TOME 2 - FASCICULE 9 - JANVIER-MARS 1985

Sommaire

Editorial

BROCK Jean - Bientôt 45 ans : Eben-Emael

Photos (en noir & blanc et de qualité moyenne) belges et allemandes sur Eben en mai 1940

DEMOULIN Hubert - Entrée du 6 Bn Fus à Nordhausen

Editorial: cinq ans déjà

Il y a près de cinq ans paraissait le tout premier numéro de la revue du C.L.H.A.M.
En guise d'introduction, je ne peux résister au plaisir d'en reprendre l'éditorial "in extenso".
Après la visite du fort d'Eben-Emael, ce premier numéro de notre bulletin périodique constitue une nouvelle étape dans la mise en route du C.L.H.A.M. et un nouveau pas vers le resserrement des liens qui doivent unir tous les membres de notre association.
Fruit d'un travail collectif, cette brochure permettra d'abord d'informer tout un chacun de la vie du C.L.H.A.M. et des cercles associés.
Une rubrique spéciale d'entraide, le "Courrier du lecteur", sera ouverte à tous ceux qui ont quelque chose à offrir ou à demander.
Une revue bibliographique et un deux articles de fond apporteront matière à réflexion ou recherche.
Et comme l'humour ne peut perdre ses droits, une page spéciale reliera les "perles" ou faits amusants glanés dans l'un ou l'autre document d'Histoire.
Voici donc un bel outil à la disposition de tous, et pour lequel tous sont conviés à la tâche.
Ce premier numéro posait d'emblée les jalons de notre démarche future :
- mieux connaître notre patrimoine fortificatif pour mieux le protéger,
- veiller à ce que rien ne se perde de l'histoire militaire de notre région et de notre pays,
- être un centre de documentation et de rencontre pour tous les passionnés de notre passé militaire.
Ce pari de départ a été tenu. En témoignent notre bulletin trimestriel (plus de 40 articles de fond absolument inédits à ce jour), nos visites d'installations militaires, notre participation active et remarquée à divers congrès, notre centre de Liège désormais opérationnel, notre audience dans tous les cercles autorisés.
Un tout petit regret cependant... Celui de n'avoir que peu de nouvelles, d'avis, d'encouragements de la part de nos lecteurs.
Ami du C.L.H.A.M., peut-être nous feras-tu ce plaisir aujourd'hui ?
A. GANY
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BROCK Jean - Bientôt 45 ans : Eben-Emael

AVANT-PROPOS
Certains diront : "encore le fort d'Eben-Emael" !
En effet, il en a déjà été question à différentes reprises dans notre bulletin, particulièrement dans le bulletin Tome II, fascicule 3, où Gunther SCHALICH nous a communiqué le "Mémoire Liège" et dans le bulletin Tome II, fascicule 6, où la chute des forts d'Eben-Emael et de Boncelles étaient vues par la propagande nazie.
Jean HARLEPIN y a fait allusion également dans le bulletin Tome II, fascicule 4, dans l'article "Comment sont tombés les forts belges en 1914 et en 1940 ?".
Cependant, voici que, quarante-cinq ans après sa chute, Jean BROCK nous communique une excellente synthèse des événements de 1940 et que Francis TIRTIAT l'appuie d'une collection exceptionnelle de photos et de reproductions.
Nous avons décidé d'y consacrer un nombre important de pages de notre bulletin car il nous a semblé que ce travail documentaire arrivait à un moment opportun.
L'article de Pierre TOUSSAINT, inséré dans "Liège, mille ans de fortifications militaires", Liège 1980, pp. 107-126, donne un aperçu de la situation du fort d'Eben-Emael vue sous l'angle technique. Il serait fort intéressant de le relire avant d'aborder le chapitre suivant, consacré surtout à l'événement.
Le croquis permettra, en tous cas, de s'orienter et de situer les différentes parties de l'ouvrage.
Croquis
P. B.

Les photos qui illustrent l'article appartiennent à des collections particulières et sont d'auteurs anonymes.

