cette tragédie qui a fait le sujet de la trilogie de Schiller (1. Le Camp de Wallenstein; 2. Les Piccolomini; 3. La mort de Wallenstein).
Schiller n'est pas convaincu de la culpabilité, de la trahison de Wallenstein, dit-il,dans son Histoire de la Guerre de Trente Ans. Et les historiens hésitent à se prononcer, étant donné le tempérament névrosé du personnage.
Sur ce sujet, on peut consulter Pages (34) et Livet (35) par exemple.
(34) La Guerre de Trente Ans, pp. 160-170.
(35) La Guerre de Trente Ans, pp. 28-29.
Il nous faut, dans toute cette affaire, souligner la loyauté du général de SUYS, qui se montra fidèle à la cause de l'empereur, sans recourir à la ruse comme GALLAS et PICCOLOMINI.
Le diplôme dit textuellement : "En 1634, lors de l'éclatement de cette perfide et criminelle conjuration tramée par Friedland, non seulement vous avez conservé dans la foi la métropole de Bohême, Prague, par votre prudence et votre zèle, mais vous avez, en outre, ramené trente et un régiments dans l'obédience impériale, grâce à votre entremise fidèle et dévouée "(traduction).
Après la mort de Gustave-Adolphe, la France était déjà intervenue dans la guerre : elle voulait séparer l'Autriche de l'Espagne et desserrer l'étau où elle était prise.
Les troupes françaises pénètrent en Alsace et, en septembre 1633, Louis XIII s'empare de force de la nouvelle ville de Nancy, ne laissant que l'ancienne au duc Charles de Lorraine.
En 1634, les généraux Gallas et Piccolomini reprennent l'offensive et, le 26 juillet 1634, chassent les Suédois de Ratisbonne (Regensburg), en Bavière, après un siège où le général SUYS a conduit toute l'infanterie avec prudence et courage, dit le diplôme.
En août 1634, les Français achèvent l'occupation de la Lorraine, abandonnée par Charles IV.
La même année 1634, l'Espagne passe de la guerre couverte à la guerre ouverte.
L'armée espagnole, conduite par le gouverneur des Pays-Bas méridionaux, le cardinal-infant Ferdinand, frère de Philippe IV, franchit le Danube et rallie les troupes impériales. L'armée suédoise, commandée par Horn et Bernard de Saxe-Weimar, est battue à NORDLINGEN en Bavière, le 6 septembre 1634 et Horn est fait prisonnier.
Le Belge Jean de WEERT, né en 1584 près de Maeseick, qui avait succédé à ALDRINGEN, y commandait la cavalerie, sous les ordres de Gallas et Piccolomini.
Quant au général de SUYS, il y commandait toute l'infanterie, avec prudence et courage, comme au siège de Ratisbone, dit le diplôme, qui ajoute :
"Après cette bataille acharnée, vous avez emporté de force de nombreuses places défendues par l'art et la nature, les forteresses de WERTHEM. WENSHEM en Franconie, DILLENBOURG, REICHENWER, THANN en Alsace, REMIREMONT, PLOMBIERES en Lorraine et SAARBRÜCKEN en Sarre, en commandant deux corps d'infanterie ("phalanges") séparément".
Cette bataille de Nordlingen marque une date décisive dans l'histoire de la Guerre de Trente Ans, mais moins toutefois que la seconde bataille du même lieu, qui se déroulera le 3 août 1645 et qui sera fatale à notre "héros".
LA PERIODE FRANCAISE (1635-1648)
CONDE vainqueur de MERCY et de SUYS
Après Nordlingen, la France, ennemie de l'hégémonie des Habsbourg en Europe, est obligée de passer, à son tour, de la guerre couverte à la guerre ouverte.
Le 8 Février 1635, elle conclut une alliance offensive et défensive avec les Provinces-Unies (Hollande) en vue de reconquérir les Pays-Bas du Sud et de se les partager. En outre, le 28 avril, elle signe un traité avec la Suéde.
Le 19 mai, le roi de France LOUIS XIII déclare la guerre au roi d'Espagne PHILIPPE IV et à son frère le Cardinal-Infant Don FERDINAND, gouverneur de nos provinces depuis la mort de sa tante l'Archiduchesse Isabelle en 1633.
C'est la liquidation de la "guerre allemande". Dans sa dernière période, la guerre de Trente Ans devient une guerre pour l'"équilibre européen" entre la France et les Habsbourg.
Une armée française, sous les ordres des maréchaux de CHATILLON et de BREZE, cherchait à faire sa jonction avec les troupes du Stadhouder Frédéric-Henri de NASSAU, lorsque, le 20 mai 1635, elle rencontra soudain, à AVIN en Hesbaye, l'armée espagnole, qui fut vaincue et dispersée.
Les Français, privés de solde, pillèrent le pays et brûlèrent Tirlemont. Louvain fut sauvé par l'effort conjugué de la garnison, des moines, des bourgeois et surtout des étudiants de l'université. (36)
(36) Déjà le 2 août 1542, les étudiants de Louvain avaient défendu la ville lors de l'attaque de Martin van Rossem, commandant, d'une armée de Gueldrois et de Français, ennemis des Espagnols, et qui avaient envahi le Brabant.
Ravagée par une terrible épidémie de typhus, la famine et les désertions, l'armée française, devenue squelettique, fut rapatriée par mer par les Hollandais.
Nous ignorons si la mère de notre héros, Georqine de Lynden, veuve de Jacques de Suys (+ 1599), mourut victime de l'épidémie qui sévissait un peu partout. En tout cas, elle décéda le 16 janvier 1635 au château de Harzé, où elle vivait depuis 1630. Dame de Harzé, c'est elle qui, en l'absence de son fils, engagé dans les opérations de la guerre, présidait aux travaux d'achèvement du château et menait d'une main ferme la gestion de la seigneurie.
Le général fut-il présent aux obsèques de sa mère? L'arrêt des combats entraîné par l'hiver lui permit-il de rentrer à Harzé? Les archives nous révèlent seulement que, le 3 mars 1635, il était "présentement en guerre d'Allemagne" (37).
(37) Cour, 18.
La mère du général fut enterrée au cimetière de Harzé. Sa pierre tombale peut encore être découverte sous le gazon. Nous l'avons, un jour remise à la lumière et lu son épitaphe, que nous reproduisons ci-dessous : (38)
(38) Dans son "Histoire de la seigneurie et commune d'Aywaille ..., tome III, 1940, p. 518, le Dr L. Thiry reproduit un dessin de la pierre tombale dû à Paul Lepage.
ICY GIST NOBLE ET ILLUSTRE DAME
MADAME GEORGINA DE LINDEN BARONNE DE SUYS
DAME DE HARSE VEFVE DE FEU NOBLE ET ILLUSTRE
SEIGNEUR MESSIRE IACQVE BARON DE SUYS SE
NEDERUEN ET O..SENDE GENTILHOMME DE
CHAMBRE DE S.A.S. ERNEST DVC DE VIERE LAQUELLE TRESPASSAT LE
IANV. XVI. XXXV. PRIES DIEV POUR S
Pour la petite histoire, les archives de la haute cour de justice de Harzé nous apprennent que la soeur du général, Anne de SUYS, baronne de Grisoort, épouse (depuis le 26/2/1626) de Roland de SUYS, son cousin germain, seigneur de Harzé-en-Hesbaye, fait office de Dame de Harzé pendant peu de temps (mars-avril 1635).
Elle ne semble guère satisfaite de ses sujets et dit qu'elle quittera sans regret notre village. Il est vrai que ses pouvoirs y étaient contestés et qu'elle réclamait, à peine d'emprisonnement, le remboursement de 225 patacons dus à sa mère et que celle-ci avait elle-même empruntés à de "bons marchands" en vue de paver la rançon exigée par les Hollandais pour la libération de certains Harzéens prisonniers à Maestricht. (39) Ce qui laisserait croire que la mère du général ne disposait guère d'argent liquide. Ce qui est possible après tout. Et qu'elle avait peut-être plus le sens de la justice Que celui de la charité ... Ce que les archives laissent aussi penser (40).
(39) Cour, 18.
(40) Cour, 18.
A ce propos, nous apprenons aussi par les archives qu'au moment de son mariage, dont le contrat fut signé le 1er juillet 1637, le baron Ernest de SUYS engagea tous ses biens meubles et immeubles pour emprunter la somme de 4.000 patacons. Le 4 juillet 1637, par devant le notaire de la Vaulx, de Liège, le baron constitue le chanoine Julio de Manolar, de la Collégiale St-Denis à Liège, pour lever en son nom la somme en question. L'acte, précisent les archives, est passé "au château de Harzé, sur la chambre desseur la porte illecque" (c.a.d. "sur la chambre au-dessus de la porte du château"). Et le lendemain, 5 juillet 1637, le chanoine, au nom du baron, emprunte quatre mille patacons à Damoiselle Jehenne du Chasteau, relicte (veuve) de Jean Quentin, bourgeois de Liège, à qui le baron payera une rente annuelle de 266 patacons et demi. Acte passé devant le même notaire de la Vaulx (41).
(41) Cour, 33, 34.
Après Nordlingen, l'effondrement des Suédois dans le sud et l'ouest de l'Allemagne et la défection de l'Electeur de Saxe amenèrent la signature de la "Paix de Prague" (30 mai 1635). Victoire capitale pour l'empereur puisqu'elle proclamait le maintien de la "Paix d'Augsbourg" (1555) et de l'"Edit de Restitution" (1629).
1636 est une année de défaites pour la France, à qui l'Empereur déclare la guerre. La France est envahie par les Espagnols et les Impériaux.
Le Cardinal-Infant don FERDINAND et Jean de WEERT poussent jusqu'à Corbie et même Pontoise. Paris vit dans la terreur. Mais Richelieu lève une armée de 60.000 hommes et réussit à repousser les envahisseurs.
FERDINAND II meurt le 15 février 1637 et son fils aîné, roi de Hongrie, est couronné empereur sous le nom de FERDINAND III.
La puissance impériale est à son apogée, mais l'Allemagne n'est plus qu'un champ de ruines.
Le 15 mars. 1638, par le "Traité de Hambourg", la France et la Suède concluent une alliance offensive et défensive. Elles vont pratiquer une politique commune.
