Sommaire
Le courrier des lecteurs
Réponses aux questions
Tout d'abord, nous attendons encore une réponse sérieuse à la "super-question" : pourquoi, dans un canon, les rayures sont-elles droitières ?
En effet, la réponse publiée n'était qu'une plaisanterie et des lecteurs nous l'ont démontré... L'expression "l'obus se visse sur sa trajectoire" est une image employée pour faire comprendre aux jeunes artilleurs le pourquoi des tubes rayés (par rayures droitières ou gauchères, peu importe). Et puis, n'y a-t-il pas des vis à pas gauche ?
Nous reposons la question plus correctement : pourquoi, dans un canon, les rayures sont-elles le plus souvent droitières, et nous espérons d'un de nos lecteurs ou collaborateurs une réponse plus scientifique.
Qui était le comte de La Tour ? (Joseph-Clément Sailler de la Tour)
Monsieur W. Fréson, à peine la question posée, nous remettait des photocopies de plusieurs documents d'où nous extrayons les éléments suivants :
Du catalogue "Fastes militaires au Pays de Liège", N° 278, page 165.
"Le marquis de Sainte-Croix, résident de France à Liège, proposa au Prince-Evêque de Hoensbroeck de lever un régiment liégeois à la solde du Roi de France, dont il aurait la propriété personnelle. Le Prince fut séduit par le projet qui permettrait de fournir à la noblesse liégeoise charges et honneurs, qui drainerait les éléments les plus turbulents du peuple et, en outre "caserait" le comte Joseph-Clément Saillier de la Tour qui avait épousé la veuve du frère de Hoensbroeck, dont il se proclamait le "beau-frère". Il avait également espéré faire payer par ses sujets l'entretien du régiment mais il dut assumer lui-même les frais de levée, l'équipement et l'armement ne furent pas commandés à Liège et La Tour n'obtint que le grade de mestre de camp propriétaire du régiment, sans appointements. Il fallut près de deux ans pour mettre le régiment sur pied. Péniblement constitué, le corps ne comporta qu'une majorité relative de Liégeois".
"Il tint garnison dans le nord de la France (Cambrai, Givet, etc.) puis fut envoyé occuper Avesnes. Le 7 mars 1790, pour un prétexte futile, 400 hommes désertèrent en masse, conséquence de la propagande faite dans les casernes par les agitateurs jacobins. Transféré en avril à Sarrelouis, le reste du Royal-Liégeois y fit montre de discipline puis fut déplacé à Wic".
"Le 9 août 1790, le Royal-Liégeois se distingua à Nancy en contribuant à mater la rébellion de la garnison et de deux régiments y envoyés, puis fut expédié à Belfort".
Affiche de recrutement du Royal-Liégeois, 1788
"II y fut très mal reçu par les éléments avancés de la population qui lui reprochaient d'avoir participé à la répression de Nancy. Les vexations des jacobins exaspérèrent les officiers du régiment. Le 21 octobre 1790, à l'issue d'un banquet, ils sortirent du local au cri de "Vive le Roi, Vivent les aristocrates" et se répandirent en ville en criant "M... pour la Nation !" bientôt suivis de leurs hommes".
"A la suite de ces incidents, le comte de la Tour, colonel, et le major Grunsteins durent s'enfuir pour échapper à un ordre d'arrestation lancé par l'Assemblée Nationale".
"Par un décret du 1er janvier 1791, le régiment perdit son caractère étranger et il devint le 101ème de "Ligne".
"Le comte de La Tour forma à l'Armée de Condé une Compagnie de la Marine et Royal-Liégeois dans laquelle servirent une douzaine d'officiers liégeois de son ancien régiment".
"Retiré en Hollande en 1794, le comte de La Tour, rassembla plusieurs de ses anciens officiers et entreprit de lever un régiment d'infanterie émigrée au service de la Grande-Bretagne, qui porta les noms de Légion de La Tour, Royal-Foreigners et même Royal-Liégeois. La troupe est pourtant allemande et hollandaise dans sa majorité".
"Deux anciens officiers liégeois y servirent. Fort de 1.200 hommes, le corps fut envoyé aux Antilles, où il souffrit beaucoup de la fièvre jaune. Il fut licencié en 1797 et ses restes furent versés au 60th Foot".
Concernant Maximilien de Baillet de Latour dont il était question dans le bulletin précédent (voir "la Bataille de Sprimont" par M. Viatour), voici encore quelques explications, toujours de W. Fréson.
En 1790, le comte de Baillet de Latour était nommé Feldmarschal-Leutnant et Colonel-Propriétaire du Régiment des Dragons Wallons de Latour.
Son fils Théodore fut assassiné à Vienne pendant les troubles de 1848, alors qu'il était Ministre de la Guerre. La Bundesheer autrichienne dépose encore, chaque année, à la Toussaint, une couronne de fleurs sur les tombes du père et du fils, au Zentralfriedhof (cimetière central) de Vienne.
On demande...
- Monsieur Rahir Didier demande de la documentation sur les bunkers de la ligne Siegfried et sur ceux du mur de l'Atlantique, sous forme de livres, photos, plans, élévations, coupes... tout ce qui touche à la construction, à l'architecture.
Un livre "L'archéologie du Bunker", de P. Virilio (Edition inconnue, vers 1970) l'intéresse plus spécialement.
Qestion de Monsieur Deuse (Amis du Fort de Lantin) :
Quelqu'un est-il en possession des plans détaillés du canon 5,7 sur affût ?
Quelles sont les dimensions (longueur) des obus de 120, 150 et 210 mm ?
Je voudrais un maximum de renseignements sur l'équipement des forts 14-18 NON destiné au combat : matériel d'éclairage, de ventilation, de boulangerie, de buanderie, etc...
Question de Monsieur Dequenne François :
L'étage intermédiaire de la coupole de 105 mm était doté sur sa circonférence, d'une bande métallique graduée en millièmes radians (rd), dans le sens des aiguilles d'une montre, ainsi que d'un index, permettant ainsi de mettre la coupole en direction de tir.
- Est-ce la bande métallique graduée, ou bien l'index, qui était mobile (tournant avec la coupole) ?
- De combien de millièmes était graduée cette bande métallique (circonférence) ?
Monsieur Dequenne nous dit également ceci, en rapport avec les "rayures droitières" :
- Les rayures droitières auraient été adoptées pour une simple question d'usinage et d'outillage, sans plus.
- Dès lors, il est permis de se demander si toutes les armes de tous les pays sont conçues de la même façon, ou bien y a-t-il une certaine standardisation recherchée ?
C'est là l'objet d'une autre question et celle-ci est posée en tête de la rubrique, sous une autre forme.
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Editorial - Une année "Brialmont" en 1988
Il n'est pas trop tôt pour parler de la commémoration, en 1988, du 100e anniversaire du début de la construction des Forts de Meuse.
C'est en effet le 28 juillet 1888 que furent adjugés à l'entreprise Hallier, Letellier et Baratoux les travaux relatifs à la construction des 21 forts des positions fortifiées de Liège et Namur.
Ce fut là une entreprise gigantesque, autant par le volume des matériaux à mettre en oeuvre (1.200.000 mètres cubes de béton) que par la répartition géographique des différents sites. Pensons en effet à l'énorme problème posé par l'apport des divers matériaux constitutifs du béton dont c'était là le premier emploi militaire en BELGIQUE. Pensons aussi aux courts délais impartis (trente mois), au problème de la main d'oeuvre, à la surveillance par l'administration militaire...
Impossible donc de ne pas rappeler cet anniversaire au public belge.
A partir de cette résolution, tout reste évidemment à faire. Le programme des mois à venir comportera certainement la mise en place d'une structure organisationnelle reposant sur un comité organisateur, sur les trois associations d'histoire et d'archéologie militaire intéressées (C.L.H.A.M., Simon Stevinsting/Anvers, C.A.C./Namur) et sur le Musée Royal de l'Armée.
Il faudra aussi penser expositions, publications, informations...
Nous reviendrons bien sûr sur cette importante question, mais d'ores et déjà, toutes les suggestions ou propositions d'aide sont les bienvenues.
Lieutenant Colonel Ir A. GANY
Dans ce fascicule, vous trouverez le légionnaire Yasreg se réveillant au son de la trompette à l'aube du 8 novembre 1942, jour du débarquement anglo-américain en Afrique du Nord.
N'est-il pas intéressant de lire comment le général Eisenhower s'adressait ce jour-là aux Forces Françaises en Afrique du Nord ?
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La tour d'air du Fort de Boncelles. M. Viatour
La tour d'air du Fort de Boncelles se trouve au milieu des champs entre le fossé latéral droit et le Bois de la Marchandise, à 200 mètres du fort.
Rappelons que le rôle principal de cet ouvrage était de capter l'air frais destiné à l'aération de l'ensemble des locaux du fort.
A l'intérieur de celui-ci, l'air était distribué au moyen de canalisations aboutissant dans chacun des locaux et était soufflé par un ventilateur installé dans le massif central.
Cette installation, que l'on retrouve dans plusieurs anciens forts de 1914 réarmés en 1928/40, était destinée à pallier une des principales causes de la chute de ces forts en août 1914 : la faiblesse du système de ventilation rendait impossible l'évacuation des fumées dégagées par les tirs et provoquait de graves indispositions parmi les hommes (Flémalle, Lantin, Boncelles, Fléron, Embourg,... comme en témoigne le rapport du Général LEMAN publié par le commandant G. HAUTECLER en 1966).
La surpression créée à l'intérieur des bâtiments par la puissance du ventilateur permettait, en théorie, l'évacuation des gaz de combustion dus aux différents tirs et empêchait l'entrée dans l'ouvrage d'éventuels gaz de combat.
Cependant, dans certains locaux éloignés (par exemple au corps de garde de guerre) l'aération restait insuffisante et quelques cas d'asphyxie ont été signalés.
Nous nous attacherons, à partir d'ici, à décrire la tour dans son aspect actuel; elle est construite sur une casemate ou fortin rectangulaire (environ 7,20 x 10 mètres) faisant face au Bois de la Marchandise.
L'accès à l'intérieur de la casemate est relativement aisé grâce à l'ouverture pratiquée (et rebouchée à de nombreuses reprises depuis la fin de la guerre par le fermier exploitant les prairies) à la place de la porte d'entrée blindée aujourd'hui disparue.
Ce trou donne accès à un premier sas dont la seconde porte blindée existe encore et est bloquée, par la rouille, en position de demi-ouverture.
Après avoir enjambé la partie fixe de cette porte, on entre dans un second sus, couloir long de 3,70 mètres et large d'un mètre. Au fond de ce couloir, à droite, une porte métallique non blindée laisse un passage étroit.
Face à cette porte on découvre l'intérieur circulaire de la tour, du rez-de-chaussée, deux perspectives se présentent, l'une vers le bas et l'autre vers le haut. A gauche on accède à une salle de repos et à doite à deux coffres pour FM également équipés de trous lance-grenades.
Le puits, du fond duquel part le tunnel qui relie la tour au saillant III du fort, est sous eau. Par temps de fortes pluies prolongées le niveau de l'eau remonte jusqu'à un mètre et demi ou deux du niveau du sol. Les trois ou quatre volées d'escaliers métalliques donnant accès au tunnel ont disparu, rongées par la rouille.