Bientôt 45 ans : EBEN-EMAEL. Jean BROCK
Description du Fort
Le Fort fut construit de 1932 à 1935 le long de la célèbre tranchée de Caster au Canal ALBERT à hauteur de l'écluse de Lanaye.
La tranchée de Caster constitue en effet un barrage exceptionnel par son envergure; elle traverse la colline de LOEN sur une distance de plus de 1.500 mètres et atteint une profondeur de 65 mètres.
Le Canal ALBERT y repose sur une largeur de 54 mètres entre deux berges de halage de 10 mètres de large chacune. A cet obstacle impressionnant que constitue le Canal ALBERT on y ajoute un ouvrage complet de grande étendue pouvant exercer son action éloignée dans toutes les directions. La superficie du Fort est immense par rapport aux autres ouvrages belges : 60 hectares dont 40 pour le massif central* est une flèche de plus de 900 mètres de long, large de 700 mètres.
Le Fort a été construit sur 3 niveaux, celui des ouvrages affleure la surface. Ensuite le niveau des galeries conduisant aux pieds des puits (liaisons avec les chambres de tir), aux postes et dépôts de munitions, est à la côte -20 mètres. Enfin il y a le niveau de la caserne souterraine qui est relié au niveau intermédiaire par ascenseur et escalier central; côte -40 à -60 mètres. Sur la superstructure, il y a 3 fausses coupoles de 6 m de Ø, 4 Mi C.A., 1 coupole mobile avec 2 canons de 120 mm (portée 17 Km), 2 coupoles mobiles éclipsables avec chacune 2 canons de 75 mm court (portée 11 Km), 4 casemates d'une force totale de 12 canons de 75 mm long (portée 11 Km) et 6 mitrailleuses jumelées.
Parmi les petites armes qui dotaient les ouvrages des fossés on dénombrait 12 canons de 60 mm anti-chars à tir rapide (portée 3 Km) et 15 mitrailleuses jumelées. De la poterne d'entrée au P.C. il faut marcher 6', jusque Mi-Sud, 7', Mi-Nord, 14', coupole Nord, 15', Eb 1-01, 19' (Eb 1-01 = observatoire sur Fortin 01).
Pour accéder aux anciens emplacements de Mi C.A. il faut marcher 9' sur le Fort. A l'étage intermédiaire, il y a ainsi 3,5 Km de galeries bétonnées.
Pour accomplir un circuit complet il faut parcourir ± 13 Km.
A l'étage souterrain sont prévus les logements officiers et troupe, les lavoirs, cuisines et magasins, une infirmerie avec salle d'opération, bureau d'administration, armurerie, une salle de machines avec 6 moteurs Diesel de 175 HP, la centrale électrique ainsi qu'une importante cheminée d'évacuation avec 2 ventilateurs et un filtre à air.
Il existait une prise d'air principale dotée de 2 moteurs de 115 HP chacune, ainsi que 3 autres prises d'air de secours cachées par une légère couverture de maçonnerie. Trois débouchés d'infanterie respectivement Bloc II, coupole Nord et Mi Nord ainsi que 4 sorties de secours Bloc IV, VI, canal Sud et Mi-Sud.
Voilà le monstre qui fut construit à Eben-Emael pour une garnison théorique de 1.200 hommes.
Mai 1940 : Etat du Fort et moral de la garnison
Pour beaucoup, le Fort était le pénitencier du régiment.
On désignait généralement pour le Fort les officiers derniers de promotion, par mesure disciplinaire. La majorité était des réservistes ! Du côté sous-officiers, il suffisait d'être mal coté au R.F.L. ou de mal se comporter pour y être muté. Le Major JOTTRAND, qui commandait le Fort, estimait lui-même que le Fort assumait un rôle de pénitencier, que les soldats étaient médiocres et manquaient de conscience professionnelle. Toutes les fortes têtes des autres forts s'y retrouvaient. Mélange de classes. Instruction insuffisante.
La garnison n'avait jamais tiré d'obus réels ni lancé d'authentiques grenades !
