Sommaire
Editorial
Avec le présent bulletin se clôture l'année sociale du C.L.H.A.M. ( Juillet 83 - Juin 84) dont le bilan se révèle largement positif.
Au plan socioculturel, les conférences-débats réunirent mensuellement 15 à 40 personnes, membres du C.L.H.A.M. et sympathisants. Par ailleurs, les visites guidées proposées furent bien accueillies par nos membres qui se rencontrèrent à la Chartreuse, Embourg, Loncin et Vogelsang, De plus on ne peut que se féliciter des liens étroits qui se sont tissés lors des rencontres du mardi soir.
Dans le domaine archéologique, l'action du C.L.H.A.M. s'est diversifiée. Une équipe, dirigée par Jean BROCK, s'occupe activement de la Chartreuse où nous bénéficions d'une concession accordée en décembre 1983. D'autre part, plusieurs de nos membres se sont intégrés dans un groupe, pris en mains par Jules LEBEAU, s'intéressant plus particulièrement aux fortifications belges en rapport avec les deux dernières guerres. Au plan scientifique, il faut encore noter la participation de plusieurs des membres ci-dessus au projet "Brialmont" que soutiennent les associations ayant Loncin et Lantin en charge.
Fort de l'expérience acquise, l'année sociale 84-85 s'annonce fort riche. Nous souhaitons, tout d'abord, accueillir nos membres dans un cadre rénové. C'est le projet auquel s'attache l'équipe animée par Henri PAVANT. Il s'agit, non seulement, de remédier à quelques-unes des séquelles du tremblement de terre de novembre 1983 mais encore d'équiper et d'aménager un de nos locaux en fonction de l'information de type audiovisuel. S'ensuivra, dès lors, un cycle de conférences-débats dont le programme sera détaillé dans le prochain bulletin. Pour ce qui concerne nos publications, nous comptons encore mieux améliorer la présentation et le contenu de notre périodique tandis que seront élaborés des bulletins spéciaux. Nous songeons tout d'abord à "Septembre-Décembre 1944... Liège se souvient" que nous offrirons à nos membres les plus fidèles. La parution est prévue en Août et ira de pair avec les manifestations de la Ville de Liège auxquelles nous participerons. Pour soutenir notre action, nous demandons à nos membres de renouveler, dès à présent, leur cotisation ou mieux encore d'affilier leurs amis et connaissances.
Dès à présent nous vous donnons rendez-vous en Août en Outremeuse et dès Septembre au Musée Saint-Georges...
Pierre Rocour
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Septembre-décembre 1944... Liège se souvient
Le fac-similé de la première page d'un journal qui en comportait quatre, format 35 cm sur 25 cm, imprimé sur papier jaune, encadré de tricolore.
Il lui restait trois pages entières… Ce dix mai à l'aube, toute la défense du canal Albert est en état d'alerte.
La compagnie devait défendre un pont près de Boorsem. Des tranchées et abris étaient occupés.
Vers huit heures, des avions ennemis commencèrent leurs attaques afin de défendre les ponts que les Allemands devaient utiliser.
Il y eut déjà plusieurs blessés derrière le canal. Les ambulances étaient alertées et le sauvetage des blessés commença.
Notre jeune brancardier, séminariste de vingt ans, avec son aide, portaient un blessé sur brancard.
De nouveau, des avions les bombardaient, les coups tombaient fort près et ils reçurent une pluie de pierrailles et de terre.
Ils tinrent encore quelques heures, puis durent évacuer vers l'arrière. L'envahisseur prit les positions et bientôt la plupart des Belges furent faits prisonniers et amenés vers l'Allemagne.
Certains d'entre eux étaient amenés à Fallingbostel, camp Stalag II B. Nous étions à peu près voisins dans nos confortables lits en planches. Après avoir fait connaissance, l'on parle des misères passées et présentes.
Il me relate son histoire guerrière et sort de sa poche supérieure gauche un petit carnet, agenda. Il en ouvre les pages et me montre un morceau de schrapnel figé dans son carnet. Cette pièce d'acier, tranchante de un centimètre avait presque percé le carnet, il restait encore trois pages à percer et le corps aurait été atteint à l'endroit du cœur.
Il restait trois pages entières.
L. LEVAUX, Souvenirs...
En juin 1940, je fus prisonnier au petit village de WlLDINGS dans le Nord de l'Autriche à 10 km de la Tchécoslovaquie (Stalag XVII C).
Un calepin de notes me rappelle la vie quotidienne du Kriegsgefangenen:
- pensées à êtres chers - cafard - attente de nouvelles (lettres ou dates du retour !
- repas du jour - morceau de pain gris - p. de terre - soupe avec peu ou pas de viande mais épluchures, marmelade, morue...
- travail en groupes sur routes, bois, champs en plein soleil aux refrains ..LOS ..LOS ..ARBEIT ... voire coups de crosses.
Peu importait le paysage, seule la gare au loin intriguait dés que des wagons y stationnaient. Et dans ce lieu de souffrances et vexations, je m'étais promis de le revoir... libéré et vainqueur...
Ce 18 juin 1976, 56 ans après, en excursion à Vienne avec les Croix de guerre, je viens de refaire, en pèlerinage seul avec mes pensées, le trajet vers Wildings.
Cette fois, 'ai pu admirer la nature, ls forêts, cette région agricole et d'emblée, je reconnus la petite gare de Germans. A pied et par un sentier G.R. 611, je refis les parcours d'antan, sous bois et route brûlante.
Au tournant d'un chemin, je trouvai une plaque "Wildings", seul vestige ,car tout le village était rasé et disparu (il faisait partie d'un grand camp de manœuvres militaires).
Après 12 Km, je rejoignis une gare voisine après avoir dû une nouvelle fois, prisonnier mais du site, suivre la route militaire : les abords étaient interdits sous peine d'arrestation ou amende de 500 SH.
Seuls quelques paysans rencontrés et les explosions lointaines donnèrent une certaine vie à ces lieux redevenus avec le temps et la nature comme si jamais rien ne s'y était passé.
Et pourtant, la veille, avec les Croix de guerre -notre car- nous avions visité le camp de concentration de MAUTHAUSEN, situé sur le Donau; à 70 Km de Wildings. Une pluie battante assombrit encore la visite de ce camp de souffrances et de mort. Chambres à gaz, fours crématoires, travaux forcés, rien ne manqua dans ce camp organisé pour la mort lente de dizaines de milliers de prisonniers, de toutes nationalités, victimes du joug nazi.
Souvenirs, oui, OUBLI, NON vraiment cela est impossible.
Ces atrocités de l'Autorité agissante et dictatoriale doivent êtres rappelées à notre jeunesse pour qu'elle en prenne leçon dans sa LIBERTE actuelle et s'en préserve pour l'avenir ! ! ! !
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La Chronique du CHLAM
Rubrique : TEMOIGNAGES A. RAMAEKERS, Il lui restait trois pages entières… Ce dix mai à l'aube, toute la défense du canal Albert est en état d'alerte.
La compagnie devait défendre un pont près de Boorsem. Des tranchées et abris étaient occupés.
Vers huit heures, des avions ennemis commencèrent leurs attaques afin de défendre les ponts que les Allemands devaient utiliser.
Il y eut déjà plusieurs blessés derrière le canal. Les ambulances étaient alertées et le sauvetage des blessés commença. Notre jeune brancardier, séminariste de vingt ans, avec son aide, portaient un blessé sur brancard.
De nouveau, des avions les bombardaient, les coups tombaient fort près et ils reçurent une pluie de pierrailles et de terre.
Ils tinrent encore quelques heures, puis durent évacuer vers l'arrière. L'envahisseur prit les positions et bientôt la plupart des Belges furent faits prisonniers et amenés vers l'Allemagne.
Certains d'entre eux étaient amenés à Fallingbostel, camp Stalag II B. Nous étions à peu près voisins dans nos confortables lits en planches. Après avoir fait connaissance, l'on parle des misères passées et présentes.
Il me relate son histoire guerrière et sort de sa poche supérieure gauche un petit carnet, agenda. Il en ouvre les pages et me montre un morceau de schrapnel figé dans son carnet. Cette pièce d'acier, tranchante de un centimètre avait presque percé le carnet, il restait encore trois pages à percer et le corps aurait été atteint à l'endroit du cœur.
Il restait trois pages entières.
L. LEVAUX, Souvenirs...
En juin 1940, je fus prisonnier au petit village de WlLDINGS dans le Nord de l'Autriche à 10 km de la Tchécoslovaquie (Stalag XVII C).
Un calepin de notes me rappelle la vie quotidienne du Kriegsgefangenen:
-pensées à êtres chers - cafard - attente de nouvelles (lettres ou dates du retour !
-repas du jour - morceau de pain gris - p. de terre - soupe avec peu ou pas de viande mais épluchures, marmelade, morue...
-travail en groupes sur routes, bois, champs en plein soleil aux refrains ..LOS ..LOS ..ARBEIT ... voire coups de crosses.
Peu importait le paysage, seule la gare au loin intriguait dés que des wagons y stationnaient. Et dans ce lieu de souffrances et vexations, je m'étais promis de le revoir... libéré et vainqueur...
Ce 18 juin 1976, 56 anis après, en excursion à Vienne avec les Croix de guerre, je viens de refaire, en pèlerinage seul avec mes pensées, le trajet vers Wildings.
Cette fois, 'ai pu admirer la nature, ls forêts, cette région agricole et d'emblée, je reconnus la petite gare de Germans. A pied et par un sentier G.R. 611, je refis les parcours d'antan, sous bois et route brûlante.
Au tournant d'un chemin, je trouvai une plaque "Wildings", seul vestige ,car tout le village était rasé et disparu (il faisait partie d'un grand camp de manœuvres militaires).
Après 12 Km, je rejoignis une gare voisine après avoir dû une nouvelle fois, prisonnier mais du site, suivre la route militaire : les abords étaient interdits sous peine d'arrestation ou amende de 500 SH.
Seuls quelques paysans rencontrés et les explosions lointaines donnèrent une certaine vie à ces lieux redevenus avec le temps et la nature comme si jamais rien ne s'y était passé.
Et pourtant, la veille, avec les Croix de guerre -notre car- nous avions visité le camp de concentration de MAUTHAUSEN, situé sur le Donau; à 70 Km de Wildings. Une pluie battante assombrit encore la visite de ce camp de souffrances et de mort. Chambres à gaz, fours crématoires, travaux forcés, rien ne manqua dans ce camp organisé pour la mort lente de dizaines de milliers de prisonniers, de toutes nationalités, victimes du joug nazi.
Souvenirs, oui, OUBLI, NON vraiment cela est impossible.
Ces atrocités de l'Autorité agissante et dictatoriale doivent êtres rappelées à notre jeunesse pour qu'elle en prenne leçon dans sa LIBERTE actuelle et s'en préserve pour l'avenir !!!
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Un document exceptionnel relatif à l'organisation défensive de la Belgique avant 1940
Vu la longueur du document, celui-ci a été scindé en trois parties :
Page (2) : Introduction - Contenu - Défense permanente de la frontière de l'Est - Abréviations
Page (3) : La PFN - la PFA - le Réduit National - la Tête de pont de Gand - la position semi-permanente Anvers-Namur - Innondations et destructions - Abréviations
Page (4) : Les documents photographiques et commentaires
Bonne lecture ...
Pour faire suite à la communication de notre président, A. GANY dans les locaux du C.L.H.A.M. le 4 octobre 1983, nous publions ci-après le document sur lequel l'exposé s'était basé.
Cette synthèse avait été rédigée par une section de l'Etat-Major Général de l'Armée belge vers les années 1935-1936.
Le programme de construction esquissé ne sera pas entièrement réalisé; c'est en particulier le cas du Fort de Sougné-Remouchamp auquel on renoncera.
La note ne reprend pas les coûts d'armement qui sont donc à ajouter aux montants cités. Tous les chiffres sont exprimés en francs de l'époque et doivent donc être multipliés par 20 pour obtenir leur contre-valeur actuelle.
Par ailleurs, nous faisons suivre ce texte d'une série de documents photographiques, communiqués et commentés par notre érudit membre J. LEBEAU. Un lexique figure in fine.
L'exposé est structuré comme suit :
I. Vue d'ensemble du système fortificatif belge vers 1935
1. Défense permanente de la frontière de l'Est
a. La situation à l'Est des provinces de Liège et de Luxembourg
b. La position fortifiée de Liège (P.F.L.)
c. La situation dans les provinces de Limbourg et d'Anvers
d. La situation entre Liège et la frontière française
2. La position fortifiée de Namur (P.F.N.)
3. La position fortifiée d'Anvers (P.F.A.)
4. Le réduit national
5. La tête de pont de Gand
6. La position semi-permanente Anvers-Namur
7. Inondations et destructions
II. J. Lebeau : Documents photographiques et commentaires
III. C.L.H.A.M. : abréviations employées
I. Vue d'ensemble du système fortificatif belge vers 1935
En 1930 fut instituée une "Commission des Fortifications" qui décida d'adopter, pour la défense du Territoire, le principe des régions fortifiées. Ce système permet en effet d'obtenir le meilleur rendement d'une quantité déterminée de travaux, de crédits et d'effectifs, et se plie beaucoup mieux à la souplesse des plans d'opérations, que le système du champ de bataille continu à la frontière. Celui-ci était pratiquement impossible à réaliser dans un petit pays comme le nôtre, dont le développement des frontières Nord et Est, d'Anvers à Arlon, atteint 300 kilomètres. Il ne suffit pas, en effet, de créer des positions, il importe de pouvoir les garnir et les défendre. Les effectifs réduits de l'armée étaient par eux-mêmes un obstacle insurmontable à l'application d'un tel système.