Vers le haut, la première volée d'escaliers est en partie détruite mais est encore suffisamment solide pour pouvoir supporter le poids d'un homme en toute sécurité car la rampe est solidement fixée au mur.
Cet obstacle franchi, on se retrouve sur un petit palier métallique en forme de demi-lune, puis sans plus aucune difficulté, les deux volées suivantes sont escaladées.
Le troisième étage est celui de la porte donnant à l'air libre, à l'extérieur de la tour à quelque 6 mètres de haut. Cette porte est touchée d'impacts de différents diamètres et de différentes formes, c'est également le niveau des premières destructions importantes opérées par l'artillerie allemande sur cet ouvrage.
On notera spécialement un impact d'obus, dont le diamètre est environ 110 mm, dans le chambranle gauche (vu de l'intérieur), celui-ci est percé de part en part à peu près à mi-hauteur. Cet obus, ou un autre, a atteint un des 10 échelons scellés dans le mur et permettant l'accès au niveau supérieur de la tour. La porte est à deux battants et n'est pas blindée, elle est constituée de deux simples tôles de 1 mm d'épaisseur et une de celles-ci est pliée à angle droit vers l'intérieur obligeant le visiteur à enjamber un vide de près de 2 mètres pour rejoindre l'autre côté du palier. Ce palier, en forme de U, permet d'accéder aux échelons, ce dernier obstacle franchi, on débouche, par une trappe rectangulaire (64 X 78 cm) dont la taque a disparu, au niveau supérieur de la tour. C'est un plancher bétonné circulaire dont le centre est occupé par les restes d'un appareillage qui filtrait l'air capté au dessus du sommet du "champignon" au moyen d'un manchon télescopique en cuir souple. (1)
(1) appareil de filtration : c'est une hypothèse basée sur des documents d'origine allemande (Denkschrift-Belgien, voir figure 1) mais il pourrait s'agir plus simplement du socle de la tubulure télescopique et de son mécanisme de montée et de descente.
La captation d'air par ce canal ne devait être utilisée qu'en cas d'attaque par des gaz de combat dont la nappe aurait dépassé le niveau de la porte ménagée à l'étage inférieur. Dans cette éventualité, la porte était fermée hermétiquement (les joints en caoutchouc sont encore visibles). Le manchon et le filtre étaient protégés par un tube en fer reliant la base du filtre à l'ouverture circulaire du sommet, cet ensemble avait un diamètre d'un mètre.
Entre la paroi du "champignon" et l'appareil de filtration il reste la place pour un chemin circulaire, le long de sa circonférence extérieure sont disposés alternativement 6 embrasures pour FM et 6 blocs équipés de trous lance-grenades et d'ouvertures pour un phare.
Cependant ce qui retient directement et spontanément l'attention lorsqu'on se situe à cet étage, c'est l'ampleur des dégâts qui, d'est en ouest soulignent l'acharnement des assaillants mais surtout le courage des défenseurs de la tour. Du 10 au 15 mai 1940, ils étaient huit, commandés par le maréchal des logis Delcommune, à subir les coups des obus de 88 et de 37 mm tirés par les Allemands.
Le premier regard est pour la grande ouverture de 2 x 2 m pratiquée vers le saillant III, barrée par de nombreux ronds à béton mis à nu, puis on remarque le second perçage diamétralement opposé au premier et de dimensions plus modestes, environ 80 x 80 cm.
Ces deux perçages ont dégagé deux plaques blindées d'embrasure et on y observe, sur celle côté fort deux impacts d'une netteté remarquable d'obus de 88 mm, sur l'autre un impact dont le diamètre est 110 mm. Ces deux plaques, épaisses de 40 mm, sont percées et prouvent de manière irréfutable que les Allemands tirèrent avec des pièces d'artillerie de 88 mm (et peut-être aussi de calibre supérieur ?). Cependant on peut penser que les tirs de 88 mm n'ont été effectués qu'après l'évacuation de ce poste car il n'y eut aucun tué ni blessé à déplorer dans l'équipe du MDL Delcommune.
Deux embrasures pour FM et un bloc lance-grenades sont complètement détruites et, au centre, l'appareil de filtration est criblé de trous de projectiles divers, de plus sa partie centrale est déchiquetée, outre cet appareil d'un mètre de haut, il subsiste deux épaisses tôles demi-circulaires qui prolongeaient le filtre. Celles-ci sont également criblées de trous.
Sur le sol on remarque trois volants chassés dans le béton et destinés à manoeuvrer l'ouverture et la fermeture des deux battants de la porte de l'étage du dessous.
De par sa position, la tour avait une fonction de protection du vaste terrain découvert situé entre le fort et le Bois de la Marchandise mais sa seconde mission en importance était de servir de poste d'observation.
Par les six embrasures on découvre un vaste panorama.
Au dessus du Bois de la Marchandise on aperçoit à l'ouest, le sommet du building de 24 étages situé à l'Air Pur, les Biens Communaux de Seraing et le clocher de l'église de la place Merlot (nord-ouest), au delà, la vue s'étend sur les hauteurs de la rive gauche de la Meuse. Au nord, on voit nettement l'autoroute qui relie Seraing à Bierset et les terrils des hauteurs de Jemeppe et Saint Nicolas. A l'extrême gauche on devine les hauteurs de Flémalle et derrière les sommets des arbres de la Chatqueue les bâtiments de Ferblatil.
De l'embrasure suivante, au delà des prairies et de la ferme Lobet (ex ferme Chèvremont) le terril Cockerill masque toute vue vers la vallée de la Meuse à Sclessin qui était visible en 1940.
A la troisième embrasure, les dégâts considérables permettent d'embrasser un large panorama qui s'étend du terril jusqu'à la rue du Tige Blanc et même au delà jusqu'au bois de la Vecquée. On aperçoit successivement d'est au sud la chaufferie de l'Université, le Bois Saint Jean, la tour du Bol d'Air, les glacis et le massif central du fort.
Par les dernières embrasures du sud au nord-ouest, l'observateur découvre l'orée du Bois de la Vecquée et la ligne de la rue Damry, pratiquement jusqu'à la route de Plainevaux à Seraing malgré une avancée, en avant plan, du Bois de la Marchandise.
Aujourd'hui l'observation du terrain est grandement facilitée par le trou béant pratiqué dans le champignon à travers lequel on embrasse une large vue de 180 degrés allant de la Chatqueue à la rue Damry au lieu-dit les Frehisses.
Mais, en 1940, les circonstances étaient différentes, la mission du personnel affecté à ce poste était plus pénible car il devait se contenter des six petites embrasures de 10 x 14 cm au travers desquelles le vent soufflait comme chassé par une tuyère. De plus, le champ de vision était rétréci par le retrait de l'embrasure par rapport au mur et l'emploi de jumelles devait être très malaisé sinon impossible.
Mai 1985
Boncelles
Plan schématique de la tour d'air
La tour d'air
Photo prise par un Allemand (Propaganda Kompagnie) après la prise du fort le 16 mai 1940.
vue prise du dernier étage de la tour à travers les destructions opérées par l'armée allemande.
En arrière-plan, le village de Boncelles et le fossé latéral droit du fort. En avant-plan, deux impacts de 88 mm sont visibles sur la droite de la plaque blindée d'embrasure; celle-ci est en partie dégagée. (Photo de l'auteur, avril 1985)
Restes de l'appareil de filtration
Appareil percé de nombreux impacts de calibres divers. (Photo de l'auteur, avril 1985)
L'appareil de filtration vu du bas.
A droite, les deux derniers échelons qui, par la trappe, donnent accès au niveau supérieur. (Photo de l'auteur, avril 1985)
L'embrasure pour fusil mitrailleur
A gauche, un bloc lance-grenades. (Photo de l'auteur, avril 1985)
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L'artillerie. Adaptation d'une Revue Signal de 1942. Jean Brock
L'histoire des canons est l'histoire de l'homme moderne. De même que pour bien des actions humaines, on est amené à se demander si l'invention de l'artillerie fut l'œuvre de Dieu ou du Diable.
Au début du XIVe siècle, entre 1320 et 1330, une nouvelle étrange et effrayante, venant d'Allemagne, se répandit sur le monde entier. Un moine, un magicien, nommé Berthold, surnommé Schwarz (le noir), parce qu'il avait coutume de manier des ustensiles de couleur sombre, venait de découvrir l'art de faire éclater les corps solides avec un bruit horrible. Son art consistait à mélanger, selon un dosage secret, du soufre, du mercure et du salpêtre pour obtenir en même temps l'éclair et le tonnerre. Berthold aurait été, parait-il, un Franciscain, mais on ne sait rien de précis à son sujet. Vécut-il à Cologne, à Mayence ou à Fribourg ? Cette incertitude n'est, du reste, pas entièrement l'effet du hasard; tous ceux qui,dans la suite, se sont occupés de la poudre à canon, de son emploi, de son perfectionnement et, en général, du secret des matières explosives, sont entourés d'ombre et de mystère. Pour donner un exemple tiré de notre époque, nous citerons l'ingénieur Nobel, inventeur de la dynamite qui, très tourmenté par l'idée qu'il devait sa richesse à l'invention d'un moyen de destruction, se décida à consacrer sa fortune.
Les hommes se servirent immédiatement de l'art du frère Berthold pour détruire, beaucoup furent persuadés que le sombre Franciscain avait agi non pas sur l'ordre de Dieu mais qu'il était l'envoyé du diable. On se référa à la décision du Concile de Latran 1139 qui défendait, sous peine de bannissement, "d'exercer cet art porteur de mort et être lancés ou projetés comme des traits, et, surtout, contre des chrétiens catholiques".
un ancien canon
Une sainte pour les canons
Cette décision ne visait que les machines presque inoffensives avec lesquelles on lançait des pierres ou des flèches. Désormais, il s'agissait d'une chose beaucoup plus dangereuse : les canons faisaient leur apparition. En 1331, des soldats allemands tirèrent le premier coup de canon à la bataille de Cividale en Italie. Le prestige des chevaliers et des châteaux-fort s'effaça sous le grondement. Les fondeurs de canons menaçaient la féodalité. Les barons, inquiets, s'adressèrent à l'Eglise pour la dresser contre les faiseurs de poudre. On devait les excommunier et les brûler comme des fils de Satan.
Mais les canonniers parèrent le coup en se réfugiant dans le sein même de l'Eglise. Ils se trouvèrent une sainte et en firent leur patronne. Ce fut sainte Barbe, jeune fille de Nicodèmie en Asie mineure. Elle avait été décapitée par son père pour s'être faite chrétienne; le père avait été frappé de la foudre. La fête de la jeune martyre tombe le 4 décembre. Les fondeurs de canon n'ont jamais manqué depuis lors, tous les ans, de se présenter à l'église ce jour-là et d'implorer la protection de leur sainte pour leur art et leur corporation. Le souvenir de sainte Barbe, patronne des artilleurs, flotte au-dessus des pièces et dans la fuméee de la poudre.
Que signifie le terme : artillerie ?