L'armement personnel comprenait carabines, grenades et 4 GP.
Le matériel lui-même n'était pas mis au point, la lunette de visée de la coupole 120 manquait, il y avait des déficiences graves aux canons de 75, etc.
En résumé : Militairement et techniquement, le Fort souffrait de déficiences graves et était fondamentalement conçu pour une attaque classique. Côté garnison, le personnel n'était pas à la hauteur de la tâche : mal instruit, incomplet, moral inexistant, il deviendra une proie facile dans un ouvrage-piège. Entre-temps dans les salles de spectacle, on joue : "Ceux qui veillent", "A l'Est, rien de nouveau".
PREPARATION ET ATTAQUE DU FORT
Objectifs initiaux des équipes d'assaut
Les flèches indiquent le pointage d'alerte des pièces d'artillerie
Le Commandement allemand connaissait la nécessité absolue de s'emparer rapidement du Fort d'EBEN-EMAEL et d'occuper intacts les ponts de VELDWEZELT, VROENHOVEN et CANNE. C'est pourquoi fut conçu ce coup de main audacieux, le premier de l'histoire de la guerre.
Dans le plus grand secret, au sein de la 7e Division commandée par le Général STUDENT, on constitua le "Détachement de combat KOCH" total 341 hommes, fort d'une compagnie de chasseurs parachutistes, avec mission de s'emparer des ponts intacts, d'une section de sapeurs parachutistes, sous les ordres du Lieutenant WITZIG chargée d'occuper le Fort avec ses 85 hommes, d'un commando de planeurs (DFS 230) de transport sous la conduite du Lieutenant KIESS, celui-ci étant responsable du décollage nocturne du groupe des planeurs. Le tout sous le commandement du Major KOCH.
Dès le 05 Nov 39, on commença à la base de HILDESHEIM un entraînement tout à fait spécial. Les groupes de combat y furent formés et hermétiquement isolés du monde extérieur. Sans congés ni sorties, cela dura six mois. Le secret le plus absolu entoura ces hommes.
On les mit au courant de leur mission et on les forma sans préciser la date ni le lieu d'action.
Les planeurs remorqués par les JU 52 s'entraînèrent d'abord seuls puis en groupe, de jour et de nuit, sans et avec charge maximale.
Les sapeurs apprennent à connaître et à utiliser une nouvelle arme, les charges creuses de 50 Kg, capables de faire sauter du blindage de 25 cm d'épaisseur. Toutes les explications et opérations furent répétées jusqu'à ce que chaque mouvement soit devenu un réflexe naturel. A une date déterminée, les planeurs furent démontés à HILDESHEIM, chargés dans des tapissières et expédiés à COLOGNE dans le plus grand secret, à tel point que les Commandants des terrains d'aviation de COLOGNE-OSTHEIM et BUTZWEILERHOF ignoraient tout ce qui se passait sur leur terrain. Les groupes reçurent leur nom code "ACIER - BETON - FER - GRANIT". En attendant le grand moment, ils continuent de revoir leurs instructions : cartes, photos et documents.
Ils avaient d'ailleurs tous signé la déclaration suivante : "Je sais que je subirai la peine de mort si intentionnellement ou par inadvertance, j'informe quiconque oralement, par écrit ou à l'aide de photos, plans, dessins... etc. de mon emploi et des fonctions y afférentes" (2 parachutistes furent condamnés par un tribunal secret).
L'alerte fut donnée le 9 mai 1940 à 12.00 Hr; le rassemblement a lieu avec tout le matériel et tout le monde rejoint COLOGNE.
L'alerte fut précisée à 19.30 Hr et, à 20.30 Hr, les JU 52 atterrirent.
A 21.05 Hr, derrière chaque avion, on déroula le filin et accrocha un DFS 230 chargé en remorque. A 21.30 Hr, rassemblement de la troupe; chaque section du groupe rejoignit son planeur, chacun devait savoir où trouver son appareil et sa place puis, dernier et ultime contrôle du chargement.