Le général baron Ernest de SUYS était donc à Harrzé le 4 juillet 1637 et il y signait, un acte notarié devant le notaire de la Vaulx, de Liège. Il s'était marié le 1er juillet 1637, ainsi que le révèle le testament de son épouse, Ernestine d'Aspremont-Lynden, en date du 15 avril 1654. Nous ignorons où fut célébré le mariage. (42)
(42) Cour 34.
L'acte du 4 juillet 1637 nous apprend que le baron de SUYS était a l'époque "colonel et général maréchal de camp" (général de brigade) (43).
(43) Cour 33.
Ce dernier grade nous est confirmé par le diplôme du comte, qui relève que, en 1638, exerçant de façon remarquable le "castrorum magisterium", c'est-à-dire les fonctions de "maître du maréchal de camp" de l'armée envoyée, sous le commandement de Piccolomini, au secours du Cardinal-Infant des Espagnes, il a délogé de leur camp, taillé en pièces, détruit cinq régiments français près d'Utrecht (prope Trajectum), régiments enfermés dans un camp retranché et qu'il a obtenu la reddition du commandant suprême de leur garde, Auquebar. Et le texte poursuit : "Vous avez contribué aussi à faire lever le siège de St-Omer, action d'importance, en y apportant votre aide insigne et, enfin, dans ce mémorable combat près de Thionville" (7 juin 1659), "vous avez détruit, le matin, cinq régiments de l'armée française." (Ceux du maréchal de Feuquières). "L'après-midi, le combat ayant repris, vous avez enfoncé allègrement (alacriter) ce qui restait de cette armée rangée en bataille en vous emparant d'une troupe de 500 escopétaires et vous n'avez renoncé ni au combat ni au massacre avant d'avoir remporté une victoire remarquable sur un ennemi brisé et écrasé. Et ainsi, dans les cas précités et dans les autres occasions de bien vous comporter, vous avez fait, par des actions héroïques, la preuve la plus sure de la singulière supériorité de votre âme énergique et impavide, ainsi que de votre habitude et expérience des choses guerrières." (Voilà bien le style "baroque" !)
Et le diplôme poursuit : "En escaladant avec dignité par vos vertus tous les degrés des charges militaires et en -vous acquittant avec soin et glorieusement de ces fonctions, vous avez mérité d'être élevé au commandement. Suprême de l'artillerie" (ad supremam rei tormantariae praefecturam).
En suite de quoi, l'empereur FERDINAND III élève le "libre baron" Ernest de SUYS à la dignité de comte du saint-empire à titre héréditaire.
Le diplôme est daté du 11 avril 1639. Nous ne sommes plus renseignés avec précision sur la suite de la carrière militaire du général, mais nous avons toute raison de croire que, vu son absence de Harzé, absence signalée le 28 janvier 1645 encore (on attend son retour ou de ses nouvelles (44), vu aussi que nos archives le mentionnent encore comme vivant le 20 mai, le 27 mai, le 12 juin et le 8 juillet 1645, vu enfin l'importance de ses fonctions et son idéal politique et militaire, il combattit jusqu'à la date fatale du 3 août 1645, date de la seconde bataille de NORDLINGEN, qui vit la victoire des Français sur les Impériaux (45).
(44) Cour 20.
(45) Cour 33.
L'année 1639 verra la mort de Bernard de Saxe-Weimar, chef de la "Ligue Evangélique", et 1641 celle du Cardinal-Infant, mort le 9 novembre de la petite vérole, à l'âge de 33 ans.
En octobre 1639, la flotte espagnole, réfugiée dans le port de Douvres, est détruite par l'amiral hollandais TROMP. "Date capitale dans l'histoire du déclin de l'Espagne pendant la Guerre de Trente Ans" (46).
(46) G. Pagès, op. Cit., p. 212.
Les années 1640 et 1641 seront plus favorables encore à la France et à la Suède. En août 1640, les Français prennent Arras. Mais, en 1641, Jean BECK, né à Luxembourg en 1588, bras droit de PICCOLOMINI avec SUYS, bat les Français devant Thionville.
Ancien pâtre et messager, Jean BECK, lieutenant-colonel en 1627, colonel en 1643, futur baron et gouverneur du Luxembourg, mourra, le 30 août 1648, à Arras.
Le 2 novembre 1642, TORSTENSON, successeur de BANER à la tête de l'armée suédoise, bat les Impériaux près de Leipzig. Ceux-ci perdent, un quart de leurs effectifs en tués et blessés, un quart en prisonniers ou déserteurs et un matériel de guerre considérable.
RICHELIEU meurt le 4 décembre 1642 (4 ans après le Père Joseph, "L'Eminence grise"), suivi dans la tombe par LOUIS XIII le 14 mai 1643. LOUIS XIV a moins de cinq ans. C'est la Régence de la Reine Mère Anne d'Autriche, avec MAZARIN comme Premier Ministre.
TORSTENSON bat les Impériaux à la seconde bataille de Breitenfeld, en 1643.
Le 19 mai de la même année, le Duc d'Enghien (22 ans), futur Prince de CONDE (1646) remporte la fameuse victoire de ROCROI, immortalisée par l'Oraison funèbre de BOSSUET et un tableau célèbre du Musée de Versailles, où l'on voit le héros avec son panache blanc et monté sur un cheval de la même couleur.
La place forte était assiégée par le Gouverneur des Pays-Bas méridionaux, l'Espagnol Don Francisco de MELO, qui avait succédé au Cardinal-Infant (+ 1641) et qui voulait envahir la France en direction de Paris.
ROCROI, c'est la défaite de "cette redoutable infanterie de l'armée d'Espagne, ... composée de ces vieilles bandes wallonnes, italiennes et espagnoles qu'on n'avait pu rompre jusqu'alors",commandées par un Belge, "le valeureux comte de FONTAINES, qu'on voyait porté dans sa chaise et, malgré ses infirmités, montrer qu'une âme guerrière est maîtresse du corps qu'elle anime" (Bossuet). C'était, un glorieux vétéran des guerres de Bohême, âgé de 84 ans et goutteux; il mourut dans la bataille avec la moitié des 4.500 Wallons.
Un autre Belge, cité plus haut, commandait, à Rocroi, la cavalerie impériale; c'était BECK, l'impétueux colonel, dont parle aussi Bossuet.
Après Rocroi, CONDE prend Thionville (8 août) et TURENNE porte la guerre, en 1644, sur la rive droite du Rhin.
Condé, Turenne, ces deux grands capitaines, dont Bossuet, dans un parallèle célèbre, a défini les génies si différents : le premier agissant par de "soudaines illuminations", l'autre par "des réflexions profondes".
Sur le Rhin, TURENNE rencontre le Feldmaréchal MERCY, né à Longwy à la fin du XVe siècle, comme Ernest de SUYS.
"MERCY, qu'on ne vit jamais reculer dans les combats", dit Bossuet. Elevé à l'école de TILLY, comme lui devenu généralissime des forces catholiques, il avait battu les Français à Dutlingen en 1643. Il tint tête à CONDE et TURENNE : les 3 et 5 août 1644, il bat CONDE à Fribourg-en-Brisgau et, le 2 mai 1645, il bat TURENNE à Marienthal, pour être enfin vaincu par CONDE (24 ans) à Allerheim, près de NORDLINGEN, en Bavière, le 3 août 1645, dans "la bataille la plus hasardeuse et la plus disputée qui fut jamais". C'est là qu'il tomba, "digne victime", dit encore Bossuet, de la valeur du grand CONDE.
A l'endroit où MERCY était tombé, CONDE fit dresser une stèle portant l'inscription ; "Sta, viator, heroem calcas", "Arrête-toi, passant, tu foules les restes d'un héros".
Le général Ernest de SUYS, qui commandait l'artillerie impériale, fut-il, à cette seconde bataille de NORDLINGEN, victime de son devoir comme MERCY ?
Périt-il en combattant ou suite à ses blessures et l'âme brisée ? Tout ce que nous savons c'est qu'il mourut en 1645 (47).
(47) Cf. Le Fort, I, 22, fol. 102 : "mourut en 1645, gist à Stavelot".
Le 26 janvier de cette année, il était toujours en vie et absent de Harzé, où, nous l'avons dit, on attendait son retour ou de ses nouvelles. Il vivait encore le 8 juillet aussi. (48)
(48) Cour 33 et 34. Les registres paroissiaux de Stavelot ne commençant qu'après 1645 et les obituaires de Harzé ne mentionnant pas la date anniversaire de la mort du général, nous ne connaissons avec certitude ni le mois ni le jour de son décès. La date 1645 semble confirmée par le fait que "le 17 mars 1646, le Sr Klain est surintendant des affaires de Son Excellence Madame la Comtesse dame de ce lieu" (Cour 20).
Il ne survécut sans doute pas à cette meurtrière bataille de NORDLINGEN, où étaient rangés 18.000 Français face à 16.000 Impériaux. Les premiers perdirent 7.500 hommes et les seconds 6.000.
Du coté français, tombèrent le lieutenant-général marquis de la Châtre et le maréchal de camp marquis de Bellenave. Du côté des Impériaux, les sources dont nous disposons ne signalent que les feldmaréchaux, en l'occurrence MERCY (+ kaiserl. FM. Gf. Mercy des Billets) (49).
(49) Dr Gaston Bodart, "Militar-historisches Kriegs-Lexikon (1618-1905)", Wien und Leipzig, C. W. Stern, 1908, "Periode des dreissigjährigen Krieges", p. 74.
Bien que sa mère fut enterrée à Harzé, les restes du général comte Ernest de SUYS, qui avait à peine atteint la cinquantaine, furent inhumés, selon son voeu sans doute, dans la crypte de l'église abbatiale St-Remacle, à Stavelot.
Son épouse, morte en 1654, l'y rejoignit.
Par son testament, daté du 15 avril 1654, (50) la comtesse de SUYS (née comtesse d'Aspremont-Lynden - de Reichem) fait choix de sa sépulture "en l'église St-Remacle au Monastère-de Stavelot, là où elle veut estre enterree au coste gauche dudit seigneur comte son marit et qu'illec soit mis une epitaphe de marbre et jaspe en leur mémoire, qui coustera six cent florins Brabant monoie de Liege ou plus sy besoin, au lieu de Dinand, et serai érige en telle forme que les Rds Prieur et Religieux dudit .Stavelot le désigneront, veuillant que ses exeques soient célébrées le plus simplement que faire se peut" ... (51).
(50) Cour 34, fol. 1 à 11.
