TOME 2 - FASCICULE 3 - JUILLET-SEPTEMBRE 1983

Sommaire

Editorial

Nos ponts en 1940 - photos

La chronique du C.L.H.A.M.

La Chartreuse : Graphique et photos

G. SCHALICH, Le "Mémoire Liège"

Colonel e.r. J. SALPETEUR, Un chef de Corps du 1er Lanciers

Colonel BERNARD, Histoire de Vogelsang

F. GERSAY, Souvenr de guerre. Aventures de jeunesse (suite)

Editorial

Lors de son assemblée générale tenue sur le site de la Chartreuse à Liège le 11 décembre 1982, le Centre Liégeois d'Histoire et d'Archéologie militaires s'est redéfini par rapport à ses axes. L'accent était mis sur le bénévolat et une meilleure participation des membres de l'association. Ainsi, tandis qu'un sang nouveau était apporté à l'équipe d'animation du C.L.H.A.M., se précisait le programme 1982/83 dont la réalisation fait l'objet de la chronique de ce bulletin.
Une assemblée générale statutaire, prévue de se tenir dans nos locaux le 26 novembre 1983, permettra de refaire le point de la situation. Mais d'ores et déjà l'année 1983/84 s'annonce fructueuse car elle sera le résultat des efforts entrepris jusqu'à ce jour.
Au plan scientifique, tandis que vont se poursuivre les recherches relatives à la place fortifiée de Liège, seront particulièrement étudiées la vie et l'œuvre du général Brialmont.
Au plan culturel, un programme d'activités assez diversifiées sera proposé aux membres du C.L.H.A.M. Par ailleurs, le C.L.H.A.M. entend poursuivre son action en vue de sauvegarder le site de la Chartreuse, toujours menacé. A l'invitation du "Vieux-Liège", que nous remercions pour ses encouragements, une nouvelle visite du site sera organisée le 22 octobre.
On ne peut toutefois se limiter à la région liégeoise. Les contacts et les liens noués ailleurs dans le pays et à l'étranger le justifiant. Fidèle à ses statuts, le C.L.H.A.M. poursuivra donc une politique scientifique, à la mesure de ses moyens, tout en développant plus encore ses activités dans le domaine socioculturel. L'accroissement du nombre des membres, la participation aux activités, la collaboration diversifiée à l'élaboration du bulletin seront, pour les membres de l'équipe d'animation, les indicateurs de la bonne santé de l'association.
Cdt e.r, P. Rocour, Lic. en Sc. Hist., Admin. délégué
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La destruction de nos ponts en 1940

Le pont de Seraing
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La chronique du CHLAM

1. Compte rendu de la visite de la Chartreuse le 20 août 1983
Plus de septante membres et sympathisants du C.L.H.A.M. étaient au rendez-vous. Le temps ensoleillé et même très chaud a rendu la visite très agréable et la buvette bien achalandée (dans les deux sens du terme : à la fois en clients et en boissons).
Tous ont été très attentifs, d'abord, aux photos et plans exposés dans la cafétéria par les soins de Messieurs Meijers et Balck.
A ce sujet, je pense qu'il faut les féliciter pour la qualité des documents réalisés avec peu de moyens et, en tous cas, grâce à du matériel personnel.
Ensuite l'exposé d'une demi-heure par Monsieur l'Aumônier Meijers fut des plus clairs, ni trop court, ni trop long. Il est évident que le conférencier est passionné par son sujet et par le but poursuivi : la conservation et l'entretien du site.
Les visiteurs se répartirent ensuite en trois groupes :
Monsieur Meijers s'occupa des désireux de la visite réduite.
Sous la conduite de Messieurs Balck et Campion, "les intrépides" firent le circuit complet : en plus de ce que je vais énumérer plus bas, ils visitèrent des casemates, une poterne sous l'escarpe et descendirent dans un puits. Certains en ressortirent d'ailleurs assez crottés mais enchantés.
Le troisième groupe, sous la conduite de monsieur Brock, fit le parcours B qui, pour n'être pas acrobatique, n'en n'est pas moins très complet:
Départ par le Corps de garde, descente par le Thier de la Chartreuse jusqu'à l'Arvau, retour par la cour, visite d'un magasin sous escarpe. Nous suivons alors le chemin emprunté par les condamnés à mort, depuis le bloc des cachots jusqu'au Bastion où furent exécutés pendant la guerre 14-18, 48 patriotes. Nous escaladons le rempart afin d'examiner les fossés extérieurs puis nous cheminons à travers la plaine et les bâtiments d'entre les deux guerres, vers la maison Lambinon puis la vieille ferme, toutes deux antérieures à la construction du Fort en 1817, la poudrière à l'état de tas de briques, l'entrée d'une poterne, pour arriver à l'un des bastions où l'un des murs est constitué de pierres récupérées lors de la démolition de la Cathédrale Saint-Lambert.
Nous ne sommes pas loin de l'entrée et des trois monuments au 1er Régiment de Ligne, à l'Artillerie et au Génie.
Nous rentrons à l'ombre et visitons l'intérieur de la Forteresse hollandaise et ses chambres Wellington où subsistent encore les décorations peintes sur les murs par les unités qui ont occupé la Chartreuse après la dernière guerre. Beaucoup d'entre vous, comme moi, ont logé dans ces chambres lors de leur passage au Centre d'Instruction.
Monsieur Brook, notre guide, est intarissable : il a tant de choses à nous montrer et à nous expliquer. Lui aussi, qui a vécu sa jeunesse en voisin immédiat de la Chartreuse, est passionné par son sujet.
J'invite ceux d'entre vous qui ont ignoré cette visite ou qui n'étaient pas libres le 20 août, à être présents à la réédition le 22 octobre après-midi. N'hésitez pas à amener femme et enfants car le site n'est pas seulement intéressant parce que militaire : ma femme s'est aussi intéressée avec d'autres épouses aux arbres, à la végétation, aux oiseaux, bref, à l'environnement qui est très beau, et ma fille de 8 ans s'est amusée à escalader murs et remparts.
P. BEAUJEAN
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La Chartreuse

La Cour de la CHARTEUSE
Telle qu'elle apparaît lorsqu'on franchit le Corps de garde. Les deux étages inférieurs, aux fenêtres encadrées de pierres de taille, constituent le Fort Hollandais.
Les mêmes bâtiments
Vus de la plaine, les lignes des différents rajouts sont visibles sur la maçonnerie. Les pierres d'angle, visibles juste au centre de la photo, montre la hauteur d'origine de la plate-forme pour pièces d'artillerie.
Intérieur de la forteresse
1er étage : une des chambres "Wellington".
La Chartreuse de Liège
Forteresse hollandaise bâtie suivant les conceptions héritées du VIIIe siècle
L'"Ancienne Ferme"
l'un des plus anciens bâtiments de la CHARTREUSE existait avant la construction du Fort de 1817.
Le Grand Chemin
Depuis le Moyen-Age, le Thier de la Chartreuse, est connu sous le nom de "Grand chemin". C'était Ia seule voie vers Herve. En 1381, les Chartreux furent autorisés à jeter un pont sur le chemin qui séparait leurs immeubles de leur jardin. Ce premier pont fut remplacé par l'Arvô actuel, espèce de porte fortifiée, lui-même restauré dans la première moitié du XVIlle siècle.
2. Le CHLAM à Aubin-Neufchâteau
Pour faire suite à la comunication de Monsieur Harlepin relative à l'obus Röchling dont nos membres ont pris connaissance dans le bulletin précèdent, une visite au fort d'Aubin s'est imposée. A l'initiative et sous la conduite du Colonel BIDLOT, notre président d'honneur, une équipe s'est rendue sur place le 25 juillet 1983. Messieurs Balck, Brock, Falla, Harlepin et Lebeau ont constaté, sur place, les dégâts causés par les essais de tir avec ce type d'obus, expérimenté par la Wehrmacht durant la dernière guerre.
Choisie comme objectif, la caserne souterraine, bâtie à 35 mètres de profondeur, présente de nombreux impacts.
Les obus, qu'ils soient pleins ou munis d'une charge explosive ont laissé dans le sol la trace de leur passa ne en creusant une galerie d'un diamètre estimé à 15 ou 20 cm. Les tirs n'ont pas été pratiqués à la verticale mais suivant une inclinaison estimée à 60° par rapport au sol.
Monsieur Harlepin a pris contact, par la suite, avec les experts allemands en la matière; il n'y pas de doute que le C.L.H.A.M. ne revienne un jour sur cette affaire. Par ailleurs un morceau d'acier, présentant une forme cylindrique et une longueur d'environ 40 cm sur 10 cm de Ø a été recueilli par le C.L.H A.M. L'analyse de ce vestige a été préconisée. Ci-dessous figure un croquis, réalisé par Monsieur Harlepin, montrant le type de trajectoire et les effets dû au passage d'un obus de ce type.
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G. SCHALICH : LE "MEMOIRE LIEGE"