Vu l'exiguïté de notre territoire, la Commission estima d'abord, que le système détenait devait être porté aussi près de la frontière que possible, afin de soustraire la plus grande partie du pays aux dévastations de l'ennemi, et d'éviter la perte d'une partie importante de nos ressources; elle conclut ensuite, que l'organisation défensive devait être établie en profondeur, et comporter deux lignes de régions fortifiées respectivement sur la Meuse et sur l'Escaut.
Ces deux fleuves constituent les seuls obstacles importants à des opérations militaires à travers le Pays, non seulement pour l'ennemi, mais aussi pour nous-mêmes. Il importe donc d'y établir une défense permanente, tant dans le but de contrarier ou d'arrêter l'avance de l'adversaire, que d'assurer notre liberté de manœuvres sur toute l'étendue du territoire.
Par ailleurs, les lignes d'eau des provinces de Limbourg et d'Anvers, ainsi que les couverts des Ardennes, peuvent également être d'un secours appréciable pour la défense du Pays.
Enfin, la création d'un réduit National ayant des communications assurées avec l'extérieur, à l'abri duquel l'armée puisse se refaire, et éventuellement attendre de l'intervention de troupes alliées, fut reconnu indispensable.
Ces considérations ont conduit à l'organisation :
1. de la défense permanente de la frontière de l'Est;
2. de la position fortifiée de Namur;
3. de la position fortifiée d'Anvers;
4. d'un réduit National;
5. de la tête de pont de Gand;
6. à la préparation d'organisations semi-permanente entre Namur et Anvers;
7. en ordre subsidiaire, à la préparation d'inondations et de destructions.
1. de la défense permanente de la frontière de l'Est;
L'organisation défensive permanente de la frontière de l'Est comprend :
a. Des organisations échelonnées à la frontière Orientale des Provinces de Liège et du Luxembourg;
b. La position fortifiée de Liège;
c. Des organisations dans les Provinces du Limbourg et d'Anvers;
d. Des abris contre l'irruption sur la Meuse, entre Liège et la Frontière Française.
a. Les organisations permanentes échelonnées à la frontière Orientale des Provinces de Liège et du Luxembourg ont été établies suivant les directives suivantes :
En cas de menace d'invasion, une partie de nos forces seraient portées à la frontière orientale des provinces de Liège et du Luxembourg dans le but :
1. de protéger l'exécution des destructions prévues sur les voies ferrées et routières de pénétration;
2. de s'opposer à la progression de l'ennemi, ou, dans le cas où celui-ci s'avérerait avoir une supériorité marquée, de retarder sa progression dans toute la mesure du possible.
Un certain nombre de points seront occupés à cette double fin. La mission des troupes de défense sera facilitée par des obstructions qui seront créées à proximité immédiate de la frontière, à l'intervention de la gendarmerie, ainsi que par des destructions. Il est entendu, au surplus, que les troupes se couvriront d'obstructions dans la mesure compatible avec le temps disponible et les circonstances locales.
Malgré tout, la mission de ces garnisons de défense n'en reste pas moins délicate, car elles courent le grave danger d'être enveloppées ou accrochées, danger qui ne peut être atténué qu'aux conditions ci-après :
1. l'enveloppement devant être rendu difficile, il faut créer des flancs solides, présentant un échelonnement défensif en profondeur;
2. il faut que, tant que les flancs résistent aux tentatives de débordement, le restant de la garnison ait la faculté de se replier à l'abri des vues, donc des feux ajustés de l'ennemi opérant sur les flancs;
Il faut qu'à l'arrière des centres de résistance et sur ses directions de repli, la garnison trouve, postés, des éléments de feu capables de la soustraire à l'emprise adverse. Les éléments de feu ainsi disposés, soit en flanc, soit sur les directions de repli, auront une mission qui peut les amener à prolonger la résistance; ils doivent donc être protégés, c'est-à-dire mis sous des abris bétonnés.
Pour éviter de déceler l'emplacement de la défense frontale, celle-ci ne comportera qu'exceptionnellement des abris. Au reste, la défense sera renforcée par l'action d'engins motorisés, dont l'intervention s'adaptera à l'organisation fortificative, mais ne doit pas conditionner celle-ci.
Tous les abris seront conçus pour une mitrailleuse avec 4 servants, gradés compris. Ils seront constitués de façon à donner au maximum la protection contre le coup isolé de canon de 77 mm. Ne comportant ni système de ventilation, ni cloche d'observation, ni projecteur, ils seront de dimensions réduites, ce qui diminuera leur vulnérabilité et leur visibilité. L'idéal serait de pouvoir les dissimuler dans des couverts naturels, ou dans des bâtiments; en cas d'impossibilité, ils seront camouflés.
3. Le but à poursuivre est de les rendre suffisamment invisibles pour que l'ennemi ne puisse les soumettre à un tir observé. Ceux qui seront dissimulés aux vues pourront présenter une résistance moindre que celle prévue plus haut.
L'application de ces directives a conduit à la construction :
1. d'une première ligne de centres ou de postes fortifiés, comprenant un nombre d'abris variant de UN à VINGT-NEUF; ce sont les postes ou centres fortifiés de Beusdael (3 abris) Hombourg (14 abris), Henri-Chapelle (12 abris) Grünhault (3 abris) Dolhain (12 abris), Jalhay (6 abris), Hockai (2 abris), Malmédy (6 abris), Stavelot (8 abris), Poteau (4 abris), Vielsalm (13 abris), Salm-Château (3 abris). Cierreux (2 abris), Bovigny (4 abris), Beho (9 abris) Gouvy (7 abris) Brisy (1 abri) Houffalize Taverneux (8 abris) Rachamps (2 abris) Bourcy (4 abris) Noville (3 abris), Foy (3 abris) Bastogne (29 abris) Lutremange (2 abris), Villers-la-Bonne-Eau (2 abris), Tintange (2 abris), Warnach (2 abris), Strainchamps-Bodange (9 abris), Martelange (5 abris), Perlé (2 abris) Attert (8 abris) et Arlon (28 abris); au total pour la 1ère ligne : 218 abris.
2. d'une deuxième ligne de centres ou de postes fortifiée, comprenant un nombre d'abris variant de UN à ONZE; ce sont les postes ou centres fortifiés de : Lansival (4 abris), Lierneux (5 abris), Fraiture-les-Tailles (6 abris), Wilogne (1 abri), Achouffe (2 abris), Grande-Mormont (3 abris), Herlinval-Wyenpont (6 abris), Bertogne (2 abris), Tenneville-Ortheuville (11 abris), St-Hubert (9 abris), Arville-Val de Poix (2 abris), Grupont (3 abris) et Forrières (2 abris), soit pour la 2ème ligne un total de 56 abris.
3. d'abris défendant les nœuds routiers de : Habay-la-Neuve (6 abris), Vance (3 abris), Neufchâteau (27 abris) et Recogne (8 abris); soit pour les nœuds routiers : 44 abris.
4. de deux lignes d'abris de cloisonnement : l'une allant de Bastogne à Neufchâteau, comportant 13 abris, l'autre allant d'Amberloup à Recogne et comportant 14 abris; soit pour les lignes de cloisonnement, 27 abris.
Les organisations défensives échelonnées de Beusdael à Malmédy jalonnent la ligne avancée de la P.F.L., laquelle sert de position de repli à leur garnison; tandis qu'elle constitue appui d'aile gauche pour les lignes des autres centres et postes fortifiés mentionnés situés plus au sud.
La première de ces lignes s'y raccorde par les vallées de la Salm et de l'Amblève; la deuxième, par les vallées de la Lienne et de l'Amblève.
Chacune de ces vallées est défendue par des abris agissant en flanquement du fond, ou interdisant l'accès des routes qui y débouchent, abris au nombre de 12 pour la Salm, de 13 pour la Lienne et de 5 pour l'Amblève.
L'ensemble de ces organisations comportent donc 375 abris dont la construction a coûté 6 millions de francs.
b. La Position Fortifiée de Liège est appelée à jouer un rôle d'une importance primordiale dans la défense du Pays.
Ce rôle peut être défini comme suit :
1. Couvrir la mobilisation et la concentration de l'armée de campagne, de concert avec la position fortifiée de Namur.
2. Former tête de pont offensive, permettant à l'armée de déboucher sur la rive droite du fleuve, et de menacer les communications d'une armée ennemie engagée soit dans le Luxembourg, soit dans le Limbourg Hollandais.
3. Former tête de pont de retraite, permettant de recueillir l'armée après un échec éventuel subi sur la rive droite du fleuve.
4. Constituer, pour des fractions de l'armée en campagne, des positions fortifiées particulièrement solides.
5. Constituer pivot de manœuvre, comme appui d'aile droite de la position Anvers-Liège, et comme appui d'aile gauche de la défense du Luxembourg ou de la position Meuse-Amont.
Pour remplir ces différentes missions, la P.F.L. doit être organisée solidement en profondeur. Elle comporte :
1. une ligne avancée, à proximité de la frontière;
2. une première ligne de défense, à hauteur de la Meuse entre Lanaye et Visé, et, de là, jalonnée par Neufchâteau, Battice, Pepinster, Sougné-Remouchamps et la vallée de l'Amblève entre Remouchamps et Comblain-au-Pont;
3. une deuxième ligne de défense à hauteur des anciens forts de la rive droite;
4. une troisième ligne de défense, à hauteur de Jupille, Chênée-Renory;
5. la ligne de défense de la Meuse à hauteur du fleuve;
6. un réseau téléphonique enterré;
7. enfin, pour mémoire, la ligne des forts non réarmés de la rive gauche de la Meuse, dont l'occupation par des unités spéciales de Mi est prévue.
1. la ligne avancée : son tracé et ses organisations défensives permanentes ont été décrits plus haut.
2. La première ligne de défense comprend :
a. cinq forts modernes : Eben-Emael, Neufchâteau, Battice, Pepinster et Sougné-Remouchamps
b. une ligne d'abris d'intervalle.
Les forts contiennent l'armement de sûreté destiné en ordre principal, à intervenir dans l'irruption ou dans l'attaque brusquée; à agir par des tirs de flanc dans les intervalles et à suppléer, en cas de percée du front, à la déficience de l'artillerie non protégée.
Ils constituent en outre des points d'appui de la position d'infanterie.
Ce sont des ouvrages fermés, entourés le plus souvent, par un fossé sec, et par un réseau de défenses accessoires dont la majeure partie est placée dès le temps de paix.
Leurs organes actifs sont à l'épreuve du 280 à Eben-Emael, du 420 à Neufchâteau, Pepinster et Sougné-Remouchamps; du 520 à Battice.
- Le fort d'Eben-Emael est l'appui d'aile gauche de cette 1ère ligne. Il a pour mission particulière l'interdiction des débouchés de Maastricht et de Visé, ainsi que le flanquement de la tranchée du canal Albert, entre Lixhe et Canne. Il tient également sous ses feux l'écluse de Lanaye dont l'occupation permettrait à l'ennemi d'effectuer des manœuvres d'eau préjudiciables à la défense du canal Albert;
Sa superficie est de 66 hectares.
Son armement comprend :
1 coupole de deux canons de 120;
2 coupoles de deux canons de 75;
4 casemates de 3 canons de 75 G.P. chacune, dont 6 pièces tirent en direction de Visé et 6 pièces en direction de Maastricht;
3 Mi flanquent le terre-plein intérieur.
Ce fort possède en outre trois observatoires d'artillerie cuirassés intérieurs et un observatoire cuirassé extérieur situé au Nord-Ouest de Visé.
L'obstacle est constitué, sur les fronts Nord et Est, par le canal Albert; sur le front Sud, par un fossé sec, de 5 mètres de profondeur et de 10 mètres de largeur au plafond, sur le front Ouest, par les inondations du Geer; il est battu par mitrailleuses et par canons de 60.
- Le fort d'Aubin-Neufchâteau a pour mission particulière d'interdire les routes, et particulièrement celle d'Aix-la-Chapelle à Visé, de battre les carrefours de Val-Dieu et du mamelon 205 situé à 800 mètres de Val-Dieu, et de flanquer la ligne de défense au Nord-Ouest du plateau.
Sa superficie est de 30 hectares.
Son armement comprend :
3 mortiers de 61 mm;
2 coupoles de 2 canons de 75 mod. 34;
7 cloches pour Mi. pour le flanquement du glacis;
4 cloches pour F.M.
Ce fort ne comporte aucun organe intérieur spécialement affecté comme observatoire d'artillerie, mais deux abris munis de cloche pour guetteur, de l'intervalle Neufchâteau-Visé, ainsi que deux abris observatoires de l'intervalle Neufchâteau-Battice, travaillant à son profit comme observatoires cuirassés extérieurs.
L'obstacle est constitué par des fossés secs, de 5 mètres de profondeur et 15 mètres de largeur au plafond, battus par Mi et par canons de 47.
- Le fort de Battice a pour mission l'interdiction du chemin de fer d'Aix-la-Chapelle à Liège, de la route d'Aubel à Battice, du chemin de fer d'Aix-la-Chapelle-Herve-Liège, et le flanquement de l'intervalle vers le Sud et vers le Nord.
Son armement comprend :
2 coupoles de 2 canons de 120,
3 coupoles de 2 canons de 76 mod. 34;
8 cloches pour Mi pour le flanquement des glacis;
2 observatoires à artillerie et deux ouvrages détachés avec observatoire d'artillerie.
L'obstacle est constitué par la tranchée du chemin de fer flanquée par 4 canons de 60 et par des fossés secs (type Neufchâteau), battus par Mi.