On ne sait pas exactement d'où vient ce terme. Les uns prétendent qu'il provient de l'espagnol, du mot artilla, c'est-à-dire "art mineur", d'autres le font dériver du latin arcus (arc) et ibliere (porter); d'autres pensent au latin ars (art) et au français tirer. Jusqu'à la fin du dix-septième siècle, l'artillerie est nommée arkelen, arcolais ou artollerei. Tout ce qui concerne ses origines reste plongé dans l'obscurité et dans l'incertitude, et l'histoire des canons s'accompagne d'autant de malédictions que de bénédiction : Dieu et Satan s'en disputent la paternité. Cette querelle durait encore au dix-septième siècle. Sous l'invocation : Ad majorem dei gloriam, le directeur de la fondation de Zôdtenburg conjura tous ceux qui s'occupaient de poudre à canon, de se libérer des griffes de Satan et de se demander si leurs occupations pouvaient contribuer à la gloire de Dieu. Il exposa aussi quelle était la force bienfaisante de la poudre et comment on pouvait l'utiliser pour le bien des hommes. Mais un fait est certain : c'est que la poudre est fille de Mars, dieu de la guerre et que, Heraclite l'a dit : "la guerre engendre toutes choses". Sans elle, les hommes vivraient encore en nomades à travers le monde. La menace de l'ennemi a obligé les pasteurs errants à former avec leurs voitures des cercles au centre desquels ils pouvaient abriter femmes et bétail. C'est ainsi, et non autrement que les villes sont nées et c'est pour les protéger que la plupart des canons ont été construits. Ce furent les riches villages libres de l'Allemagne qui s'intéressèrent les premiers, à l'invention de la poudre et qui s'efforcèrent de la perfectionner et de l'utiliser.
Les Chinois inoffensifs
Ce sont des colporteurs de curiosités et de bobards oui répètent encore aujourd'hui que les Chinois auraient inventé la poudre bien avant les Européens, mais que leur bonté les aurait, détournés de s'en servir à des fins belliqueuses. Ils s'en seraient servi, uniquement pour leurs feux d'artifices, pour s'amuser. S'il en était vraiment ainsi, on pourrait se demander pourquoi les Chinois n'en sont pas restés à cet usage.
Un plan de Léonard de Vinci pour un feu de barrage de bombardes
La vérité est qu'ils auraient utilisé la poudre exactement comme les Européens, s'ils avaient découvert l'instrument qui en est le complément : le canon. L'imagination des occidentaux les a conduits, en quelques siècles, à faire de l'artillerie une bénédiction pour l'humanité... Pour appuyer cette assertion qui peut paraître tout d'abord extraordinaire voici quelques arguments.
Sans poudre, pas de moteur à essence et pas de machine à vapeur.
D'abord, c'est grâce à la poudre que l'on a découvert le moteur à combustion interne. Au dix-septième siècle,le Hollandais Huyghens et le Français Denis Papin présentèrent à Colbert, ministre de Louis XIV,une pompe à poudre, avec laquelle ils prirent part à un concours organisé, sur l'ordre du roi, pour amener l'eau de la Seine dans le parc de Versailles. La machine ne parut pas assez imposante au ministre. Denis Papin se rendit en Allemagne et améliora sa pompe à Cassel. Ce fut le premier moteur à explosion. Plus tard Napoléon fit construire, sur les plans de Papin, une voiture sans chevaux qui fonctionna véritablement et qui représente la première voiture automobile. Papin construisit aussi d'ailleurs, le premier canon à air comprimé. Il est en même temps que le maire allemand Guericke et que l'Ecossais James Watt, le père de la machine à vapeur. Ensuite, sans l'aide de l'artillerie, la machine à vapeur n'aurait jamais pu, même conçue par le cerveau de l'inventeur, devenir une réalité. Ce furent les artilleurs qui réussirent ce que tous les autres constructeurs de machines du monde n'avaient pu réaliser : ce fut eux qui construisirent le cylindre résistant aux pressions, permettant à l'homme de capter toute l'énergie formidable de la vapeur. Des tubes de canons furent les premiers cylindres à vapeur... Seuls les fabricants de canons étaient capables de les fondre. Et ils n'avaient pu perfectionner leur art que parce que les Princes et les villes avaient mis à leur disposition des capitaux suffisants pour faire leurs essais. L'artillerie et la balistique furent entre le quinzième et le vingtième siècle, la grande préoccupation des esprits distingués.
Deux grands hommes qui rivalisèrent pour la formation de l'Europe, Napoléon et Scharnhorst, étaient tous deux des artilleurs. Werner von Siemens, à qui l'on doit l'invention du principe électro-dynamique, avait été officier d'artillerie. Sans Krupp, le roi du canon, la production et le perfectionnement des aciers n'auraient jamais pu se développer d'une manière aussi rapide. De grands actes de civilisation, assèchement du Zuiderzee, protection des mines contre le danger des inondations, progrès techniques du vingtième siècle, réseaux des voies ferrées à la surface du globe, tout cela n'existerait pas sans les travaux extraordinaires des protégés de sainte Barbe. Ce furent les hommes au visage noir de poudre qui suivirent courageusement la voie qui leur avait été indiquée par les grands ingénieurs.
"Et vous pourrez dire : j'y étais !"
On peut laisser libre cours aux jeux de la discussion pour déterminer si c'est vraiment Satan qui a inspiré la création de l'artillerie. S'il en est ainsi, le diable n'a fait qu'agir dans l'esprit que Goethe lui attribue lorsqu'il lui fait dire : "Je suis une partie de cette force qui veut toujours le Mal et crée pourtant le Bien". C'est aux échos du canon de Valmy, proclamant pour la première fois la force de la Révolution française, que Goethe, témoin de la campagne de France, et déjà "correspondant de guerre", écrivit ces mots : "C'est ici même et à partir d'aujourd'hui que commence une nouvelle période de l'histoire du monde et vous pourrez dire : "J'y étais !" Lorsque Napoléon III, après Sedan, fut obligé de remettre son épée, il dit au roi de Prusse : "C'est votre artillerie qui nous a anéantis !" C'est dans le fracas de l'artillerie que se décida l'issue de la Grande guerre, début des grandes décisions révolutionnaires de notre époque. La voix de bronze des canons est aussi la fanfare qui annonce, de nos jours, la liberté du continent européen. Il n'est donc pas sans intérêt de s'arrêter, sans préjugés, devant des faits qui, en quelques siècles, ont si profondément modifié le sort de l'humanité.
Du plaisir que donnent les canons
Le philosophe Nietzsche se déclarait disciple de sainte Barbe. Volontaire dans l'artillerie de campagne, il souffrit de ne pouvoir, à cause de sa santé délicate, servir dans l'artillerie, durant la guerre de 1870, et d'être obligé de faire la campagne comme infirmier. Etrange est cette attirance exercée par le canon sur quelques esprits. Pour l'éprouver un peu, il suffit de regarder dans le tube d'un canon, dans ce trou noir comme une énigme. On devine la présence d'une occulte loi universelle qui nous remplit d'appréhension. L'homme qui sert le canon, semble avoir conclu un pacte avec les puissances obscures, et faire corps avec elles. Dans un roman connu, Jules Verne dirige le tube de son canon vers la lune et le projectile solitaire lancé à travers l'éther renferme toute la nostalgie des hommes pour l'infini. C'est ainsi que l'écrivain se fait artilleur. Et le savant moderne n'est-il pas aussi un artilleur, lorsqu'il détruit les atomes dans son laboratoire ? Gagner de nouvelles énergies en brisant la matière, pénétrer jusqu'aux portes de la mort, là où commence ce qui ne peut être séparé, jeter un pont entre la mort et la vie, telle est l'entreprise mystérieuse qui tient tous les protégés de sainte Barbe sous son charme...
Mystérieux compagnonnage
Ainsi les hommes d'action et les imaginatifs se sentent attirés par la puissance des canons : dans les tubes et dans les pièces sont contenus l'esprit et l'intrépidité de l'homme. Mais le maniement du canon et tout ce qu'il entraîne ne sont possibles que grâce à une des plus belles vertus de l'homme : la force de camaraderie. Pour faire partir un coup de canon, il faut la coordination de beaucoup d'éléments. Peut-être est-ce cette condition qui a, si longtemps, donné à l'artillerie le caractère presque sacré d'une fraternité d'armes. Les artilleurs sont les plus jeunes soldats de la terre. Voici moins de deux siècles, ils n'étaient pas encore enrégimentés ni soumis à la discipline de l'armée, mais libres compagnons, responsables seulement devant les maîtres de leur corporation. Ils se distinguaient des reîtres et des lansquenets, mangeaient dans leurs propres cantines et gardaient cachés les secrets de leur confrérie.
La tactique de l'empereur Léon
Les secrets des confréries d'artilleurs concernaient la fabrication des projectiles, la compositions des poudres et le pointage. Les peuples d'Europe avaient toujours rêvé d'un moyen de lancer du feu sur l'ennemi avec un tube. L'empereur Léon (865-911) dit au sujet de la tactique à employer : "Placez à l'avant de vos navires un tube d'airain d'où vous précipiterez le feu sur l'ennemi. Vous dirigerez la proue du navire contre l'ennemi et vous incendierez ses bateaux avec ce feu." C'était tout le problème : lancer du feu sur l'ennemi. Mais quelle force utiliser ? Les hommes avaient longtemps cherché.
Le canon-chaudière
Archimède, on le prétend du moins, avait déjà construit un canon se composant d'un tube, à l'arrière duquel il avait placé une sorte de chaudière remplie de soufre. Léonard de Vinci a rassemblé tous les documents qu'il à pu découvrir dans les bibliothèques sur ce canon appelé "Architronito" et, d'après eux, fit un dessin de la construction de cette arme. Mais ce dessin démontre justement que l'invention du canon d'Archimède n'était que rêverie. La condition essentielle pour l'emploi de vapeurs ou de gaz à haute pression, devant servir pour l'artillerie, était un cylindre capable de résister à cette pression. A l'époque de Léonard de Vinci, on n'était pas encore en mesure de le construire. Et il est probable qu'on pouvait encore moins le faire au temps d'Archimède. C'est seulement avec l'invention de la poudre qu'on a réussi à lancer un projectile hors d'un tube, quand on a pu le faire brûler dans des chambres métalliques de dimensions et de résistance telles qu'on pouvait les construire alors.
Un peintre invente la bombe d'avion
Dans l'antiquité et au Moyen âge, on ne tirait pas à l'aide de tubes. On se servait d'énormes catapultes et d'arbalètes que nous connaissons par les descriptions des auteurs du temps.
A l'époque de Léonard de Vinci, au seizième siècle, deux cents ans après l'invention de la poudre, les ingénieurs militaires s'intéressaient encore à la construction de telles catapultes en bois aussi vivement qu'à la construction des canons. On aurait pu penser que deux cents ans auraient suffi pour établir le triomphe des armes à feu. Il n'en fut rien : aux quinzième et seizième siècles, on continue à construire des catapultes en très grand nombre, ce qui prouve non seulement que les hommes se détachent difficilement de la tradition et de la coutume, mais aussi qu'ils apprennent très lentement à se servir des inventions nouvelles. Les grands inventeurs se heurtent non seulement à la paresse et à la mauvaise volonté de leurs contemporains, mais encore à l'insuffisance technique de leur époque. Léonard de Vinci, dans ses conceptions balistiques, a seulement pressenti plusieurs inventions de notre ère, comme par exemple, la mitrailleuse et la bombe d'avion. Ses plans de forteresses avec des installations de feux de barrages sont tout à fait modernes et, les siècles ultérieurs l'ont démontré, techniquement exacts. Cependant, bien peu ont été exécutés, justement parce que les conditions techniques nécessaires faisaient défaut et probablement aussi parce qu'on n'aurait pu trouver des hommes capables de s'instruire dans le maniement des engins merveilleux qu'ils avaient conçus.