Je tiens à exprimer ma gratitude à Monsieur W. Fréson (membre du CLHAM), qui a eu l'amabilité de me traduire le texte allemand. G. Schalich
"Ces dernières années, sous l'influence clairvoyante du Roi, l'Armée Belge a fait des progrès considérables. Elle ne semble pas capable de conduire un combat offensif, mais, en ce qui concerne la défense de la Patrie, elle ne doit pas être sous-estimée". (Mémoire Belgique, du 01 Jun 1939)
Introduction
"En fait, l'Armée Belge ne fut pas sous-estimée. Jusqu'au 10 Mai 40, lorsque les Allemands envahirent les Etats de l'Ouest européen, l'action des services de renseignements, contre la Belgique, fut très active, car, celle-ci, comme en 1914, jouait un rôle décisif, dans les plans allemands.
Plusieurs mémoires, rédigés au moyen d'abondants rapports particuliers, facilitèrent l'estimation de l'ennemi.
Il ne s'agît pas, ici, d'essayer de donner une vue globale des activités des Services de renseignements allemands, en Belgique, ni de lever le voile, sur les actions de renseignements des différentes divisions déployées, le long de la frontière germano-belge, ou de celles de la Gestapo et d'associations nazies illégales, des Cantons rédimés; ces thèmes, très intéressants, ne peuvent être, ici, qu'effleurés.
Tout ceci pourra, peut-être, être éclairci dans un prochain article.
Nous ne voulons, principalement, ici, que nous borner au "Mémoire Liège", qui fut édité par l'Abteilung "Fremde Heere West" (Section "Armées étrangères occidentales"). Cette section est comparable au "2ème Bureau" français et à l'"Intelligence Service" britannique.
L'Abteilung Fremde Heere West
L'Abteilung Fremde Heere West (FHW) a pour origine la "2ème Section", qui, après la première guerre mondiale, suite au traité de Versailles, fut, tout comme l'ensemble de l'Armée allemande, réduite à son minimum. Lors du réarmement accéléré, promulgué par Hitler, cette "2ème Section" fut très fortement agrandie et divisée en deux sections, une de celles-ci, devant s'occuper des armées étrangères de l'Ouest, fut baptisée "Abteilung Fremde Heere West", l'autre, ayant comme mission de se renseigner sur les armées de l'Est, prit le nom de "Abteilung Fremde Heere Ost (FHO).
Les activités de renseignements de la section FHW, qui, de 1937 à 1943, était commandée par le Colonel LISS, se déroulaient, donc, surtout en France, en Grande Bretagne, en Belgique, etc... mais aussi en Italie amie et en Suisse neutre.
En Belgique, si on doit en croire le Colonel LISS, qui, après la guerre a heureusement publié ses souvenirs, Liège et ses environs étaient d'un intérêt particulier.
L'origine du "Mémoire Liège"
L'EMG allemand avait, déjà en 1912, rédigé un mémoire sur Liège et préparé un coup de main, pour s'emparer, dans les temps les plus courts, de la ville et de ses forts. Le responsable du mémoire et du coup de main n'était autre que le Général Ludendorff, qui, en 1914, ne prit part que fortuitement aux combats pour la prise de Liège et qui, plus tard, devait devenir avec Hindenburg Commandant en Chef des armées allemandes.
Comment ce "Mémoire Liège" de 1940, qui nous occupe, a-t-il pu voir le jour? En grande partie, cela n'exigea qu'un travail, très peu romantique et encore moins dramatique, qui n'avait rien de commun, avec ce qu'on peut lire dans un roman d'espionnage.
Pour commencer, il a suffi de reprendre le mémoire de 1912 et de le remettre à jour. Puis, on procéda à l'exploitation de tous les journaux possibles et de la presse militaire spécialisée; de ce travail, comme dit le Colonel LISS, un spécialiste habile peut déjà tirer bien des renseignements. Pensons ici aux constructions militaires, aux déplacements de troupes, aux descriptions de nouvelles armes, etc. qui, avec une bonne connaissance de la situation actuelle des pays, permettent de tirer des conclusions étonnantes.
D'autres renseignements furent glanés en déambulant sur le terrain, qui, presque toujours, était couvert par des routes et des chemins. Cette façon d'agir permit de découvrir facilement, entre autres, des abris de tir ou des positions d'infanterie, et on put souvent les expertiser sans se faire remarquer, car la Belgique n'avait malheureusement pas pris beaucoup de mesures de sécurité pour la protection de ses positions. Tous les renseignements obtenus étaient alors comparés avec des photos aériennes, les avions survolant, de même, le plus souvent, le terrain, sans être inquiétés; comparés aussi aux conversations anodines avec des civils, obtenus aussi par les Services de renseignements des Divisions frontières, voir même avec des cartes-vues (ex. du Canal Albert et de ses ponts).
Tout ce qui vient d'être décrit, n'était que travail de routine et aurait pu être effectué par n'importe quel service normal de renseignements européen. On pouvait aussi progresser dans ce travail en employant d'autres moyens, entre autres des déserteurs d'armées étrangères, de véritables traîtres et des espions (V-Manner = Hommes de confiance) et, finalement, le hasard fait souvent bien des choses. Nous verrons que tous ces moyens se rencontraient à Liège, mais nous verrons aussi, que l'opinion, de nos jours encore souvent émise, selon laquelle Liège et surtout le Fort d'Eben-Emael ne sont tombés en 1940 que grâce à un grand nombre d'espions, ne reflète pas la réalité.
Le "Mémoire Liège" (Denkschrift Lüttich) du 15 Jan 1940 fut édité en 500 exemplaires, qui furent distribués entre autres à l'Adjudant de la Wehrmacht auprès du "Führer", à l'Attaché militaire allemand à Bruxelles et aux 4ème et 6ème Armées.
Quelques unités de ces deux armées devaient effectivement opérer, dès le 10 Mai 1940, dans l'espace liégeois et se trouvaient déjà déployées en partie, sur la frontière. L'attaque, déjà prévue depuis longtemps, dû pourtant être retardée.
Occupons-nous, maintenant, du Denkschrift Lüttich, de ses annexes et suppléments.
I. Le "Denkschrift Lüttich" du 15 Jan 1940
Le mémoire, qui, sans ses annexes, se compose de 40 pages, commence par un résumé historique sur la Position Fortifiée de Liège (PFL), puis passe à la situation du moment. Il constate dès le début "le remarquable... et profond enchaînement du périmètre défensif de la position fortifiée du front Est.
Les cinq zones suivantes avaient bien été relevées:
1. la ligne avancée
2. la ligne des grands ouvrages (nouveaux forts)
3. la ligne des forts
4. la défense de la ville
5. la défense de la Meuse
On en arrive alors à parler des troupes, qui ont été localisées dans la région de Liège :
Tableau du 3CA
En réalité: les troupes du III C.A.; les 2ème et 5ème D.I., les 1er et 2ème Régiments Cyclistes Frontière, une partie du 1er Lanciers, ainsi que les troupes de forteresse.
La 4 D.I. se trouvait au Nord de Tongres, la 11 D.I. à l'Ouest d'Overpelt et la 2 D.C. sur la Gette, pas loin de Tirlemont.
Dans l'ensemble, les Allemands avaient trop fortement estimé les forces belges en présence et s'étaient trompés dans la localisation de certaines unités, cela ne les empêcha pas de reprendre l'entièreté de ces troupes présumées dans une annexe de trois pages, en donnant des détails inquiétants.
On avait aussi très clairement reconnu la manière, dont la sûreté de la frontière était organisée, aussi bien les objectifs, que les troupes qui devaient en exécuter la mise en place.
La sûreté du secteur compris entre Maastricht et Elsenborn et s'étendant entre la frontière et la PFL relevait, elle aussi, de la dite PFL et était assurée par le Régiment Cyclistes Frontière, renforcé de deux compagnies mixtes, formées par le 2ème Régiment de Carabiniers Cyclistes et le 1er Régiment de Lanciers. Leur mission était :
- En collaboration avec la Gendarmerie, la surveillance de la frontière et la mise en alerte des trouves, en cas d'attaques ennemies. Ceci avait été réalisé en installant des postes d'alerte aux points stratégiques, sur les routes et en des endroits, proches de la frontière, possédant une bonne vue panoramique. Ces postes d'alerte sont équipés de postes radio et de téléphones. Ils devaient aussi assurer la mise en place des obstacles sur les routes principales.
- Mise à feu des innombrables charges explosives, préparées de longue date, sur les routes, et destruction d'ouvrages (ponts, maisons, etc.) dans le champ de tir des fortifications, ainsi que le placement de mines, devant empêcher l'ennemi de contourner ces destructions. Les postes d'alerte et de destruction sont établis dans des maisons de gardes-frontière, dont le renforcement des caves augmentait un peu la résistance.
- Empêcher une invasion, par surprise, en offrant une forte résistance sur les positions avancées."
Il n'y a pratiquement rien à ajouter.
Le point IV du mémoire donne une description du terrain autour de Liège, de l'infrastructure et du réseau fluvial; ici, il suffisait de mettre le mémoire de 1912 à jour.
La Position Fortifiée de Liège
Une attention particulière était portée aux ponts de la Meuse et du Canal Albert, situés entre le pont routier d'Yvoz et le pont de chemin de fer de Visé :
Ex.: Le Pont du Commerce (actuellement, Pont Albert 1er)
"Environ 100 m. Ouverture en grillage de fer - piliers en pierre – balustrades en barres de fer - accès et sortie du pont en maçonnerie - sur la rive gauche, derrière le pont, écluse avec batardeaux et des gouttières latérales artificielles."
La partie principale du mémoire concerne naturellement les cinq. zones du périmètre défensif de la PFL, surtout les 2ème et 5ème zones. Les différents secteurs d'une zone sont toujours décrits suivant un certain schéma:
1. description du tracé et de la construction de la ligne
2. description du terrain
3. description du fort et des blocs
4. le cas échéant, description des forces en présence et de leur façon de mener le combat
La position avancée, située entre Sippenaeken et Stavelot, est trop fortement évaluée par les Allemands; on y trouve bien des groupes de fortins pour Mi ou FM, prévus pour trois servants, et formant une sorte de point d'appui, mais, pas question des fortins, décrits pour canons antichar et Mi, à huit servants, ni des nids à mitrailleuse indépendants, répartis devant cette ligne.
Par contre, les Allemands ont bien prévu la manière de combattre des Belges sur cette ligne:
"Il y a des indices, qui laissent supposer, que les occupants de la position avancée ne se laisseront pas entraîner dans des combats sérieux et que, devant une attaque d'un ennemi supérieur en nombre, ils se retireraient à travers les ouvrages fortifiés, derrière l'ancienne ligne des forts."
Venons-en aux ouvrages fortifiés et aux forts mêmes. Afin de ne pas toujours nous répéter et d'éviter les confrontations, nous présenterons seulement quelques annexes comme exemples, le reste étant considéré dans son ensemble.
Le fort de Battice
Les trois nouveaux forts Aubin-Neufchâteau, Battice et Tancrémont formaient un bouclier, qui fut décrit dans le mémoire selon le schéma donné ci-dessus.
Le Fort de Battice y est décrit de la façon suivante :
"Le Fort de Battice avec ses positions de combat, qui s'étendaient sur ses deux côtés, a pour mission de couvrir de front Est de la PFL et, en cas d'attaque venant de l'Est, de fermer le plateau de Herve. Il contrôle particulièrement les grandes routes Aix-la Chapelle - Liège et Eupen - Liège. Le Fort de Battice comprend les dispositifs de combats suivants, qui sont très modernes et reliés entre eux par des galeries souterraines:"
Situation d'après le "Mémoire Liège"
En ce qui concerne l'équipement d'artillerie, il faut remarquer, que les allemands eux-mêmes trouvaient les données "douteuses" ("zweifelhaft"), et, dans l'Annexe 3 du mémoire, on peut lire ce qui suit :
"Il est fort douteux, que ces canons, sous coupole, d'un calibre supérieur à 155 mm, n'entrent en action; toutefois, ces calibres pourraient probablement être mis en action par l'Artillerie d'Armée en position dans les environs proches du Fort."
Les huit forts réarmés
Les allemands eurent naturellement plus facile pour juger les huit forts réarmés, car ils connaissaient encore ces ouvrages de 1914-1918; ils y avaient même entrepris des améliorations pendant cette période. Pour les forts de Barchon, d'Evegnée, de Fléron et de Chaudfontaine, en ce qui concerne la construction et le nombre de coupoles, le mémoire donnait toujours la réalité; ces forts possédaient le même nombre de coupoles qu'en 1914. Pour les quatre autres forts, d'Embourg, de Boncelles, de Flémalle et de Pontisse, on avait, dans les années 30, enlevé plusieurs coupoles des massifs centraux. Cela avait, en partie, échappé aux Allemands. Pour Flémalle et Pontisse, on avait, en effet, remarqué, que les coupoles avaient été enlevées des massifs centraux et que les ouvertures, laissées par ces travaux, avaient été refermées au moyen de béton, et on ne se trompait pas sur le nombre de coupoles existantes, tandis que pour les forts d'Embourg et Boncelles (respectivement 4 et 5 coupoles sur le massif central en 1914), les Allemands n'avaient pas remarqué, que ces deux forts ne possédaient plus, chacun, qu'un POC et aucune coupole d'artillerie sur leur massif central respectif. Ainsi, du point de vue artillerie, le front Sud de Liège fut trop fortement évalué par les allemands.
Les ouvrages extérieurs servant de prise d'air, avaient, eux aussi, complètement échappé. Un grand atout pour ces vieux forts réarmés...
Les quatre forts non réarmés
Quatre forts de 1914, se trouvant à l'Ouest et au Nord-Ouest de Liège, ne furent pas réarmés, étant donné qu'on voulait concentrer tous les efforts contre une invasion venant de l'Est. Les allemands s'aperçurent que le Fort de Loncin était devenu "Monument National" et que les forts de Lantin, de Hollogne et de Liers ne semblaient plus armés. Il faut dire, que pour les forts de Lantin et de Loncin, on parle quand même de nouvelles coupoles blindées sur les saillants des massifs, mais cela ne devait être, sans aucun doute, que les anciennes coupoles escamotables pour un canon à tir rapide de 57 mm qui, après 1914, avaient été transformées par les Allemands en coupoles d'observation. Les Allemands considéraient que ces quatre forts n'avaient uniquement "qu'une valeur de points d'appui dans la ligne de défense des forts.
La défense périphérique de la ville
Sur les voies d'accès à la ville de Liège, les allemands avaient repéré plusieurs abris de tir (fortins) pour C. ATK et pour Mi, ainsi que des tranchées d'infanterie le long de la Meuse; tout cela était exact... Ils n'accordaient qu'une capacité de défense limitée à la Citadelle et au Fort de la Chartreuse. Que dit le "Denkschrift" sur ce fort, où eut lieu le rassemblement du CLHAM en Dec 1982 ?
"La Chartreuse est une construction de l'époque hollandaise (1815-1830). Elle domine la ville au Sud-Ouest et se trouve à une altitude supérieure de 60 m à celle de la ville. Son champ de tir est réduit en hauteur par les constructions d'habitation et limitée sur 2 Km par les hauteurs s'étendant entre Jupille et Chênée. La Chartreuse tout comme la Citadelle a été cédée en 1891 et est utilisée comme caserne; le massif n'a plus qu'une capacité limitée de défense. Actuellement, on construit de nouveaux bâtiments de casernement dans la cour."
La défense de la Meuse au Nord de Liège, avec le Fort d'Eben-Emael
Eben-Emael
Sur la rive Est de la Meuse, les abris de tir de St Rémy jusqu'à la frontière hollandaise ont bien été reconnus, de même que les fortins, sis directement sur la rive Ouest de la Meuse et derrière le canal Albert (ligne Herstal-Hallembaye). Au Nord d'Eben-Emael, on remarqua les fortins "sans échelonnement en profondeur", mais, au lieu de cela, "de fortes fortifications de campagne, de grande densité et d'une profondeur d'environ 5 Km, ainsi qu'une grande quantité de positions d'artillerie.
Et ci-après, la description non commentée du Fort d'Eben-Emael. Le lecteur pourra s'en faire une idée au moyen des deux dessins ci-joints.
"Le Fort d'Eben-Emael est le pilier de coin de la défense de la Meuse. Il a comme mission d'empêcher par son feu à longue portée l'approche de la vallée de la Meuse et du Canal Albert, au Nord de cette ville. Le Fort se trouve à une hauteur de 60 m au-dessus de la Meuse et du Canal Albert, protégé par les versants à pic de la profonde tranchée du canal. Il se compose de positions de combat des plus modernes, reliées entre-elles par des galeries souterraines. Les entrées se trouvent dans la pente Sud-Ouest de la hauteur, s'étendant entre la Meuse et le village d'Eben-Emael."
Positions de combat du Fort d'Eben-Emael :
Proche du Bloc d'entrée, on trouve des bâtiments de casernement et un fortin pour la défense de cette entrée. Ce fortin est camouflé en maison.
Au milieu du Fort, il y a une position très étendue d'environ 7 m de large sur 50 m de long (des casemates pour personnel ou pour artillerie à tir à longue portée.
6 coupoles blindées de 5 m de Ø (dont une sur fortin pour flanquer la partie Sud, du côté du canal).
7 coupoles blindées de 5 m de Ø chacune (dont une sur fortin pour flanquer le fossé Nord, rempli d'eau, et une sur fortin pour flanquer le fossé Sud, à sec).
5 coupoles blindées de 2 m de Ø chacune (dont deux sur Bloc d'artillerie, comme POC ?).
5 coffres de flanquement d'artillerie sont répartis dans le Fort; trois de ces coffres, placés en direction du Nord, dont la mission principale est de flanquer le cours Nord du Canal Albert; les pièces des deux autres coffres sont dirigées ver le Sud.
6 blocs ATK sans coupole blindée (dont un pour la défense de l'entrée, un pour flanquer le fossé Ouest (à sec), un pour flanquer le fossé Sud (à sec) et deux pour balayer le coin Nord de la position).
Le Fort est entouré d'un obstacle en fil de fer barbelé et protégé par une batterie AA. La position est renforcée sur ses côtés par un grand nombre d'abris de tir (fortins) de construction moyenne. A la lisière Sud du Fort il y a un fossé anti-chars à sec. A la lisière Nord un fossé anti-chars plein d'eau. Sa largeur en sa partie supérieure est de 20 m. en moyenne, la largeur du fond de 10 m.
Equipement (d'après le rapport du 20 Aou 39 - douteux, doit encore être contrôlé) :
8 canons de calibre 75 mm
8 canons de calibre 105 mm
5 canons de calibre 150 mm (obusier lourd de campagne)
4 canons de calibre 220 mm
1 canon de calibre 280 mm
5 mortiers de tranchée de 105 mm
D'après un rapport du 01 Avr 36, deux batteries du Fort auraient reçu des canons de 240 mm, à longs tubes.
Rien qu'en artilleurs de forteresse, la force est d'environ 1.200 hommes.
Comme on le voit, cette description n'est pas très exacte, ni complète. Pour les unités parachutistes, qui devaient atterrir sur le fort, le 10 Mai1940, des études particulières avaient été exécutées; cette mission étant des plus secrètes, aucune mention de ces études ne fut faite dans le "Mémoire Liège.
Le Fort et ses alentours furent observés jusqu'à la dernière minute. On fit, par exemple, de toutes nouvelles photos aériennes stéréoscopiques, on fabriqua des modèles du fort, on disposa même de documents de firmes allemandes, qui avaient participé à la construction du fort (Hochtief AG, Dyckerhoff & Widmann, qui, du reste, existent encore de nos jours). Etant donné, que ces deux firmes n'avaient été employées que pour des travaux d'excavation et pour le pré bétonnage, malgré, qu'en Belgique, encore actuellement, on entende souvent prétendre le contraire, les documents en question ne devaient pas être de grande importance. Finalement tous ces efforts n'apportèrent pas une pleine clarté, et c'est aussi la lacune de notre mémoire. On ne pouvait pas localiser les blocs des forts, on ne connaissait pas l'armement, ni l'équipement des coupoles, on ne savait rien sur l'organisation dans l'ensemble, ni sur l'intérieur. Un supplément au mémoire apporta, du moins, en ce qui concerne les forts réarmés, quelques éclaircissements. Il s'agissait de changements de canons dans les coupoles, et cela devait se révéler exact : les obusiers de 210 mm avaient été remplacés par des canons de 150 mm à longs tubes, les canons de 120 mm par des canons de 105 mm, les canons de 57 mm par des obusiers de 75 mm et les canons de 150 mm par des mortiers et des Mi.
C'était le commencement. Nous verrons qu'un événement arriva, qui apporta d'importants renseignements, surtout sur les nouveaux forts.
II. La ligne de fortins autour de Liège
Deux descriptions devaient compléter le "Denkschrift Lüttich", l'une avait trait aux positions sur le Canal Albert, l'autre aux lignes de fortins situées avant, entre et derrière les forts de Liège. Ci-après, quelques mots au sujet de ces lignes de fortins.