A 23.10 Hr dernier rassemblement et appel dans le hangar où la mission fut communiquée, chacun fit son testament en ajoutant sur l'enveloppe fermée et scellée "Ceci n'est à ouvrir qu'en cas de mort certaine".
Après, suivit la distribution de thermos de café noir et de pilules blanches dans de petits flacons portant la mention "PERVITAN" puis l'attente.
L'heure "H" est à 03.25 Hr. Nous ne suivrons que le groupe GRANIT. Les hélices des JU 52 se mirent à tourner et le décollage eut lieu exactement à l'heure "H" 03.25 Hr; 15 minutes plus tard, toute la flottille était en l'air soit 40 JU 52 remorquant 40 DFS 230 bien chargés. Pendant ce vol nocturne, on laissa les feux de position allumés. Entre COLOGNE et le lieu de largage près de AIX, on avait placé des projecteurs de 60 cm de Ø et des fanaux clignotants traçant la route à suivre. Du point de largage altitude 2.500 m, il reste 24,5 Km pour atteindre le but. Tandis que les planeurs foncent silencieusement, que se passe-t-il dans le fort ?
A 00.10 Hr, l'alerte est décrétée.
A 00.30 Hr, le fort réceptionne le message d'alerte.
A 00.32 Hr, l'ordre de réaliser les dispositifs d'alerte et de supprimer les congés est transmis.
A 00.35 Hr, les observatoires sont alertés et les ouvrages occupés.
A 00.35 Hr, la coupole Sud est prête pour le tir.
A 01.30 Hr, les destructions sont amorcées.
A 02.30 Hr, le Major JOTTRAND se souvient subitement qu'il fallait donner le signal d'alerte, et tirer les 20 coups de 75 mm aux quatre points cardinaux, pour avertir et faire évacuer la population civile des villages proches.
La coupole Nord fut chargée d'exécuter l'ordre, mais comme elle était inoccupée, l'ordre est transmis à la coupole Sud. La coupole Sud annonce des ennuis de percussion; il faut patienter. Les postes avaient été occupés pour être aussitôt évacués sur l'ordre du Commandement. Motif : il fallait comme à chaque alerte déménager les bâtiments extérieurs du fort (bureaux, mess etc.), Mi Nord et Sud, Ma 1 et 2, coupole Nord et Vi 1 étaient ainsi abandonnés au bénéfice des friteuses et autres (Mieux : le personnel Mi Nord et Sud était exempt d'alerte, en repos à EBEN; ils envoient un des leurs pour demander s'il était nécessaire de venir au fort !).
A 03.25 Hr, la coupole Sud tire les 20 coups mais irrégulièrement.
Vers 04.15 Hr, à la poterne, le Major JOTTRAND, voyant tourner les planeurs, ordonne aux hommes de rejoindre leurs postes et demande pourquoi les Mi C.A. ne tiraient pas. Un Officier téléphone et demande d'identifier les avions; on lui répond : "en tous cas, ce ne sont pas des Belges". "Alors, tirez !". Aussitôt, on entend le bruit des Mi C.A. Controverse du chef des Mi C.A. qui a tiré de sa propre initiative, n'ayant jamais reçu, malgré sa demande, l'ordre de tir.
L'action allemande était bien précise :
Atterrissage sur le fort à 04.25 Hr et détruire :
1. Les Mi C.A.
2. Mi N et S, coupole MA 1 et 2, coupole 120, coupole S et la pointe N (bluff).
Le planeur n° 5 se pose en premier, en renversant les Mi C.A.
Les survivants sont immédiatement faits prisonniers par les occupants de ce planeur. Ils placent une charge creuse sur la coupole Sud, se retirent et prennent contact avec la troupe n° 1 pour la suite des ordres.
Le planeur n° 1 ayant atterri à proximité de Ma 2 fait sauter la cloche d'observation EBEN n° 3 ainsi qu'une embrasure; il faut établir la résistance dans l'ouvrage, prendre contact avec le Chef de la colonne près de Mi Nord.