(51) Ibid., fol. 2 et 3. La comtesse assignait aussi aux pauvres de Harzé une rente annuelle de 50 florins et léguait pour anniversaire à l'église de Stavelot 150 patacons en espèces à l'effet de chanter une messe annuelle le jour du trépas de son mari et le sien.
Hélas, il n'y a plus ni église abbatiale ni crypte ni caveau à Stavelot. Tout a été détruit à l'époque de la Révolution française et les terres ont été amoncelées sur l'endroit où était la crypte, ce qui rend, en fait, toute fouille impossible, comme nous l'écrit "le professeur William LEGRAND, de Stavelot, historien de l'abbatiale, à qui je renouvelle mes remerciements et qui me communique, en outre, les détails intéressants qui suivent :
"Le 22 juillet 1758, travaillant au canal qui passe sous les fondements au milieu de ladite grotte (crypte) on a trouvé deux cercueils dans un très propre caveau ... Celui-ci renfermait une femme et l'autre à l'apparence un homme, tous les deux sans doute d'une haute extraction, mais qu'on n'a pas encore découverte. Noter qu'on a découvert que s'étaient un comte de Suisse (sic) et une comtesse de Raikem son épouse".(Archives de l'Etat à Liège : "Résolutions capitulaires" (1687-1770). Une notation le confirme : "La Dame de Reckem demanda que sa soeur la comtesse de Suys soit enterrée auprès de son marit où on metterat un epitaphe et on fonderat un anniversaire : ny l'un ny l'autre n'est pas accomplis" (reg. 307, p. 338).
Mais la guerre continuait ...
Désormais la Bavière est ouverte aux deux généraux français et c'est en Allemagne que se produisent les événements décisifs. La grande guerre s'y développe, conduite par le Prince de CONDE et le maréchal de TURENNE du côté français, par les généraux TORSTENSON et WRANGEL du coté suédois.
En août 1646, TURENNE fait sa jonction avec WRANGEL en Hesse, dévaste la Bavière et entre à Munich. Et, le 11 octobre 1646, CONDE prend Dunkerque aux Espagnols.
Une trêve est conclue avec MAXIMILIEN de Bavière, suivie du "Traité d'Ulm" (14 mars 1647).
Par le "Traité de Munster" (30 janvier 1648), l'Espagne reconnaît l'indépendance des Provinces-Unies (Hollande) et leur cède les parties de la Flandre, du Brabant et du Limbourg que Frédéric-Henri de NASSAU avait conquises. Le port d'Anvers est fermé.
Le 20 août 1648, CONDE est vainqueur, à Lens, de ce qui restait de l'infanterie espagnole ou plutôt walonne, commandée par l'Archiduc LEOPOLD, frère de FERDINAND III et gouverneur des Pays-Bas méridionaux après Francisco de MELO.
Le colonel BECK, grièvement blessé, est fait prisonnier et meurt à Arras le 30 août 1648. C'est le comte de Saint-Amour de la BAUME qui était général en chef de l'artillerie impériale : il avait succédé au général de SUYS.
"Une victoire remportée à Dachau par Jean de WEERT, le seul des grands généraux belges qui survécut à la Guerre de Trente Ans, n'avait pas empêché les coalisés d'envahir la Bohême et d'investir Prague. La route de Vienne était ouverte" (52)
(52) CH. Terlinden, "A travers notre hist ...", p. 291.
Aussi, le 24 octobre 1648, on assistait à la signature des deux traités d'Osnabrück et de Münster.
La "Paix de Westphalie", condamnée par le Pape Innocent X, illustrée par le tableau célèbre de Claude Jacquand au Musée de Versailles, mettait fin à la Guerre de Trente Ans. Elle consacrait l'"équilibre européen", rêvé par RICHELIEU.
"Avec la Guerre de Trente Ans se termine la crise qui, de l'Europe médiévale, a fait sortir l'Europe moderne. La Guerre de Trente Ans vit le dernier effort de l'Eglise romaine et de la Maison de Habsbourg pour rétablir l'unité, par le triomphe du catholicisme sur les hérésies protestantes et par la rénovation du pouvoir universel de l'Empereur ... Ils échouèrent" (53)
(53) G. Pajès, op .cit. p 266.
La France, qui avait contribué à cet échec, se hissa au premier rang en Europe et ce fut le Grand Siècle de LOUIS XIV.
De son côté, la Suède atteint l'apogée de sa puissance et est maîtresse de la Baltique.
Quant aux Provinces-Unies, elles voient reconnaître définitivement leur indépendance et la liberté du calvinisme.
Nos provinces à nous, (la Belgique) ont, hélas, été sacrifiées sans pitié par l'Espagne. Notre avenir est clos, comme l'Escaut sous Anvers. Un seul résultat pour notre pays : la victoire définitive du catholicisme. Mais la Belgique n'a échappé à l'hérésie qu'au prix de la ruine.(54)
(54) H. Pirenne, Hist. de Belgique, édit. 1973, III, p. 129.
Si le XVIIe siècle, "Goudsn Eeuw" (Siècle d'Or) pour les Provinces-Unies et "Grand Siècle" pour la France, a été justement appelé par Godefroid Kurth, pour la Belgique, "le Siècle de Malheur", " nos soldats, désignés sous la nom générique de wallons, surent, tout comme nos artistes, tous qualifiés de Flamands, maintenir le renom de leur commune patrie", écrit le vicomte Terlinden (55)
(55) Op. cit., p. 291.
On eût évidemment préféré que ce fut dans des exploits pacifiques ...
Pour l'Allemagne, la Guerre de Trente Ans fut le plus grand cataclysme de son Histoire, avant celui de la seconde guerre mondiale, dont elle est la préfigure.
Ce fléau laissa le pays pantelant, pour des décennies. Il mit plus d'un siècle à se relever. Et en cela, la comparaison n'est plus de mise avec la guerre 1939-1945. Il n'y eut pas alors de "miracle allemand" ...
"Dans l'ensemble et en prenant bien garde que toutes les destructions ne datent pas de la guerre de Trente Ans, on peut dire que les trente années de guerre et les épidémies ont coûté à l'Allemagne 40% de la population des campagnes et 30% de celle des villes" (56).
(56) Cf. G. Livet, op. cit., p. 52.
"L'Allemagne ne fut pas ruinée : elle fut annihilée", va jusqu'à dire un historien (57) avec quelque exagération, parce que certaines régions furent épargnées. L'expression n'est pourtant pas outrée pour celles qui furent le théâtre des hostilités.
(57) Gonzague de Reynold, "D'où vient l'Allemagne ?" Paris, 1939, p. 173.
Pierre Chaunu affirme que ces 30 années provoquèrent un effondrement de la population allemande de 20 à 7 millions (58).
(58) "La Civilisation de l'Europe Classique", Paris, Arthaud, 1970, p.103.
"Favorisées par l'excès des souffrances, les persécutions, l'exil, le relâchement des liens traditionnels, se développent les formes morbides de l'exaltation religieuse : croyance à la sorcellerie et lutte contre les démons ... 380 personnes sont brûlées en 7 ans dans 20 villages autour de Trêves; à Würzburg, en 1623-1629, on compte 900 victimes ... En 1639, on note en Silésie la construction d'un four pour brûler les sorcières" (59).
(59) G. Livet, op. cit., p. 110-111.
Voilà qui préfigure étrangement les sinistres fours crématoires allumés par les Nazis, sur une bien autre échelle ! ...
Le tableau le plus sombre a été brossé par Schiller dans son "Histoire de la Guerre de Trente Ans".(1790)
On comprend que les circonstances étaient peu favorables à la production littéraire. La satire règne en maîtresse avec les chansons d'actualité qui parcourent l'Allemagne avec les troupes. "Les robinsonnades fleurissent, frisant l'utopie. L'essentiel reste le roman picaresque où se retrouve l'Allemagne du XVIIe siècle" (60).
(60) Ibid , p. 113.
Le plus connu et le plus curieux de ces romans est le "Simplicissimus" de Christopher von Grimmelshausen, roman en partie autobiographique, où l'auteur décrit les atrocités diaboliques exercées par la soldatesque sur les paysans.
Le réalisme du récit serait insupportable s'il n'était teinté d'humour et si le souvenir, l'histoire et les télévisions de la seconde guerre mondiale ne nous en avaient appris d'autres ...
On a tiré, il y a quelques années, un film du roman "Simplicissimus", film qui était peut-être un "navet", mais qui donnait une certaine idée du roman de Grimmelshausen.
Les estampes de Jacques Callot, dénommées ironiquement "Petites misères de la guerre", qui datent de 1633 et qu'on peut voir à la Bibliothèque Nationale de Paris, illustrent, avec une éloquence pleine de crudité, les horreurs de cette abominable guerre. On y voit les arbres soutenir des dizaines de pendus, des hommes sur la roue, au gibet ou fusillés sur un poteau, des scènes de guerre, de vol et de viol, de pillage et autres monstruosités.
C'est dans cette terrible guerre, et rarement dans son château de Harzé, où il aurait pu couler des jours paisibles de 1629 à 1645, que combattit le général Ernest de SUYS, baron de Tubadel et comte du Saint-Empire romain germanique.
Il avait mis son épée au service d'un métier qu'il jugeait noble et d'une cause qu'il croyait juste. Il y consacra la moitié de sa vie, 25 ans.
Logique avec sa devise, il fit preuve d'une rare constance et d'une indéfectible fidélité à la Maison d'Autriche et à la cause "catholique".
Il conquit les plus hauts grades, ceux de colonel de cavalerie et d'infanterie, de maréchal de camp, de lieutenant-général commandant l'artillerie et de préfet suprême de l'arsenal impérial.
Ce grand Belge était Wallon puisque Liégeois de naissance et seigneur de Harzé.
Belge puisque Wallon. "Wallon" puisque Belge.
Ce fut surtout un grand Européen.
On regrettera seulement que ce fût dans une Europe en guerre ... et contre elle-même.
Nul propos de lui ne nous est parvenu qui serait passé à l'histoire, à la postérité.
Nulle parole recueillie sur ses lèvres avant sa mort, qui reste dans le clair-obscur.
Nul "mot de la fin", comme aiment en prononcer les grands hommes avant le grand départ.
Nous ne possédons que sa devise : "Portat Constantia Palmam" (C'est la Constance qui remporte la palme). Et il n'est pas sûr qu'elle soit de lui. Elle a dû être inspirée à son grand-père l'humaniste par son ami Juste Lipse.