Les Belges possédaient aux environs de Liège plusieurs lignes de fortins, ces derniers n'étaient pas seulement situés dans les intervalles des forts, mais aussi répartis dans les cinq zones de défense. Les fortins pouvaient être équipés de Mi ou FM, mais aussi, en partie, de canons A.TK et de projecteurs. Ils possédaient aussi des mâchicoulis, permettant de laisser tomber des grenades à main à l'extérieur. Quelques-uns, munis d'une cloche d'observation, étaient occupés par des troupes de forteresse, car ils servaient de poste d'observation d'artillerie. Les Allemands se sont évidemment intéressés à ces lignes de fortins,puisqu'ils devraient ici se heurter aux positions d'infanterie belge, et s'ils s'étaient rendu compte lors de la première guerre mondiale, quelle force une bonne position d'infanterie, bien construite, pouvait avoir. On édita donc une carte à l'échelle 1:40.000, sur laquelle chaque fortin fur reporté, on y annexa un fascicule, dans lequel chaque fortin était décrit, les données étaient souvent d'une exactitude ahurissante. On pouvait manifestement s'approcher sans problème des fortins et parfois même en prendre les mesures.
Malgré que la plus grande partie de la position avait été exactement reconnue, bien des erreurs apparurent. Certains fortins, dont la construction avait été terminée peu avant 1940, n'étaient pas repris, par contre, plusieurs petits bâtiments du Service des Eaux et des maisons ordinaires, nouvellement construites, y sont repris comme "fortins". Une petite partie au travail était marquée de points d'interrogation; on constata, le plus souvent, qu'il n'y avait rien de spécial à ces endroits. Dans l'ensemble, ce document permit aux allemands de rassembler d'importants renseignements.
III. L'affaire Tancrémont
En Nov 1939, un Belge d'expression allemande, originaire des Cantons rédimés, abandonna son poste au Fort de Tancrémont, où il avait probablement servi dans le Bloc P. Peu. après, il déserta en Allemagne. On l'interrogea très longuement et avec habileté, au QG- de la 4ème Armée. Le succès fut si grand, que le Chef de la section "Fremde Heere West", de ce temps-là, dans ses "Souvenirs", s'exprimait avec admiration.
En effet, le déserteur donna une description détaillée du Fort de Tancrémont.
C'était tout autre chose que des généralités, il apportait, bien des données exactes, que nous ne trouvions pas dans le "Denkschrift" : construction du fort, description de chaque Bloc, ainsi que son armement, des occupants et de leur mission, des moyens d'observation, des Blocs extérieurs au Fort, des constructions souterraines, des stocks de munitions, et donnait même la répartition des postes de garde; en plus, il apportait deux plans du fort, un de ces plans donnait la position au niveau de la terre, l'autre la position souterraine. Les deux plans sont d'une exactitude inquiétante, il en est de même, des plans succins de plusieurs fortins des intervalles, dépendants du fort et qui étaient reliés téléphoniquement avec ce dernier. Evidemment on releva plusieurs erreurs, les différentes mesures n'avaient pu être qu'estimées, et le déserteur n'avait pas été souvent dans certaines parties du fort mais cela ne nuisait aucunement à l'impression générale; on avait plutôt l'impression que ce déserteur avait prévu sa désertion de longue date et qu'il avait voulu préalablement regarder, vérifier certaines choses particulières. Il était clair, que ces renseignements n'auraient pas seulement une influence sur les opérations concernant le Fort de Tancrémont, mais aussi celles concernant tous les forts et en particulier, les nouveaux forts.
On connaissait maintenant la manière d'opérer d'un nouveau fort belge, ainsi que sa façon de collaborer avec les autres forts. Il ne fut pas très difficile aux spécialistes en fortifications, allemands, de tirer des conclusions et d'établir des combinaisons (genre d'armes d'assaut et de troupe, à mettre en action; terrains repérés à éviter; etc.).
Ce déserteur a donc fait du tort à la Belgique. Il est bien connu que d'autres ressortissants des Cantons rédimés, mobilisés par la Belgique, avaient aussi déserté, parce que depuis 1918, ils se sentaient toujours Allemands; un état d'esprit, que les Belges, dans les premières années après le rattachement de ces Cantons rédimés ont malheureusement renforcé. Toutefois, le plus grand nombre des Belges d'expression allemande a, en 1940, et ceci est prouvé, fait son devoir envers la Belgique.
Plan des dessus, Fort de Tancrémont:
Dessus de Tancrémont
1. coupole pour JM (jumelage de mitrailleuses), direction de tir Sud-Ouest;
2. coupole pour FM avec périscope éclipsable, direction de tir Ouest (rue);
3. grille de fer (largeur 1,5 m) avec tunnel. Hauteur du tunnel 2 m, longueur 14-15 m. A l'Ouest chemin d'accès avec des murs bétonnés. Largeur de ce chemin 1,5 m, longueur 20 m;
4. Deuxième grille (largeur 1,5 m);
5. Entrée avec troisième grille de fer. Derrière la grille pont roulant. Sous ce pont un puits de 5-5,5 m avec escalier à l'entrée normale;
6. coupoles pour deux canons de 75 mm chacune, tournables et éclipsables;
7. coupoles pour JM ou FM avec périscope éclipsable; deux créneaux chacune;
8. coupoles pour JM. Sous ces trois coupoles un grand et profond puits, car on a voulu à l'origine une coupole avec un canon de 150 mm.
9. Bloc Mortier;
10. puits de tir pour les mortiers. Epaisseur du béton du BM : 2 m;
11. coupole pour FM avec périscope éclipsable;
12. cheminées de salle des machines (ouvertures avec grilles 60x70 cm);
13. accès au fort à la rue avec grille de fer;
14. fossé anti-chars; largeur au fond 15-20 m, largeur aux bords supérieurs d'environ 20-50 m, profondeur d'environ 5-4 m. Escarpe du terre, contre-escarpe est un mur de béton blanc.
15. coffres;
16. a et b postes de gardes pour le cas d'une alarme;
17. casernes du temps de paix;
18. maison de garde pour l'officier de garde;
19. WC;
20. la statue de la Sainte Barbe;
21. entrée au glacis (fermée par des grilles de fer);
21a. guérite;
22. baraque pour le gardien en chef (maintenant inhabitée);
23. prise d'air principale: bloc d'entrée avec coupole pour FM et cheminée télescopique. Le bloc est caché par le sol.
24. Chemin à la prise d'air principale, largeur 5 m, longueur 100 m, sans murs;
24a. Nouveaux obstacles près du bloc. A l'entrée du chemin 24 des mines.
25. Chemin à la baraque 22;
26. Prise d'air observatoire. Le bloc est caché par le sol; sans entrée, mais avec coupole pour FM et périscope escamotable. A coté de la coupole cheminée télescopique.
27. Guérite, toujours occupée.
28. Maison du garde-forestier.
50. Quelques positions Mi ÇA avec tranchées.
51. Position Mi CA, camouflée en grenier.
52. Poste double, n'est occupé qu'en temps d'alarme.
54. Fausse coupole, mal camouflée.
55. Emplacements individuels pour poste double en temps d'alarme.
Plan des dessous, Fort de Tancrémont:
Dessous de Tancrémont
Caserne souterraine:
25. Galerie Caserne Souterraine - Prise d'air principale.
58. Galeries de la caserne.
59. Ecluse.
60. Lavoir.
61. Atelier.
62. Chambre pour Sous-officiers.
63. Radio.
64. Chambres de troupe.
65. Infirmerie et magasins.
66. Chambres pour officiers.
67. Ventilateur.
69. FM, battant la galerie.
72. WC.
Bloc d'entrée:
1. Entrée.
2. Pont roulant.
3. Ecluse
4. FM, battant l'entrée.
5. Logement de la garde.
6. Logement de la garde.
7. Moteur pour le pont roulant.
8. Infirmerie pour les gazés. Ici on trouve aussi toutes les clés du Fort.
11. Escalier (5x19 marches).
13. Galerie inclinée.
14. Puits de l'ascenseur.
15. Moteur pour l'ascenseur.
16. Projecteur.
17. FM, battant l'entrée.
20. Galerie menant au fond du puits.
Bloc II (coupole de 75 mm).
48. Galerie B II - Prise d'air observatoire.
49. Galerie B II - B.E.
50. Galerie avec écluse.
51. Ecluse.
52. Couloir menant aux magasins à munitions.
53. Magasins à munitions.
54. Ascenseur pour les munitions.
Coffre III (coffre double):
57. Galerie B III - C III.
41. Couloir.
42. Mi.
43. Projecteur.
44. canon anti-chars de 47 mm.
45. canon anti-chars de 47 mm.
46. Projecteur.
46a. Mi.
47. Magasin à munitions.
IV. Conclusion
Le "Mémoire Liège" pouvait donner une bonne vue d'ensemble de la PFL, sans pourtant fournir des détails importants, qui, en temps de guerre, durent être arrachés par des combats sanglants. Ce document et ses annexes et suppléments ont permis de clarifier des questions importantes, en particulier, en ce qui concerne le Fort de Tancrémont. Au cours des combats de mai 1940, il s'avéra à plusieurs reprises, que les troupes d'assaut allemandes n'étaient pas au courant de ce qu'elles devaient attaquer; certains officiers même semblaient à peine connaître le "Denkschrift". Mais il est plus vraisemblable, qu'on ne voulait entreprendre, quoi que ce soit, que si l'on possédait des éléments constructifs, sûrs. Personne ne voulut risquer sa vie pour des suppositions, ce qui, pour les nouveaux forts, est particulièrement le cas. On préférait donc rassembler soi-même les renseignements nécessaires pour l'attaque. Toutefois, l'énoncé fondamental du "Mémoire Liège" détermina les opérations militaires allemandes en mai 1940. Ce n'est pas ici la place de relater une nouvelle fois le combat des forts, mais, pour terminer, mentionnons encore, que c'est justement le fort sur lequel les allemands étaient le mieux renseignés, qui tint le plus longtemps : le Fort de Tancrémont se rendit un jour après la capitulation de la Belgique.
Bien sûr, après la première et seule attaque, qui échoua sur ce fort, les Allemands se contentèrent de le verrouiller, étant donné que "le fort équipement, décrit dans le "Denkschrift", ne s'était pas vérifié"; ce qui n'empêcha pas les Belges, renseignés par leurs P.O. extérieurs, de faire subir de lourdes pertes à l'ennemi par leurs tirs d'artillerie. Que ceci ait pu se passer, malgré les renseignements que possédaient les Allemands, est remarquable.
Sources:
Bundesarchiv Militärarchiv Freiburg i. Br.:
Denkschrift Lüttich + annexes et suppléments M6194;
Die Werkgruppe Tancrémont + annexes M 6194, 45;
Erkundungen belgescher Festungen v. Februar 1941;
RH 111 III/292.
Bibliographie
Ulrich Liss/Westfront 1939-40/Neckargemünd 1959;
Oberkommando des Heeres (OKH)/Denkschrift über die belgische Landesbefestigung/Berlin 1941;
Jean-Louis Lhoest/Les Paras allemands au Canal Albert/Paris 1964;
Walther Melzer/Albertkanal und Eben-Emael/Heidenberg 1957.
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Colonel e.r. J. SALPETEUR, Un chef de Corps du 1er Lanciers