- Le fort de Pepinster a pour mission particulière l'interdiction de la vallée de la Vesdre et de la route de Theux à Mont, ainsi que l'appui de la ligne d'abris d'intervalle, en tenant la vallée de la Hogne sous le feu de ses mortiers.
Sa superficie est de 30 hectares.
Son armement comprend :
3 mortiers de 81 mm;
2 coupoles de 2 canons de 75 mod. 34;
8 cloches pour Mi pour le flanquement des glacis;
3 cloches pour F.M., dont 1 sur le bloc mortier pour la défense du terre-plein intérieur.
L'obstacle est constitué par des fossés secs (type Neufchâteau), battus par Mi et canons de 47.
L'accès d'interdiction du fort de Pepinster est complété par deux casemates, armées d'une Mi et d'un canon de 47, l'une enfilant la route d'Aix-la-Chapelle à Liège par la vallée de la Vesdre, l'autre enfilant la route de Theux à Mont. Ces casemates travaillent également comme observatoires d'artillerie au profit du fort qui ne comporte aucun organe intérieur spécialement affecté à cette fin.
- Le fort de Sougné-Remouchamps a pour mission particulière l'interdiction de la vallée de l'Amblève et de la route de Werbomont à Aywaille, ainsi que le flanquement de la ligne de l'Amblève vers le Sud et vers l'Est.
Sa superficie est de 40 hectares.
Son armement comprend :
4 mortiers de 81 mm;
2 coupoles de 2 canons de 75 mod. 34;
8 cloches pour Mi pour le flanquement des glacis;
2 cloches pour F.M. dont une sur le bloc mortier pour la défense du terre-plein intérieur.
1 observatoire détaché donnant des vues sur la vallée de l'Amblève.
L'obstacle est constitué par des fossés secs (type Neufchâteau), battus par Mi et canons de 47.
Les organes de ces forts sont reliés par un réseau de galeries souterraines bétonnées profondément enterrées (de 20 à 40 mètres sous le sol à Eben-Emael, 30 mètres à Battice, 25 mètres pour les autres forts).
Sur ces réseaux sont greffés des locaux à munitions, des locaux de piquet et de garde, un poste de commandement, des salles de machines, une salle d'affusion, une station de pompage d'eau potable; une caserne souterraine comprenant des dortoirs, une cuisine, des latrines, plusieurs locaux destinés au service de santé, enfin, à l'écart, un dépôt mortuaire.
La caserne souterraine est réservée au temps de guerre; en temps de paix, la garnison est logée dans des baraquements extérieurs conçus de manière à pouvoir être rapidement brûlés ou détruits.
Le réseau de galeries souterraines s'étend sur 3 1/2 Km à Eben-Emael et Battice, sur 1 1/2 Km environ dans les autres forts.
La force motrice est fournie par des groupes Diesel alternateurs qui, en principe, sont d'une puissance double de la puissance nécessaire.
A Eben-Emael, il existe 3 groupes de 160 CV chacun; à Battice, 3 groupes de 115 CV chacun, dans les autres forts, le placement de 2 groupes de 115 CV est prévu.
Cette force motrice est utilisée pour l'éclairage des galeries et des blocs, pour la mise en batterie des pièces et le déploiement des coupoles, pour le fonctionnement des monte-charges, des ascenseurs, enfin la ventilation.
Celle-ci est assurée par des ventilateurs qui aspirent l'air frais de l'extérieur, puisé à un endroit défilé, bien ventilé, et dont le terrain est en pente, distant de 300 m environ du fort. La galerie d'aspiration de l'air sert également à la relève de la garnison du fort.
S'il en est besoin, l'air peut être aspiré à une quinzaine de mètres au-dessus du sol, au moyen d'un tube télescopique, sauf à Eben-Emael où 3 prises d'air de secours, débouchant dans la tranchée du canal, remplacent ce dispositif. Enfin, si à cette hauteur l'air est encore vicié, on aurait la ressource de faire passer l'air destiné à la caserne souterraine au travers de filtres prévus à cet effet. Les occupants des autres locaux devraient alors se protéger au moyen de masques avec boîte filtrante universelle.
La pression d'air des locaux est réglée de façon à permettre une rapide évacuation des gaz provenant du tir et à empêcher l'infiltration des gaz toxiques venant de l'extérieur.
Enfin, les communications téléphoniques intérieures sont assurées par un réseau complet; les communications avec l'extérieur, par câble téléphonique enterré et par un poste émetteur-récepteur de radio-télégraphie.
Les fossés sont éclairés par projecteurs, tandis que le terrain des abords est éclairé par fusées tirées des cloches pour Mi.
Abris d'intervalle
Entre Lanaye et Visé, la 1ère ligne de défense et la ligne de défense du fleuve sont confondues.
Sur le plateau de Herve, la 1ère ligne est jalonnée approximativement par la ligne des forts; elle s'y trouve distante de 8 kilomètres environ de la ligne des anciens forts et est donc appuyée par leurs feux.
Entre Visé et le fort de Neufchâteau, la 1ère ligne est dominée par des hauteurs situées à l'Est; mais cet inconvénient est largement compensé par l'action en flanc et à revers que l'on peut avoir, de la région de Mauhin et de Haussière, sur les occupants de ces hauteurs.
A partir de Houïeux (4 Km au Nord de Battice) le terrain plus ouvert et les vues plus étendues facilitent l'organisation de cette ligne.
Les directives admises pour l'organisation de la partie comprise entre Houïeux et le bois de Haute-Tribomont (2,5 Km au Nord de Pepinster) sont les suivantes :
Tant que l'ennemi n'aura pu mettre en position qu'une faible artillerie, la défense sera assurée par le 1er échelon. Dès que les opérations préliminaires pourront faire supposer que cette artillerie a été fortement renforcée, la bataille sera livrée sur le 2ème échelon.
En fonction de cette idée directive, il a été décidé de réaliser un 2ème échelon particulièrement puissant, disposé en arrière de la cote Rouaux-Margerin-Battice-Manaihant-Haute-Tribomont, partout où le terrain le permettra. Là où ce dispositif à contre-pente est réalisé, le 1er échelon a sa limite arrière aux crètes, et celles-ci seront garnies de Mi chargées d'exécuter des tirs en avant de cet échelon.
Au Sud de la Vesdre, la 1ère ligne est éloignée des anciens forts de Liège d'une distance variant de 12 à 16 Km et adopte le tracé Pepinster-Theux-Spixhe-Haut-Regard, et se raccorde aux pentes Nord du ravin de la Gergova, facilement défendable, puis suit la rive droite de l'Amblève.
La région de Theux, ouverte et très accessible est organisée solidement; les abris y ont des vues et une action étendue.
La région de Spixhe-Haut-Regard, par contre, est entrecoupée de nombreux petits vallons et ravins, provoquant un morcellement extrême des tirs. Dans ce secteur, il y a dès lors 2 lignes : celle des abris de flanquement disposés sur les croupes vers la lisière du 1er échelon et celle des abris disposés plus en arrière, afin d'agir dans les dépressions séparant ses croupes.
Enfin, la vallée de l'Amblève entre Sougné-Remouchamps et Comblain étant naturellement forte, l'organisation vise uniquement à la défense des points de passage et des accès dans la vallée, et au flanquement du plan d'eau.
Les abris, tous pour Mi, constituent l'ossature de la position ainsi définie. Ils sont groupés de façon à former un certain nombre de points d'appui de peloton, choisis aux endroits capables de procurer un grand rendement des feux et des vues.
Ils sont bétonnés, à une embrasure et conçus pour résister au tir prolongé du 150 et à quelques coups du 200; sauf mention spéciale, ce type est celui admis pour tous les abris et cette capacité de résistance est celle adoptée pour tous les abris, casemates et centraux téléphoniques.
Certains abris, particulièrement bien placés au point de vue de l'observation, sont pourvus d'une cloche pour guetteur avec P.M. permettant de battre le terrain avoisinant.
Des abris à action frontale, en nombre restreint, sont pourvus d'un dispositif spécial d'embrasure permettant la réduction des dimensions des embrasures.
La densité moyenne de cette ligne d'abris est un abri par 250 mètres.
L'intervalle Visé-Neufchâteau comporte 19 abris, dont un avec cloche pour guetteur et F.M. et 1 avec cloche pour guetteur (non compris 7 abris faisant partie de la tête de pont de Visé dont il sera question plus loin).
L'intervalle Neufchâteau-Battice comporte 38 abris, dont 2 pourvus de cloche pour guetteur avec F.M., ainsi que 2 abris observatoires travaillant au profit des forts de Battice et de Neufchâteau, et ayant des vues étendues vars Aubel et Agenstein.
L'intervalle Battice-Pepinster comporte 50 abris, dont 4 avec cloche pour guetteur, 2 observatoires travaillant au profit des forts de Battice et de Pepinster, ainsi que 1 casemate, déjà citée plus haut, armée d'une Mi, d'un canon de 47, d'un P.M., d'un projecteur et d'une cloche pour guetteur destinée à interdire la vallée de la Vesdre et à servir d'observatoire cuirassé pour le fort de Pepinster.
L'intervalle Pepinster-Sougné-Remouchamps comporte 43 abris, dont 2 cloches pour guetteur et F.M., ainsi qu'une casemate déjà citée, armée d'une Mi., d'un canon de 47, d'un projecteur et d'une cloche pour guetteur destinée à la défense de la route de Theux à Mont, et à servir d'observatoire cuirassé extérieur pour le fort de Pepinster.
L'intervalle Sougné-Remouchamps-Comblain comporte 22 abris.
La 1ère ligne de la P.F.L. comporte donc un total de 178 abris pour Mi, 4 observatoires et 2 casemates pour canon de 47.
Les cinq forts de cette ligne coûteront 172 millions; les abris ont coûté 11 millions de francs, soit au total pour cette 1ère ligne 163 millions, non compris l'armement.
3. Deuxième ligne de la P.F.L.
Le tracé de cette deuxième ligne suit le tracé de la ligne des anciens forts de la rive droite (Barchon, Evegnée, Fléron, Chaudfontaine, Embourg et Boncelles) et s'appuie à la Meuse au Nord vers le fort de Pontisse et au Sud vers le fort de Flémalle, respectivement en aval et en amont, sur la rive gauche.
Ces huit anciens forts sont réarmés et occupés en tous temps; sauf à Flémalle, la garnison est logée dans des baraquements extérieurs.
Le rôle de ces forts consiste à coopérer, par leurs feux d'artillerie, à la défense de la 1ère ligne, à s'opposer à l'irruption, et à former point d'appui de la seconde ligne, ou à appuyer la défense du fleuve, en ce qui concerne les forts de Pontisse et de Flémalle.
L'armement provient en majeure partie d'anciens matériels allemands récupérés pour lesquels on disposait de munitions, et non employables en campagne, vu leur poids. Il comprend des coupoles de canons de 105 ou de 150, pour l'action lointaine, d'obusiers de 75, pour la défense de l'intervalle de la 2e ligne et de Mi. pour le flanquement des glacis, à savoir :
pour Pontisse : 1 coupole de 2 canons de 105 et 4 coupoles d'obusiers de 75;
pour Barchon : 2 coupoles pour 1 canon de 150; 2 coupoles de 2 canons de 105; 4 coupoles d'obusier de 75 et 1 coupole de Mi;
pour Evegnée ; 1 coupole pour 1 canon de 150, 2 coupoles pour 1 canon de 105, 3 coupoles d'obusier de 7,5 et 1 coupole de Mi;
pour Fléron : 2 coupoles pour 1 canon de 150, 2 coupoles de 2 canons de 105, 4 coupoles d'obusier de 75 et 1 coupole de Mi;
pour Chaudfontaine : 1 coupole pour 1 canon de 150, 2 coupoles de 1 canon de 105 et 4 coupoles d'obusier de 75;
pour Embourg et Boncelles : 4 coupoles d'obusier de 75;
pour Flémalle : 1 coupole pour 1 canon de 150, 1 coupole de 2 canons de 105, 4 coupoles d'obusier de 75 et 1 coupole de Mi.
L'obstacle est constitué par des fossés secs, flanqués par F.M. et par un réseau de défenses accessoires dont la majeure .partie est placée dès le temps de paix.
Ces forts sont à l'épreuve du 220. Le principe de leur renforcement est le suivant :
Les coffres de flanquement des fossés, la salle des machines, le bureau de tir, deux locaux pour le service de santé, les gaines de circulation reliant ces divers organes, ainsi que les locaux d'accès aux anciennes coupoles de 57 (actuellement coupoles d'obusier de 75) ont été renforcés, en créant, à l'intérieur des locaux et gaines existants, d'autres locaux en béton armé, avec tôles en ciel, et interposition, entre les nouvelles et les anciennes maçonneries, d'un blocage de moellons et de terre.
Sous le massif central, un réseau de galeries bétonnées a été créé pour servir, non seulement de gaines de circulation, mais également pour entreposer les munitions. Ces galeries réunissent les puits à matériel et à personnel donnant accès aux coupoles.
Les anneaux de certaines coupoles ont été renforcées par des anneaux en béton armé, d'une largeur de 4 m et d'une épaisseur de 2,50 m. L'observation est assurée par un observateur cuirassé, placé à la partie la plus élevée du massif central.
Enfin, une galerie d'une longueur variant de 200 à 400 mètres permet d'aspirer de l'air frais à l'extérieur du fort sauf à Pontisse et à Embourg, cette aspiration se fait au sommet d'une tour bétonnée de 18 m de hauteur (et d'effectuer la relève de la garnison du fort)
Une partie de cette galerie, enterrée à une profondeur de plus de 25 m, est aménagée pour servir d'abri de bombardement à la garnison.