La bombe d'avion pressentie.
Ce dessin date de près de 400 ans.
C'est seulement au XXe siècle qu'on a réalisé l'idée de Léonard de Vinci de munir les bombes d'ailettes de direction
On invente un nouvel homme
Non seulement les canons étaient chers mais leur maniement était compliqué. Pour en faire autre chose qu'une simple curiosité et pouvoir utiliser pratiquement la force qu'ils représentaient, il fallait les compléter par quelque chose de plus rare encore, à l'époque, que le canon lui-même et que la poudre. Il fallait trouver le canonnier, trouver des hommes capables de servir la pièce et surtout de rester auprès d'elle, en cas de danger. C'était presque plus malaisé que d'avoir inventé la poudre et fondu des tubes de canon. La creation de l'artillerie a demandé plus de 300 ans. Il a fallu former, élever un nouveau type d'homme. Le canonnier est le premier type de l'homme moderne. Nous le voyons apparaître pour la première fois au dix-huitième siècle, longtemps avant la Révolution française. Il est la synthèse anticipée de l'ingénieur, du citoyen et du soldat que l'on considère comme une réalisation du vingtième siècle. Lorsque le canonnier apparaît au dix-huitième siècle, cavaliers et mousquetaires le regardent avec méfiance et avec un secret dédain. Mais il les domine tous. Son rôle est le début d'une révolution de la stratégie militaire qui fixe aux différentes armes une place nouvelle. Ce type de soldat savant, qui allie l'intrépidité à la connaissance, est représenté par Frédéric le Grand, par Napoléon et par Scharnhorst, créateur de l'Etat-Major prussien, et grand réformateur militaire du dix-neuvième siècle.
Les canonniers hardis et de sang-froid apportent de nouveaux facteurs dans les luttes décisives de l'Europe. Ils sont une réalité nouvelle : des soldats qui ont appris à ne rien redouter, à agir de leur propre initiative et a tenir leur poste quand toute communication est coupée avec leurs chefs.
Un monument pour le canonnier inconnu
Dans les communiqués de cette guerre, on a entendu souvent parler d'actes héroïques accomplis par des artilleurs. Le premier titulaire de la croix de chevalier, dans l'armée allemande, parmi les simples soldats, a été un pointeur qui avait réussi à anéantir onze chars. Dans la grande guerre de 1914-18, les Anglais ont même immortalisé
Un artilleur allemand. Ce fut dans le communiqué du combat de chars du 20 novembre 1917 à Flesquières. Dans ce communiqué du Maréchal Haig, on peut lire : "Many of the hits upon tanks at Flesquières were obtained by a German artillery officer, who remaining alone at his battery, served a field gun single handed until killed at his gun. The great bravery of this officer aroused the admiration of all ranks". (Un grand nombre de coups qui ont atteint les chars ont été tirés par un officier allemand qui, resté seul à sa batterie, a fait le service de sa pièce de campagne jusqu'au moment où il a été tué sur son canon. La grande bravoure de cet officier a excité l'admiration de tous les soldats.). Ce jour-là, des batteries des régiments d'artillerie de campagne 282 et 108 combattaient à Flesquières. Personne ne sait à quel régiment appartenait le destructeur de chars inconnu de Flesquières. Nous savons seulement, par des soldats anglais et allemands, qu'une batterie était installée à la lisière occidentale de Flesquières et qu'elle a tiré et s'est maintenue au milieu d'un feu d'enfer, jusqu'à ce que le dernier homme ait été mortellement atteint. Les chars furent anéantis les uns après les autres devant la batterie. Les boucliers des pièces étaient transpercés, les hommes tombaient les uns après les autres, mais la batterie continuait de tirer. Finalement, il n'y eut plus qu'une seule pièce qui tirât, avec trois servants, puis deux. Puis il n'y eut plus derrière la pièce qu'un seul homme, couvert de sang, noir de poudre. Il chargeait, pointait et tirait. Un char prenait feu, puis un autre, et encore un autre. Cela dura jusqu'à ce qu'il fût atteint lui même et tomba sur ses camarades morts. Mais l'attaque ennemie avait été repoussée : 49 chars anéantis se trouvaient à la lisière occidentale du village. Lorsque les artilleurs de campagne allemands érigèrent en 1936, à Cologne, un monument à leurs 150.000 morts de la grande guerre mondiale, ils firent représenter, par un statuaire, cet artilleur allemand inconnu, défendant, une dernière grenade au poing, sa pièce incapable de tirer, faute de munitions.
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L'Organisation Todt (OT). A. Harvengt
Chapitre 1 : Qui était Fritz Todt ?
Fritz Todt termina la guerre 1914-1918 comme lieutenant-pilote de la Luftwaffe et fut ensuite employé, puis directeur de la firme "Sager-Woerner", firme spécialisée dans la construction de routes et de tunnels.
Il s'affilia très tôt au parti nazi et dès 1922, gagna la confiance d'Hitler. Il fonda le "National-Socialisticher Bund Deutcher Technik" à Flossenburg près de Kulmbach qui devint un centre d'instruction pour son personnel gradé.
Dès l'avènement du national-socialisme en 1933, il fut chargé de la construction des autostrades allemandes et en 1938, il reprit du Génie de Forteresse l'achèvement de la ligne Siegfried (appelée Westwall depuis 1944).
Il était à la fois, ministre du Reich de l'armement et des munitions, Inspecteur-Général du réseau routier allemand, Inspecteur-Général des Voies d'Eau et de l'Energie, Commissaire aux Travaux Publics et a l'Urbanisme, Général de brigade de la Luftwaffe.
Suite à la campagne de Russie, il ne cacha pas son manque de foi en la victoire du IIIe Reich. Il devint gênant pour Hitler, ce qui explique son accident d'avion et sa mort en février 1942. (1)
(1) Thorwald, J : Les morts mystérieuses du IIIe Reich - Edit. A. Bonne, Paris, p. 150
Chapitre 2 : L'organisation Todt - Définitions et évolutions (2)
(2) Toute la documentation sur l'OT provient du "Handbook sur l'Organisation Todt". Ministère de la Santé Publique.
1. Comment définir l'OT ?
Hitler voyait dans l'OT : "Une organisation destinée à jouer un rôle décisif dans l'effort de guerre".
Todt lui-même disait : "Nous sommes une organisation sans jamais avoir été organisés".
Pour le gouvernement allemand : "L'OT représente une milice dont les membres prêtent le même serment à Hitler que les soldats de l'armée régulière.
L'OT elle-même se déclarait : "Un corps chargé de constructions militaires dans un but défensif".
Au fond, l'OT était un trait d'union entre le gouvernement allemand, qui décidait des grands travaux, et les firmes qui devaient les exécuter. C'était une Reichsbehörde, a government agency, diraient les Britanniques, pour l'accomplissement de travaux de grande envergure.
2. Son évolution
Lorsqu'en septembre 1939, l'OT fut mise sur le pied de guerre, deux grands changements y furent apportés :
- création en son sein d'une direction administrative pour la zone du front (Frontführung) qui reprenait la tâche du D.A.F. (Deutsche Arbeitersfront) et formait ainsi des unités mobiles de l'OT ou Bautruppe.
- ceux qui s'engageaient dans les firmes de construction furent d'office enrôlés dans l'OT. La firme elle-même fut alors appelée "Firmen Einheit" ou "OT-Einheit" ou tout simplement "Einheit" (Unité).
Le chef de l'OT à l'échelon gouvernement était l'Inspecteur-Général pour la construction des routes, le Dr Todt.
Le contrôle central de toutes ces unités était encore faible en 1940, car l'OTZ (l'OT Zentrale) n'existait pas encore, l'échelon administratif de l'OT était l'Einsatz (action ou chantier) quelle que soit leur importance.
Ce n'est qu'à la mort de Todt, en février 1942, que Speer, qui lui succéda, y mit quelque coordination :
- création de l'OT Zentrale, dépendant directement du Ministère de l'Armement et des Munitions.
- mise sur pied d'une hiérarchie pour marquer l'importance des chantiers :
*l'Einsatzgruppe (Eu) ou action à l'échelon groupe d'Armées.
*l'Einsatz (E) ou action à l'échelon Armée.
*l'Oberbauleitung (OBL) comme secteur de construction de base et E.M. administratif.
*le Bauleitung (BL), chantier dépendant de l'OBL.
*l'Abschittsbauleitung, comme secteur secondaire.
*la Baustelle comme chantier local de moindre importance.
De plus, on instaura un contrôle plus efficace sur les firmes de l'OT par la mise en vigueur d'un type uniforme de contrat.
En 1943, l'OT devint vraiment une industrie pour la défense. Des unités spéciales et des états-majors spéciaux furent créés. On vit notamment apparaître le "Speer-Stab" (état-major Speer) pour diriger les réparations des dommages causés par les bombardements, la Ruhr étant une des régions les plus touchées (Einsatz Ruhrgebiet).
On créa également la "OT Bergmannkompanie" (compagnie de mineurs) pour la construction de vastes installations souterraines.
En 1944, le débarquement allié devenant de plus en plus probable, il fut décidé d'abandonner les constructions secondaires au profit de la construction de rampes pour V1 et surtout, de hâter l'achèvement des fortifications à la côte ouest. C'est dans ce but que le Commandant de la 7e Armée allemande donna l'ordre de transformer tout le groupe OT sous son commandement en unités mobiles dans le double but de :
- pouvoir les employer comme troupes de secours en cas de débarquement.
- venir en aide aux troupes du Génie opérationnel.
Pour faciliter la tâche du "Gebietsingenieur", trait d'union entre l'OT et le Commandement de l'Armée, la mise en oeuvre de l'OT était divisée en trois catégories:
- les Festungsbautruppe : détachements pour la construction de positions fortifiées à la côte.
- les Bautruppe dans la zone de bataille et de communications pour la .construction de types spéciaux, comme des ponts, chemins de fer,... C'est un échelon d'unités mobiles.
- les Bautruppe pour les territoires de l'arrière comprenant des sections telles que constructions de chemins de fer, de moteurs d'avions, Nachschubtruppe pour l'approvisionnement des zones de combat, des Arbeitstruppe (travailleurs) et des unités de transport (NSKK).
Notons que vers le milieu de 1944, la désorganisation fut grande au sein de l'OT Front qui fut alors répartie en quatre zones :
- les zones de combat à l'Ouest et face aux Russes.
- les zones fortement bombardées à l'intérieur du Reich.
- l'Einsatzgruppe Italien (Groupe d'action en Italie).
- l'Einsatzgruppe Viking (Norvège et Danemark).