Photo du Colonel de Thierry
Sans la découverte en 1969 de Raoul Chevalier, membre de la Fraternelle 40/45 du 1er Lanciers, le souvenir du Colonel de Thierry, troisième (1) Chef de Corps, n'aurait été conservé que par son portrait dans le galerie des "Ancêtres" au Mess des Officiers.

(1) Troisième ou deuxième ? Le commandement effectif du Régiment par le Colonel Pletinckx est contesté par certains historiens militaires ...

En parcourant le cimetière d'Hermalle-sous-Argenteau, notre regretté président s'arrêta devant une tombe, quasiment abandonnée, dont la stèle retint son attention. Sculptée en bas relief, elle présentait un shapska du 1er Lanciers accompagné d'un sabre et de deux décorations. L'inscription, également taillée, lui apprit qu'il s'agissait de Charles-Ferdinand de Thierry, Colonel au 1er Rgt de Lanciers, décédé à Hermalle-sous-Argenteau le 9 février 1842.
La Fraternelle fut alertée. Sous l'impulsion du Président de l'époque, Eugène Proost, l'assemblée générale annuelle fut organisée, avec hommage à la mémoire de notre Ancien. La relation parue dans la presse liégeoise permit à une descendante du Colonel, Mlle Body de Clermont, habitant Liège, de se faire connaître. Elle offrit à notre Présidant un sabre provenant de son ancêtre (2), à charge pour lui de le remettre au Régiment. Ce qui fut exécuté. L'arme en cause est un sabre à la turque, non réglementaire, mais porté volontiers dans la cavalerie légère, depuis la Campagne d'Egypte de Bonaparte. L'arme d'ordonnance en tant qu'officier de lanciers belges était le sabre "à la Montmorency" fidèlement reproduit d'ailleurs sur la stèle.

(2) Le don de Mademoiselle Body est accompagné d'une lettre olographe spécifiant que le legs est fait en faveur du Régiment, le mettant ainsi à l'abri de "toute prétention autre et héritière".

Charles-Ferdinand de Thierry naquit à Neufchâteau, province de Luxembourg, le 14 mars 1788 de Jacques et de Louise Julienne d'Omalieus.
Il s'engagea à 18 ans aux vélites (3) des Chasseurs à Cheval de la Garde Impériale et fut nommé sous-lieutenant au 5ème Hussards en 1811. Promu lieutenant puis capitaine en 1813, il fut démissionné sur sa demande en janvier 1815. Il participa à toutes les campagnes : Autriche, Espagne et Russie et fut blessé quatre fois par une arme blanche.

(3) Sous l'Empire, ce terme n'était en usage que dans la Garde, le meilleur terme de comparaison est : "Escadron-Ecole mobile".

Il passe au service des Pays-bas avec son grade aux Hussards N° 8 (4) le 13 décembre 1814. Rien n'indique qu'il fut présent à Waterloo, sans doute les cadres des escadrons de guerre étaient-ils complets. On le retrouve major en 1826 aux Dragons-légers N° 4, régiment spécifiquement hollandais.

(4) Unité presque entièrement composée de Belges, levée chez nous en même temps que les Chevaux-légers van der Burch, dont le 2ème Chasseurs à Cheval a repris les Traditions.

On ne peut lui reprocher, à mon sens, de s'être trouvé à Bruxelles où ce régiment avait été envoyé afin de "rétablir l'ordre dans les Provinces du Sud" dans la seconde quinzaine de septembre 1830. Il y fut blessé au bras gauche le 21.
"Les prodromes de la Révolution n'avaient pas eu un tel accent d'impérieuse nécessité que les officiers belges de carrière y pussent voir un événement prévisible et inéluctable abolissant en droit le serment prêté au Roi des Pays-Bas (5). Plus significatif encore d'un certain état d'âme est le cas d'un officier dont le nom est lié aux annales de l'Armée naissante : Capiaumont. Blessé dans les rangs hollandais à Bruxelles (au mois d'août), il écrira en 1865, devenu général belge. Ma conduite en 1830 est connue, et la révolte n'a pas gagné un pouce de terrain là où je me trouvais. Mais aussi je fus le seul qui a fait tirer sur les factieux plutôt que de laisser insulter ma cocarde (6)."

(5) Le Milieu Militaire Belge de 1831 a 1914. E. WANTY p. 12.

(6) E. WANTY. op. cit. p. 13.

Chaque régiment de la Garde incorporait des velites qui formaient une unité administrative autonome. Jeunes gens de bonne famille, instruits, de bonne prestance, qui devaient justifier, dans la cavalerie, un revenu annuel de 300 frs. (200 dans l'infanterie). Les velites accompagnaient leur régiment en campagne. Tout en participant aux opérations, ils recevaient des cours. Dès qu'ils en étaient capables, ils étaient nommés sous-lieutenant dans un régiment de la Ligne (Ligne par opposition à la Garde).
"Il fallut, pour résoudre les problèmes de conscience, que le Prince d'Orange, dans une ultime tentative pour sauver l'essentiel, déliât en octobre 1830 les officiers belges de leur serment au Roi des Pays-Bas" (7).

(7) E. WANTY. op. cit. p. 14.

Passé au service de la Belgique en octobre, il fut tout d'abord affecté au Corps de Gendarmerie avec le grade de Lt Colonel.
Proposé très favorablement pour le grade supérieur le 26 février 1831 par son chef direct le Colonel Brixhe (8), il réintègre son arme d'origine en septembre 1831 pour prendre le commandement du 1er Lanciers avec le grade de Colonel. Il le conserva jusqu'à sa retraite en 1838.

(8) Louis G.M. Brixhe, né à Spa le 11 novembre 1787, issu de l'Ecole Militaire de Fontainebleau, sous-lieutenant, lieutenant, capitaine au 13ème Dragons jusqu'en janvier 1815, capitaine et major au Hussards N° 8 des Pays-Bas. Il rallia l'armée nationale le 17 octobre 1830 et devint membre de la Commission de la Guerre le lendemain et promu Colonel commandant la gendarmerie le 21 du même mois. Général en disponibilité en 1832, il obtint sa retraite en 1835 et mourut à Liège le 4 décembre 1876.

On connaît peu de choses concernant son commandement. On peut affirmer à priori qu'il recueillait une succession pour le moins inconfortable, si l'on s'en réfère aux aventures connues par son (ou ses) prédécesseur(s).
Ceci en dehors des ennuis normaux relatifs à l'organisation d'un régiment de cavalerie : équipement, recrutement, administration, remonte, cohésion, etc.
La campagne des Dix Jours du mois d'août précédent, quoique glorieuse pour notre Régiment, - rappelons-nous Bautersem, auréolé de la Satisfaction Royale -, n'avait pas réussi à cimenter l'esprit de corps des officiers du 1 L. : nostalgie du régiment batave, jalousies créées par des promotions inconsidérées, infiltrations dans le corps d'officiers d'aventuriers dont le Gouvernement Provisoire n'avait pu éclaircir suffisamment les antécédents.
Ajoutons que l'Armée resta sur le pied de guerre jusqu'en 1839, et les escadrons le plus souvent étalés en avant-postes le long de la frontière hollandaise.
L'une ou l'autre fois, il dut mettre sa démission dans la balance soit pour faire valoir son bon droit, soit pour défendre un de ses subordonnés.
Les appréciations sur son compte sont contradictoires, mais on les perçoit subjectives; aussi me garderai-je de porter un jugement. Je dirai seulement qu'il ne serait pas resté sept années dans son commandement s'il avait manqué à ses devoirs. Les candidats ne manquaient pas !
Le colonel de Thierry avait été fait chevalier de la Légion d'Honneur en 1833 (ordre royal) et nommé Chevalier de l'Ordre militaire de Léopold la même année.
Il ne devait pas jouir longtemps de sa retraite. On lit dans le registre paroissial d'Hermalle-sous-Argenteau : "Anno 1842 - 9 februari, obi it Carolus Ferdinandus Eugenius de Thierry ...". Son épouse, née Louise Augustine Perennet du Battu le rejoignit dans la tombe en 1853.
Ils laissaient une fille Camille, mariée à Adolphe Posch, greffier de la Haute Cour Militaire de Bruxelles, morte sans postérité.
Ajoutons "in fine" à l'intention des héraldistes que les de Thierry blasonnaient : d'or au chevron de gueules accompagné en pointe d'un lion du même, armé et lampassé d'argent. Au chef d'azur à trois étoiles d'argent à cinq rais posées en fasce. Cimier : lion naissant de l'écu.
J. SALPETEUR, Colonel e.r.
Copie de la page 153 de "EMBLEMES ET CITATIONS DES UNITES" Bruxelles, 1971, de LECLEIR L. A.
1er REGIMENT DE LANCIERS
1. Description de l'étendard
Lion doré monté sur socle, doré également; cordelière d'or.
Socle grandes faces : "L'UNION FAIT LA FORCE" - "1er REGIMENT DE LANCIERS", petites faces : "J L"
Hampe en deux parties unies par un manchon.
Tablier en soie, à franges en fils d'or, de 77 X 72,5 cm.
Inscriptions recto : "CAMPAGNE 1914-1918 NAMUR TERMONDE HANDZAEME LA LYS 1940 LA GETTE"
verso: "VELDTOCHT 1914-1918 NAMEN DENDERMONDE HANDZAEME DE LEIE 1940 DE GETE"
Fourragère aux couleurs de l'Ordre de Léopold.
2. Historique
S.M. le Roi LÉOPOLD 1 remit l'étendard du 1er Régiment de Lanciers au colonel C. de THIERRY, le 3 janvier 1832 à MALINES (1).

(1) Journal des Flandres du 8 janvier 1832.

Le 1er Régiment de Lanciers conserva son étendard jusqu'au 28 mai 1940; l'emblème échappa à la capture et fut caché à l'abbaye de SAINT-ANDRE-lez-BRUGES. Il fut déposé au Musée Royal de l'Armée le 2 mars 1945 (2).

(2) CD 1831, Rapport GUILMOT.

Le 6 mai 1946, le Régiment de Reconnaissance reprit le nom et les traditions du 1er Régiment de Lanciers.
Le 9 novembre 1946, à Liège, le Ministre de la Défense nationale, le lieutenant-colonel BEM R. de FRAITEUR, remit l'étendard au lieutenant-colonel G. VAN HOVE (3).