Chaque fort dispose, comme force motrice, de deux groupes Diesel alternateurs d'une puissance de 75 CV chacun.
Un réseau téléphonique complet est établi à l'intérieur de chacun des ouvrages, lesquels sont reliés à l'extérieur par un câble téléphonique enterré et par un poste émetteur-récepteur de radiotélégraphie.
Abris de la 2ème ligne. La Commission des fortifications a estimé inutile la construction, dès le temps de paix, d'abris échelonnés en profondeur, étant donné l'échelonnement des positions se trouvant en avant.
Elle a jugé par contre indispensable de maintenir une ligne d'abris non seulement contre l'irruption et l'attaque brusquée, mais également pour la couverture immédiate de l'artillerie engagée sur la rive droite de la Meuse.
Un échelon d'abris a donc été construit entre les forts, depuis la Meuse-Aval jusqu'à la Meuse-Amont, en vue de créer un système continu de feux de Mi. En outre, des abris ont été construits aux avancées de Micheroux et de Magnée, l'occupation de ces points étant nécessaire à une bonne action des forts de Fléron et de Chaudfontaine. Tous ces abris sont à 2 embrasures.
Les intervalles Meuse-Aval-Barchon et Barchon-Evegnée comportent chacun 6 abris, l'intervalle Evegnée-Fléron comporte 9 abris dont 3 aux avancées de Micheroux; l'intervalle Fléron-Chaudfontaine comporte 13 abris, dont 4 aux avancées de Magnée; l'intervalle Chaudfontaine-Embourg comporte 3 abris, dont 1 pour canon de 47 et Mi; l'intervalle Embourg-Boncelles, 8 abris, et l'intervalle Boncelles-Meuse-Amont 3 abris, soit au total 48 abris, correspondant à une densité moyenne de 1 abri par 500 mètres.
Le renforcement et la modernisation des huit forts de l'ancienne place de Liège ont coûté 56 millions de francs; les abris ont coûté 5 millions de francs, soit 61 millions de francs pour la 2e ligne.
4. 3e ligne de la P.F.L. Le tracé de cette ligne est le suivant :
Eperon Est de Jupille-borne 5,600 de la route de Liège à Aix-la-Chapelle, Chênée, Colonster et Renory. L'appui des ailes se fait à la Meuse.
Le rôle de ces organisations est d'arrêter les irruptions en avant de Liège, et de constituer une petite tête de pont favorable à la défense du fleuve.
La Commission des Fortifications a estimé inutile de construire une ligne continue d'abris en cet endroit; seule la construction d'abris bétonnés défendant les itinéraires routiers propices à une irruption a été décidée.
Chaque abri contre l'irruption, tant de cette ligne que tout autre, est armé d'un canon de 47 fixe, pour agir contre le matériel, d'une Mi pour agir contre l'infanterie qui aurait été débarquée, d'un projecteur et, éventuellement, d'une cloche pour guetteur, avec ou sans F.M. Ils sont tous pourvus d'un ventilateur à bras, puisant l'air à la partie supérieure de l'abri. Seule la question "Cloche" différencie donc ces abris à canon de 47.
En avant de chacun des abris contre l'irruption, une obstruction est préparée, sauf indication contraire, chaque obstruction comprend 2 séries de 1 ou 2 câbles attachés à des bornes ancrées dans le sol, placées respectivement à 25 m et 100 m environ de l'abri. Cette obstruction de 1ère urgence doit être complétée, dans la mesure où les circonstances le permettront, par une obstruction plus importante.
Cette ligne comporte huit abris de l'espèce tous avec une cloche pour guetteur, à savoir :
- trois à Jupille : le 1er gardant la route de Visé à Liège et la route de Barchon à Jupille par Rabozée; le 2e gardant la route de - Bellaire à Jupille; la 3e, la route de Beyne-Heusay à Jupille.
- un abri au Km 5,600 de la route Aix-le-Chapelle-Liège et gardant cette route;
- deux abris à Chênée, l'un enfilant la route Chaudfontaine-Liége par la rive gauche de la Vesdre; l'autre, la route de Romzée à Chênée par la rive droite de la Vesdre;
- un abri à Colonster gardant la route de Tilff à Liège;
- enfin, un abri à Renory gardant la route d'Ougrée à Liège, par la rive droite de la Meuse.
Ces huit abris ont coûté 650.000 francs, non compris l'armement.
Ils sont occupés en permanence.
5. La ligne de défense de la Meuse comprend :
- en avant du fleuve :
a. la 3e ligne de la P.F.L. dont il vient d'être question;
b. les têtes de pont de Visé et d'Argenteau.
derrière le fleuve : des organisations permanentes le long de la Meuse et du canal Albert.
Les têtes de pont de Visé et d'Argenteau ont été construites en vue d'empêcher l'ennemi de mettre la main sur les ponts, avant leur obstruction ou leur destruction.
- Ces organisations comportent :
- en ordre principal : des abris contre l'irruption, destinés à interdire les routes, et à constituer éventuellement observatoires pour aider l'action des forts de Barchon, Pontisse et Eben-Emael, dans la région.
- en ordre subsidiaire : des abris pour Mi. formant système avec les premiers et destinés, d'abord à les soutenir, ensuite à empêcher que l'ennemi, ayant débarqué, ne puisse s'introduire rapidement dans Visé ou Argenteau, et contrarier ainsi la préparation et l'exécution de la destruction des pont si ces abris, d'ordre secondaire, sont du type adopté pour les organisations échelonnées dans les provinces de Liège et du Luxembourg, à l'épreuve du coup isolé de 77.
- La tête de pont de Visé comporte :
a. 4 abris contre l'irruption; le premier, interdisant la route de Dalhem à Visé, est muni d'une cloche pour guetteur avec F.M.; le second interdisant la route de Bombaye à Visé; le 3e interdisant la route de Berneau à Visé; le 4e la route de Mouland à Visé.
Les deux voies ferrées qui aboutissent à Visé, venant de Maastricht d'une part, de Montzen d'autre part, sont également tenues sous le feu.
b. 15 abris pour Mi, dont deux pour la défense de la caserne de l'unité cycliste cantonnée à Visé.
- La tête de pont d'Argenteau comporte :
a. 2 abris contre l'irruption; l'un interdisant la route de St-Remy à Argenteau est pourvu d'une cloche pour guetteur avec F.M.; l'autre interdisant la route de Dalhem à Richelle.
b. 8 abris pour Mi.
- Les têtes de pont de Visé et d'Argenteau, comprenant 29 abris, ont coûté ensemble 1.200.000 francs.
- Les organisations permanentes en arrière du fleuve comportent :
a. des obstructions par câbles aux ponts de Visé, Wandre, Argenteau et Seraing;
b. les forts de Flémalle et de Pontisse;
c. de Flémalle à Jupille, des abris bétonnés pour Mi. flanquant le plan d'eau, abris à un ou deux flancs de tir créés à cet effet dans les culées de la rive gauche des ponts des Arches, Maghin et de Coronmeuse.
d. de Jupille à Lixhe, des abris pour Mi répartis comme suit :
- sur la Meuse, 19 abris, à 1 ou 2 flancs de tir, dont plusieurs dans les culées de pont;
- sur le canal Albert, 7 abris, à 1 ou 2 flancs de tir, dont plusieurs dans les culées de pont;
- en arrière du canal, des abris à 2 embrasures défendant, face aux directions les plus dangereuses, les trouées entre les falaises qui doivent être flanquées par Mi. Cet échelon comprend actuellement 10 abris, répartis entre Oupeye et le chemin de fer Aix-la-Chapelle Tongres par Visé.
e. Entre Lixhe et Lanaye, la construction d'organisations se heurte à des difficultés d'ordre technique qui, pour être surmontées, exigeraient des sacrifices pécuniaires disproportionnés au rendement qu'on peut en attendre. Dans ce secteur, 2 abris pour Mi seulement ont été construits dans les culées des ouvrages du canal, l'un au pont de Lanaye, l'autre à l'écluse de Petit-Lanaye. D'autres abris sont toutefois projetée, le long du Canal.
Ces organisations permanentes de la rive gauche du fleuve, dont l'exécution dépend des travaux des Ponts et Chaussées, ont coûté jusqu'à présent 2.000.000 de francs.
Elles se compléteraient par la destruction des ouvrages d'art et par une inondation à tendre entre les falaises et le canal, de l'écluse de Lanaye au pont de chemin de fer de Visé (inondation de la Loën).
f. Le réseau téléphonique enterré de la P.F.L. est un réseau-type, tel que prévu par les règlements sur les liaisons et les transmissions. Il comporte la liaison, par axes et transversales, des lignes avancées de D.I. et de C.A. aux P.C. éventuels de la P.F.L. établis soit à la Chartreuse, à la Citadelle ou au fort de Loncin.
Son développement est de 285 Km; il comporte 30 centraux téléphoniques bétonnés, construits à proximité des emplacements probables des P.C., et 161 chambres de connexions bétonnées.
Les forts, ainsi que la majorité des abris contre l'irruption de la P.F.L., y sont raccordés.
Ce réseau a coûté 24.000.000 francs.
Signalons enfin que la création d'obstacles en rails et de champs de mines, contre les tanks et autos blindées, en avant des 1ère et 2e lignes de la P.F.L., est actuellement à l'étude, et que la construction de réseaux de défenses accessoires, à réaliser à la mobilisation, tant dans la P.F.L., que dans le Limbourg, est prévue.
En résumé, les organisations permanentes de la P.F.L. comprennent : cinq forts modernes; huit forts de l'ancienne place de Liège réarmés et modernisés; 310 abris (non compris les abris de la ligne avancée); un réseau téléphonique enterré.
Pour l'ensemble de la P.F.L., les travaux incombant au génie s'élèveront à 276.000.000 francs.
c. Organisations permanentes des provinces de Limbourg et d'Anvers
Le rôle de ces organisations est :
1. s'opposer à une irruption motorisée;
2. favoriser la défense des positions successives que l'année de campagne pourrait occuper.
Elles comportent :
1. une ligne avancée: la ligne avancée s'échelonne le long de la rive Ouest de la Meuse, de Kinroy, au Bord Ouest de Maeseyck, jusqu'à l'enclave de Maastricht. Au Nord, la distance et la région marécageuse de Peel nous protègent quelque peu contre l'irruption.
2. la défense des canaux du Limbourg et de la province d'Anvers.
Cette ligne avancée qui ne comporte que des abris contre l'irruption, a un rôle analogue à celle établie à la frontière dans les Provinces de Liège et de Luxembourg.
Elle comprend :
a. trois abris avec cloche pour guetteur et F.M. gardant les passages par pont volant de Grevenbicht, de Berg et d'Eisloo.
b. les 2 centres fortifiés de Kinroy et de Maeseyck.
Le centre de Kinroy comporte 3 abris dotés d'une cloche pour guetteur avec ou sans F.M.; le 1er abri interdit la route de Weert à Kinroy; le 2e et le 3e, les routes venant de l'Est et du Sud-Est.
Le centre de Maeseyck comporte d'abord trois abris, dont 2 avec cloche pour guetteur; le 1er interdit le pont de la Meuse; le 2e, la route d'Ittervoort à Maeseyck; le 3e, la route de Kinroy à Maeseyck.
Cette organisation est complétée par deux abris de flanquement armés chacun de 2 Mi et de 2 canons de 47 disposés en aval et en amont du pont de la Meuse, qui interdisent le pont, et flanquant le pont d'eau vers le Nord et vers le Sud.
c. enfin, en cas de défaillance des centres de Kinroy et de Maeseyck, la défense contre l'irruption est assurée à Dilsen, par un abri doté d'une cloche pour guetteur avec F.M., qui interdit la route de Maeseyck à Eysden.
Cette ligne avancée, de 12 abris, a coûté : 2.700.000 francs.
2. La défense des canaux comporte 2 lignes: la première est établie sur le canal de la jonction Meuse-Escaut jusque Pierre-Bleue, puis sur le canal d'embranchement de Turnhout; l'autre sera établie en bordure du canal Albert.
- La 1ère ligne s'accroche, d'une part à la P.F.A. à hauteur du fort de Schooten, et, d'autre part, à la P.F.L. à hauteur du fort d'Eben-Emael, en suivant, de Briegden à Neerhaeren, la jonction entre le canal de jonction Meuse-Escaut et le canal Albert.
Ce dernier tronçon est particulièrement important, par suite de l'enclave de Maastricht, qui forme tête de pont pour l'agresseur ainsi que de la présence de 2 écluses, dont la possession permettrait à l'ennemi de saigner le canal Albert. Aussi, la densité des abris y est-elle plus forte.
Les organisations permanentes y comportent 5 abris contre l'irruption, interdisant les routes venant de l'Est, et complétant l'action d'interdiction du fort d'Eben-Emael vers Maastricht, ainsi que 6 abris pour Mi flanquant le plan d'eau.
Sur le canal de Jonction Meuse-Escaut, entre Neerhaeren et Pierre-Bleue, les organisations permanentes comporteront 58 abris de flanquement du plan d'eau pour Mi; ces abris, dont la plupart existe déjà, sont implantés, soit sur le chemin de halage, soit dans les berges du canal, soit dans des ouvrages de garde du canal. La partie Nord de ces organisations comporte, en outre, 2 abris contre l'irruption, interdisant les passages sur le canal, de Gaulille et de Bocholt à des troupes qui emprunteraient les routes de Beeringen, Weert-Hechtel ou Roermond-Weert-Hechtel.