Il faut d'ailleurs prendre ici le mot "Constance" dans son sens philosophique, stoïcien, celui que lui donnait Juste Lipse, à savoir : "fermeté d'âme droite et immuable, qui ne se laisse exalter ni abattre par des causes extérieures ou des circonstances fortuites". (61)
(61) "Rectum et immotum animi robur, non elati extemis aut fortuitis, non depressi".
"La vraie mère de la Constance", dit encore Juste Lipse, "c'est la Patience soumise de l'âme, que je définis : la capacité d'endurer volontairement et sans se plaindre tout ce qui peut arriver ou survenir à l'homme, venant d'ailleurs" (62).
(62) "Constantiae vera mater, Patientia et demissio animi est, quem definio : rerum quaecumque homini aliunde accidunt aut incidunt voluntariam et sine querela perpessionem".
Amédée POLET
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LE SAVIEZ VOUS ?
ARQUEBUSE : C'est une modification du trait à poudre, qui à l'origine portait le nom de COULEVRINE A MAIN ou HAQUEBUTE.
MOUSQUET : C'est une arme plus lourde que l'arquebuse qu'il remplaça. Il apparut vers 1525.
PETRINAL : C'est une arquebuse courte en usage dans la cavalerie vers la fin du 16ème siècle.
ESPINGOLE : C'est un gros fusil très court, à canon évasé depuis le milieu jusqu'à la bouche. Etait en usage au 16ème siècle.
ESCOPETTE : Est une petite arme à feu du 15ème et du 16ème siècle.
CARABINE : Ce nom fut d'abord donné aux armes munies de rayures, où la balle pénétrait par forcement, pour les distinguer des armes à âme lisse. On enfonçait la balle dans l'âme à coup de maillet. Pour abréger cette opération, le canon de la carabine était plus court que les canons lisses des autres armes. Ces armes ne devinrent vraiment pratique que depuis l'adoption du chargement par la culasse. Dans la langue française, si le verbe carabiner signifie : rayer comme une carabine, la signification de l'adjectif carabiné est différente; ex: recevoir une réprimande carabinée.
FUSIL : Ce nom fut donné pour la première fois vers 1640, aux mousquets dans lesquels l'inflammation de la charge était produite par une étincelle jaillie du choc d'un silex et d'un briquet d'acier, et tombant sur la poudre d'un bassinet disposé au-dessus de la lumière.
TROMBLON : C'est un fusil très court dont la gueule est évasée en forme de trompette et qu'on charge généralement de plusieurs balles.
Terminologie recueillie par J. Lebeau
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SERVITUDES MILITAIRES - Michel VIATOUR
En août 1914, l'armée dut procéder à la destruction d'un grand nombre de maisons et constructions diverses (murs, églises, usines ...) dans le voisinage des forts de Liège.
Il était en effet prévu de dégager complètement, dans un rayon de 585 mètres, tous les obstacles qui auraient pu masquer les vues ou gêner les lignes de tir des pièces des forts.
Le journal L'EXPRESS du 5 août 1914 rapporte notamment que 130 maisons ont été détruites (incendiées ou rasées) à Boncelles pour dégager les lignes de tir.
L'origine de cette loi dite de "Servitudes militaires" remonte à lafin du 18e siècle; nous en avons recherché l'origine et suivi l'évolution jusqu'à nos jours dans le "Bulletin usuel des Lois et Arrêtés concernant l'Administration générale" par A. DELEBECQUE, avocat général près la cour de cassation de Belgique et continué, à partir de 1858, par E. DE BRANDNER, conseiller à la cour d'appel de Bruxelles (Editions BRUYLANT-CHRISTOPHE et Cie).
Le régime français (1791-1814)
Le décret de l'Assemblée Constituante, daté des 8 et 10 juillet 1791, concerne la conservation et le classement des places de guerre (trois classes selon le degré d'importance stratégique).
Ce décret ne sera, bien entendu, applicable dans nos provinces qu'à partir de leur rattachement à la République Française le 9 vendémiaire an IV (1er octobre 1795).
Plusieurs articles concernent plus particulièrement les servitudes en matière de construction de bâtiments civils aux abords des places fortes.
La première préoccupation des agents militaires sera de veiller à ce qu'aucune usurpation de terrain ne vienne empiéter à l'intérieur des limites des domaines militaires; cependant la loi n'oblige pas le propriétaire d'une construction mordant sur le domaine national de la démolir "sur le champ". Il est simplement tenu, en cas de reconstruction suite à une démolition pour quelque cause que ce soit, de respecter la loi (titre 1, article 17).
L'article 30 fait interdiction de bâtir une maison ou même une simple clôture en maçonnerie à moins de 250 toises (environ 500 mètres) (La toise est une ancienne unité de mesure française de longueur valant 1,949 mètre que nous prendrons la liberté d'arrondir à 2 mètres dans la suite de cette étude) de la crête des parapets des chemins couverts les plus avancés, sous peine d'être démolis aux frais des contrevenants.
Cependant le même article, voulant adoucir la sévérité des termes précédents, prévoit une possibilité de dérogation, accordée par le ministre de la guerre, uniquement pour permettre la construction d'établissements industriels (usines, moulins ...) sans étage et à charge par les propriétaires de ne recevoir aucune indemnité pour démolition des dits immeubles en cas de guerre.
Par contre les particuliers dont les propriétés situées à plus de 250 toises (500 mètres) auront été endommagées des suites d'actes de guerre seront indemnisées aux frais du trésor public.
Différents décrets du gouvernement impérial (1810 et 1811) fixent à un kilomètre (ou 500 toises, noter ici l'inversion des unités de mesure et la primauté du système décimal) la distance à laquelle il ne peut être fait, autour des places de guerre, ni chemins, ni chaussées, ni fossés, ni amas quelconques, ni en général aucuns travaux publics en dehors de l'intervention de l'autorité militaire.
Le décret impérial du 9 décembre 1811 interdit toutes constructions, bâtiments ou clôtures de toutes natures à l'intérieur du rayon kilométrique autour des places fortes de première catégorie ou de première ligne ou frontalières (article 1).
Pour les autres fortifications la loi est moins contraignante et le décret de 1791 reste d'application (article 2).
Les dispositions précédentes s'appliquent également aux restaurations et réparations de toutes les constructions existantes ... sauf si l'autorité militaire les juge non contraires à la défense (article 3).
Les autorités militaires veilleront, par des visites fréquentes, à l'exécution du présent décret, tandis que les autorités de police (civile et judiciaire) et de gendarmerie sont chargées de réprimer, constater et poursuivre tous les délits en la matière (articles 4 et 5).
Le régime hollandais (1815-1830)
Le 4 février 1815, un arrêté du Prince Souverain (Guillaume d'Orange ne porte pas encore le titre de roi) fait défense à toute personne de construire ou reconstruire des maisons ou murailles, de creuser des puits dans la distance de 100 toises (200 mètres, nouvelle inversion des unités suite au changement de régime !) de l'extrémité du glacis le plus avancé des places fortes existantes en Belgique ... sous peine de destruction aux frais de ceux qui les auront édifiés (article 1).
Cependant la loi accepte que les ouvrages existants au moment de sa promulgation puissent subsister provisoirement tant que les circonstances n'en exigeront pas la destruction (article 2).
La construction de petits bâtiments en bois est tolérée mais la démolition éventuelle ne donnera aucun droit a des indemnités (article 3).
Le 11 janvier 1819 la distance de 100 toises, inscrite par erreur dans l'arrêté du 4 février 1815, est enfin rectifiée et remplacée par 300 toises (exactement 585 mètres).
Cette distance était encore en application en août 1914, la carte I.G.M. illustrant cet article permet de visualiser l'aire concernée par cet arrêté autour du fort de Boncelles.
Levés et nivellements en 1867 - Révisions sur le terrain en 1885, 1898; 1899 - Imprimée en 1904.
L'arrêté royal du 14 août 1824 impose aux exploitants de carrières, situées dans le rayon de 585 aunes (Aune : ancienne mesure de longueur valant 1,188 mètre; 585 aunes = 695 mètres), de reboucher au fur et à mesure les excavations ou de les placer de manière telle que la vue puisse y plonger depuis la forteresse et que son feu puisse y atteindre tous les points. En cas d'impossibilité, les excavations seront de petites dimensions et comblées immédiatement.
L'aménagement des matières extraites répondra aux mêmes exigences mais, de plus, une partie des produits des carrières devra rester sur les lieux comme garantie de l'exécution des conditions prescrites et ne pourra être enlevée qu'après comblement des excavations.
Enfin, l'analyse de l'exposé des motifs du dernier arrêté relatif aux servitudes militaires permet de constater que, dès 1825, de nombreuses infractions ont été commises, souvent, reconnaît le législateur, par ignorance de la loi, et que plusieurs requêtes ont été présentées en vue d'être exempté des peines encourues pour des contraventions en la matière.
L'arrêté du 16 novembre 1825 tolère ces infractions mais oblige très clairement les contrevenants à s'engager par un acte public (Acte authentique dressé par un notaire ou une administration communale; il est opposable à des tiers; c'est le contraire d'un acte sous seing privé) à démolir à. leurs propres frais les immeubles concernés dès que l'intérêt de la défense du pays l'exigera et que l'ordre leur en aura été donné par le ministre de la guerre (article 1).
Les diverses autorités locales (police, administrations provinciales) sont chargées de faire observer la stricte exécution des dispositions légales; à cette fin elles sont chargées de rappeler aux habitants concernés les termes de la loi du 16 novembre 1814 et de l'arrêté du 4 février 1815 (article 3).
Les services du ministère de la guerre établiront un relevé exact avec description précise des propriétés situées dans l'enceinte réservée des places fortes (article 5).
Les sanctions pénales
A aucun endroit dans les textes que nous avons analysés il n'est fait mention de sanctions à caractère pénal, ni explicitement, ni par référence à une autre loi.
De plus, par similitude à la loi du 23 juin 1930 relative aux servitudes aéronautiques, il apparaît que ce type d'infractions n'a aucun caractère pénal.
En résumé, sur réquisition de l'autorité compétente, le propriétaire d'un immeuble concerné est tenu de faire procéder lui-même, à ses frais, aux démolitions, remblais, ... prescrits; s'il n'obtempère pas, c'est l'administration qui s'en chargera aux frais du dit propriétaire.
De nos jours
Le 4 mars 1963, certaines dispositions de la loi de 1791 sont abrogées mais celles-ci ne concernent pas les modalités relatives au dégagement des vues et lignes de tir des forts.