Le planeur n° 2 n'ayant pas atterri, la coupole 120 n'est pas attaquée immédiatement.
Les occupants du planeur n° 3 se chargent de Ma 1 pour le mettre hors de combat, y pénétrer et y résister, et attaquer la tour d'aération de la salle des machines et éventuellement le bloc II. En cas de succès : 2 fanions sur Ma 1.
Les occupants du planeur n° 4 doivent prendre Mi Nord, faire sauter la cloche d'observation EBEN 2 ainsi que l'embrasure de la mitrailleuse de gauche et occuper Mi N jusqu'à la fin et installer leur P.C.
Planeur N° 6, destruction des coupoles pointe Nord.
Planeur n° 7, idem que le n° 6 et prendre contact avec le Chef de Colonne à Mi Nord.
Planeur n° 8, prise de la coupole Nord et destruction du débouché d'infanterie, Baraque GRAINDORGE et attaquer Vi 1.
Planeur n° 9, neutraliser Mi Sud, ensuite se regrouper au P.C. à Mi Nord.
Planeur n° 10 en réserve au P.C. à Mi Nord, mettre la radio en service et déployer le pavillon à croix gammée. Puis voir le n° 2 (celui-ci étant absent, c'est le n° 10 qui attaque la coupole 120).
Planeur n° 11 en réserve à la pointe Nord, à l'abri avec le Chef de Colonne, en attendant la prise de Mi Nord, reprendre la mission du n° 4 au n° 9 si besoin. En cas d'incident, sauf MA 1 et 2 Mi Sud, les autres se replient vers le Nord pour se mettre à l'abri.
Les troupes allemandes passent la frontière à 04.30 Hr, les Stukas attaquent les ouvrages non signalés à 04.35 Hr.
Voyons séparément le comportement de part et d'autre au moment de l'attaque de la superstructure du fort
Coupole NORD N° 8 occupée depuis 03.30 Hr par un Brigadier et une dizaine d'hommes qui attendaient au pied du puits, mais la coupole n'était pas équipée et personne ne se trouvait à la chambre des canons. Le Chef de pièce, le Maréchal de Logis JORIS arrive au moment où, sur la superstructure, atterrit le planeur n° 8. Avec quelques hommes, ils occupent la chambre des canons. Le Maréchal de Logis JORIS soulève la coupole et par la lunette de visée voit plusieurs planeurs et des hommes courir. Sans tirer, il éclipse la coupole et passe les renseignements au PC.
Il est 04.30 Hr; une première explosion à la porte du débouché d'infanterie sans grands dégâts. "Tirer des boîtes à balles" commande le PC. Mais il n'y a pas de boîte à balles à l'étage, il faut forcer les portes du magasin, ouvrir les caisses et charger le monte-charge; bien entendu, il cale; on les monte à bras d'hommes et on arrive à charger la pièce de droite, la gauche étant défectueuse; nouvelle explosion au débouché d'infanterie, tuant et blessant des hommes tandis que l'étage intermédiaire est évacué.
Nouvelle explosion plus forte, destruction des portes de guidage des canons, suivie d'une autre. Les tubes des canons paraissent intacts mais la calotte de la chambre est perforée. Une dernière explosion à 04.45 Hrs : la coupole Nord est définitivement mise hors de combat.
Coupole SUD + Mi C.A. n° 5. Attaquée assez rapidement.
Campée sur le Bloc V, elle était d'accès très difficile.
Les Allemands firent sauter une charge creuse de 50 Kg sur la masse d'acier mais sans résultat. L'un des 2 canons fut mis hors service, affirment les Allemands. Ceux-ci venaient de perdre leur Chef.
La coupole était éclipsée au moment de l'explosion. Lorsque les servants voulurent l'utiliser, ils constatèrent la défection d'un des 2 canons. Celui-ci fut remis en état.