Aucun abri contre l'irruption n'est envisagé pour les ponts de Lommel, Groote Barrier, Neerpelt et Lille-St-Hubert, dont la défense est prévue par des engins motorisés stationnés au camp de Beverloo. De même, au Sud de Bocholt, aucun abri contre l'irruption n'a été prévu, les accès des ponts de cette région étant commandés par les routes de Kinroy.
Enfin, sur le canal d'embranchement de Turnhout, le passages des ponts de Wessel, Rethy et Voorheid seront battus par 3 abris de flanquement. Le terrain en dehors des routes est particulièrement inondable dans cette région.
Entre Turnhout et Anvers, la position du canal de Turnhout dispose, .jusque et y compris le nœud de Turnhout, de quelques 130 abris construits par les allemands sur la rive Nord et répartis en une série d'îlots, formant petites têtes de pont aux points de passage et aux écluses.
Ce sont exclusivement des abris pour guetteurs au des abris de bombardement pour le personnel. En outre, un certain nombre d'abris bétonnés ont été construits par les Allemands, sur la rive Sud du canal, notamment aux bassins d'évitement. Les armes tirant en barbette à proximité des abris étaient destinées à soutenir en flanc les ouvrages de la rive Nord, et à en battre les intervalles. La défense de Turnhout est basée sur une série d'îlots de résistance disposée en arc de cercle autour de la ville, ceux de droite se présentant en échelon.
Les organisations de cette ligne comprendront donc 7 abris contre l'irruption; 67 abris pour Mi, ainsi que des abris allemands et coûteront, en ce qui nous concerne environ 4.500.003 frans.
La 2e ligne s'accroche, d'une part à la P.F.A., à hauteur de la redoute de Maessenhove, et d'autre part à la P.F.L., à hauteur du fort d'Eben-Emael. Elle comporte des abris contre l'irruption et des abris de flanquement du plan d'eau.
La construction des organisations permanentes de cette ligne dépend de l'avancement des travaux du canal; c'est ainsi que des études sont encore en cours pour la partie Anvers-Hasselt, tandis que pour la partie Hasselt-Briegden l'on prévoit une vingtaine d'abris pour Mi, à 2 flancs de tir, flanquant le plan d'eau.
Le tronçon Canne-Briegden,. le seul réalisé actuellement, est particulièrement important, puisqu'il fait face à l'enclave de Maastricht dont il a pour mission de garder les débouchés. Il comporte :
- 3 abris contre l'irruption, interdisant respectivement les ponts de Canne, Vroenhoven et Veldwezelt; les deux derniers sont avec cloche et F.M.
- 6 abris de flanquement du plan d'eau pour Mi, dont deux à 1 flanc de tir, situés de part et d'autre des ponts de Veldwezelt et de Vroenhoven.
Le coût de l'organisation permanente de ce tronçon s'élève à 1.800.000 francs.
Ajoutons que les digues, rives et rampes du canal Albert et des parties élargies du canal de jonction ont été profilées de façon à assurer, au défenseur de la rive amie, des vues et un commandement complet sur la rive ennemie. Les digues de celles-ci ont été profilées en glacis.
Des dispositifs spéciaux (barricades, coupures préparées dans le tablier) sont conçus pour pouvoir assurer rapidement l'obstruction des ponts intéressants de ces canaux.
Enfin, des inondations résultant de barrage des ruisseaux passant en siphon sous ces voies complètent la défense, notamment sur le canal de jonction Meuse-Escaut au Sud de Mechelen, aux environs de Lanklaer, de Neeroeten, de Tongerloo, de Brée, de Lille St-Hubert et d'Overpelt, et, sur le canal Albert, au Sud-Est de Sutendael, au Sud et au Nord-Est de Sutendael, au Sud et au Nord-Ouest de Hasselt, aux environs de Beeringen, d'Eynthout et d'Herenthals.
d. Abris contre l'irruption sur la Meuse entre Liège et la frontière française
Il vient d'être décidé que la défense contre irruption motorisée sera complétée et étendue jusqu'à la frontière française, de façon à pouvoir disposer d'une barrière défensive continue mettant le coeur du Pays à l'abri d'une invasion brusquée.
Cette barrière ne peut être que la Meuse, obstacle important, ne nécessitant d'organisation défensive permanente qu'aux passages franchissant ce fleuve.
Les passages entre Liège et la frontière française seront donc défendus chacun par un abri disposé sur la rive amie, autant que possible dans l'axe même de l'ouvrage à défendre, et de façon à pouvoir agir par le feu à vue directe et à courte distance sur les obstructions; celles-ci sont préparées ainsi qu'il a été dit ci-avant pour les ponts de canaux du Limbourg.
Le cas échéant, l'abri sera établi dans un immeuble et constituera par exemple cave à canon.
Ces abris devront pouvoir résister à une atteinte par projectile de 150, cette résistance pouvant être réduite s'il s'agit de locaux de tir à créer dans un immeuble.
Les reconnaissances de détail sont actuellement en cours et une somme de 4.000.000 de francs est prévue au budget de 1936 pour la réalisation de cette organisation.
III. C.L.H.A.M. : abréviations employées
Les abréviations sont classées dans l'ordre dans lequel elles apparaissent pour la première fois
P.F.L. - Position fortifiée de Liège
C 37 - canon de 37 mm
Mg - Magnée
Cie - compagnie
P.O. - poste d'observation
Bat - bataillon
Tf - téléphonique
Rgt - régiment
FE - Fléron - Evegnée
Lt - lieutenant
Mi - mitrailleuse
Comd - commandant
FM - fusil mitrailleur
C Tf - central téléphonique
MN - Margarin-Neufchâteau
TTR - troupes de transmission
MDL - maréchal des logis
IR - irruption
Sdt - soldat
PP - poste permanent
G - gauche
CS - Comblain - Sougné
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LA CHUTE DES FORTS D'EBEN-EMAEL ET DE BONCELLES VUE PAR LA PROPAGANDE NAZIE.
Pour ce qui concerne la région liégeoise et faire suite à l'article sur l'organisation défensive de la Belgique, nous renvoyons nos lecteurs à la communication de Gunther SCHALICH, Le "Mémoire Liège", publiée dans le bulletin d'information du C.L.H.A.M., tome II, fasc. 3 de juillet - septembre 1983.
Il s'agit d'une synthèse établie par le Haut-Commandement allemand avant que ne soit déclenchées les hostilités sur le sol belge.
D'autre part l'article de Pierre TOUSSAINT inséré dans Liège, mille ans de fortifications militaires, Liège, 1980, pp. 107-126 donne un aperçu de la situation du fort d'Eben-Emael vue sous l'angle technique.
A noter également une monographie de Henri LECLUSE, Ceux du fort d'Eben-Emael, Liège, 1978, 160 p. qui retrace les événements de 1940.
Par ailleurs, il nous a paru intéressant de communiquer, ci-après, une traduction libre d'un document de propagande allemande relatif à la prise de deux forts de la position fortifiée de Liège : Eben-Emael et Boncelles.
Extrait de : Sieg über Frankreich, Berichte und Bilder, herausgegeben vom Oberkommando der Wehrmacht. Zeitgeschichte-Verlag Wilhelm Andermann, Berlin V/35, s.d., pp. 56-62. Communiqué par Pierre TOUSSAINT (C.L.H.A.M.).
LE FORT D'EBEN-EMAEL
Une des actions les plus remarquables qui aient eu lieu pendant l'offensive initiale sur le front de l'ouest a été la prise du fort belge d'Eben-Emael, au sud de Maastricht, une fortification des plus puissantes du monde. La capture a été effectuée par une attaque combinée de troupes aéroportées et d'unités de l'armée de terre. Pour la réalisation de cette opération d'une hardiesse incomparable, le "Führer" et le Commandant Suprême de l'Armée a attribué la Croix de Chevalier de la Croix de Fer à une série d'officiers et de sous-officiers, dont le Lieutenant-Colonel Mikosch et l'Adjudant-Chef Portsteffen, tous deux d'un bataillon de pionniers qui a participé à l'attaque du fort.
9 mai 1940 dans l'après-midi. Le bataillon de pionniers, de retour d'exercice, rentre dans ses quartiers. Mais il ne s'écoule guère de temps avant que les hommes ne soient de nouveau mis en état d'alerte. Chacun sent que l'ordre qui parcourt à ce moment les quartiers des compagnies est, cette fois-ci, un appel à une action sérieuse.
Le commandant du bataillon, le Lieutenant-Colonel Mikosch, tient en main une lettre cachetée. Il ouvre calmement l'enveloppe. Et d'un air aussi calme, comme il sied à un chef expérimenté, il lit son ordre de mission.
Au soleil couchant, le bataillon quitte son emplacement dans les environs de la ligne Siegfried. En marche vers l'ouest ! Malgré l'exercice fatigant qu'ils viennent de faire, les soldats ne dormiront guère. Car le front les appelle. La colonne s'y dirige de toute la force de ses moteurs.
En route, les chefs d'autres unités se présentent au commandant de bataillon. C'est ainsi que se forme le groupe de combat Mikosch.
Mission : en collaboration avec des troupes aéroportées, le groupe s'emparera du fort d'Eben-Emael.
10 mai 1940. Aux premières heures du jour, les troupes allemandes franchissent la frontière hollandaise, direction : Maastricht. Des unités spéciales formant un détachement avancé forment la tête de la colonne pour s'emparer du pont franchissant le canal Albert près de Maastricht. Des troupes aéroportées tiennent déjà une série de points d'appui sur l'autre rive le long du cours d'eau. La tâche des troupes de l'armée de terre qui sont en marche est de donner la main aux aéroportés. Le groupe de combat Mikosch doit établir la liaison avec les aviateurs qui ont atterri sur les coupoles d'Eben-Emael, le fort le plus puissant de la position fortifiée de Liège, situé à 3 ou 4 kilomètres au sud de Maastricht.
Avant que les troupes allemandes ne posent le pied sur le pont près de Maastricht, celui-ci saute avec une détonation formidable. L'avance marque le pas. Au même moment, un terrible tir d'artillerie se déclenche du fort d'Eben-Emael dans le but d'empêcher les unités allemandes de franchir le cours d'eau, maintenant, chaque minute est précieuse, car les troupes aéroportées qui sont déjà engagées dans de durs combats avec les Belges ont un besoin urgent d'être appuyées. Le lieutenant-colonel Mikosch décide donc de franchir le cours d'eau au moyen de canots pneumatiques. Les batteries de D.C.A. qui accompagnent son groupe se mettent en batterie à l'ouest de la Meuse et appuient l'opération au moyen d'un tir de barrage contre les fortifications belges. Le lieutenant-colonel passe l'un des premiers avec les canots pneumatiques qui sont mis à l'eau dans les conditions les plus difficiles au moyen d'échelles sur les flancs abrupts du canal. Sans arrêt, une grêle de balles et d'obus s'abat sur les hardis soldats, en provenance de l'ouvrage d'Eben-Emael auquel d'autres positions et abris joignent leur feu violent.
Les canots passent, l'un après l'autre, sans se laisser détourner, à travers les projectiles. La première compagnie d'assaut des pionniers, auxquels se sont joints également des fantassins, a atteint la rive occidentale. On réquisitionne tout ce qui se trouve en fait de véhicules et la compagnie se met en route sur des voitures blindées, des chariots et des bicyclettes sur la rive gauche du canal en direction de la pointe nord d'Eben-Emael sous le feu nourri de l'adversaire. Les pionniers progressent en combattant. Les nids de résistance des Belges qui se défendent avec ténacité sont éliminés, les tranchées de leurs positions dépassées et leur contre-attaque est devancée par un assaut. Des destructions routières, d'énormes entonnoirs, des barrages, des champs de mines et, en outre, les tirs ennemis qui deviennent toujours plus violents, entravent la route. Dans le courant de l'après-midi, la tête de la colonne pénètre dans le village belge de Canne. Là-bas, au-dessus des positions ennemies, les camarades des troupes aéroportées sont visibles; elles appuient de toutes leurs forces la progression des pionniers. Par radio, les deux groupes allemands entrent en contact; entre les deux se trouvent les Belges.
Entre-temps, la nuit est tombée. L'ennemi tire des fusées éclairantes et allume des projecteurs ; le combat se poursuit violent et sans arrêt. .Malgré le feu violent, dont l'énorme intensité est encore accrue par le fait que les Belges dirigent tout simplement intentionnellement leur tir sur les versants abrupts du canal, de sorte que les obus ricochent dans toutes les directions, quatre compagnies ont passé le canal pour quatre heures de l'après-midi. Le lieutenant-colonel Mikosch donne ses ordres avec le calme de l'officier expérimenté et qui a déjà fait ses preuves au front pendant la première guerre mondiale.
Au sud de Canne, un canal sans issue se détache du canal principal et il constitue, avec une large coupole, à une vingtaine de mètres de hauteur, une protection avant des ouvrages cuirassés d'Eben-Emael. En outre, on a ouvert les écluses et inondé ainsi les seuls chemins d'accès existants et tout le terrain alentour. La compagnie d'assaut engagée contre la pointe nord des fortifications se trouve devant un nouvel obstacle qui apparaît insurmontable. Mais là-bas, sur les coupoles du fort, les camarades de l'aviation attendent. Il faut trouver une solution.
Dans cette situation, un plan audacieux germe dans l'esprit de l'adjudant-chef Portsteffen. Avec 50 hommes choisis, il amène les canots pneumatiques en partie endommagés par les projectiles, les met à l'eau et franchit le terrain inondé en affrontant avec sang-froid le violent tir que les Belges entretiennent à la lueur des projecteurs et des fusées éclairantes. Les hommes atteignent sans pertes les versants d'en face et s'approchent des coupoles cuirassées en traversant le terrain hérissé de dangers. L'adjudant-chef crie le mot de passe et le nom du 1er lieutenant Witzig. La réunion des deux groupes qui a lieu le 11 mai à l'aube, entre 5 et 6 heures, est saluée d'une joie indescriptible.