Ce qui laisse à penser qu'en 1963 le décret précité était toujours d'application puisqu'on prend la peine de le modifier en abrogeant certaines parties de détail de son texte.
Si tel est encore le cas, la portée pratique de ce décret est singulièrement restreinte par la démilitarisation des forts, forteresses et autres ouvrages fortifiés.
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LES ABRIS ALLEMANDS DE SPA - M. CAUBERGS
(Extrait de SOBERES, bulletin d'information trimestriel N° 10 de mars 1985, pp. 1 – 7)
Un peu d'histoire
Si on se réfère au Dictionnaire du Tourisme en Belgique de Marcel Schmitz (Editions Larcier 1948), ce ne sont pas des considérations stratégiques, mais bien les qualités curatives des eaux de Spa, qui déterminèrent l'empereur Guillaume II à y établir, de mars ànovembre 1918, le Grand Quartier Général allemand.
Le Kaiser résidait au Château du Neubois et parfois à La Fraineuse.
Le maréchal von Hindenburg habitait au Château Sous-Bois.
Les bureaux de l'Etat-Major occupaient le Grand Hôtel Britannique.
C'est à Spa que, le 10 novembre 1918, après une dramatique entrevue avec le Kronprinz, Guillaume II abdique et prend la fuite vers la Hollande à la veille de l'armistice.
Siège de la Commission d'Armistice, Spa recevra ensuite la visite du président Hoover, du général Pershing et des maréchaux Haig et Foch.
Il semble que ce soit la hantise d'une attaque aérienne, stratégie alors en pleine expansion, qui détermina les Allemands à construire les deux abris dont question dans cet article.
Nous avons pu consulter quelques ouvrages belges traitant de la guerre 1914-1918. Assez curieusement, aucun ne fait mention de la présence allemande à Spa.
Au départ d'une carte postale ancienne
C'est en fouillant dans les vieux souvenirs de sa mère que notre collègue Claudine Tellings découvrait, en septembre 1984, une carte postale ancienne représentant "Le Souterrain du Kaiser" à Spa.
SOBERES oblige, il fallait suivre la piste. Ce fut assez simple.
Dûment contactée, la société "Histoire et Archéologie Spadoise" nous fournissait immédiatement toutes les données nécessaires pour pouvoir attaquer sur le terrain, non seulement l'Abri du Kaiser, mais aussi l'Abri von Hindenburg. Qu'elle en soit ici remerciée.
L'ABRI DU KAISER
Province de Liège. Entité de Spa. Commune de Spa. Hameau de Nivezé. Domaine du Neubois. Carte I.G.M. 50/1-2. En rive droite du ruisseau de la Sauvenière.
Adresse actuelle : Foyer de Charité; c/o Père Henri OURY; av. Peltzer de Clermont; 4880 SPA.
Schémas
Il est à noter que le Château du Neubois où logeait le Kaiser et qu'occupe aujourd'hui le Foyer de Charité, est un des nombreux châteaux de plaisance construits sur le domaine du Neubois au début du siècle, mais ce n'est pas "LE" Château du Neubois mentionné sur la carte I.G.M.
Description de l'abri.
Partant des caves du château, un escalier de 11 marches conduit à la salle principale de l'abri, protégée par une porte blindée de 10 cm d'épaisseur.
Cette porte est curieusement divisée en deux parties inégales, disposition qui devait permettre l'ouverture de la partie supérieure en cas de blocage de la nartie inférieure par un éventuel éboulement.
L'abri proprement dit est une salle bétonnée de 5,10 m de long sur 2,60 m de large et haute de 2,15 m. L'épaisseur du béton atteint 50 cm pour le plancher, 1,23 m pour les parois et 1,50 m pour le plafond. L'abri est recouvert de 40 cm de terre.
Dans la paroi opposée à l'escalier d'accès, une porte en bois mène à la sortie de secours. Il est probable que la porte blindée prévue à cet endroit n'a pas eu le temps d'être installée.
Cette sortie de secours se compose d'un couloir plongeant de 11 mètres de long, avec marches et paliers, conduisant, après une chicane, à une porte métallique débouchant dans le talus en contrebas du château.
Entre les deux guerres, l'Abri du Kaiser était accessible aux touristes moyennant un droit d'entrée de 1 franc qui allait à l'Oeuvre des Invalides de Guerre. D'où les panneaux explicatifs encore en place. D'où la carte postale ancienne qui nous a mis sur la piste.
L'ABRI VON HINDENBURG
Province de Liège. Entité de Spa. Commune de Spa. Carte I.G.M. 49/3-4.
Adresse actuelle : Centre d'accueil; Château de Sous-Bois; Chemin de Sous-Bois, 22 à 4880 SPA.
Le Château de Sous-Bois a été construit de 1905 à 1914.
Schémas
Description de l'abri.
Partant des caves du château, un escalier de 7 marches conduit à un couloir transversal formant chicane. Dans la paroi droite de ce couloir s'ouvre la porte blindée, d'une seule pièce, ici, menant à l'abri.
La pièce principale de l'abri, de forme carrée, mesure 2,82 m sur 2,75 m pour 1,96 m de hauteur, dimensions prises à mi-hauteur et dans l'axe, car cette salle est en fait un cylindre de tôles ondulées recouvert de béton.
L'épaisseur du béton visible au niveau de la porte est de 52 cm. Il n'y a pas de sortie de secours. En cas d'effondrement du château, il aurait fallu des jours pour dégager les occupants de l'abri.
Notons aussi que si l'Abri du Kaiser se développe sous le talus, à l'extérieur du château du Neubois et fut probablement construit à ciel ouvert, l'Abri von Hindenburg a été construit sous le château de Sous-Bois suivant une technique appropriée.
EXISTE-T-IL D'AUTRES ABRIS DU MEME TYPE AUX ENVIRONS DE SPA ?
C'est possible, mais peu probable.
En effet, l'Abri du Kaiser était, pour le moins, inconfortable.
Von Hindenburg, Grand Chef d'Etat-Major, ne pouvait être plus mal loti. Il serait étonnant alors que des efforts aient été consentis en faveur des gradés inférieurs.
Une simple cave devait leur suffire.
Schémas
APPEL A NOS LECTEURS
Le Foyer de Charité est une institution religieuse qui s'occupe, entre autres, d'organiser des retraites.
Le Centre d'Accueil est un home pour vieillards et handicapés.
Si les responsables de ces institutions nous ont reçus avec sympathie, ce dont nous les remercions ici, il est bien évident que ces gens souhaitent avant tout préserver le calme et la paix qui les entourent. Ne troublez donc pas inutilement la quiétude des lieux, même pour satisfaire une curiosité aussi légitime soit-elle.
TOPOGRAPHIE
17 novembre 1984 - Caubergs Michel - Havaux Philippe - Tellings Claudine
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Guy de SAIVE - Les barrières COINTET
C'est au début des années 30, que le Colonel de COINTET proposa le prototype de ses barrières anti-chars, anti-irruptions.
Elles ont été fabriquées en Belgique dans 28 usines différentes. Le modèle belge se distinguerait du français par l'ajout de 8 cornières verticales en façade ayant fonction d'empêcher les fantassins ennemis de passer à travers, les obligeant à escalader, les mettant ainsi à découvert sur sa crête.
Les barrières "COINTET" étaient prévues pour s'accrocher les unes aux autres, de façon à pouvoir constituer des obstacles sans limite de longueur, leur permettant ainsi de barrer les routes, les frontières, les plages, les forets, les champs immenses, en avant de certaines fortifications, fortins, etc. Elles devraient briser un premier assaut, si un PANZER avait foncé dans un mur COINTET, il s'y serait empêtré comme une mouche dans une toile d'araignée. Mais, dans ce cas, l'insecte qui l'attendait, n'était autre que la mitrailleuse "maxim" 08/15 ou mieux, le petit mais terrible canon F.R.C. de 4,7.
Les barrières "COINTET" utilisées comme verrous routiers, pouvaient êtres déplacées entières, une à une, assez facilement par quelques hommes (1) grâce à leurs rouleaux (2).
(1) généralement l'équipe d'un fortin I.R. (anti-irruption)
(2) trois rouleaux par barrière en tôle d'acier ou en ciment coulé.
En cas d'alerte, ces barrières étaient bloquées en travers des routes, des chemins de fer, des tunnels, des ponts etc ... par une élingue d'acier courant au ras du sol d'une borne "COINTET" à l'autre (3).
(3) ne pas confondre les bornes "COINTET" avec les bornes à câble, celles-ci, toutes différentes, servent à tendre un câble à environ 60 cm de hauteur en biais des routes.
Les bornes "COINTET" espèces de gros seaux en béton (4) placées à chaque extrémité des endroits à interdire, doivent leur phénoménale résistance à la traction et aux chocs (5) au fait qu'elles sont renforcées intérieurement par une poutrelle d'acier noyée dans un massif de béton enterré sous elles; de plus, leurs formes tronconiques inversées, force le câble qui les entoure à rester à leur base. Il n'y a donc pas de mouvement de levier. Bornes et massifs étaient bien entendu coulés sur place.
(4) ses flancs sont entourés d'une chape en forte tôle galvanisée pour empêcher l'effet de cisaillement du câble.
5) dans la vallée de la Vesdre, en face du fortin Vesdre, une COINTET a même résisté a l'impact d'un obus de 75 mm, tiré très probablement du fort de TANCREM0NT, qui, il est vrai, n'a pas explosé.
75 000 barrières "COINTET" ont été commandées par le gouvernement belge. Elles auraient pu former un mur de fer de 225 Km.
Le 10 mai 1940, 73 600 pièces avaient déjà été fournies par l'industrie, soit mises bout à bout 221 Km.
Une barrière "C0INTET" belge pèse environ 1 300 Kg pour une largeur de 3 mètres et une hauteur de 2,5 mètres.
L'armée allemande les réemploya (6) pendant toute la guerre un peu partout en Europe et surtout sur le mur de l'Atlantique.
(6) elles ne furent pas plus convaincantes pour eux que pour nous.