Dès 04.30 Hr, la coupole Sud se mit à tirer des boîtes à balles sur le massif envahi. Les Allemands ne purent plus approcher de la coupole. Le groupe s'en prit alors au Bloc IV situé entre la S et N; une charge explose et détruit la coupole d'observation, tuant le personnel. Les Allemands se retirent, les hommes du Bloc IV occupent l'étage inférieur et restent à leurs postes. La coupole Sud tirera sans relâche jusqu'à la reddition du fort.

N.B. : Coupole S et N (poids 120 T tout compris) (contrepoids du balancier 30 T de plomb).

VISE 1 : A peine les trois pièces s'étaient-elles mises à tirer sur le massif, à 04.35 Hr, lors de l'ordre de "TIR GENERAL" que le tir fut interrompu par des violentes explosions dues selon les uns à la première attaque allemande, selon les autres au bombardement des Stukas. Tout le personnel se précipite à l'étage intermédiaire mais remonte 10' plus tard; le canon droit est atteint, on se met à tirer avec les deux autres canons. Des tirs pour occuper le personnel sont demandés mais on ne tirera pas sur les paras toujours en activité dans le rayon d'action de la casemate.
Le Major annonça prématurément au RFL la perte de Vi 1 à 05.40 Hr et pourtant Vi 1 était toujours occupé à 08.00 Hr, aux galeries intermédiaires, par une garnison assez disparate, il faut le dire. On décide de reprendre l'ouvrage malgré que le SOffr chef d'ouvrage prétend qu'il est occupé par les Allemands mais la chambre des canons était vide; on entendait les paras travailler à l'extérieur. Avec décision, quelques-uns tirèrent une quantité de projectiles avec les 2 canons valides. A 10.30 Hr, on arrête le tir en vue d'une contre-attaque d'infanterie. Bien entendu, les paras reviennent à Vi 1 et lancent des charges creuses de 1 Kg dans les tubes et Vi 1 est définitivement hors de service à 11.00 Hr.
VISE 2 ne fut pas inquiété un seul instant.
MA 1 N° 3 : Etait occupé par un MDL et 6 hommes seulement. Une première charge creuse de 12,5 Kg explose et détruit l'embrasure, refoulant la pièce de 75 dans le fond de la chambre à canons, écrasant un homme et en blessant plusieurs. Ils évacuent le bloc. Une large brèche est ouverte dans le béton, puis deux autres explosions ; les deux autres canons venaient de sauter à 04.30 Hr. MA 1 est MORT.
MA 2 N° 1 : Possède une coupole d'observation.
Le groupe n° 1 ayant atterri à proximité, place une charge de 12,5 Kg pour détruire l'embrasure destinée à être élargie pour le passage, tandis que la coupole sautait probablement sous l'effet d'une charge de 50 Kg.
Dans le local T.S., 2 hommes sont bloqués par la porte métallique bloquée elle-même par le canon qui a reculé (ils devaient rester ainsi plus de 24 heures jusqu'au moment où les Allemands les ont découverts). Les grenades descendant par les tuyaux d'évacuation d'air, semant la panique parmi les hommes.
Sur 24 à l'effectif, 4 étaient tués, 7 blessés, 2 gazés, 8 brûlés et 3 seulement indemnes. A peine descendus à l'étage, ils entendent une 3e et 4e explosions détruisant l'ouvrage. Les paras abandonnent MA 2, à 04.40 Hr; les Belges font une reconnaissance. A 04.45 Hr, ils établissent un solide barrage.
Le Drame de la Coupole 120 : Vers 04.45 Hr, le P.C. du fort est avisé que deux bombes d'avion avaient atteint la cheminée d'aération, celle-ci avait déjà reçu une charge de 5 Kg du groupe n° 3 qui passait par là.
Le plus grave est ce qui se passa à la coupole 120, l'arme la plus puissante du fort avec ses 2 canons de 6 mètres de long.
Les hommes virent les planeurs et le signalèrent au P.C. Réponse : "Etes-vous sûrs qu'il ne s'agit pas de corbeaux !". Les corbeaux obsédaient le commandement.