Pendant 24 heures, les troupes aéroportées avaient tenu tête à l'adversaire et maintenu leurs positions. Pendant 24 heures, les pionniers s'étaient avancés vers eux au prix de durs combats. Ce moment était peut-être celui où, dans la vie de soldats, ils se sentaient les plus heureux et les plus fiers.
Sans plus attendre, l'adjudant-chef Portsteffen engage le combat avec les ouvrages qui continuent à tenir le chemin du canal sous un tir violent.
Armés de charges groupées, les hommes progressent vers les embrasures dans le béton d'où sortent des tubes de canons et des canons de mitrailleuses. L'effet est terrifiant. Les tubes de canons éclatent et les morceaux volent dans toutes les directions, accompagnés d'une pluie de morceaux d'acier, de pierres et de terre. Les détonations se répercutent au loin dans l'air du matin. Saisis d'effroi, les Belges abandonnent leurs abris. Les ouvrages sont éliminés ainsi les uns après les autres. Entre-temps, une deuxième et une troisième compagnies d'assaut ont suivi. Les pionniers et les fantassins progressent pas à pas. L'un après l'autre, les canons cessent le feu. On est en outre parvenu à amener de ce côté du canal six canons anti-chars au moyen de canots pneumatiques; ces canons engagent le combat contre les canons plus puissants des ouvrages et l'emportent.
A dix heures du matin, le groupe de combat Mikosch lance son dernier assaut. A 12 heures 15, le fort d'Eben-Emael se tait et à 12 heures 50, le parlementaire belge apparaît porteur d'un drapeau blanc. Cent adversaires morts et blessés sont étendus parmi les ruines des ouvrages blindés et des abris. Un millier d'hommes sont emmenés en captivité : des hommes abattus, brisés moralement par la violence de l'irrésistible attaque allemande. Une partie de la garnison cherche le salut dans la fuite. Une victoire incomparable a été remportée par quatre compagnies allemandes de pionniers contre une troupe supérieure en nombre (1.200 hommes), contre un ouvrage cuirassé, tout de béton et de fer, équipé d'armes lourdes les plus modernes, et considéré comme invincible, par une troupe décidée de soldats allemands bravant la mort, conduite par des hommes dont le cœur ne tremblait ni devant la mort ni devant le diable.
LE FORT DE BONCELLES
Au combat, la mort donne à chacun une chance égale. Des deux côtés du no man's land, les mitrailleurs sont à l'affût et tirent sur tout dos et tout casque qui se montre. Les obus de l'artillerie cherchent leurs victimes dans les deux camps.
Mais ici, devant Boncelles, un des plus puissants ouvrages cuirassés de la ceinture fortifiée intérieure de la ville de Liège, la partie est à 90 contre 10 en faveur de l'adversaire. Les mortiers lourds de notre artillerie déclenchent un tir ininterrompu. Des pionniers risquent leur vie pour amener des charges groupées auprès des coupoles cuirassées. Les corps de fantassins sont étendus devant les réseaux de barbelés. Ils sont tentés de mettre hors combat, au moyen d'un tir direct de mitrailleuse, une des meurtrières crachant le feu. Mais les projectiles ricochent sur le revêtement blindé de la forteresse. Celle-ci ressemble a un animal préhistorique, inquiétant et hargneux. Un monticule de sable gris-vert, dénudé, avec des élévations à peine perceptibles, mais quand on regarde au binoculaire, on voit cet animal qui vit. Brusquement, un blindage en forme de chapeau noir s'élève du fond vert, observe la région pendant quelques secondes et disparaît de nouveau, comme englouti dans le sol. Immédiatement après, une deuxième coupole se soulève rapidement pour envoyer son salut d'acier à notre Infanterie qui encercle le fort de toutes parts.
Des pièces à canon long, des obusiers, des mortiers et des canons anti-chars s'unissent pour envoyer une cloche de feu sur Boncelles. Mais les cuirasses paraissent invulnérables; l'ouvrage tire de toutes ses coupoles. Et cependant Boncelles doit tomber...
Pendant la nuit, les premières troupes de choc allemandes reconnaissent l'ouvrage. Elles s'avancent jusqu'à 30 ou 40 mètres du versant en pente légère et se risquent alors à bondir jusqu'aux coupoles blindées. Là, le feu de l'adversaire qui se trouve sous terre les atteint. Elles sautent dans les fossés de 20 mètres de profondeur et 20 mètres de large qui entourent la forteresse, s'abritent dans les angles morts pour noter sur des croquis la position des embrasures d'où partent les coups. Mais il n'y a pas ici d'endroit que la gerbe de balles d'une mitrailleuse belge ne puisse atteindre. Des sept hommes du groupe, deux sont tués, un légèrement blessé, les autres ne renoncent pas à leur mission dans cet enfer de feu. Ils rampent vers l'entrée de l'ouvrage principal, évitent par des bonds en zig-zag le canon de 75 qui tire à une distance de 20 mètres.
Ils arrivent tout près de la coupole, de sorte qu'ils entendent à l'intérieur la voix de l'officier chef de pièce qui commande : "Plus à gauche, plus à droite" (N.d.T. : sic En "français" dans le texte). Ils restent pendant sept heures accroupis près de la paroi blindée et attendent les premières heures de l'aube avant que le tir du fort s'apaise. Alors ils reviennent à leur point de départ et font rapport.
Le fort de Boncelles doit tomber ! Heure après heure, le courage indomptable des fantassins talonne les hommes qui sont dans la montagne cuirassée. Les détonations des charges groupées claquent dans la nuit. On fait une reconnaissance de chaque abri, chaque puits, chaque volet d'embrasure. Des croquis hâtivement fait au crayon parviennent sur la table de l'état-major divisionnaire et finissent par constituer une image complète et à l'échelle de l'ouvrage. La reconnaissance est terminée. Et maintenant, l'attaque allemande menée avec tous les moyens va casser les dents du fort.
Les canons lourds, complètement habillés de verdure, et si habilement camouflés que même la plus petite roue brillante est recouverte sont avancés vers les coupoles cuirassées et les tours d'observation. Ils sont à l'affût, à l'abri derrière le dernier rideau d'arbres à l'orée du bois et dans une maison située un peu en avant du village proche. Leur tube est dirigé sur la coupole, lorsque, au moment du coup suivant tiré par la coupole, l'ascenseur blindé de l'observateur apparaît au-dessus de la plaine, et qu'immédiatement après, l'adversaire tire l'obus de 75, les Allemands envoient une réponse d'acier.
Le coup de départ et la détonation à l'arrivée des obus allemands s'unissent en un seul hurlement. La tourelle adverse est touchée; elle ne se montrera plus. Une tourelle d'artillerie du fort de Boncelles se tait.
Mais les hommes dans les casemates souterraines de l'ouvrage ont compris quel dangereux ennemi s'est risqué dans leur voisinage. Ils exploitent leur avantage. La deuxième tourelle d'artillerie se soulève. Pan... Un coup au but frappe les servants du canon allemand proche. Pendant plusieurs minutes, se déroule entre des pièces distantes de quelques centaines de mètres à peine un duel à la vie, à la mort. L'artillerie allemande ne recule pas d'un pas. Elle perd des hommes, mais, visant avec un calme imperturbable, elle force au silence les tourelles adverses les unes après les autres. Ce dont le fort dispose encore maintenant en fait d'armes lourdes, sera détruit le soir par le tir de canons allemands de très fort calibre. La dernière coupole cuirassée, le dernier canon qui a détruit la mise en place de l'infanterie et infligé de lourdes pertes aux éléments les plus avancés, se dessine sur l'horizon, à moitié soulevée, coincée et rendue impuissante par la violence des obus. Boncelles n'a plus d'artillerie.
Mais ceux qui ont édifié la position fortifiée de Liège - ce n'est pas pour rien que la ville s'appelle elle-même "la position fortifiée la plus puissante du monde" - ont prévu une telle attaque concentrée. Aucun fort de toute la ceinture de défense de la ville n'est limité seulement à sa propre résistance. Lorsque, la nuit, de nombreux groupes d'assaut allemands se risquent jusqu'au profond rempart de l'ouvrage, des "montagnes d'obus" s'abattent, sous forme de salves qui se succèdent pendant des heures et qui proviennent d'un ouvrage intact situé sur l'autre rive de la Meuse, sur nos soldats qui sont exposés, comme sur un plateau, au tir ennemi, sans pouvoir se défendre.
Et pourtant, le fort de Boncelles tombera ! La nuit n'a pas encore fait place au jour que, tous, nous levons la tête derrière les pans de murs démolis par l'artillerie dans le village de Boncelles.
Des stukas allemands arrivent. Leurs escadrilles s'approchent de l'ouvrage, passent deux ou trois fois au-dessus de leur objectif, puis se mettent à achever l'œuvre de destruction au moyen de bombes de très fort calibre. De sinistres entonnoirs, d'énormes trous dans la terre, dans lesquels des compagnies tout entières peuvent se mettre à couvert, sont provoqués par les charges de dynamite des bombardiers dans le massif du fort. De la poussière et une fumée de poudre brun-rouge s'élèvent vers le ciel serein. Des réseaux de barbelés s'envolent comme soufflés; des obstacles circulaires en acier sont transformés en boules grotesques par le martèlement des explosifs. Dans toute son étendue, le massif vert est fouillé et labouré jusqu'au plus profond. Pendant six heures, les stukas plongent l'un derrière l'autre, moteurs hurlants. Sans arrêt, les pilotes montent jusqu'à l'altitude d'attaque, puis plongent l'un derrière l'autre comme des rapaces qui fondent sur leur proie. Les unes après les autres, les bombes touchent l'objectif. A 12 heures 30, cela s'arrête. Les stukas se divisent en deux groupes et lâchent leur terrible chargement sur les forts voisins. Autour de Boncelles retentit le tonnerre de détonations. L'infanterie allemande se prépare à l'assaut.
Ce qui suit est l'ouvrage d'une demi-heure. Conformément à un plan mûrement établi, des groupes d'assaut se risquent dans les fossés du fort. Des pionniers font sauter la porte d'entrée. Un canon de fort calibre est avancé jusque devant la porte d'acier de l'ouvrage principal et tire obus sur obus dans les lourdes portes d'entrée. Des salves de mitrailleuses pénètrent dans les embrasures latérales; des hommes des groupes d'assaut bondissent en se cachant jusqu'aux ouvertures crachant des projectiles pour laisser tomber des grenades attachées ensemble à l'intérieur de l'ouvrage. Des détonations sourdes se font entendre à l'intérieur. Dans le fort, un blessé hurle à un point tel que les nerfs peuvent à peine supporter ses cris. Enfin, on parvient, toujours sous le feu de l'adversaire, à pénétrer à l'intérieur de l'ouvrage. De nouveau, des destructions aux explosifs et des mitrailleurs vigilants aident les groupes d'assaut à progresser, jusqu'à ce que les adversaires vaincus sortent du fort et prennent le chemin de la captivité.
"Cessez le feu"! Dans l'entrée de la hauteur d'un homme et noircie par la fumée, apparaît un canonnier belge, le visage noirci et couvert d'ecchymoses. Ses camarades le suivent. Ce ne sont plus des hommes de ce monde, ces êtres aux cheveux grillés, aux visages jaunes et verdâtres. Il n'y en a presque aucun qui ne soit blessé à la main, au visage ou à l'épaule. Seuls, deux ou trois officiers gardent encore une certaine tenue. Le commandant du fort a trouvé la mort. Une bombe lourde de stuka a percé la couverture blindée, pénétré jusqu'à l'étage inférieur de l'ouvrage et a tué tous ceux des officiers qui se trouvaient réunis en conférence au mess. A cet endroit, on ne peut plus recueillir des morts, tous ont été déchiquetés.
En escaladant les blocs de terre d'un mètre de haut soulevés des profondeurs par les lourdes bombes, nous grimpons jusqu'au sommet du fort. Là se trouvent encore les corps de camarades. Maintenant, nous pouvons les étendre avec précaution sur des civières et leur donner une tombe de soldat. Nous avançons dans les galeries de taupes pleines de fumée de l'ouvrage. Nous montons dans les sombres coupoles et apercevons sous nos yeux la vallée de la Meuse, les charbonnages, les clochers, les églises et les maisons de Liège.
Les assaillants de Boncelles se tiennent sur le terrain fortifié qu'ils ont capturé, le casque repoussé dans la nuque, et font des signes vers le ciel où les stukas passent une dernière fois au-dessus de la vallée ensoleillée de la Meuse, afin de participer à la joie de la victoire qui est aussi la leur. En face d'une prairie en pente, les stukas s'inclinent et plongent jusqu'à quelques mètres du sol. Là se trouvent les restes calcinés de l'appareil d'un de leurs camarades dont la défense anti-aérienne du fort a cisaillé l'aile droite. Le pilote s'est écrasé avec son appareil en feu sous les yeux de nos premiers groupes d'assaut.
Rassemblement ! L'infanterie allemande sort des fossés et entonnoirs de Boncelles. Les uniformes sont déchirés par les barbelés, la sueur ruisselle sur les visages gris de poudre. L'infanterie a vaincu le blindage; elle a prouvé de quoi les soldats allemands sont capables. "A Liège, sur le champ de bataille, le drapeau murmurait : "c'est maintenant ou jamais".