Schémas
Ce ne sont pas des bornes COINTET mais des bornes à câbles. Celles-ci flanquent toujours les routes en direction de la Xhavée (dans le fond) et de Souverain-Wandre (à l'avant-plan)
Obstacle anti-char
Obstacle anti-char mais aussi anti-fantassins grâce aux cornières verticales
Elément Cointet
Un élément COINTET est placé sur la plage par des Allemands, à la limite de la zone couverte par la marée basse. Obstacle destiné à éventrer les péniches de débarquement
Ces deux photos montrent comment les barrières s'accrochaient l'une à l'autre
Plan cointet
Légende
1. Rouleaux avant
2. Rouleau arrière (directionnel)
3. Demi-charnière
4. Renforcement
5, 6, 7. Anneaux pour fixation mutuelle
8. Crochets de remorquage
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F. GERSAY - Souvenirs de guerre (12)
LA CONTRE-ATTAQUE
La relève est là. Des troupes indéfinissables viennent occuper le terrain conquis par la Légion. Et voilà que, pendant la remise des positions et les salamalecs habituels, un guetteur haut perché signale que le piton d'en face est contre-attaqué par les Italiens. On distingue parfaitement ces gens qui gravissent les pentes escarpées qui mènent au sommet du piton. Ils suivent les sentiers utilisés par les bergers arabes et amènent même des mulets.
Les unités qui tiennent cette position ne peuvent les voir, compte tenu de l'escarpement. Il faudrait les prévenir ... Comment faire ? Crier ne sert à rien : le vent empêche tout contact auditif et on n'a pas de fusée ni de radio ...
Inconscient du danger, tout le monde là-haut semble occupé à souper tranquillement. Ils semblent voir les gesticulations qu'on exécute mais ne les prennent pas pour des signaux d'alarme, mais bien plutôt comme des manifestations puériles d'amitié. Ils y répondent d'ailleurs. On peut douter qu'ils aient même placé des guetteurs.
Pendant ce temps, comme des insectes grenouillards, les Italiens montent et seront bientôt à bonne distance pour placer leurs mortiers. S'ils ne sont pas contrés, tout sera possible ...
Mais quelque chose se passe enfin qui attire l'attention des menacés. Peut-être un attaquant a-t-il tiré un coup de feu involontairement ? Peut-être aussi, y avait-il des guetteurs, après tout ? En tout cas, en quelques secondes, c'est le grand branle-bas.
Yasreg et ses compagnons s'installent comme au théâtre, en spectateurs. Mais le drame qui se joue est réel. Car c'est le drame pour les attaquants surpris en pleine pente, pratiquement sans protection. Les grenades leur tombent du ciel, telle une averse impitoyable et cruelle. Tout ce monde dégringole la pente plus vite qu'il n'est monté, en laissant par terre bon nombre des participants. Même les mulets ont les quatre fers en l'air.
Cette attaque, courageuse, était stupide. Elle était vouée à l'échec dès le seuil. Elle n'aurait pu amener aucun changement dans la situation des troupes en présence. Ce fut la dernière réaction musclée des soldats de Mussolini. Ils se bornèrent ensuite à canarder à coups de canons tout ce qu'ils voyaient bouger, ou croyaient voir bouger. Pourquoi d'ailleurs se seraient-ils gênés ? Le côté français n'avait rien pour riposter. Mais quel gaspillage d'obus !
L'OCCUPATION DU TERRAIN
Un site montagneux, des vallonnements érodés par des siècles d'intempéries allant du torride à la morosité des pluies diluviennes.
De profondes ornières naturelles canalisent les eaux toxiques vers les oueds de la plaine. Comme partout ailleurs, on ne voit que le même type de végétation chiche, rabougrie, aux chardons et graminées sans verdure. Il n'y a rien ici qui pourrait tenter la palette d'un peintre. La couleur fondamentale se fond dans le gris jaunâtre. A cette teinte peu engageante s'ajoutent des stries 'brunâtres - ou vaguement rougeâtres qui, par endroits, ravivent un tantinet le décor.
Comme lieu de villégiature touristique, on n'y ferait certainement pas d'affaires. Pour les ascètes, les ermites et autres marginaux, c'est l'endroit rêvé pour se refaire une santé mentale. Il n'y a pas un village, pas un indigène, à des kilomètres à la ronde.
Pourtant c'est dans cet endroit paradisiaque qu'on a eu mission de s'enterrer et de tenir. On se demande pourquoi. Chacun s'est creusé un trou individuel. Les mitrailleuses sont en position, pointées sur ce qui semble matérialiser les confins du néant. Mais de la position "élevée" qu'on occupe, on peut distinguer ce qui se passerait, s'il se passait quelque chose. Les jumelles, car Yasreg en a puisqu'il est observateur pour le capitaine, confirmait la désolation du lieu.
On n'a ni radio, ni moyen de communication directe avec l'échelon supérieur de commandement. Il faut envoyer des estafettes. Autre problème : on doit se taper au moins cinq kilomètres à pied pour aller chercher le ravitaillement de la journée. C'est indispensable car l'eau des oueds, assez abondante en cette saison, est boueuse et imbuvable. Elle n'est même pas utilisable pour se laver : il paraît qu'elle donne des maladies de la peau. Et l'eau potable est trop précieuse pour qu'on en use pour les soins corporels.
Les hommes du peloton suintent donc, puent et suent dans leurs poux. On a oublié l'odeur du savon et la présence physique des autres devient de moins en moins supportable. Mais on s'habitue à tout ... On est logés à la même enseigne, mais quelle enseigne.
Ce jour-là, la corvée bouteillons a quitté les lieux à l'heure habituelle, suivant un itinéraire prédéterminé à travers les oueds boueux et tous les accidents de terrain praticables. C'est une randonnée fastidieuse, mais qui, pendant quelques jours, ne paraissait pas dangereuse. Aucune réaction ennemie n'avait été constatée au cours de ce déplacement, alors qu'il semblait évident que des observateurs italiens ou allemands l'avaient vu.
Mais c'était trop beau pour durer. Tout se passa bien au voyage aller, mais au retour, l'artillerie italienne entra en action contre les malheureux corvéables. Il n'est pas nécessaire de faire un petit dessin pour comprendre ce qui se passa. La soupe et tout ce qui était liquide se retrouva par terre, et seules quelques boules de pain échappèrent au désastre.
Instruits par cette expérience, on continua les pérégrinations alimentaires de nuit. Heureusement, les artilleurs italiens abusaient du chianti ou tiraient pour tirer car, à partir de ce jour, les hommes ne devaient plus consulter leur montre quand le moment approchait : les Italiens arrosaient ponctuellement les crêtes qui cernaient les positions, mais, à part le réveil prématuré des membres du peloton, ils ne faisaient de mal à personne.
LA GARDE DE NUIT ET LA MONTRE
Il y a neuf hommes disponibles pour tenir la garde aux trois positions à surveiller pour assurer la sécurité de nuit. Chaque homme de garde doit tenir environ quatre heures et se faire relayer par un successeur. Il n'y a qu'une montre qui appartient au maréchal des logis S..., chef de peloton. Cet instrument se passe de la main à la main à chaque changement de garde. Comme il y a trois hommes par poste, le premier tient la garde quatre heures, le deuxième aussi et le troisième, le reste, c'est-à-dire jusqu'au lever du jour et le réveil "bruyant à coups de canon.
Au cours de la nuit, Yasreg est réveillé par P..., un Espagnol d'âge mûr, dont les fonctions dans la confrérie sont difficilement discernables. L'homme ne parle presque pas français et ne sait ni lire, ni écrire. Yasreg consulte la montre et s'installe. Il pleut et il faut protéger le couloir d'alimentation de la mitrailleuse avec sa poitrine. On n'a pas de toiles de tente, sauf celles qu'on a piquées aux Italiens. Comme elles sont bleues, elles risquent, de jour, de provoquer des confusions regrettables. Ceux qui en ont les utilisent la nuit.
La pluie est fine, glaciale et pénétrante. On a les genoux dans une mare qui s'élargit; trempé jusqu'aux os, on espère noyer sa vermine. Le vent souffle et anime les buissons fantomatiques qui limitent l'horizon visible. Tous les bruits éventuels seraient couverts ses hululements. Pas question de dormir ! De plus, on a été charitablement avertis par P..., brigadier échappé de Guernica : "Celui qu'on découvre endormi à son poste, on ne le réveille pas ... on lui brûle la cervelle". Ces fortes paroles de la part de celui qui voulait venger Trofimoff ne sont sans doute pas des paroles en l'air, il en est capable, mais encore faut-il qu'il en aie l'occasion et à faire à une mauviette.
Yasreg accomplit ses quatre heures de garde, réveille celui qui doit le remplacer et regagne l'abri relatif qui lui permettra de "dormir". Le jour pointe enfin, la canonnade se déchaîne, puis tout se calme et on se prépare à passer la journée dans l'abrutissement habituel.
Mais celui qui a suivi Yasreg dans la garde de nuit n'est pas content ... mais alors, là ... pas content du tout. Il s'abouche avec le brigadier P... qui reproche à Yasreg d'avoir avancé l'heure sur la montre de garde, avec le résultat que le suivant a dû se taper deux heures de plus. On vérifie l'heure et on constate qu'en effet la montre a été manipulée. Il y a trois possibilités logiques puisqu'il y a trois hommes. Le troisième qui dit s'être tapé deux heures de trop, sauf mensonge gratuit, n'a vraisemblablement pas modifié l'heure. Yasreg se sait innocent, bien qu'il n'ait rien remarqué. C'est donc le premier qui a pris la garde, le vieil Espagnol illettré, qui a avancé l'heure.
Mais comme il est précisément espagnol, pour le brigadier P..., il n'est pas question de le mettre en cause et Yasreg devra porter le chapeau. Voilà donc notre homme accusé mensongèrement d'une vilenie. Que faire ? Sinon accepter l'insulte, une de plus,et répondre par le mépris. Il convient aussi d'ouvrir l'oeil et de garder en permanence une balle dans le canon du mousqueton car le couteau à cran d'arrêt est une spécialité chez certains Ibériques.
UNE BAVURE
Il pleut toujours. Tout le monde endure cette malédiction mais les moyens manquent. La garde doit être assurée de toutes façons. La seule chance de sortir d'une attaque éventuelle est que les armes automatiques fonctionnent. On les protège comme on peut.
De garde ou pas, on passe la nuit dans un trou, où l'eau a eu tout le temps de s'accumuler. Avec une "boîte de singe vide, on écope et on rejette par-dessus bord le surplus liquide. On est crottés de boue et bourrés de poux. Les mois ont passé, permettant à chacun la croissance incontrôlée d'une barbe hirsute.
On ne distingue plus la couleur de l'uniforme. Les insignes ont disparu. La pluie ajoute à l'odeur générale du pipi, un fumet rance de chien négligé. Bref, c'est la fête au 1er escadron du G.A. du 1er R.E.C. (Groupe Autonome du 1er Régiment Etranger de Cavalerie).