L'armée allemande étant bientôt repoussée sur ses propres frontières, Speer ordonna la réunion de l'OTZ et de l'Amt Bau, deux sections de son ministère ayant des missions analogues. En même temps, il créa des organismes spéciaux dénommés brigades d'un effectif de 30.000 hommes. Ces brigades étaient subdivisées en bataillons, compagnies et pelotons. Les travailleurs allemands s'appelaient "Frontarbeiter", les étrangers des "Frontlegionnäre". Tous avaient droit au salaire et allocations du personnel de la Wehrmacht.
De ce qui précède, nous pouvons conclure que depuis sa mise sur pied de guerre en septembre 1939 jusqu'à la capitulation de l'Allemagne, nous pouvons distinguer deux grandes périodes dans la mise en oeuvre de l'OT :
- de 1939 jusqu'aux grands raids alliés en 1943, l'OT était une organisation auxiliaire de la Wehrmacht. C'est la période d'organisation stable et permanente (Ex. l'EGW jusqu'en 1943).
- de 1943 à mai 1945, elle est arrivée au rang de seul organisme du Reich responsable du programme entier de la production de guerre pour autant que celle-ci soit influencée par les raids aériens des Alliés. C'est la période d'organisation courante adaptée aux circonstances.
Voyons ces deux organisations un peu plus en détail.
3. Période d'organisation stable et permanente
Le quartier-général de l'OT est l'OTZ, sous la direction de Dorsch, directeur administratif pour l'OT de Speer. L'OTZ s'occupe des directives fondamentales pour le fonctionnement administratif et opérationnel ainsi que de la répartition territoriale de la main-d'œuvre. sa tache primordiale est dans le secteur économique au point de vue de la standardisation du matériel et des plans d'exécution. Il donne ses directives à tout le personnel OT réparti sur tout le territoire d'Allemagne et des territoires occupés.
Nous avons vu comment Speer, dès 1942, avait hiérarchisé les différents Einsätze (actions) en EG, E, OBL, BL, suivant l'importance des chantiers. Ce sont leurs états-majors qui exécutent les ordres de l'OTZ, régularisent les relations entre l'OT et les firmes de l'OT d'une part, entre les firmes et les travailleurs d'autre part.
Les décisions prises par le Commandement Suprême des forces allemandes étaient donc d'abord filtrées par l'OTZ, transmises aux EG, qui les transmettaient aux Einsätze, OBL, etc. Ces décisions étaient alors exécutées en accord avec le commandement stratégique ou tactique du secteur.
L'OBL (Oberbauleitung) était le secteur de base c'est-à-dire que l'état-major de l'OBL était le dernier dans la hiérarchie qui contrôlait son propre programme par contact direct et par supervision des firmes de l'OT. Il comprenait plusieurs BL (Bauleitunge).
4. L'Organisation courante
L'OTZ avait été créé pour coopérer avec les armées de campagne. L'Amt Bau dépendant également du Ministère Speer, avait comme mission de coopérer avec les autorités civiles de la Défense et les autorités militaires à l'intérieur de l'Allemagne en ce qui concerne la production de guerre d'importance vitale. A la base, l'Amt Bau était en relation avec les "Rüstungskommissionen" (commissions d'armement) et les "Reichsverteidigungskommissionen" (commissions de la défense du Reich) et comprenait un certain nombre de sections ou "Amtsgruppe".
De plus, l'Amt Bau avait la collaboration de certains organismes spéciaux qui lui étaient rattachés.
Considérant la situation stratégique d'une part, et la similitude des fonctions de l'OTZ et de l'Amt Bau u'autre part, Speer ordonna la fusion de ces deux organismes en un seul sous la dénomination : Amt Bau-OTZ.
Après le débarquement en juin 1944, l'OT comprenait toujours 8 EG et 22 Einsätze. Les Einsatzgruppe avaient la même autorité d'exécution que l'EGW auparavant. Quant aux Einsätze, répartis sur le territoire par Gau, ils étaient surtout un élément de liaison entre l'EG et la sous-commission d'armement du Gau. Les liaisons entre l'Einsatz et la sous-commission d'armement s'effectuaient par l'entremise de quatre délégués de la construction de l'OT, affectés près du Gauleiter. Ce dernier avait donc en plus de ses fonctions de chef de la contribution civile aux efforts de guerre, également les fonctions de Commissaire de la Défense du Reich.
5. Méthodes d'opération
Nous venons de voir que la période 1939-1945 pouvait être divisée en :
- période d'organisation stable et permanente
- période d'organisation courante rendant la période d'organisation stable et permanente, l'OT faisait usage de deux méthodes d'opération :
- l'une mobile, lorsque les Bautruppe suivaient les armées allemandes victorieuses comme lors de l'avance en Belgique et en France en 1940 ou en Russie en 1941-1942.
- l'autre stationnaire, comme à l'Ouest lors de la construction des grands travaux de défense de 1941 à juin 1944, période pendant laquelle l'OT pouvait être comparé à une armée de remplacement (Ersatzheer). L'OTZ pouvait en effet être comparée à l'OKH (Oberkommando des Heeres), les états-majors de l'Einsatzgruppe West à un état-major de Groupe d'Armées, celui de l'OBL à un état-major de division, etc.
Cette organisation stationnaire était caractérisée par une standardisation à outrance qui devait fortement simplifier les estimations des délais d'exécution et des quantités de matériaux nécessaires.
Il existe une certaine tendance à vouloir attribuer la méthode mobile à Todt et la stationnaire à Speer. Cette idée semble inexacte, car ce sont plutôt la situation stratégique et la situation économique qui ont imposé ces méthodes à l'un et à l'autre.
Chapitre 3 : Les structures internes de l'OT
1. Structure d'un état-major de l'OT
Les états-majors de l'OT sont semblables à tous les échelons, qu'il s'agisse d'un Einsatz, d'un OBL ou d'un BL. Le schéma de l'organisation est le même, mais le personnel affecté à un Einsatz sera évidemment plus nombreux que pour un BL. On y trouve généralement :
- le bureau du directeur de la firme de l'OT qui prend suivant l'importance de l'action, le titre de Einsatzbauleiter (colonel), Oberbauleiter (major) ou Bauleiter (capitaine).
- la section technique : de la firme de l'OT.
- la section administrative : de la firme de l'OT.
- le Frontführung : personnel organique de l'OT. Il est à la fois le personnel de contrôle et de liaison entre l'OT et la ou les firmes de l'OT. Le grade du chef de cette section correspond également à l'importance de l'action : Oberstfrontführer (colonel), Ueberfrontführer (major), Frontführer, Truppenführer, Rottenführer, ...
Tout ce personnel fait partie de l'OT, en tenue brune, semblable à celle de l'Arbeitsdienst (Service du Travail). A remarquer cependant que les grades du personnel appartenant à la Frontführung sont définitifs car c'est le personnel organique de l'OT. Les grades du personnel des firmes, chef de chantier y compris, donc également le directeur, sont temporaires et ne valent que pour la durée du contrat avec l'OT.
En plus de ces quatre sections principales, il y avait des sections secondaires : renseignements, service de santé et service de liaison SS.
Ce n'est qu'aux échelons les plus élevés que cette organisation se compléta quelque peu. C'est ainsi qu'à l'OTZ, ou à l'Einsatzgruppe West, il y avait en plus trois sections importantes :
- une section personnel.
- une section de mise au travail (Arbeitseinsatz).
- une section presse, éducation et propagande.
A ces échelons (comme pour les grands états-majors) les différentes sections sont appelées "Abteilungen" ou "Referate", cette dernière étant une subdivision de la précédente.
2. Le Personnel
Le personnel de l'OT, ou travaillant pour l'OT, pouvait donc se subdiviser en trois catégories :
- le personnel organique de l'OT (Frontführung).
- le personnel des firmes de l'OT, lié temporairement à l'OT par contrat.
- les travailleurs, volontaires ou forces, fournis aux firmes par l'OT pour l'exécution de leur mission.
Pour le travail ce personnel était réparti sur :
- l'état-major de l'action.
- le chantier.
- le camp (commandé par un Lagerführer).
3. Les firmes de l'OT
Ces firmes peuvent être comparées à des unités de l'armée, qu'il s'agisse de firmes enrôlées de leur propre gré ou de firmes assignées pour l'OT (abgestellt für OT). Elles étaient engagées pour effectuer des constructions sous l'administration de l'OT comme un soldat qui a prêté serment au Führer.
Dès qu'elle était enrôlée, la firme prenait la dénomination de "OT Einheit" ou "Einheit" (unité) et était sensée opérer (comme unité autonome avec son personnel technique et le matériel indispensable.
L'inspection de ces firmes se faisait par le personnel OT de la section Frontführung des états-majors d'action.
Ces firmes ont pratiquement dirigé l'OT jusqu'en 1942, car elles étaient soutenues par l'Industrie du .Bâtiment du Reich. Elles étaient supposées détenir en tous temps un minimum de personnel technique et d'équipement, sinon le personnel de contrôle OT pouvait lui refuser le renfort en main-d'oeuvre étrangère qu'elles réclamaient, si elles ne possédaient plus le personnel technique et le matériel requis, elles avaient à choisir entre deux solutions pour pouvoir rester à l'OT :
- ou bien se joindre à d'autres petites firmes pour former un ARGE (Arbeitsgemeinschaft = communauté de travail; avec une "Federführendes Unternehmen" (entreprise dirigeante).
- ou bien se laisser descendre au rang de sous-traitant (Nachunternehmer) au profit d'une firme plus importante (Hauptunternehmer).
4. Les programmes de construction
Ces programmes étaient établis pour une période approximative de 6 mois par l'état-major de l'action, et ce d'après la spécialité de la firme : construction de ponts, de routes, abris bétonnés, etc.
Tous les prix, depuis ceux des matières premières jusqu'aux salaires, étaient fixés par le "Reichskommissar für Preisbildung" (commissaire du Reich pour les prix) ou bien standardisés par l'OT. C'est d'ailleurs cette standardisation à outrance qui devait fortement simplifier et activer l'exécution des travaux.
Le nombre de personnes prévu pour une firme de l'OT était strictement réglementé. Comme les firmes d'autre part, étaient pénalisées financièrement lorsqu'il y avait un trop grand écart entre la date prévue pour l'achèvement des travaux et l'état de leur avancement, certaines firmes essayèrent d'engager un surplus de main-d'oeuvre ce qui était contraire à la réglementation en vigueur. Il en résulta un contrôle sérieux par les autorités allemandes du Travail pour les firmes de l'OT sur le territoire du Reich et par les autorités militaires en ce qui concerne les firmes de l'OT occupées dans les régions occupées.
5. Contrats entre les firmes et l'OT
Les relations entre les firmes et l'OT étaient réglementées par une variété de contrats. Au début ces contrats laissèrent une latitude assez grande aux firmes en tenant compte de leur capacité productive. Mais au début de 1942, lors de la réorganisation par Speer, ce dernier créa également une sous-section de l'OTZ, la "Referat Vertrage" (section de contrats). Dès ce moment tous les contrats furent standardisés, et toutes les firmes furent mises sur le même pied.