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F. GERSAY, Souvenirs de guerre (suite)
ORAN - PREMIER CONTACT AVEC L'ALGERIE
Yasreg n'est jamais sorti d'Europe; les vacances étaient réservées à de mieux nantis que lui. Il en est à son premier contact avec la terre africaine. Le port d'Oran lui apparaît tout proche, dans les lueurs indécises d'une aube tiède. Lentement, dans les odeurs âcres, particulières aux ports méditerranéens, le navire s'amarre. On attend, recroquevillé dans son coin, qu'il fasse plus clair pour prendre pied sur la terre ferme.
En attendant, pour l'équipage, c'est le branle-bas. Les ordres, les cris, les courses précipitées, les imprécations, les jurons, s'ajoutent aux grincements de poulies, aux craquements, aux crissements des appareils qu'on manipule. Personne parmi les recrues ne doit bouger de sa place pour laisser les coudées franches à ceux qui manœuvrent. Bien sûr, personne ne dort. Chacun se borne à se faire le plus petit possible.
Sur le quai, des comités de réception se sont installés. Ils sont destinés à canaliser vers leurs diverses destinations les recrues qui vont débarquer. Il n'y a, bien sûr, dans cet accueil, ni fantaisie, ni falbalas. D'ores et déjà, les adjudants de quartier s'empressent de clamer bien haut leurs prérogatives. Pour beaucoup de recrues qui vont débarquer, ce sera le début de la fête tout à l'heure.
Finalement, alors que le soleil matinal devient insistant, les passerelles s'abaissent et, un à un, on descend. Spectacle de routine pour les indigènes. Malgré les petites heures, le commerce local est à pied d'œuvre. Des nuées de "moutchous" surgissent de partout, armés de leurs services, malgré les engueulades et les coups de pied aux fesses. Rien ne les empêche, finalement, d'installer leurs échoppes improvisées, réduites à la plus simple expression.
Les cireurs sont là, avec les marchands de "keshra", de gâteaux aux dattes, d'œufs durs, de raisins, de fruits de toutes espèces. C'est un monde nouveau, tellement différent de celui de la France métropolitaine où tout est rationné. Ici, on trouve pratiquement tout ce que l'on veut dans le domaine de la nourriture.
Par contre, ils sont crasseux, dépenaillés, en loques, ces gosses qui les sollicitent de toutes parts. La plupart sont pieds nus. L'habitude de se passer de chaussures les a nantis d'une solide semelle cornée naturelle. Une épaisse couche de crasse enrobe leurs extrémités. Accumulée pendant des années, elle contribue à renforcer l'endurance et l'insensibilité de leur moyen de propulsion.
Yasreg pensait avoir connu "la cloche", mais il s'aperçoit qu'il n'est pas le seul.
Mais voilà que les hurlements des gradés rappellent tout le monde à de plus saines notions des choses. Finalement et non sans peine, un semblant d'organisation s'installe. On commence à y voir plus clair.
On a séparé la Légion des autres unités. En colonne par trois, chacun empoigne ses affaires et la colonne démarre. Des bourrades à droite et à gauche pour se débarrasser des parasites et on met le cap sur sa destination. La chaleur monte, la gamme des odeurs aussi. Le drap des uniformes n'a rien de rafraîchissant et chacun sue à profusion. Mais on n'a pas loin à aller. Les barrières d'une cour se referment sur le contingent.
On a raté le petit déjeuner, on fera "ballon" jusqu'à midi, c'est l'expression utilisée. En attendant, on sélectionne le mieux qu'on peut un endroit pour passer la nuit. A même le sol, on a étalé des paillasses de toile gonflées de paille et des "couvre-pieds". Pour ceux qui l'ignoreraient, ce sont des demi-couvertures. On les enroule comme on peut, autour de ce que l'on veut couvrir ou plutôt de ce que l'on peut couvrir, ce qui ne correspond pas nécessairement à la même chose.
Selon les informations glanées chez ceux qu'on suppose bien renseignés, on embarquera dans des autocars, destination le D.C.R.E. du 1er Rgt Etranger d'Infanterie à Sidi-bel-Abbès avant de joindre un camp d'entraînement, soit Saïda, soit In-el-Adjar.
Mais il faut tenir compte aussi du "Foyer". C'est la cantine où le soldat peut se détendre et occuper ses loisirs. On peut y jouer une belote, consommer du gros rouge algérien, manger des sandwiches ou de la pâtisserie locale. Cet endroit paradisiaque n'est cependant pas accessible à toutes heures et il faudra attendre la bonne volonté des préposés. Ces derniers, vieux légionnaires blanchis sous le harnais, sont accusés par les mauvaises langues de se servir copieusement du pinard qu'ils sont chargés de vendre et de combler les pertes avec de l'eau salpêtrée. Yasreg n'a nullement l'intention de polémiquer à ce sujet. Il paraît que ces prélèvements illégaux sont devenus traditionnels et tolérés même dans les meilleurs foyers du soldat.
DECOR : L'endroit est chichement meublé de tables, de quelques chaises et surtout de caisses badigeonnées à la chaux. On peut y déguster tout ce qu'on peut trouver dans une cantine ordinaire. On a placardé quelques affiches sur les murs. Le pinard, la bière, malheureusement tiède, et l'eau gazeuse y sont servis. Mais il faut se munir de son quart personnel ou boire à la bouteille. On peut se procurer aussi des baguettes de pain, des fruits et des gâteaux secs. Un saupoudrage discret de sciure de bois assure la propreté des locaux.
Comme personne ne peut sortir du camp, il faut bien se rabattre sur le foyer où chacun, en principe, est chez lui et où les défoulements sont autorisés dans des limites réglementaires mal définies. Il n'y a ni radio, ni musique.
Attablés, les candidats légionnaires et les "consacrés" boivent sec, puisqu'il n'y a pas d'autre moyen de tuer le temps."L'Echo d'Oran", journal local, a circulé un peu partout. C'est la seule source d'information disponible sur ce qui se passe dans le monde. Car on aurait tendance à l'oublier, c'est la guerre; La censure de Vichy jointe à celle des Italo-Allemands y impose une manière de voir officielle dont il convient de se méfier si on veut conserver une lueur d'espoir en des jours meilleurs.
Les nouvelles n'ont rien de rassérénant. Les Russes reculent partout et la Wehrmacht formule des bulletins de victoire prestigieux. Les Anglais encaissent. La Crète est évacuée, après qu'y fut détruite la fleur de la jeunesse allemande dans les divisions de parachutistes "Herman Goering" et "Adolf Hitler". Malte tient toujours mais est au bout du rouleau, face aux aviations allemandes et italiennes. Pendant ce temps on se bat frénétiquement autour de Tobrouk dont la chute est imminente. La mort dans l'âme, on doit bien constater que Hitler est en train de gagner sa guerre.
On discute de tout cela autour des tables. L'atmosphère est lourde et l'euphorie absente. Les rangs de la Légion sont étoffés d'Allemands, de Russes, d'Espagnols et d'Italiens. L'ombre de Guernica plane. Bien sûr, la Légion est la nouvelle patrie de tous ces proscrits. Mais ces gens ont tout perdu. Chacun d'entre eux est un cas particulier. La plupart restent traumatisés par ce qu'ils ont souffert, vu, ressenti. Ils emportent au fond d'eux-mêmes, avec l'humiliation viscérale de la ruine de leur vie, les séquelles du cauchemar qu'ils ont vécu. Il est compréhensible que l'atmosphère s'en ressente. Les nerfs sont à vif, la boisson aidant.
L'éthylisme progresse; la musique absente est remplacée par les chansons-rengaines. Le brouhaha des conversations et des prises de bec dans des jargons indéfinissables s'épaissit dans les vapeurs d'alcool et la fumée du tabac. La nostalgie fait surface sur certains visages solitaires.
Il y a aussi, pour être complet, les aspects franchement déplaisants. Les jeunes recrues, dont Yasreg est un exemple, rencontrent pour la première fois les vétérans qui viennent en ligne droite des compagnies sahariennes en garnison dans le Sud algérien. Beaucoup parmi ces hommes ont, pendant de nombreux mois, perdu le contact avec la civilisation telle que nous la concevons. Ces gens-là sont devenus des homosexuels avérés, dont beaucoup se transforment en véritables brutes sous l'empire de leurs appétits dépravés. Leur présence s'avère franchement ignoble pour de jeunes recrues obligées de se défendre quand on tente de les saouler. Rien, à aucun niveau, n'est fait pour mettre fin à ces pratiques dégradantes.
Physiquement, le contact avec la terre d'Afrique a ses répercutions. L'eau salpêtrée qu'on ingurgite bon gré mal gré avec les produits de l'alchimie des cuisines a des effets débilitants sur les nouveaux venus. C'est comme si on subissait une purge permanente. L'affaiblissement est réel, mais personne ne s'en préoccupe. Il s'agit d'une phase d'adaptation, paraît-il.
En attendant, il est recommandé d'éviter comme la peste le rapport du médecin. Ceci, dit-on, ne ferait qu'attirer sur le minable une purge canon, officielle celle-là, plus drastique encore.
Constatation d'expérience, la forme leste du langage provient d'une trop faible connaissance du français. La plupart des légionnaires ne le manie que difficilement. Beaucoup ne parviennent à assimiler qu'une sorte de jargon passe-partout, limité aux commandements militaires et aux vocalises qui conditionnent l'existence quotidienne. Rien n'est entrepris pour aider quiconque en ce domaine. Le résultat, c'est pour ces pauvres diables, l'impossibilité de progresser et le grégarisme limité à l'entourage immédiat. Le légionnaire dont la base d'expression n'est pas le français, reste en général un méconnu, un solitaire souvent méprisé.
Yasreg a ressenti en premier lieu une sorte de mépris hautain et distant de la part des jeunes officiers de son âge appelés à commander les recrues. Brillants, souvent premiers de promotion, issus de Saint-Cyr ou de Saint-Maixent, ils avaient choisi l'honneur de servir à la Légion Etrangère. Ils en étaient à juste titre très fiers. Ils avaient tendance à se tenir le plus possible à distance de la troupe. De leur tour d'ivoire, ils laissaient la bride sur le cou aux gradés subalternes. Ces derniers faisaient la loi. Ils avaient toujours raison. Le nouveau légionnaire, sous prétexte de mise au pas, subissait ce qu'on voulait bien lui faire subir. Les recours théoriques auxquels il avait, en principe, réglementairement accès ne correspondaient, en réalité qu'à de simples vue de l'esprit. Le légionnaire intelligent réalisait d'emblée qu'il était inutile et très dangereux pour lui d'en faire usage auprès de l'autorité supérieure.
A la Légion, les critères de promotion par le rang sont basés sur deux prétendues qualités : l'irascibilité et l'énergie tonitruante. Yasreg a pu constater que ces deux "qualités" si prisées, si elles parviennent à s'imposer en garnison sur un troupeau de corvéables sans défense, ne sont nullement des critères de valeur lorsqu'il s'agit de risquer sa peau et de donner l'exemple.
Les plus "grandes gueules" sont souvent les plus dégonflés. On prétend, à juste titre, qu'à la Légion, la Roche Tarpéienne est proche du Capitole. Tel sadique s'est retrouvé du jour au lendemain simple deuxième classe parmi ceux dont il avait empoisonné la vie. Mais ces exceptions ne proviennent jamais d'une plainte formulée par un simple légionnaire.
A SIDI-BEL-ABBES, le D.C.R.E. (Dépôt Commun des Régiments Etrangers).
A l'époque où se situe ce récit, Sidi-bel-Abbès est un chef-lieu d'arrondissement de l'Algérie Française situé à 80 kilomètres d'Oran sur la Mékerra. L'industrie et l'artisanat s'allient au commerce et à l'agriculture pour former une agglomération relativement prospère, calme et agréable. Le climat est chaud mais doux, et on s'imagine avec nostalgie les vacances qu'on pourrait y savourer si les murs de la caserne n'existaient pas.
La région tire une bonne partie de ses revenus de la présence des différentes troupes en garnison, en particulier la Légion dont c'est pratiquement le port d'attache. Elle y regroupe le 1er Rgt Etranger d'Infanterie et deux escadrons du 1er Rgt Etranger de Cavalerie dont l'Etat-Major est à Fès au Maroc.
Comme toutes les recrues, Yasreg est passé par le D.C.R.E.. Il se rappelle son musée et son monument. C'est un lieu de recueillement où, à côté de nombreux trophées de guerre, figure une relique particulièrement respectée, la main articulée du Capitaine Danjou, mort à Camerone.
Il se rappelle aussi son réfectoire impeccablement propre où même le plancher donne l'impression d'avoir été poli. On a poussé la coquetterie jusqu'à mettre des fleurs dans des récipients divers et il y a de la vaisselle. On se croirait dans un restaurant de luxe.
"Chouette" se dit Yasreg devant son assiette pleine de soupe aux tomates dont l'odeur alléchante lui met l'eau à la bouche. Hélas, le malheureux n'a jamais absorbé de piment de sa vie et la première cuillerée manque de provoquer un désastre. Stoïque, il absorbe le brouet qui ne semble contenir que cela... du piment. D'autres, la gorge en feu, font la même expérience. Tous devront, au fil des jours, acquérir l'estomac d'autruche, en béton armé, qui permet la digestion des plats les plus farfelus.