(3) Fiches "Nouvelle armée".

En 1951, le 1er Régiment de Lanciers devient le 1er Bataillon de Lanciers par suite de la réorganisation de l'armée.
Cet étendard reste conservé au 1er Bataillon de Lanciers.
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HISTOIRE DE VOGELSANG

Communiqué par le Colonel BERNARD, commandant le Camp de VOGELSANG.
Non loin de la frontière belgo-allemande, dans la région NORDEIFEL, se dresse, dominant la vallée de l'URFT, l'Ordensburg VOGELSANG, aujourd'hui camp d'entraînement militaire belge.
Vue du Camp de Vogelsang
LES NS-ORDENSBURGEN.
Deux ans après sa prise du pouvoir, Adolf HITLER, Führer et créateur du National-Socialisme, ordonna à son chef d'état-major, le Dr. Robert LEY, de construire la forteresse de VOGELSANG. C'est l'architecte Clemens KLOTZ qui fut chargé d'organiser les travaux de construction. Après le premier coup de pioche, donné le 15 mars 1934, eut lieu, le 22 septembre 1934, la cérémonie durant laquelle le Dr. LEY posa la première pierre. Le Dr. Robert LEY, qui était à la fois chef de l'organisation du Reich dans le parti national-socialiste, et créateur des différents Ordensburgen, choisit de construire ces forteresses sur un terrain encore vierge, car, comme il le disait lui-même : "A l'endroit où elles s'élèvent, il n'y avait rien. Je ne voulais pas transformer de vieilles forteresses ou de vieux châteaux, car je suis persuadé que l'on ne peut ni enseigner, ni se familiariser avec cette philosophie, à la fois nouvelle et percutante, d'Adolf Hitler, dans des bâtiments vieux, humides et poussiéreux. L'environnement se doit d'être à la hauteur des pensées enseignées, "bouleversant." Trois forteresses furent érigées. La première, non loin de FALKENBURG le long du KRÖSSINSEE sur le plateau des lacs; 500 ouvriers y commencèrent les travaux en février 1934. VOGELSANG fut construit en 1934 sur un des versants nord de l'EIFEL en amont du barrage de l'URFT. Au mois de mai 1935, fut lancé le troisième projet, la construction d'une forteresse sur le Kalvarienberg à SONTHOFEN, dans l'ALLGAU. La 4ème forteresse qui devait s'élever à MARIENBURG en Prusse orientale ne fut jamais réalisée.
Trois carrières avaient été achetées dans l'EIFEL pour alimenter le chantier en matériaux. Ceux-ci étaient acheminés sur la colline a l'aide de chars à bœufs. Le chantier employait simultanément jusqu'à 1.500 ouvriers, tous dépendant de firmes civiles.
Une semaine après le discours prononcé par HITLER au cours de l'inauguration officielle de VOGELSANG, 500 Junkers faisaient leur entrée dans la forteresse.
Le 24 avril 1936, à l'occasion de son anniversaire (20 avril) le Führer assista à KRÖSSINSEE, à l'inauguration des 3 forteresses.
Tant à KRÖSSINSEE, qu'à SONTHOFEN et qu'à VOGELSANG, les bâtiments principaux nécessaires à la dispense de l'enseignement, avaient été construits dans le temps record de deux ans. La durée de construction de la forteresse de VOGELSANG avait été évaluée, à l'époque, à au moins dix ans; les dépenses prévues étaient de 250 millions de Marks.
Lorsque les Américains continuèrent à progresser vers le RHIN, la forteresse resta environ un an inoccupée.
A l'époque, la population des environs pilla tous les biens mobiliers de l'Ordensburg, de telle sorte qu'il ne resta plus de VOGELSANG que le gros oeuvre.
L'OCCUPATION PAR LES ANGLAIS 1946 - 1950.
Au mois de juin 1946, les Anglais décidèrent de transformer la forteresse de VOGELSANG en terrain d'exercice militaire. Ils prirent la liberté de porter la superficie du terrain environnant à 6.554 ha. Ceci impliquait l'évacuation des habitants de WOLLSEIFEN.
Le deuxième dimanche du mois d'août 1946 fut donné l'ordre définitif d'évacuation du village pour le 1er septembre 1946. Les habitants de WOLLSEIFEN émigrèrent dans les villages voisins.
Entre 1946 et 1950, les Anglais reconstruisirent les bâtiments de VOGELSANG qui avaient été partiellement détruits par les attaques aériennes.
Ce nouveau terrain de manœuvre construit par les Anglais comprenait neuf stands de tir et terrains de manœuvre pour l'infanterie.
LA PERIODE BELGE.
Le 1 avril 1950, les militaires belges reprennent aux Anglais la direction du Camp. Ils héritent de 4.500 ha de zone interdite contenue dans les frontières actuelles du Camp et de 1.800 ha (sud de DREIBORN et ouest de SCHLEIDEN) où seuls les exercices sur chemins et terrains NON-cultivés étaient autorisés.
A partir de ce moment, VOGELSANG devient le camp d'entraînement du 1 Corps belge installé en ALLEMAGNE.
Reproduction d'une carte-vue du camp de Vogelsang
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F. GERSAY, Souvenir de guerre. Aventures de jeunesse (suite)