Le but principal de cette standardisation était d'assurer le commissionnement complet des firmes avec leur personnel formé, ainsi que l'outillage, tandis que l'OT endossait la responsabilité de trouver le matériel de construction et la main-d'oeuvre nécessaires. L'OT vendait ou louait ce matériel à la firme, et la main-d'oeuvre était engagée sous forme de volontariat (Hilfswillige) ou de travail forcé (Zwangsarbeiter).
Cette standardisation avait également pour but d'uniformiser les salaires, les allocations ainsi que les bénéfices des firmes.
Le contrat se subdivisait en deux parties :
- les conditions de travail à effectuer (Auftragsbedingungen).
- l'engagement officiel (Vertragsurkunde).
Cette partie avait toujours priorité sur toutes les clauses annexes éventuelles qui auraient pu se trouver dans le contrat.
Les types de contrats les plus utilisés étaient :
- le "Selbstkostenerstattungsvertrag" (contrat basé sur le rembousement des frais). La firme avait tous ses frais généraux remboursés et obtenait en plus 4,5 % comme bénéfice.
- l'OT "Leistungsvertrag" (contrat basé sur le rendement). L'OT fournissait le matériel et la main-d'oeuvre payée. Le bénéfice de la firme était calculé sur la base des salaires payés. C'était le contrat le plus utilisé parce qu'il répondait le mieux aux exigences de l'OT.
6. Entraînement militaire du personnel OT - Les écoles
Tout employé allemand d'une firme de l'OT était enrôlé avec un uniforme et subissait un entraînement militaire consistant en drill au fusil et tir ainsi qu'un entraînement général du combattant.
Cet entraînement se déroulait le dimanche ou après les heures de travail. Il était donné et contrôlé par des membres de la Wehrmacht.
En cas d'invasion, ces hommes avaient à grossir les rangs des forces armées dans leur secteur. C'est ainsi qu'au début de 1944, lorsque le danger d'invasion se précisa, l'EGW reçut l'ordre du Commandement militaire que chaque firme de l'OT avait à fournir une unité de combat. Ces unités étaient armées d'engins de toutes marques capturés en 1939-1940. Toutefois on essaya de garder une certaine uniformité d'armement par unité.
En plus de cet entraînement militaire, le personnel OT avait à suivre des cours dans les "Führerschule" (écoles de commandement). La plus ancienne était celle fondée par Todt lui-même à Flossenburg. Il y en avait d'autres comme celle de Neu-lsenburg (Franckfurt), de Inowlodz et Posen (Pologne) et La Haye en Hollande.
Ces cours avaient la dénomination "Lagerwesen" (vie des camps) sous la direction d'un chef SA (Sturmabteilung des formations nazies). Les cours de formation militaire y étaient complétés par des sous-officiers de la wehrmacht. Ces écoles formaient environ 50 hommes par mois.
L'école la plus importante à l'ouest était la Frontführerschule de Pont-Callec en France. Les cours y duraient 27 jours et étaient suivis d'un séjour de huit jours dans un "Schutztkommando" (cours de sécurité) à Pontivy, sous la direction de personnel SS. Les candidats étaient alors renvoyés à Pont-Callec pour une ultime période de 10 jours.
Citons également les "Erziehungs" et "Schulungslager" (écoles de redressement pour travailleurs récalcitrants) sous la direction de personnel SS et SA.
7. Les salaires
La variété et l'étendue des constructions a demandé l'expérience d'environ 600 professions appartenant à 40 nationalités différentes. Cela posa évidemment des problèmes d'administration et surtout de salaires.
Au début des hostilités, ces salaires étaient très variés et le personnel était rétribué différemment dans chaque firme sur la base de son contrat avec l'OT.
Ce n'est qu'en 1943 qu'un tarif uniforme fut fixé pour tous les travailleurs de toutes les nationalités, l'allemande comprise, mais a l'exception des Russes, des Polonais et des Juifs.
Les travailleurs étrangers ne bénéficiaient pas de la sécurité sociale allemande, mais ils étaient affiliés à des organismes assureurs étrangers sous contrôle de l'OT.
Les étrangers étaient uniquement utilisés comme travailleurs manuels. Certains pouvaient être classés comme "Facharbeiter" (spécialiste).
Aucun ne pouvait être commissionné officier (Führer) et cela dans aucune des branches de l'OT. Les grades les plus élevés qu'ils pouvaient atteindre étaient : Hilfspolier (contre-maître adjoint; ou Hilfslagerführer (adjoint au commandant d'un camp).
Normalement un congé payé était accordé aux travailleurs libres après 6 mois de travail ininterrompu.
Le voyage était gratuit, cependant la périodicité des congés ainsi que leur durée, étaient souvent laissés à l'appréciation des chefs de chantier.
Coupe et plan d'une casemate à SaintMarcouf dans la Manche
Elle était équipée d'un canon tchèque Skoda de 210 mm, poids 37 tonnes, portée max. environ 30 Km, 25 coups à l'heure
La base de sous-marins de Saint-Nazaire
Edifiée par l'organisation Todt, c'est une énorme construction en béton armé couvrant, dans le bassin de Saint-Nazaire, une superficie de 300 m x 125 m, soit 37.500 m².
Photo 16a
Photo 16b
Photo16c
Photo 16d
Edifiée par l'organisation Todt, c'est une énorme construction en béton armé couvrant, dans le bassin de Saint-Nazaire, une superficie de 300 m x 125 m, soit 37.500 m².
Ses 14 alvéoles (photo 16a) permettaient de recevoir une vingtaine de sous-marins. Dans la partie arrière, au fond des alvéoles, était installé un arsenal pour les réparations. En dépit de nombreux bombardements, la base est sortie intacte de la guerre.
La sortie sous-marine du port (16b & 16c) est une écluse couverte, à l'abri des bombes, construite pour permettre aux sous-marins allemands de se faire écluser en toute sécurité.
Le bloc protégeant l'écluse (16d), surmonté actuellement d'une terrasse panoramique, est percé de meurtrières pour la défense rapprochée et d'une tourelle (visible sur la photo 16b).
La Batterie de la Pointe du Hoc
Située sur le sommet d'une falaise haute de 35 mètres, à une demi-douzaine de kilomètres à l'ouest d'Omaha, elle était composée de six grosses pièces de 155 françaises. Les canons étaient placés à ciel ouvert, dans des encuvements bétonnés. Au printemps de 1944, deux casemates étaient achevées mais les pièces n'avaient pas été montées à l'intérieur. Autour des cuves et des bunkers étaient dispersés quelques abris et soutes servant de logements aux 150 hommes qui composaient l'effectif de la batterie.
Photo 17a - L'Avant du poste d'observation
Photo 17c - L'Arrière du même poste
Des couloirs souterrains reliaient entre eux ces ouvrages ainsi que le poste de direction de tir et d'observation. Ce dernier, à demi-enterré, était installé à l'extrême pointe de la falaise.
Photo 18c - La Point du Hoc
Photo 19a - l'état du terrain
A partir d'avril 1944, la pointe du Hoc fut périodiquement bombardée par l'aviation alliée.
Photo 19c - Les blocs de béton "errants"
Camouflées dans un petit chemin creux, bordé de haies, les six pièces de 155 ne joueront aucun rôle le jour de l'invasion. La pointe du Hoc reçut 698 tonnes de bombes dans la nuit du 5 au 6 juin 1944. Le 2e Bataillon de "Rangers", spécialement entraîné, prit la position d'assaut dès l'aube du 6 juin, en escaladant la falaise à l'aide de cordes et d'échelles démontables.
Photo 18a - La photo montre une vue rapprochée de l'arrière du poste de commandement et de tir
Photo 18b - montre à l'avant-plan un encuvement pour canon de 155, à l'arrière-plan, une casemate pour pièce de campagne.
Photo 19a - L'aspect d'une de ces casemates.
La photo montre, en plus de l'aspect "champ de bataille", un encuvement pour canon (à gauche) mais aussi donne une idée du profil de la côte dans cette région.
Différents types de bunkers.
Photo 20a - Bénouville
Photo 20b - Vierville sur mer
Photo 20c - Ver sur mer, face opposée à la mer d'un bloc enfoui sous les dunes
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Souvenirs de guerre (Suite). P. Gersay
GUERCIF, suite.
Depuis son arrivée dans cet endroit enchanteur, quatre jours auparavant, le malchanceux Yasreg n'a pas dormi dans un lit.
Il en a pourtant un, en principe du moins.
Pendant la journée, il est toujours accompagné d'un guide armé, baïonnette au canon, comme s'il était le dernier des criminels. Cette sentinelle, gênée de son rôle dans la combine, essaie souvent de parler un peu, de rasséréner l'atmosphère, mais le coeur n'y est pas.
Le sentiment d'impuissance devant l'injustice, la solitude sans recours, prennent invinciblement le dessus. Mais on se fait à tout. On acquiert avec le temps une peau de rhinocéros et on ressent de plus en plus en soi-même, à côté d'un solide mépris, une dose croissante de pitié. On pense, dans son désarroi, qu'on se situe dans une sorte de troupeau de moutons de Panurge dirigé par des bergers dénués de raison.
Ce jour-là, en ce début de juillet 1942, notre homme, installé à l'ombre dans un coin tranquille de la cuisine, effectue machinalement les gestes familiers du "pluche". Le calme règne dans le bourdonnement des mouches et les relents de graillon. On semble l'avoir oublié. Chose bizarre, Touf-Touf ne s'est pas manifesté ce jour-là, la garde d'honneur non plus. Bref, on respire un peu, on rêvasse, on se souvient, on espère malgré tout. Au-dehors, des légionnaires vont et viennent, des maraîchers indigènes viennent livrer leurs pastèques, les figues et les raisins...
Mais ce calme apparent est trompeur. Il cache des changements. Voilà l'homme à la baïonnette qui vient au pas de gymnastique. Le pauvre type n'a pas l'air à son aise. Yasreg se demande quelles nouvelles complications se silhouettent sur l'horizon de Guercif. L'expérience lui a appris, à ses dépens, que pas grand chose de bon ne sort habituellement d'une perturbation, même sordidement dérisoire. Il est habitué, par la force des choses, à voler très bas.
L'homme essoufflé reprend ses esprits : "Le capitaine est rentré", dit-il, "il veut te voir". Tu dois te mettre en tenue et te présenter tout de suite au bureau. Faut te grouiller, ça n'a pas l'air de tourner rond."
Yasreg se contemple de la tête aux pieds. Il est sale, fatigué, hirsute et sa tenue de tôlard lui donne l'allure d'un bagnard qu'on vient juste de récupérer après une cavale. Il en a ras le bol, comme on dirait de nos jours. Au point où il en est, les choses ont tellement peu d'importance, qu'il n'a nulle envie de courir,.commandant ou pas.
Traînant ses godasses sans lacets, son froc graisseux sans ceinture et son bonnet de police luisant de graisse, il met le cap sans se presser sur ce qu'il suppose être le lieu qui lui a été assigné. Mais il se trompe de baraquement et se fait sortir avec les noms d'oiseaux d'usage en semblable occasion. A la Légion, quand on porte la tenue de tôlard, on est traité comme un tôlard. C'est une habitude à prendre.