Se suivent à la chaîne les formalités administratives, les passages devant les officiers du service de sécurité, les visites médicales et les piqûres anti-tétaniques et anti-typhiques. Après une semaine environ, le contingent est prêt à passer aux choses sérieuses. On a troqué les uniformes neufs en drap reçus à Marseille pour une tenue mieux appropriée au climat. Mais les uniformes de toile jaune-sablé ont connu de nombreux autres occupants avant d'échouer sur les échines amaigries des nouvelles recrues. On est doté du képi blanc, cabossé à souhait. Yasreg, ici encore, se fait malheureusement remarquer. Il n'est pas macrocéphale mais c'est tout juste. Il ne trouve aucun képi à sa mesure. Finalement, il se retrouve surmonté d'un curieux toupet blanc qui fait ce qu'il peut pour lui donner l'allure d'un rat du désert. Les bandes molletières neuves qui faisaient la fierté galbée des ballerines du contingent ont été remplacées d'office par des revenants de 14/18, filandreuses et à la limite de l'effilochement.
Une ceinture bleue réglementaire se tourne autour du ventre. Cette opération nécessite, pour être menée à bien, la collaboration d'un tiers bien disposé.
Le port obligatoire de ce vêtement n'est pas destiné à rehausser le prestige du légionnaire mais bien à protéger les intestins délicats des nouveaux résidents. Sur cet attribut coloré, on branche obligatoirement un ceinturon de cuir qui consacre devant tout un chacun le fait que son porteur n'est pas"tôlard". Le tôlard est un homme qui n'est plus tout-à-fait un homme. Il est atteint d'indignité chronique ou aiguë suivant la durée de son séjour carcéral. Il est évident qu'un légionnaire digne de ce nom doit être porteur de son képi, de sa ceinture bleue et de son ceinturon. Le fait contraire serait sur le champ interprété comme une indignité, temporaire, sans doute, mais néanmoins sanctionnée par une période de tôle adéquate.
Pour ceux qui ne l'auraient pas deviné, la "tôle", synonyme de "cabane"ou encore de "gnouf" est l'endroit paradisiaque où l'on héberge, sous rations réduites et sans solde, ceux qui, à un titre quelconque, ont enfreint le sacro-saint règlement. Par une jurisprudence occulte, le tarif s'applique "à la tête du client". Mais un moyen efficace, sinon infaillible, de se faufiler impunément dans les arcanes réglementaires est de se faire passer carrément pour un "con". Refuser un ordre délibérément est impensable, même si cet ordre est stupide. Il s'agit là du crime par excellence, entraînant l'incarcération en "cabane" d'office. Il est probable qu'un examen psychiatrique suivrait, avec le "cabanon" comme conséquence.
Mais par contre, on excusera facilement, en général, le "moule à caca" qui n'a rien pigé et par conséquent, n'a pas exécuté la directive, ou a fait carrément le contraire. A la limite, le petit futé qui est reconnu "con" en arrive à se découvrir une planque de derrière les fagots. Au contraire, le fait de paraître différent du troupeau, d'avoir l'air de ne pas être "con", suscitera l'attention soupçonneuse des "lumières vocifératrices" qui font la loi dans le secteur.
Tout ceci n'est pas rédigé dans un but de dénigrement systématique. Yasreg considère que le romantisme extasié, si commun parmi ceux qui parlent de la Légion sans y avoir jamais mis les pieds, n'est jamais qu'une vision simpliste et erronée de la réalité. Cette conception basée sur la flagornerie à tout prix n'a jamais servi une cause, si modeste soit-elle.
A SAIDA, l'entraînement
Yasreg n'a plus, avec quarante ans de recul, qu'une vision floue du lieu où il a passé quatre mois d'entraînement qui lui ont sérieusement redressé les côtelettes, si on veut bien lui pardonner cette expression.
Dans la nébulosité vacillante de ses souvenirs, apparaît un "complexe architectural" construit avec les matériaux du pays. Une vaste cour rectangulaire cernée par trois grands corps de bâtiment et précédée d'un corps de garde et d'annexés diverses. Tout l'édifice sert à l'hébergement de la troupe et, accessoirement, dans des annexes séparées, à celui d'étrangers assignés à résidence. C'est la guerre et ces gens sont de nationalité indéfinissable. Yasreg signale leur présence à titre documentaire car tout contact avec eux est interdit.
L'entrée, surmontée d'un genre de portique et d'une grenade à sept branches, se voit agrémentée d'une barrière, genre passage à niveau, et d'une sentinelle.
Toute sortie est vérifiée, comme il se doit. Il n'y a ici ni camion, ni autre véhicule automoteur. Tout le charroi se compose de charrettes traînées par des mulets. On les désigne sous le vocable bucolique d' "arabas".
Avec le temps et l'aide efficace du climat, les murs de ces locaux vénérables se sont transformés en pépinières à cancrelats et à punaises. Particulièrement agressives la nuit, ces bestioles familières forçaient ceux qui ne pouvaient les supporter, à ramasser leur couche et à aller dormir dehors. Les autres, le plus souvent vaincus par leur cuite, acceptaient de les engraisser.
Le fait de quitter sa couchette, la nuit, exposait l'imprudent à des déboires, résultat du système "démerdage" tel que le concevaient les légionnaires à cette époque.
En 1941, l'équipement est rare, usagé, précieux parce que difficilement remplaçable. Des règles strictes et astreignantes prescrivent des "dépaquetages" fréquents. Les vols sont courants et admis. Voler un autre, c'est tout simplement se "démerder". On profite de l'absence ou de l'inattention de quelqu'un et on lui vole... une chemise, par exemple. Cela rapporte au marché noir indigène une petite somme qu'on dilapide allègrement dans les lupanars.
Les conséquences pour la victime sont lourdes : au moins quinze jours de prison. Aucune excuse n'est admise. Sa solde est supprimée pendant toute cette période et il doit, en plus, rembourser la valeur de l'objet dérobé. A ce tarif-là plus personne n'a le droit de dormir. Le système de démerdage tournait finalement à la brimade généralisée et créait un climat de tension et de méfiance détestable. On vivait littéralement dans une caverne de voleurs.
MARCHE OU CREVE
Il est trois heures du matin. La nuit est noire et tiède. Tout le bataillon est debout et s'équipe. La journée sera longue et fatigante. On a quinze kilomètres à parcourir avant de participer aux exercices de tir au fusil, mitrailleuse et lance-grenade. Il faut faire vite pour profiter des heures relativement fraîches de fin de nuit. Le salut au drapeau sera exécuté par ceux qui restent. Car il y a les éclopés des marches précédentes, les malades, les indisponibles et… les "tire-au-chose".
On a rempli les sacs à dos de cailloux pour simuler le poids normal en campagne : plus ou moins vingt kilos. En plus des simulacres de cartouches, on trimbale le bidon à pipette de deux litres, plein d'eau. Ceci pour ceux dont le bidon n'est pas troué. Comme celui de Yasreg l'est, il sera dispensé de ce poids, tout en conservant le droit de crever de soif. Il y a aussi les vivres pour la journée, le flingue et la baïonnette et les grenades sans amorces. On s'est coiffé du képi blanc et on est ceinturé de bleu, comme d'habitude.
Le signal du départ est donné. La colonne s'ébranle. L'enthousiasme des marcheurs se ressent du fait que la récupération des fatigues de la veille s'est faite au bénéfice des punaises. On traverse l'agglomération de Saïda endormie, puis les faubourgs indigènes avec leurs gourbis et leurs chiens hurleurs. Puis la piste s'étend dans la direction à suivre. On n'a pour seul guide que les étoiles. Puis, avec l'habitude, on finit par distinguer nettement à plusieurs mètres devant soi. Le sol est calcaire, érodé par le soleil de tous les jours, hérissé de plantes épineuses qui provoquent des abcès lorsqu'on s'y pique. Un nuage de poussière accompagnera toute la marche.
Au début, tout va bien, on éprouve la sensation agréable de se trouver dehors, d'avoir quitté les murs de la caserne. Chacun se tait. Que pourrait-on, en effet, se raconter à trois heures du matin ?
Mais soudain un ordre claque : "Chantez !" Il faut dire qu'à la Légion, les chansons de marche sont les compagnes obligées des déplacements pédibus. Tous les légionnaires consacrés les connaissent, même s'ils ne les comprennent pas nécessairement. Il n'en n'est pas de même des nouveaux venus qui rencontrent des difficultés pour se hisser au niveau d'euphorie qui convient pour s'égosiller aux petites heures. Or, à tort ou à raison, on estime que le moral du troupier doit être relevé et que les vocalises entraînantes ou martiales contribuent à la formation des "pieds" du plouc nauséabond et besogneux. On part du principe que le légionnaire est un surhomme qui fait peu de cas des lois de la nature. C'est rendre service aux mauviettes que de les forcer un peu sur les bords à pratiquer l'enthousiasme. Ses cloches plantaires et les rotondités de ses orteils se transformeront, on n'en doute pas, en une solide couche de corne au simple contact de la dure réalité des pistes et des parpaings. Un vrai légionnaire doit absolument par tous les moyens, se faire "les pieds", c'est-à-dire des "panards" à consistance de cuir.
Mais hélas, ces excellentes intentions ne sont applicables qu'à des surhommes. Les mauviettes délicates du type Yasreg vont se retrouver les pieds en sang. Et de plus, on lui a "démerdé" ses godillots et on les a remplacés par une paire de pompes trop justes.
Revenons à notre randonnée pédestre. Après environ cinq kilomètres, en dépit des vocalises incertaines et bredouillantes, toute la colonne a perdu sa cohésion. Des mesures énergiques s'imposent d'urgence. On va voir ce qu'on va voir...
Le maréchal des logis et l'adjudant se concertent et décident ce qui suit : "Halte, rassemblement par trois et que ça saute", "Ah, il paraît que ces messieurs ne veulent pas chanter...", "Eh bien, on chantera quand même, mais au pas de gymnastique", "Garde à vous : Pas de course, En avant, Marche !"
Et le troupeau se met à courir avec vélocité et enthousiasme. Puis les abandons se multiplient; les canards boiteux se hissent comme ils peuvent sur les arabas. On ne chante plus, les langues se tirent, les poitrines halètent et les petits sadiques commencent à réaliser qu'à ce train là, on n'est pas encore à destination. Il faut dire aussi que l'équipement n'a pas été conçu par des génies. Les lanières de fixation des sacs, des musettes dont on entoure la poitrine de la victime ne sont que des ficelles un peu grosses qui appesantissent tout le paquetage sur la poitrine et coupent la respiration. Quand on demande de chanter par dessus le marché, le comble du sadisme et du grotesque est atteint.
La hiérarchie est bien chaussée, elle. Pour le fantassin, il semble évident que les croquenots, sans chaussettes, dans la chaleur, la poussière et la transpiration ne permettent que des performances limitées. Certains couvraient leurs pieds avec des "chaussettes russes". Il s'agit ici de morceaux de chiffons aux émanations dignes d'un camembert mûr, qu'ils fixaient comme ils pouvaient sur leurs extrémités. Mais tous n'avaient pas cette possibilité : tout ce qui était textile était rare, de même que le vulgaire papier.
Mais le sous-lieutenant, car il y a tout de même un officier, sort de son splendide isolement, secoue son ennui et son dédain, et, par le truchement du sergent, ordonne une halte de dix minutes. Il a semble-t-il, compris qu'au train où vont les choses, personne n'atteindra le champ de tir. Finalement, les dix minutes s'étirent en une demi-heure. Puis on reforme la colonne. Le soleil, entre-temps s'est mis à taper, la poussière s'engouffre dans tous les orifices, le calcaire croque sous la dent. Les gueules prennent des allures fantomatiques sous la couche de sédiment qui les recouvre. Comme on ne déjeunera qu'à l'arrivée, il y a quand même des héros qui font des prodiges, la fringale aidant.
Dans une plaine désolée, calcaire comme tout le reste, écrasée de chaleur et sans ombre, un champ de tir avec panneaux, trous de sécurité, et horizon bouché par des sacs de sable destinés à stopper les balles. On crève de soif. On a déjeuné : on se sent le ventre bien rempli avec un désir convaincant de sieste.
Le tir au fusil se fait en position couchée. On utilise de vieux Lebels délabrés qui gigotent dans leur garniture. On les démonte trop souvent pour des inspections oiseuses et les armes s'en ressentent. Les chargeurs de ces antiquités contiennent trois cartouches.
C'est le tour de Yasreg. Selon les instructions, il s'allonge, charge son arme et attend l'ordre de tirer. Les cibles se sont entre-temps remises en place et l'ordre est donné : "Feu à volonté". Le premier coup part normalement, sans problème. Le deuxième ne part pas et le troisième essai ne donne rien non plus. Yasreg n'est pas le seul, d'autres aussi constatent que rien ne va plus. La pauvreté de l'armée d'armistice apparaît une fois de plus avec ce qu'elle a de désolant : que se passerait-il dans un combat réel ? Mais on a finalement des explications. On tire à l'entraînement des munitions très vieilles afin de ménager ce qui reste valable.
On distribue un nouveau lot de cartouches et, plein d'espoir, on continue. Et une amélioration sensible se manifeste malgré quelques "flops".
Les résultats sont annoncés. A sa grande stupeur, Yasreg se voit félicité. Il a même droit à une esquisse de sourire de la part de l'adjudant qui, tout le monde l'a constaté, ne rit que quand il se rase de travers. La raison de cette attitude bienveillante peu habituelle, c'est que Yasreg a touché la fibre "légion" par excellence : le voilà reconnu bon tireur.
Encouragé par ce succès, ce jeune homme prometteur sent un regain d'optimisme lui remplir les tripes. Il en oublie presque sa soif et ses cloches et se distingue encore plus à la Hotchkiss. Le résultat, c'est pour toute la gradation hiérarchique, une attitude qui frise la cordialité. L'adjudant lui offre un verre de pinard tiède de son propre bidon. Stupéfait, Yasreg se sentirait des ailes, s'il était habitué au breuvage, mais la soif aidant, il l'avale de travers car c'est du raide, pour sous-officier.
(à suivre)
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