VINGT-SEPT MAI 1941 : AUTRE DECOR.
La scène se passe en plein centre commercial de Montpellier. Un bistrot. L'alcool est autorisé ce jour-là, comme d'habitude un jour sur deux. Il faut sans doute ravitailler l'armée allemande en pinard. L'endroit est bien achalandé, c'est jour de marché aux légumes. Des discussions diverses, sur tous les sujets mais aussi à mots couverts, sur De Gaule, sur la bataille de Crète qui tourne à l'échec pour les Britanniques. La propagande allemande diffusée par la presse fait état d'une victoire totale. On ne parlera pas, bien sûr, des pertes énormes supportées par les troupes allemandes et de l'élimination virtuelle de la fameuse division de parachutistes "Herman Goering". La fleur de la jeunesse hitlérienne est restée sur le terrain, mais seule la radio de Londres le signale à travers le brouillage. Et puis il y a aussi la bataille navale qui se déroule pour le moment entre Brest et l'Irlande. Les Allemands ont annoncé la veille que le "Hood", le cuirassé le plus prestigieux de la flotte britannique avait été coulé. En dépit de l'animation ambiante, les visages sont tirés. On sent que la situation est grave pour l'Angleterre qui subit revers sur revers. En dépit de Mers-el-Kebir, le seul espoir des patriotes français réside dans la victoire de leurs anciens alliés.
Yasreg sirote une chopine de vin rouge. Ce jour-là, il s'est offert le luxe d'un dîner au restaurant puisqu'il avait des tickets et de quoi payer. Sa situation n'est pas brillante, mais s'est malgré tout améliorée. Il dispose à présent d'un pécule obtenu par son travail et aussi par le produit de sa mendicité involontaire. Seul dans son coin, sa jeunesse reprend le dessus. Il a retrouvé un certain optimisme et ne voit plus l'Espagne très lointaine. Ses préoccupations n'ont évidemment pas changé, que faudrait-il faire ?.
Il perçoit comme dans une sorte de rêve le brouhaha des conversations. Soudain, un des consommateurs se lève: "Madame", dit-il haut et clair, "videz un verre à tout le monde, le Bismarck est coulé".
Une sorte de stupeur saisit d'abord l'assistance. Le silence s'installe pendant quelques secondes. Puis Yasreg est le témoin d'un fait qu'il n'oubliera jamais. D'un seul élan, toutes ces personnes qui vraisemblablement ne se connaissaient pas, se lèvent, se mettent au garde-à-vous. C'est un geste spontané, irrésistible.
Yasreg lui-même suit le mouvement. Et une vibrante Marseillaise retentit. Les gens dans la rue s'agglutinent, forme une foule qui grossit, étonnée d'abord puis réceptive. Des gens pleurent. L'atmosphère est poignante, une lueur d'espoir est passée. Le vagabond Yasreg ne connaît pas le chant national français, mais il est pris aux tripes comme tout le monde.
Qu'est-ce que le BISMARCK ?
Ce cuirassé allemand de 45.000 tonnes, chef-d'œuvre de construction navale, réputé incoulable, était le vaisseau le plus lourdement cuirassé du monde. Son armement lourd comportait 8 canons de 15 pouces. Sa vitesse égalait et même dépassait celle des cuirassés britanniques les plus rapides. Seuls les plus puissants parmi ces derniers étaient capables de se mesurer à lui.
Pour l'Angleterre en guerre, la seule présence de ce bâtiment constituait une effroyable menace pour son ravitaillement et par conséquent pour la poursuite de la guerre.
Pour conjurer ce danger mortel, l'Amirauté britannique était contrainte de conserver à portée d'action immédiate les navires de guerre capables d'opposer une riposte efficace à ce mastodonte. Pour cela il fallait dégarnir d'autres théâtres d'opérations. Les conséquences étaient tragiques compte tenu des responsabilités qu'assumait, bon gré mal gré, la Royal Navy à l'échelle mondiale.
Le 27 mai 1941, le Bismarck, gravement endommagé le jour précédent par le Prince of Wales au cours d'une bataille navale qui avait vu l'explosion et la disparition en quelques minutes du Hood, fleuron de la Flotte britannique, fut coulé à son tour. Incoulable au canon, impossible à gouverner suite aux terribles avaries qu'il avait subies au niveau de flottaison, il fut finalement éliminé de la surface des mers par les avions torpilleurs.
Le Bismarck coula pavillon haut. Il n'y eut que quelques survivants.
SAINT-BEAUZELY -AVEYRON : mi-juin 1941.
Le pittoresque de l'endroit mériterait de s'étaler sur une infrastructure touristique. Tout ici est beau, calme, mais très pauvre.
Chef-lieu de canton, le village ne groupe qu'une centaine de maisons agglutinées dans un cadre de murailles moyenâgeuses partiellement en ruines. Le haut-lieu du patelin est uniquement fréquenté par les rats et les chouettes. C'est le château, en ruines lui aussi et hanté, naturellement. Ce qui en reste fait quand même bonne figure dans l'ambiance un peu surréaliste qui prévaut. La nuit, le tout semble sortir d'un conte fantastique, teinté de cauchemardesque. L'impression est encore renforcée par l'éclairage chiche des ruelles et des habitations. Les venelles étroites pavées de gros, les ornières creusées à même la pierre par des siècles de trafic rural, les maisons lépreuses, suggèrent une atmosphère sinistre et déprimante pour ceux qui n'y sont pas nés.
L'attitude des gens est spéciale, elle aussi. Il semble qu'ici le temps se soit arrêté. Les habitants, agriculteurs et bergers pour la plupart, se révèlent peu loquaces, taciturnes. Gomme tous les isolés, repliés sur eux-mêmes dans ce trou perdu, on sent leur méfiance ancestrale instinctive envers tout ce qui est nouveau, ce qu'ils ne connaissent pas. La guerre parait n'avoir amené aucun changement à leur mode de vie, immuable et routinier. On dit que ceci résulte en partie du fait que le petit vin local, acide et traître, provient de raisins qui ne parviennent jamais à maturité faute de soleil.
Dans sa lutte pour survivre, Yasreg a connu Saint-Beauzély.
Montpellier était devenu malsain pour lui. La menace d'être remis aux mains des Fritz à la ligne de démarcation se concrétisait. Les autorités de Vichy, sous la férule du Maréchal vieillissant, optaient de façon de plus en plus visible pour la collaboration. Pour notre vagabond c'était là une épée de Damoclès permanente. Le Secours national, les bonnes sœurs avec leurs nouilles à l'eau l'avaient parfois sauvé de la disette. Malgré la gratitude qu'il leur devait le pauvre hère ne pouvait se permettre de continuer ce régime sans tomber malade. Il avait donc offert ses services, comme manœuvre, aux "Chantiers ruraux de l'Aveyron", d'où sa présence à Saint-Beauzély.
Le travail consistait à creuser à flanc de coteau une route rurale destinée à desservir plus facilement deux villages isolés. Il se vit donc astreint par les circonstances à manier les outils obligés du parfait terrassier : la pelle, la pioche et la brouette.
Les gens qui l'entouraient, marginaux comme lui, participaient avec une énergie mitigée à la réalisation de cette entreprise, sinon grandiose, du moins localement utile.
Après une semaine de ce régime abrutissant, gonflé de navets à l'eau et de topinambours douteux, Yasreg décida de lâcher tout et de reprendre la route. Jules D..., un compagnon d'équipe lui emboîta le pas. Tout le monde avait perçu une avance sur le salaire afin de régler les dettes de cantine. Cette dernière attend toujours son dû.
DECOR : Un hameau abandonné dans la nature
Terre sauvage et peu peuplée, l'Aveyron, à l'époque où se situe ce récit, est de plus en plus frappé par l'exode rural. Ses habitants abandonnent une terre qui ne nourrit plus son homme. La jeunesse va chercher ailleurs ce qu'elle ne trouve plus sur place.
Une pénible impression de tristesse, de mélancolie sinistre se dégage des humbles demeures vides où des traces d'ancien bonheur se remarquent encore ici et là. Une sorte de pudeur empêche les deux marginaux de franchir les portes ouvertes.
Un chemin caillouteux traverse le hameau, suit la colline, contourne un boqueteau et soudain, apparaît un troupeau de moutons.
Pas bien grand, une trentaine de bêtes s'est dispersée sur une pente. Pas de chien visible, mais, assis sur un rocher, un bonhomme coiffé d'un feutre délavé et enveloppé d'une sorte de cape qui le couvre de la tête aux pieds. Ce personnage presque biblique, c'est le berger. C'est un vieillard, sec comme un sarment de vigne, qui se lève et incline la tête en guise de salut. Impressionné par son expression de dignité humble, de sérénité, de calme intérieur, Yasreg s'approche : "Monsieur", dit-il, "pouvez-vous nous dire s'il existe une auberge dans les environs. Nous avons traversé le village mais nous n'avons rencontré personne. Tout semble abandonné ici. Sommes-nous bien sur la route de Lodève ?"
"Oui, Messieurs", répondit le berger, "vous êtes sur le bon chemin, un peu plus loin vous rejoindrez la grand'route qui y mène. Pour le reste, il n'y a pas d'auberge ici, ni plus loin d'ailleurs. Moi-même et mon épouse sommes les seuls habitants à 10 kilomètres à la ronde."
"En ce cas", demanda Yasreg, "pourriez-vous nous vendre quelque chose à manger. Nous devons gagner Lodève aujourd'hui encore, si possible et à pied car, à notre connaissance, il n'y a ici aucun transport public".
"En effet, il n'y a un autobus dans les deux sens qu'une fois par jour et vous ne pourrez l'emprunter aujourd'hui. Il est déjà passé. Je vais vous conduire chez moi, ce n'est pas loin... Ma femme vous fera quelque chose à manger".
Toute proche, une bâtisse toute simple, à côté d'un hangar à foin, d'un tas de fumier et d'une étable. Quelques poules picorent ça et là. Mais la porte de l'étable s'entrebâille et une femme âgée en sort. "Entrez", dit la vieille, "passez par ici".
Yasreg et son compagnon se voit introduire dans ce qui est sans doute la pièce principale. Des meubles boiteux, quelques caisses ou coffres constituent les sièges et commodités. Le tout est propre, pauvre, entouré de parois en briques nues. Des solives soutiennent le plafond. De l'ail, des oignons, un fatras de choses indéfinissables y sont suspendus. Seuls ornements, un portrait du maréchal et un cadre contenant deux décorations militaires. Dans la cheminée où brûle un feu de bois, une crémaillère pend, avec sa marmite de soupe. A portée de main est suspendu un fusil de chasse. Il n'y a aucune pendule, rien qui indique le passage du temps.
Les pauvres gens sortent d'un placard ce qu'ils ont de mieux : des bols et des écuelles, une bouteille de vin, un quignon de pain dur, du fromage du pays, du beurre. Et pour corser le tout, on prépare une énorme omelette. Une aubaine pour nos deux marginaux affamés.
Chacun s'installe. Le vieillard se signe, se recueille un instant puis s'assied et invite ses hôtes à partager son repas.
Finalement le silence est rompu. On parle de la dureté des temps, des difficultés de communication avec la ville, du départ des voisins, des fils qui travaillent à Montpellier et que l'on voit si rarement. Bref, les vieux se souviennent du temps passé où tout allait mieux, où un humble bonheur était encore possible.
"Eh! Oui!..." fait le vieillard, "j'ai connu Verdun et même personnellement le Maréchal qui une fois encore a sauvé la France. J'ai passé deux ans dans la boucherie, les tranchées, les poux, la crasse. On mourait pour reconquérir cent mètres carrés."
"La France n'est pas morte, une génération se lèvera pour la sauver. Moi j'ai fait ma part. Voyez ces deux décorations : C'est la Croix de Guerre et la médaille militaire. Un jour, vous qui êtes jeunes, vous devrez participer; la revanche".
En boitant le vieux se lève, décroche le cadre qui contient ce qui est si précieux pour lui. Et la vieille dit avec fierté : "II était sergent. Messieurs".
RETOUR A MONTPELLIER
Sous la pluie battante, la petite ville de Lodève s'estompe dans la grisaille. La route monte parmi les plateaux calcaires des Garrigues. Elle suit par endroits les gorges arides et sauvages de cette région réputée à juste titre pour ses beautés naturelles. Yasreg et son compagnon ont atteint l'Hérault et ont encore 46 kilomètres à parcourir, à pied bien entendu, avant d'atteindre Montpellier.
La nuit commence à tomber. Transis de froid, mouillés, fatigués, les deux compagnons doivent absolument découvrir un endroit abrité pour passer la nuit. On aurait pu loger à Lodève, trouver un coin tranquille, mais Yasreg a préféré ne pas le faire. Son compagnon est français, ses papiers sont en règle. Yasreg est un étranger en état de vagabondage et susceptible d'être remis aux Allemands. Or cette ville était, pour une cause ignorée, en état d'ébullition lors de leur passage. La gendarmerie sévissait partout, vérifiait les papiers d'identité, visitait les bistrots et les hôtels. On parlait même de terroristes... Il valait mieux se faire tout petit et disparaître. Brave type, généreux et bon, Jules D. l'accompagnait dans son misérable périple.