Finalement arrivé en son lieu d'hébergement, il parvient tout de même à se décrasser plus ou moins, sans savon, mais ne peut se raser. Il endosse sa tenue de toile jaune, remet des lacets à ses godillots, applique ses houseaux et, toujours accompagné de son cerbère, se retrouve face au baraquement qui abrite les services administratifs de l'escadron.
Yasreg, le mal-venu, n'a pour une fois pas longtemps à attendre. La porte s'ouvre; il traverse un bureau peuplé de scribes et passe sans coup férir dans un autre bureau attenant. C'est le local réservé au commandant du 1er Escadron de Guercif, le premier officier que notre homme voit depuis son départ de Fès.
Assis derrière une table encombrée de papiers, c'est un homme de taille moyenne, aux yeux clairs, d'allure énergique. Sous une apparence sévère, on reconnaît un homme capable de compréhension et de générosité. Ce n'est pas quelqu'un à qui l'on fait prendre des vessies pour des lanternes. C'est le Capitaine Ville. Les deux hommes se dévisagent.
"Légionnaire Yasreg, mon capitaine. Je suis venu de Fès, il y a quatre jours, par mutation."
"Ah, c'est vous Yasreg. On m'a parlé de vous. Je suis content de vous voir. Vous avez, semble-t-il, rencontré quelques problèmes à votre arrivée. Mais tout cela va se tasser."
"J'ai reçu ce matin votre mutation de Fès. Ces documents me font savoir que vous y exerciez des fonctions administratives. Eh bien, vous allez les continuer. Légionnaire Yasreg, je voudrais que vous soyez convaincu qu'à la Légion Etrangère Française, il n'y a ni privilégié, ni réprouvé. C'est une grande famille où chacun a le droit et le devoir de faire part de ses griefs à ses officiers. Pourquoi ne portez-vous pas votre képi blanc ?"
"Mon Capitaine, il m'est interdit de le porter. A mon arrivée, j'ai été puni de huit jours de prison... avec proposition pour une punition plus sévère qui me serait infligée par le colonel..."
"Légionnaire Yasreg, vous avez reçu, non pas huit jours de prison, mais quatre jours de salle de police. Vous venez de les terminer ce matin. Dès à présent, vous logerez au peloton hors-rang, juste en face, et vous vous mettez dès demain matin à la disposition du maréchal des logis chef P., chef comptable, qui vous donnera des instructions. A l'escadron, chaque légionnaire effectue le genre de travail le mieux à sa portée. Je confie l'outil à celui qui sait le manier et la plume à celui qui sait s'en servir."
"De plus, vous allez tout de suite passer au magasin d'habillement pour y recevoir une tenue mieux appropriée. En outre, je veux vous voir avec votre képi la prochaine fois, vous n'êtes plus puni. Est-ce compris ?"
"Je répète ce que je vous ai dit tout à l'heure : vos officiers sont là pour vous aider chaque fois qu'ils le peuvent."
"En ce qui me concerne, j'aurai besoin de vos services très souvent comme dessinateur. Vous êtes le bienvenu à l'escadron. Je compte sur vous pour faire du bon travail... Vous pouvez disposer, je vous remercie."
Yasreg était entré dans le bureau du commandant d'escadron persuadé que de nouvelles tuiles allaient s'abattre sur son crâne, et voilà qu'il en sortait avec l'équivalent d'une réhabilitation sur tous les plans. La position qu'il occupait à présent le mettait pratiquement à l'abri de la malveillance et de la stupidité sadique.
Au cours de l'exercice des fonctions administratives modestes qu'il remplit dorénavant à l'escadron, Yasreg a fini par connaître les raisons des relâchements qui s'étaient produits à Guercif dans les escadrons du 1er REC, et des bavures qui en avaient résulté.
Le capitaine Ville avait été terrassé par les fièvres tropicales et ses deux adjoints, les lieutenants M... et V... étaient malencontreusement en congé. L'escadron, sans officiers pendant plus d'une semaine, s'était trouvé pieds et poings liés aux mains du plus haut en grade, l'adjudant J..., dit Touf-Touf, et il s'était passé ce qui se passe facilement quand on confie l'autorité à des mains inaptes à l'exercer.
Le bureau du Commandant n'était séparé de celui, plus vaste, des employés de la comptabilité que par une simple cloison en bois. Tout ce qui s'y disait était connu du personnel administratif. Ce dernier était donc en première ligne pour écouter la formidable engueulade qu'avait reçue l'adjudant J... lors de la reddition des comptes, à la rentrée du capitaine. Elle avait précédé l'entrevue mémorable avec Yasreg.
Le capitaine Ville avait la voix forte, l'élocution facile et la patience courte quand il s'agissait de remettre à leurs places l'incohérence et l'incompétence, surtout quand elles s'étoffaient d'éthylisme. Ces qualités verbales avaient eu là une occasion de s'exercer sans réserves, surtout en ce qui concerne les huit jours de prison généreusement octroyés. En effet, la limite du capitaine en la matière n'était que de sept jours. Bref, charité à part, Touf-Touf avait eu bonne mine.
Tout cela, avec le recul du temps, peut sembler bien mesquin. C'est sans rancune que Yasreg se remémore ces incidents de parcours sans importance. Pourtant, ces mauvais souvenirs laissent leurs marques. Ce sont des expériences décevantes mais qui restent inoubliables et, par cela même, apportent leur part à la construction évolutive d'un être humain quel qu'il soit.
TAZA - MANOEUVRES EN MONTAGNE
Les 1er et 2ème Escadrons du 1er REC/Guercif sont composés de troupes démontées transportées, en principe, par camions. La cavalerie à cheval n'a plus qu'une utilité de parade. La pénurie d'essence, la pauvreté générale limitent de façon draconienne les moyens logistiques. Bref, on redevient des fantassins.
Du fait de sa présence presque constante auprès du Commandant, Yasreg se rend compte que quelque chose se prépare. Des documents confidentiels sont classés par ses soins et une vue générale de la situation internationale se construit dans son esprit.
Il ne fait plus aucun doute pour notre administratif que de grands événements se préparent à moyenne échéance. Une documentation peu fournie, mais néanmoins éloquente, doit être distribuée à tous les échelons de commandement. La silhouette des chars, blindés et avions allemands, anglais et italiens doit être dessinée et reproduite avec des moyens issus de l'ingéniosité.
Bien sûr, Yasreg garde ses découvertes pour lui. Comme d'habitude, sa fidèle compagne est toujours là, à ses côtés. Il a dressé autour de lui la tour de l'incommunicabilité. C'est peut-être la raison pour laquelle on a confiance en lui.
Des documents confidentiels lui ont été confiés pour classement, des conversations ont lieu en sa présence. Tout ce qu'on a pu camoufler comme engins blindés, peu de chose en l'occurrence, a été regroupé dans les hangars et est inutilisé, l'essence étant réservée pour les événements qui se préparent.
La vie est calme à Guercif, on y devient facilement amorphe dans la chaleur torride qui sèche, déshydrate l'individu. Il est évident que c'est un endroit rêvé pour y perdre tout goût de l'effort.
Dans ces conditions, il est impératif de sortir la troupe de l'encroûtement où elle s'enlise.
Pour ce faire, on va quitter cet endroit pour se rendre dans la montagne, du côté de Taza, à Aïn Brilou, par exemple, et manœuvrer dans la nature.
Des hauteurs d'Aïn Brilou, on distingue à la limite des horizons lointains tolérés par les pics montagneux, dans la brume chaude qui estompe les contours des êtres et des choses, les bâtiments blanchis de la ville de Taza.
Le minaret en est le point de repère culminant. Quand une visibilité bienveillante s'y prête, on distingue même la ville indigène, la médina.
Depuis plusieurs jours, on vit comme des chleuhs dans la nature. Ce n'est pas que les activités fassent défaut... En fait, on est complètement sorti de l'encroûtement qui menaçait.
Mais aujourd'hui, on sera particulièrement soigné.
Des curieux débrouillards ont fait bon marché de toute prudence et se sont renseigné auprès des cuistots. Ils connaissent le menu... On se régalera.
Comme il n'y a pas de frigo, il faudra finir la bidoche. Quelle est la raison de ces agapes spéciales que ne motive aucune fête particulière ? Elle est simple...
Le lieutenant X... qui commande l'escadron, s'est tout simplement abouché avec un des notables de l'endroit et ce dernier a accepté une convention avantageuse pour les deux parties... Contrat non signé, basé simplement sur le respect mutuel, il va permettre de ravitailler très largement l'escadron en viande fraîche.
La transaction s'établit comme suit : le notable reçoit trois cartouches Lebel en échange de chaque animal (sanglier ou autre) qu'il apportera aux cuistots de l'escadron. S'il utilise une seule cartouche pour abattre l'animal, il lui en reste deux pour son usage personnel. Cela suppose évidemment la possession d'un fusil capable de tirer la cartouche. Mais ce n'est un secret pour personne que les Arabes des montagnes détiennent des armes de guerre et qu'il ne leur manque que des munitions.
On comprendra qu'à ce prix, l'ordinaire sera amélioré sans grandes difficultés. Finalement, ce sont les cuistots qui, comme d'habitude emportent la palme, car cuisiner dans les conditions de manoeuvres n'est certes pas une mince affaire. Il s'agit d'un gigantesque barbecue , comme on dirait de nos jours. Mais tout le monde y trouve son compte.
LE MALCHANCEUX
Yasreg vient d'encaisser quatre jours de "tombeau". C'est l'adjudant T.... qui les lui a octroyés. Un mot d'explication est sans doute utile. En manoeuvres, ou même théoriquement en campagne, le légionnaire qui, pour une cause quelconque, a mérité de "dérouiller", serait empêché de récolter la juste conséquence de ses actes. Il ne trouverait pas, et pour cause, l'endroit idoine destiné à préserver la quiétude de ses méditations. Mais qu'à cela ne tienne ! Des gens ingénieux, sinon un rien sadiques, il y en a bien assez à la Légion, ont trouvé de quoi combler cette lacune. Il suffisait d'y penser.
L'intéressé devra tout simplement dresser sa toile de tente, ce qui lui fera une sorte de pyramide, en dessous de laquelle il se couchera sur le dos. Comme son espace vital ne lui suffira pas toujours, compte tenu du gabarit de chacun, pour lui procurer la possibilité de se mouvoir, il sera autorisé dans certains cas, à creuser une sorte de fosse.
Cette dernière, baptisée "tombeau", variera en profondeur. Le confort de ce légionnaire malchanceux dépendra donc de la friabilité du sol.
Dans les environs de Taza, la composition géologique des roches ne permet guère d'entourloupettes. Le roc affleure partout. La couche d'humus, dans les bons endroits, n'excède pas quelques centimètres. On comprendra donc que "l'entombé" n'ait guère les coudées franches. Chaque fois qu'il se verra contraint par la nature de quitter temporairement son petit coin, il devra recommencer les formalités d'entrée, c'est-à-dire, redresser sa tente. A part cela, il aura tout le loisir de passer la nuit à l'abri, sauf, bien entendu, ses pieds qui dépasseront les limites de l'édifice, et sa tête qui fera de même.
Cette situation avantageuse, sur le plan méditatif, permettra à l'entombé de réfléchir profondément aux raisons spécifiques qui ont amené l'Autorité à exercer cette mesure coercitive regrettable.