Même les Italiens, dégoûtés par le temps, ne prennent plus la peine de nous envoyer la dégelée quotidienne. On y était tellement habitués que cela manque, pour ainsi dire. On a l'impression que quelque chose mijote dans la marmite du destin et que le ou les metteurs en scène vont bientôt rappeler tout le monde au sens des réalités. En attendant, on ne compte plus les jours. On vit un cauchemar calme.
Mais l'énervement gagne chez des gens désoeuvrés qui ont l'impression d'être totalement oubliés dans la nature. Les engueulades et les horions commencent à pleuvoir. Il faudrait une diversion, que quelque chose se passe, qu'on sache au moins si on existe toujours, si l'état-major se souvient de nous ...
Cette nuit-là, Yasreg fait sa part de garde, la dernière, pour qu'il n'aie pas la tentation de manipuler l'horloge. Le brigadier P... surveille Yasreg, autant que ce dernier le surveille. Mélangées au vent fantasque et hurleur, les rafales de pluie s'égaillent dans une nature impassible et sinistre. La visibilité ne dépasse guère le décamètre. Notre homme a déposé deux grenades sur le petit parapet qui entoure l'arme automatique. Il écoute, scrute la nuit d'où, à n'importe quel moment, peut surgir n'importe quoi. Il cherche à distinguer dans l'environnement menaçant, quelque chose d'anormal. Il suppose que, dans les deux autres postes de garde, les guetteurs font de même. Il cherche aussi à éviter l'idée fixe, incontrôlée, qui fait prendre soudainement une impression pour une réalité.
Soudain une détonation fait sursauter tout le monde. En quelques secondes, tous les cancrelats crasseux à figures de héros qui villégiaturent en ces lieux édéniques sont debout et changent de baignoires pour occuper les positions qui leur sont réservées.
Que se passe-t-il ? Des ordres circulent dans le noir : "Ne pas tirer !" Bien sûr, chacun est prêt à dégoupiller et à lancer sa grenade, car, incontestablement, on a entendu un coup de feu ... Il doit y avoir un motif !
Finalement, avec le petit jour, on découvre la raison de cette détonation : une sentinelle a vu une ombre se dresser devant elle et a tiré. Ce faisant, un légionnaire a été descendu. Il avait eu le tort, impardonnable, de quitter son trou individuel sans prévenir quiconque, pour s'isoler quelques instants. Il devait payer cette funeste erreur de sa vie. Le pauvre type qui surveillait le secteur sud ne pouvait pas se permettre de ne pas tirer car il était précisément là pour cela.
Le registre administratif compta donc un légionnaire de moins, mort en service commandé. L'oraison funèbre sera courte, voire inexistante. On n'est pas au cinéma, on ne larmoiera pas et on ne gaspillera pas de munitions pour un feu de salve. Après tout, on n'en n'est plus à une peau près. Le problème sera de trouver un trou définitif, plein d'eau ou non, où on se débarrassera, le plus rapidement possible de ce malheureux. Quelle destinée ... venir crever ici, a-t-on idée !
LE 20 JANVIER 1943
Un vent frais et libérateur élimine du ciel les nuages bas qui l'encombrent. Cette lessive céleste bienvenue fait cesser la pluie qui s'éternisait. De larges trouées laissent apparaître un bleu prometteur. Les optimistes s'efforcent de sécher ce qu'ils peuvent de leurs possessions. La visibilité est superbe, le décor a reculé dans des lointains discernables.
Tout au fond, une chaîne de montagnes érodées bouche l'horizon. Par-ci par-là on y distingue les passages obligés qui constituent autant de points stratégiques dont l'importance varie au prorata des circonstances et du moment. En particulier, l'échancrure de la piste de Siliana s'y dessine. Ce point sera mieux localisé plus tard dans des circonstances dramatiques.
En attendant, juché sur son perchoir, muni d'une paire de jumelles, Yasreg remplit son rôle d'observateur. Il s'agit de renseigner le capitaine sur tout ce qu'il pourrait observer d'anormal. De cette position "élevée", c'est étonnant tout ce qu'on peut voir, quand la visibilité s'y prête, et qu'on dispose d'une aide optique.
Les douars indigènes sortent de leur torpeur nocturne pour entamer une nouvelle journée semblable à celle d'hier. "Mektoub Inch Allah", les occupations routinières ancestrales se perpétuent. Les bourricots avec leurs énormes charges s'agglomèrent d'abord, pour se faufiler ensuite, en file indienne, entre les boqueteaux de figuiers de barbarie. Comme tous les jours, ils vont parcourir de longues distances pour écouler, au marché de Siliana, les produits du terroir. Tout cela grouille, gesticule, déborde la piste par ci, recoupe par là, avec force raclées sur l'échine des petits ânes martyrs.
La lumière solaire a effacé, du côté est, les reflets rougeâtres signalés de nuit par les guetteurs. En écoutant bien, entre deux raies de vent, on entend dans le lointain le grondement sourd, ponctué de reprises, du travail de l'artillerie.
Les combats se rapprochent ... quelque chose se passe. Mais quoi ? Certainement rien d'hilarant, en tout cas.
Est-ce l'effet des pluies périmées, on dirait que tout revêt soudain des couleurs plus vives. Le décor se couvre d'une sauvage grandeur. C'est beau, cette débauche subite, si rare en cette saison, de lumière sur ce qui ne semblait être jusque là que grisaille, rocaille stérile, interdiction déprimante. Sur ce renouveau fugitif, plane un silence biblique.
Soudain, toute cette quiétude trompeuse se trouble. Les troupeaux de moutons refluent, au milieu des embouteillages de bourriques. On se hèle et on gesticule frénétiquement. On semble invoquer Allah. Des âniers se tapent distinctement sur la figure à coups de triques. Par le Prophète, que se passe-t-il ?
C'est simple, il y a du nouveau : des colonnes de camions chargés de troupes, venant de l'ouest, occupent la partie est de la plaine. Les hommes descendent, s'installent dans les accidents de terrain, les échancrures rocheuses, les oueds. On creuse hâtivement des trous de protection pour les armes automatiques et les canons anti-chars. Tout ce qui encombre la piste est dégagé de gré ou de force. A grands coups de pompes, chleuhs, bourriques, fatmas, moutchous et même, par-ci par-là, un chameau, vident les lieux avec une vélocité peu habituelle.
De toute évidence, les natifs de l'endroit sont en passe d'assister pendant la journée, à de quoi agrémenter les conversations au cours des veillées aux douars. De loin, tout cela donne l'impression d'une fourmilière perturbée par un coup de bêche. Toute cette cohue quitte les hameaux et les gourbis, pour gagner des positions moins exposées à la méchanceté humaine. Mais il y aura des compensations plus tard car, après la bagarre, il y a toujours des macchabées à détrousser, de l'armement à camoufler et du butin de toute sorte à récupérer.
Yasreg renseigne le capitaine sur ce qui se passe.
Les heures défilent. Une sorte de calme, relatif, s'est installé dans la plaine. Les camions ont disparu. On ne distingue plus rien qui bouge, on attend. Tout le monde au 1er Esc. est dans l'expectative, mais personne ne s'attend à devoir participer à une action, du moins dans l'immédiat.
Soudain les événements se précipitent : des chars allemands, nettement visibles pénètrent par le côté est dans la plaine et, débordant la piste centrale, irradient de chaque côté de celle-ci, juste assez pour constituer une sorte de flanc-garde. La vision est impressionnante. Lentement et lourdement, telles des bêtes apocalyptiques puissantes et implacables, ils avancent vers Tébessa. Rien n'arrête ces mastodontes dont le canon élimine toute opposition. Les faibles moyens qui tentent d'entraver leur progression sont tout simplement balayés les uns après les autres, brisés comme des fétus de paille. Le courage de ces pauvres types est extraordinaire, mais totalement inefficace dans sa faiblesse.
Derrière la vague des chars, d'autres types de véhicules blindés chenilles suivent, amenant l'infanterie et ses corollaires.
Le spectacle fascine, mais on est submergé de tristesse, par un sentiment d'inutilité, par "l'a quoi bon ? ".
Les opposants se replient, certains ne s'opposeront jamais plus à quoi que ce soit. Les "Tigres" passent quand même et on voit les ambulanciers allemands véhiculer vers l'arrière les victimes des deux camps.
Des ordres impératifs ont atteint les pelotons dispersés dans la nature. Les positions sont abandonnées en pleine nuit. Il faut décrocher tout de suite pour éviter, on peut le supposer, l'encerclement. Le ciel est clair et clouté d'étoiles. Bientôt un clair de lune sinistre ajoutera son ombrage sinistre à l'ambiance.
Il n'empêche qu'on soit heureux que quelque chose se passe enfin. Le regroupement des unités laisse apparaître la présence d'inconnus. Ce sont des gens égarés au cours d'échauffourées et qui ont pris refuge à la Légion. Quelques chasseurs d'Afrique voisinent avec des goumiers algériens ou marocains. Cette police du désert se remarque : revêtus de leurs burnous beiges striés de brun, leur mimétisme avec le terrain est remarquable. On a aussi récupéré, on ne sait d'où, plusieurs mulets ... une bénédiction.
Le ravitaillement n'existant plus que pour mémoire, on n'a, naturellement, rien dans le ventre. Plusieurs files indiennes convergent finalement vers le même point. Elles s'étirent péniblement dans les sentiers, les escarpements et la rocaille. Des Italiens ont bivouaqué ici : ils ont laissé des traces de leur opulence, hélas, inutilisables, des boîtes de conserves répandues par terre et une grosse motocyclette à caisson arrière fixe dont ils ont bourré le réservoir de sable. Ils étaient étonnamment proches des positions tout juste quittées.
Silencieusement, la procession s'efforce de rester groupée. Ce n'est pas une sinécure. C'est dans des circonstances semblables qu'on apprécie à sa juste valeur le minable équipement dont on est doté : les musettes de toile bourrées de munitions coupent la respiration de celui qui les porte. La marche est oppressante et pénible. Bien sûr, on s'est débarrassé de tous les luxueux impedimenta, couvertures, toiles de tente, etc. pour se borner à transporter des munitions. Yasreg, pour sa modeste part, trimbale ses 6 grenades, ses 90 cartouches de mousqueton et deux musettes d'obus de 81 qui se croisent sur sa poitrine.