Cet homme, d'une trentaine d'années à l'époque, se disait mécanicien de profession. Célibataire, seul dans la vie, il s'efforçait de survivre, faisant tous les métiers. Yasreg se souvient avec sympathie et reconnaissance de ce pauvre homme qui, compatissant envers sa jeunesse, lui laissait une large part de ses tickets d'alimentation. Il revoit son visage maigre, ses yeux clairs, sa manie de vouloir rester propre et de conserver une sorte de dignité triste au milieu de son dénuement. Cette attitude semblait innée et Yasreg se demande si, après tout, Jules D. n'était pas autre chose que ce qu'il prétendait être.
Dans la bruine épaisse, sur un terrain en pente couvert d'herbe détrempée, des flaques d'eau, quelques ornières et une bâtisse se précisent. Tant pis, on s'approche... C'est une construction sommaire, une sorte de hangar à foin hissé sur des piliers en bois qui l'isolent du sol. On distingue vaguement les réserves de fourrage entassé hors d'atteinte du bétail. L'endroit doit être fréquenté durant la journée, si l'on en juge par les traces de pas. La boue et le purin sont de la partie.
On se fait la courte échelle et on se hisse dans le foin. C'est l'hôtel des courants d'air mais la matière est relativement sèche. A défaut de chaleur, on est débarrassé de la pluie qui redouble. On attendra le jour, et puis... on se remettra en route. Impossible de dormir ; les deux pauvres diables claquent des dents. Quel endroit.! Quelle misère.! Mais Jules D. secoue Yasreg qui commence à somnoler. "Regarde là-bas, je crois voir une lumière. C'est peut-être une ferme. Il vaut mieux aller voir. On va attraper la crève ici. Vaut mieux se barrer..."
Mort de fatigue, Yasreg n'a guère envie de bouger. Il en a marre, et sa réponse s'en ressent. Mais ce sentiment purement subjectif ne mène nulle part. Alors, courage ."II faut encore donner un coup de collier".
De nouveau, on entre comme un coin dans le mur de flotte. De nouveau, le ruisselet d'eau dégouline dans le cou, descend le long de la colonne vertébrale, humidifie le sphincter et se perd dans le fond du froc. Les pieds sans chaussettes clapotent dans les godasses. L'étoffé du pantalon leur colle aux fesses.
La lumière se voit mieux ; elle filtre à travers des persiennes en bois. Des gens vivent là !
"On va demander l'hospitalité jusqu'à demain matin." dit Jules D. "Après tout, on a de quoi payer."
Gênés, les deux hommes hésitent puis finalement se décident à frapper à la porte.
Tout d'abord rien ne se passe. On refrappe. Un chien grogne sourdement. Puis des pas furtifs se rapprochent de l'entrée: "Qui est là ?" demande une voix rauque.
Jules D. a plus ou moins l'accent du terroir quand il le veut : "Ouvrez" dit-il, "nous sommes perdus et nous cherchons une grange pour passer la nuit. Pouvez-vous nous aider?"
Pas de réponse. Un chien continue à grogner. Puis brusquement la porte s'ouvre toute grande. Une ombre chinoise se profile : un homme armé d'un fusil, silhouetté sur le fond rougeâtre d'un feu de bois. Une autre ombre, celle d'une femme cette fois, tient fermement en laisse un gros chien garni d'une solide muselière en cuir.
La réception manque d'enthousiasme, mais on le comprend. Les temps sont incertains, l'endroit isolé. Les visiteurs ne payent pas de mine, c'est le moins qu'on puisse en dire. Que font-ils dehors, en pleine nuit, par un temps pareil ?
L'examen d'entrée est méfiant, mais finalement positif. On voit que les deux clochards ne sont pas méchants et qu'ils font plus pitié que peur.
"Entrez" dit l'homme au fusil. Comme partout où la vie est âpre et dure, ici non plus, on ne jette pas dehors quelqu'un qui demande l'hospitalité. Mais on a le droit de prendre ses précautions.
DECOR
Une sorte de grange, aménagée en habitation. Dans le fond, une cheminée ouverte, avec, noire de suie, l'inévitable crémaillère et la grosse marmite à soupe. Toute une famille est là : cinq enfants dont les âges varient du berceau à l'adolescence; deux femmes, la mère et la grand'mère, sans doute.
Bouche bée, la marmaille regarde les deux visiteurs inattendus. On voit que les visites sont rares ici. L'homme est allé pendre son arme dans un coin. On a calmé le molosse. La porte est solidement verrouillée, comme au Moyen-Age, avec une poutre en chêne coincée entre deux tenons. Pour tout éclairage, on dispose du feu de bois qui craque et fuse.
De grandes ombres accompagnent tous les mouvements des gens, dans une ambiance rougeâtre qui fait ressortir encore la pauvreté des choses. On a l'impression de vivre dans le passé. La pénombre des coins révèle des formes bizarres. Ce sont des animaux. Des-poules perchent partout où on ne les chassent pas. On distingue des moutons dont certains ruminent encore. Jules D., qui a des lettres, évoque un tableau de Lenain, montrant le dénuement des paysans du XVlIe siècle.
Mais les gens se déplacent, on se dérange, on invite les visiteurs à venir se sécher. Quelques paroles s'échangent. Fumant comme de vulgaires lessives, Yasreg et son compagnon sentent la chaleur caresser de sa bienfaisante présence leurs membres transis.
Mais l'hospitalité ne s'arrêtera pas là. Voilà que la jeune femme se lève, leur sert un bol de bois plein de soupe chaude avec du pain fabriqué sur place, et une grosse tranche de jambon cru.
Jules D. n'avait pas eu une mauvaise idée après tout; Une fois de plus, Yasreg a l'occasion d'apprécier le sens de l'hospitalité des humbles. Peu loquaces, comme intimidés, ces braves gens ont donné ce qu'ils avaient, sans poser de questions, comme si c'était une chose toute naturelle.
Yasreg et Jules D. passèrent le reste de la nuit enveloppés d'une couverture dans un coin de la pièce, au chaud et au sec.
Tout le monde avait rejoint son coin pour se préparer à une nouvelle journée de travail. Au dehors la pluie tombait toujours.
Personne ne les réveilla et c'est tard dans la matinée qu'ils constatèrent qu'on les avait laissé dormir. Le feu brûlait toujours dans l'âtre. Personne n'était en vue. Leurs hôtes étaient sans doute occupés avec leur bétail car des bruits assourdis, ponctués de quelques interpellations se distinguaient au loin.
Perplexes, les deux compagnons se posaient la question : "Peut-on s'en aller comme cela, sans même remercier ?", quand la fermière entra dans la pièce. Un rapide bonjour et du pain gris et un pot de lait fraîchement trait leur fut offert.
Silencieusement la brave femme les regarda quitter son humble demeure, un rien de tristesse dans le regard. Pour elle, un rêve venait de passer. Des visiteurs étaient venus et étaient repartis, anonymes, pauvres comme eux... La vie, c'est cela !
L'étape d'aujourd'hui sera longue. Il reste au moins 40 kilomètres avant Montpellier. Yasreg va à Montpellier mais il pourrait tout aussi bien mettre le cap sur un autre endroit. Cela ne changerait rien au problème. Que faire ? Où loger ? Où aller ? Il reste un peu d'argent, pour un jour ou deux, tout au plus. En plus, les grosses godasses qui l'ont amené jusque là commencent à déclarer forfait. Yasreg est en passe de rouler sur les jantes.
Cette situation ne peut durer. Il faut prendre une décision; Jules D. connaît bien les Pyrénées et les espagnols : "C'est tout simplement stupide d'essayer de passer comme ça." dit-il. "D'abord tu ne rencontreras à la frontière aucun Français, mais des Boches ou des Italiens. Tu ne connais ni les passages ni la langue espagnole. Tu ne disposes même pas d'une carte et tu risques de te faire descendre aussi bien de ce côté de la frontière que de l'autre. A ta place, vu ta situation, je signerais un engagement à la Légion Etrangère. Tu y seras au moins à l'abri."
"Toi", continua-t-il, "tu peux être appréhendé par le premier flic venu et réexpédié d'où tu viens, avec les conséquences que ça entraînera pour toi et ta petite santé... Bien sûr, cinq ans ce n'est pas rien... Mais tu seras en Algérie et tu y mangeras à ta faim. Si tu as l'échine souple, on t'y foutra la paix. Tu seras en règle avec le monde entier. A. ta place, je n'insisterais pas. Je me présenterais au premier poste de gendarmerie venu et je demanderais à m'engager. Ils recrutent du monde et ne te poseront pas de question."
Yasreg voit dans ces paroles un reflet du cheminement de sa pensée. C'est la marche à suivre. Il est inutile de forcer le destin.
CAMP SAINTE MARTHE : DEUXIEME MOUTURE
L'aspect extérieur du camp est toujours le même, mais cette fois le corps de garde est occupé par la Légion. On pratique le même cérémonial que la première fois. Yasreg passe les fourches caudines sans problème. On est poli et on semble le caresser dans le sens du poil.
Le sous-officier pousse la courtoisie jusqu'à lui adjoindre un planton pour le mener à bon port. De toute évidence, personne ne se souvient de lui. Tant mieux, mais ce n'est guère étonnant, compte tenu du va-et-vient habituel de l'endroit.
En y regardant bien pourtant, des choses ont évolué : par exemple, l'accueil et l'attitude générale présentent moins de débraillé. C'est toujours la tour de Babel, mais on sent qu'une poigne énergique a pris les choses en mains. On ne voit plus d'Annamites, moins de Sénégalais et de Nord-Africains. On s'y bouscule moins. Les allées du camp sont entretenues. On constate qu'un effort louable a été soutenu pour que les locaux soient présentables.
L'excellente tradition de la Légion veut que le nouveau venu passe d'emblée aux cuisines pour un casse-croûte et un verre de pinard. Tout le monde, même le cuistot, semble s'être donné le mot pour rectifier l'impression déplorable de "Sainte Marthe, première mouture".
En s'excusant presque, on confronte notre vagabond repenti avec l'abord agréable et nécessaire du décrassoir. Ensuite, c'est la présentation des appartements. Yasreg va de surprises en surprises : un lit avec des draps, une petite armoire pour ceux qui ont quelque-chose à y mettre, ce qui n'est pas son cas. Pour le moment, les locaux sont vides. On lui fiche la paix... et c'est tout ce qu'il demande.
DECOR : le bureau du Capitaine
Une table de bois encombrée de papiers. Au mur, un drapeau français croisé avec un fanion rouge et vert de la Légion. Deux portraits, celui du Maréchal Pétain et celui du Général Rollet, héros légendaire de la Légion Etrangère. En-dessous, une citation en grandes lettres, attribuée à ce dernier :
"Légionnaires, vous êtes légionnaires pour mourir et l'on vous envoie où l'on meurt."
Assis derrière le meuble, un Capitaine chargé d'interroger les futures recrues. Yasreg le reconnaît, c'est le même qui l'a questionné la première fois.
"Ah; Tiens, vous revoilà; Je me souviens de vous. Et moi qui vous croyais disparu ! Quelle agréable surprise : Heureux de vous revoir ! Et après tout, supposons que je vous flanque à la porte... Qu'en pensez-vous ? Car je ne suis nullement certain que vous n'allez pas me refaire le même coup. Etes-vous décidé cette fois ?"
Yasreg est dans ses petits souliers. Il se sent plutôt gêné aux entournures. Que répondre ? Il ne s'agit plus de crâner. Comme tout futur plouc qui se respecte, il faut s'abstenir de tout commentaire. L'échine est raide, mais il faut qu'elle acquière de la souplesse. La diplomatie du roseau qui plie et ne casse pas est d'application.
Le candidat repenti se cale au garde-à-vous : "J'ai bien réfléchi mon Capitaine, je suis décidé à signer. J'espère que vous n'allez pas me mettre dehors."
L'officier, un petit sourire au coin de la moustache, le regarde quelque secondes. "Bon" dit-il, "normalement tu devrais déjà être sorti, mais tu es toujours là... On va refaire un essai... C'est comme si tu n'étais jamais venu ici. Demain matin tu repasseras les visites médicales. Maintenant, il y a une chose que tu as intérêt à comprendre : je crois que ce n'est pas le moment pour toi de rentrer en Belgique, je crois aussi que tu as de bonnes raisons. Tu agis sagement en te mettant sous la protection de la France.
"Rassures-toi, elle ne te demandera pas plus que tu ne peux donner."
Yasreg bredouille un : "Merci mon Capitaine.", fait demi-tour et relit l'inscription sur le mur. Il a compris. Mais l'expérience est encore à faire !
(A suivre)
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