Pendant que le reste de l'escadron soupera, après le "rompez" du soir, les Chleuhs des environs viendront écouler leurs produits, le pinard tiède réchauffera les esprits et les espoirs, et la soirée se terminera avec la chansonnette poussée dans le style composite habituel.
Pour l'entombé, la majeure partie du souper lui passera sous le nez, puisqu'il ne sera pas là pour défendre sa pitance. Mais si le sous-officier est de bon poil et qu'il y pense, on lui apportera une gamelle de ce qui restera. On n'oubliera pas, dans ce cas, d'y joindre un fruit, car même un entombé a besoin de sa dose de vitamines : c'est réglementaire et prescrit impérativement par le lieutenant médecin.
La raison de cette situation ennuyeuse, c'est que Yasreg avait la tête ailleurs et n'avait entendu qu'imparfaitement l'intéressante causerie prononcée par l'adjudant Touf-Touf. Il n'avait pas su répondre à cette question posée à brûle-pourpoint : "A quoi sert le col de cygne dans le mécanisme de la mitrailleuse Hotchkiss ?"
Yasreg à cet instant précis avait les pensées tournées vers des horizons plus bucoliques et n'avait pas saisi avec assez d'empressement la question posée. Accusé de désinvolture, et poussé dans ses retranchements par une bordée de questions supplémentaires, Yasreg avait parfaitement répondu, mais avait, selon T... montré des velléités de vouloir nager entre deux eaux.
C'était,de la part de ce sous-officer érudit, une marotte de croire que les escadrons du 1er REC évoluaient en permanence dans une sorte de piscine où certains nageaient en surface, et d'autres, plus ou moins futés, essayaient, contre toutes prescriptions réglementaires, de se maintenir en plongée.
Bref, ce soir-là, Yasreg avait fait ballon, car on l'avait oublié dans son coin.
L'entombé est sorti de sa sépulture pendant la journée, afin de lui permettre de participer au désencroûtement général. Ce jour-là, on a fait du tir au mortier, au lance-grenade avec tromblon, etc... On a aussi réfléchi profondément sur les mystères mécaniques du fusil mitrailleur. Bref, une journée fructueuse, ou chacun s'est constitué une aptitude combattante la plus idoine possible.
C'est alors qu'un événement mineur, sans doute, mais important pour le rédacteur de ce pensum, se passa.
Yasreg appartenait, à titre de pourvoyeur, à un peloton de mortiers de 81. Pour économiser les munitions, très rares, on remplaçait cette arme à tir courbe par des tremblons que l'on fixait sur un fusil ordinaire. Ce procédé ne disposait d'aucun appareil de visée et seul le sens des proportions et le flair permettaient une précision relative.
L'objet considéré comme cible était situé à une assez grande distance du tireur. Tous les membres du peloton avaient loupé consciencieusement cet objectif. Seul Yasreg, à l'écart comme d'habitude, n'avait pas tiré.
Quand son tour arriva, son sens des proportions et les rudiments de géométrie qui surnageaient dans son abrutissement, lui suggérèrent la relation classique du triangle rectangle, celle qui conditionne le célèbre "pont-aux-ânes", pour viser l'objectif. Le résultat : ses trois grenades à fusil tombèrent sur l'objectif.
Touf-Touf, sidéré, regarda Yasreg sans pouvoir sortir ce qu'il aurait voulu dire.
Pour une fois, il se découvre le sifflet coupé, mais pas pour longtemps... cela ne dure pas car tout le monde regarde. Manifestement cet adjudant constate qu'il a peut-être sous-estimé Yasreg... Les trois coups ont fait mouche... "Nom de D...: Tu es le seul à ne pas l'avoir loupé... ! Eh bien, tiens... tes quatre jours de "gnouf" sautent". Et,dans une explosion de sincérité stupéfaite, il ajoute : "je ne t'aurais jamais cru capable de ça !"
Touf-Touf secoue sa surprise, il se redresse, grimace comme il a l'habitude de le faire quand quelque chose le dépasse et jette un coup d'oeil à la ronde sur le reste du peloton.
"Bandes de cons, bande d'abrutis", hurle-t-il, "c'est un gratte-papier qui vous a tous rasés aujourd'hui... vous devriez être honteux... j'ai devant moi une belle bande de jean-foutres..."
Ce fait insignifiant semble avoir troublé ce sous-officier blanchi sous le harnais et son attitude vis-à-vis de sa bête noire s'améliora sensiblement dans la suite. Le fait d'être débarrassé du "tombeau" paraît à Yasreg, dans l'immédiat, des plus positifs.
AU RAS DES PAQUERETTES
Le brigadier-chef W... exerçait les fonctions de candidat sous-officer au 2ème escadron. Il était Belge et se disait Bruxellois. Au cours des manoeuvres précitées, il fut envoyé à l'hôpital de Taza pour une intervention chirurgicale bénigne. Yasreg reçu sa visite alors qu'il sortait tout juste du tombeau.
D'allure distinguée, la voix douce, élégant dans son uniforme neuf, il avait ce qu'il est convenu d'appeler "bonne mine". Yasreg ne l'avait jamais rencontré auparavant.
Mais ce n'était pas uniquement pour faire connaissance que ce brigadier-chef désirait rencontrer l'ancien clochard. Ses préoccupations étaient plus terre à terre. Confronté avec des difficultés de fin de mois, il cherchait à se faire renflouer. Yasreg dans sa candeur naïve lui sembla sans doute la poire rêvée. Un compatriote, pensez donc...
Yasreg n'était pas riche. Mais en manoeuvre, on ne dépense presque rien et il se fait qu'il était l'heureux détenteur de la somme de 400 francs. Et ce légionnaire économe ne savait rien refuser. Il les prêta, tout bonnement, hautement flatté de voir qu'un brigadier-chef ait pensé à lui pour lui rendre ce signalé service.
Avec les salamalecs d'usage en semblables circonstances, la transaction s'effectua dans les meilleures conditions, sur la promesse de remboursement dès réception du traitement. Car comme brigadier-chef, W... était appointé. Renfloué pécuniairement, cet homme élégant mit le cap sur Taza.
Le temps passa. Les deux escadrons étaient depuis longtemps rentrés à Guercif et chacun avait repris ses habitudes. Yasreg, plein d'espoir attendait patiemment que son compatriote se souvienne de lui. Mais comme Soeur Anne, il ne voyait rien venir.
En désespoir de cause, il alla relancer W... dans son escadron et fut reçu avec des promesses pour le mois d'après. Ces entourloupettes continuèrent plusieurs mois. A sa troisième visite infructueuse au 2ème escadron, Yasreg apprit par un "roulé" précédent que W... avait un goût prononcé pour le poker et les dames de vertu légère et qu'il pouvait toujours courir pour récupérer son argent. Ce gradé, peu regardant sur les moyens de colmater ses brèches financières, empruntait sur sa bonne mine et laissait son portrait.
Edifié, Yasreg déposa un billet sur le bureau de W... lui donnant comme dernier délai le lendemain à 10 heures du matin, faute de quoi, il raconterait la chose au commandant.
A 9heures 55, W... qui faisait fonction de sous-officier de jour, ne s'était toujours pas manifesté. Yasreg, occupé à gratter du papier, surveille l'horloge. Comme Touf-Touf est présent, il décide de ne pas déranger le capitaine et de s'adresser à lui :
"Mon lieutenant, puis-je vous demander quelque chose ?"
"Vas-y" répond Touf-Touf, plein de bienveillance acide.
"Le brigadier-chef W. me doit 400 francs depuis Aïn-Brilou. J'ai essayé trois fois de les récupérer, sans résultat. Je les lui avais prêtés sur sa demande parce qu'il devait aller à l'hôpital et n'avait pas touché son traitement. Il est plus riche que moi, qui n'ai plus un rond..."
"Planton", grogne Touf-Touf, "va chercher W... au trot, trouve-le."
Les minutes passent, finalement W. apparaît. Il est en tenue de service, avec la jugulaire au menton. Il se présente au garde-à-vous, impeccable :
"Brigadier-chef W..., mon lieutenant."
L'adjudant se tourne vers Yasreg et lui fait répéter son histoire, puis à W... en regardant sa montre : " tu as cinq minutes pour appointer l'argent, tu devrais être honteux... disparais !"
Trois minutes -plus tard, W... remettait 400 francs à Yasreg, sans problème, le compte y était.
8 NOVEMBRE 1942 : les ANGLOS-AMERICAINS DEBARQUENT EN AFRIQUE
La nuit du ? au 8 novembre 1942 voit les deux escadrons portés du 1er REC de Guercif prêts à faire mouvement vers Taourirt pour y effectuer des manoeuvres. Ces dernières ont été préparées depuis au moins une semaine.
Chargé de reproduire les plans généraux de ces manoeuvres sur les indications du chef d'escadron, Yasreg a appris bien des choses. Les exercices auxquels on se prépare sont trop importants pour être de la simple routine. Il y a un petit air de mystère autour de ce qui se mijote. Yasreg, transporté d'allégresse, sait de quoi il s'agit. Car il fait partie des meubles et personne ne se tait devant lui.
TROIS HEURES DU MATIN
L'obscurité couvre le camp où règne une chaleur moite, presque orageuse, à l'image de ce qui se prépare. L'atmosphère est lourde, oppressante dans le silence parfois troublé par les hurlements des chiens chleuhs, dans le lointain.
Les sentinelles habituelles au corps de garde, aux hangars à matériel et à munitions, veillent. Mais, cette fois, chose bizarre, les hommes ont des cartouches. Tout le monde n'attend plus que le signal pour commencer la cérémonie. Car, chose extraordinaire aussi, on a dormi tout habillé. Ce sont les ordres; ils ont été exécutés avec les grognements habituels, mais personne ne semble s'être posé de question.
Puis soudain, chose insolite, une sonnerie de trompette retentit. Yasreg ne l'avait jamais entendue auparant. On se pose la question : "Qu'est-ce que c'est que ça ?". Personne ne sait ce que signifie ce petit air insolite ponctué de couacs. Yasreg, mieux renseigné, devine qu'il s'agit de l'alerte réelle.
Depuis plusieurs jours, les mécaniciens ont fait refonctionner les moteurs des camions et des sidecars. Ce n'était pas une mince affaire que de faire revivre ces vieux tacots confits de graisse et ces "blindés" dérisoires, tout juste bons à effrayer les Chleuhs en dehors de leurs douars. Mais alors,.ce qui sort tout à fait de l'ordinaire, tous ces véhicules ont fait le plein d'essence.
Tout cela pour jouer au petit soldat autour du patelin sordide qui a nom : Taourirt ? De tout évidence... non... quelque chose s'est passé... et Yasreg sait qu'il ne s'agit nullement de manœuvres mais d'un déplacement vers Oujda, à la frontière algérienne, pour s'y équiper et être prêt à intervenir quelque part.
Car des événements d'une extrême importance débutent; en ce 8 novembre 1942, des forces anglo-américaines débarquent en Afrique du Nord. Pendant ce temps, les Anglais enlèvent à Rommel tout espoir de réaliser ses buts.
L'espoir enfin se concrétise, tout devient possible.
(à suivre)
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