Tout le monde est logé à la même enseigne. En plus, ceux qui font partie d'une équipe de mortier transportent dans des boîtes en carton et à la main, non pas comme des valises, ce serait trop simple, mais sous forme de boîtes à souliers, les fusées destinées à régler la portée des obus. Ces dangereux éléments, indispensables pour tirer, menacent, en permanence, de transformer leurs porteurs en lumière et chaleur. Cette sublimation n'est évitée à plusieurs reprises que de justesse.
Mais il y a heureusement les mulets, don d'Allah, qui transportent sans problème, les plaques de base et les tubes ... et les mitrailleuses aussi ... ouf : pour le reste, il faut tout coltiner, pédibus ... Chacun se demande qui sont finalement les mulets.
RAVITAILLEMENT
Une cahute arabe est perchée dans la nature et entourée de quelques figuiers de Barbarie. Un berger chleuh invoque Allah de toute sa puissance vocale. On conviendra qu'il y a de quoi : le pauvre diable est sommé de vendre une de ses chèvres. Ses protestations et lamentations sont secondaires. Il faut trouver de quoi subsister, c'est-à-dire quelque chose à becqueter.
L'arabe n'a que faire de la monnaie de singe qu'on lui offre; sa chèvre n'est pas à vendre. Elle n'a pas de prix pour lui. Il en a d'autres, sans doute, mais il supplie dans son jargon qu'on épargne l'animal, qu'on le lui laisse. Il offre même ce qu'il a de mieux dans son gourbi : quelques oeufs. Ils sont les bienvenus, mais ne suffisent pas. On essaie de le raisonner : peine perdue. Il offre de l'eau salpêtrée à souhait mais potable, qu'on accepte.
Mais on n'a pas le choix, on ne peut s'apitoyer. Après tout ce qu'on a vu et supporté, il n'y a plus de place pour la larme à l'oeil. N'empêche que l'on se sent honteux de spolier ce pauvre homme. On se sent gêné aux entournures, si l'on peut dire, compte tenu des circonstances. Nécessité fait loi. On est crevés, affamés, assoiffés ...
C'est alors que S ..., sous-officier énergique, dépose une liasse de billets de banque par terre et place un caillou dessus. Il empoigne la chèvre par les pattes et d'un coup de reins digne de respect, la hisse à califourchon sur ses épaules.
La scène est pénible. Le malheureux berger, confronté à cette faune, a l'impression de se trouver face à un ramassis de forbans, de salopards prêts à tout. Il a bonne mine, en effet, le 1er Escadron du G.A. de Cavalerie. Tous ses valeureux guerriers sont en loques. Depuis longtemps, on roule sur jantes. Les semelles des godasses, ou plutôt les fragments qui en restent, se maintiennent en place à grand renfort d'ingénieux assemblages où interviennent, à côté du fil électrique, les ficelages laborieux de débris textiles indéfinissables. Les bandes molletières ne sont plus, depuis longtemps, que des pépinières à parasites. Les poux, rarement perturbés dans leur copulation, se sont fermement emparés de tous les points chauds de l'anatomie du corvéable et s'y sont solidement retranchés. La crasse épaisse et protectrice s'incruste dans les barbes. On pue, littéralement, comme des porcs. Depuis longtemps, on a perdu tout sens de ce qui relève de ce qu'on appelle conventionnellement "la civilisation".
S… essaye tout un temps de contrôler la "récalcitrance" de l'animal qu'il porte. La situation se corse et passe sans transition du tragique au grotesque. En effet, la chèvre affolée rue dans tous les sens et, soudain, lui décharge tout son plein sur les épaules, tous azimuts. Cela dégouline le long de son anatomie, l'imprégnant d'un parfum supplémentaire dont il se serait bien passé.
Alors, parmi les spectateurs de la scène, un éclat de rire, inextinguible, malsonnant, irrésistible, déferle sur toutes ces gueules de cauchemar. Pendant plusieurs minutes, les cloches du 1er R.E.C., pliées en deux, rient aux larmes.
Mais le malheureux S... n'est pas content. Sa façon de s'exprimer, en l'occurrence, reflète son indignation justifiée : "N... de D..., tas de salauds, quand je pense que c'est avec mon pognon que vous allez vous régaler tout à l'heure ! Bande d'abrutis ! Et bien, vous allez la transporter, cette carne, car moi, j'en ai marre !"
Sur ces paroles musclées, cet homme malodorant dépose la chèvre sur ses quatre pattes et d'un geste large lui fait sauter la cervelle d'un coup de revolver.
Face à cette situation dramatique, plus personne ne rie. En effet, la consigne est stricte : personne ne doit utiliser une arme à feu pour éviter le repérage. Le groupe empoigne la chèvre morte, un homme à chaque patte et on "fout le camp", comme des chiens rossés, la queue entre les jambes, pas fiers du tout, mais avec la vision d'un repas futur.
Heureusement, la détonation n'a amené aucune réaction. Les Italo fridolins qui l'auraient entendue l'ont confondue, sans doute, avec un borborygme de char en mal de carburant. C'est malgré tout une expérience à ne pas renouveler.
Plus tard, et plus loin, voici venu le moment de découper la bête, objet de toute cette pagaille. On est perplexe. Personne dans l'entourage ne s'y connaissant en anatomie vétérinaire, on se trouve à quia pour enlever la peau. Cette dernière ne paie pas de mine. Plutôt galeuse sur les bords, mais, par endroits, poilue à souhait, elle se hérisse par-ci par-là de taches suspectes. Ces dernières, provoquées vraisemblablement par une dégelée de coups de trique, sont imputables à l'ancien propriétaire. Quelqu'un affirme, la main sur le coeur et la fringale aidant, qu'il ne s'agit pas là des stigmates d'une maladie. Affirmation péremptoire mais peu convaincante, compte tenu de l'incompétence notoire de l'émetteur.
Un autre intéressé, plus logique, coupe court à toute cette discussion byzantine quant à la valeur comestible de la carcasse. Il fait remarquer qu'au point où on en est, on ne peut se permettre de faire la mijaurée : on doit, dans les délais les plus brefs, ingurgiter la barbaque. Cette réflexion, étançonnée d'un solide bon sens, rencontre finalement l'adhésion générale. Des raisons solides militent en faveur de cette hâte : la principale, c'est qu'on crève de faim, une secondaire, c'est que, à n'importe quel moment, quelque chose peut survenir. Une autre raison encore, c'est que la viande va puer ; à la limite, elle se révélera inabsorbable, même par des estomacs en béton armé.
Toutes ces savantes considérations n'ont pas fait avancer le problème du dépeçage d'un pouce. C'est alors que A..., échappé comme tant d'autres de ses Asturies natales, et qui a, selon ses dires laborieusement exprimés, connu à Santander des situations pires que celle-ci, dénoue le noeud gordien : il sort de la gaine ad hoc la hachette qu'il porte partout avec lui et se met carrément à découper l'animal.
Yasreg laissera à l'imagination de chacun le soin de se représenter la scène. Invité à tendre la main, il reçoit sa part. Le voilà gratifié d'un lambeau de chair sanguinolent où adhère encore une partie du système pileux de l'animal, le tout agglutiné de sang.
D'autres débrouillards se sont procuré des couscous crus et de l'eau salpêtrée. Un échange à l'amiable, croisé de comptes d'apothicaires, permettra d'agrémenter, de corser, le menu de ce 21 janvier 1943. Chacun reçoit une demi poignée de couscous en supplément, de quoi crier "hourrah" !
Ce qui va suivre ne sera pas "avalé" par tout le monde. Yasreg ne se fait pas d'illusions à ce sujet. Il passera pour un bavard ou un charlatan. Et pourtant, témoin impartial et participant, il dit la stricte vérité.
Faire du feu pour cuire les ingrédients d'un repas, c'est, de toute évidence, produire de la fumée. Cela équivaut, dans les circonstances présentes, à faire signe aux macaronis postés dans la nature avec leurs canons qu'on est là, tout disposés à recevoir une décoction.
Pourtant des optimistes, confrontés avec la perspective de devoir avaler telle quelle cette barbaque atroce et les couscous indigestes, font un rêve. Ces petits gourmets indécrottables trouvent malgré tout le moyen de faire du feu sans fumée : un tout petit feu personnel. Contrairement à ce qu'on pourrait croire, ce n'est pas un tour de force. Les brindilles sèches ne manquent pas : les petits délicats les ramassent, les empilent en petit tas. Il s'agit de ne pas exagérer et d'éviter de mettre le feu aux buissons. Un briquet à amadou finit par mener à bien l'opération allumage. Pleins d'espoir, on pense à dénicher un récipient quelconque pour y vider l'eau d'abord, les couscous ensuite. Finalement, on constate que le casque idoine pour ce genre d'opération est celui de Yasreg. Il est le seul à user comme couvre-chef d'un casque sans visière, utilisé par les conducteurs de blindés. Cette protection métallique n'est, en effet, pas percée dans le fond, comme l'est le casque ordinaire.
On enlève la coiffe, jugée trop peu comestible, et on verse dans cette marmite odorante les divers ingrédients du futur gueuleton. On projette aussi ses espoirs sur la bidoche, mais là, on est moins optimiste. Il faudra que chacun y aille de son petit feu personnel, de quelques brindilles, pour tenter de rôtir le plat de résistance. On embroche la chose sur la baïonnette et chacun tente de mener à bien son barbecue.
Hélas, trois fois hélas ! Les éléments du fricot chauffent, misérablement, mais rien ne cuit. Avec des N... de D... de désespoir, les cuistots improvisés doivent se rendre à l'évidence. Ils mettent fin à cette alchimie culinaire en appelant les convives à déguster tout crus les produits de leur tentative. Aussi incroyable que cela puisse paraître, chacun avala sans sourciller cette affreuse pitance que les flammes chétives n'avaient fait que noircir.
Avec la tombée du jour, la progression reprend mais les forces humaines sont dépassées et le détachement n'est plus composé que de "zombies". Avec les dernières lueurs du jour, on voit encore devant soi, vers l'ouest, la suite de mamelons décroissants qui convergent vers la piste de Tébessa qu'on devine vaguement. Puis, la nuit tombée, on aménage les positions. On a atteint l'extrême droite du dispositif de retraite.
C'est ici qu'il faudra stopper les fantassins allemands pour permettre au gros des troupes en repli de rejoindre et traverser les lignes américano-britanniques, pour se reformer ensuite.
(à suivre)
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