Le groupe n° 2 n'ayant pas atterri, elle fut épargnée quelques minutes, les servants pouvaient suivre les événements à travers le trou de la lunette et communiquer au P.C. A 04.30 Hr, ils reçurent l'ordre de "tirer au fusant sur le massif".
C'est alors que l'on constate que :
1. Le monte-charge est bloqué.
2. La lame du débouchoir et celles de rechange ont disparu.
3. Le poids de lancement du refouloir des pièces ne descend plus.
Conclusion : Tir impossible.
Réduite à l'impuissance avant même que les Allemands n'y aient touché, la défense se fit à la carabine.
Les paras se servent des prisonniers belges de Mi C.A. pour approcher.
A 04.35 Hr, une violente explosion suivie immédiatement de longues flammes sorties des culasses ouvertes. Des charges creuses avaient été lancées dans les tubes, causant des pertes. Les hommes se replient au pied du puits, à l'abri d'un barrage de poutrelles.
Vers 07.00 Hr, des flammes sortent du barrage, les Allemands viennent d'essayer une charge de 50 Kg sans insister car cette puissante position était neutralisée.
Et pourtant, vers 08.00 Hr, un armurier parvint à remettre la pièce de droite en ordre de tir. Dans la chambre des canons, le MDL CREMERS fait charger la pièce et demande un ordre de tir. Il hésite à tirer sur l'objectif d'alerte, ne connaissant pas la position des Belges; l'ordre de tir ne vient pas.
A 09.30 Hr, Cremers fait décharger la pièce, une nouvelle explosion dans le tube droit fait fuir le personnel. C'est fini : pas un seul coup n'a été tiré.
La coupole recevra plus de 70 bombes au total et cependant la coupole et l'anneau sont intacts.
Ml - NORD : Le planeur n° 4 de WENZEL atterrit environ à 80 m de MI-NORD dont les embrasures étaient encore fermées !
La raison : quelques hommes seulement étaient présents de leur propre initiative, puisque l'ordre de déménagement à la poterne avait été donné. De la coupole d'observation EBEN 2, ils virent un soldat allemand s'approcher du fortin. Le Sous-Officier de guet donna l'ordre à un soldat de se rendre à l'étage des Mi et d'ouvrir le feu.
Mais trop tard : une charge creuse d'un Kg explose dans l'ouverture où se place normalement le périscope d'observation : la Mi côté Sud tire quelques coups. Le P.C. est averti que l'on tire à la mitraillette par la lunette de visée de leurs armes. A ce moment, la coupole de EBEN 2 saute sous une charge creuse de 50 Kg, tandis que l'embrasure de la Mi gauche de la face Sud saute sous une charge de 12,5 Kg. L'ouverture sera élargie plus tard par une charge de 50 Kg pour faciliter la pénétration dans l'ouvrage. Par le souffle de l'explosion, les armes sont projetées à l'intérieur. Le phare est détruit et l'atmosphère chargée de gaz. L'ouvrage est évacué. Le chef de bloc et le personnel rentrant de l'extérieur arrivent juste pour évacuer les blessés. En réalité, aucune arme n'a tiré par manque de personnel qui n'a pas eu le temps d'ouvrir les caisses à munitions. Le bloc abandonné devint le P.C. des aéroportés, le lieu de parachutage et des prisonniers (30) jusqu'à la reddition.
Ml - SUD : Si, selon les assaillants, à Mi-Nord on a tiré quelques coups de feu, à Mi-Sud ce fut le silence. Les occupants qui avaient pris possession de leur ouvrage à 03.12 Hr, tout comme Mi-Nord d'ailleurs, avaient été mobilisés à la poterne pour déménager les locaux de temps de paix.
A 04.25 Hr, le planeur du groupe NEUHAUS atterrit dans les barbelés de Mi-Sud qui est pris de panique. Ils attaquent le fortin au lance-flammes pendant que l'on découpe les barbelés à la cisaille. L'embrasure et la coupole d'observation sont détruites par des charges creuses de 12,5 Kg et l'embrasure minée par une charge de 50 Kg afin de permettre l'entrée et l'occupation de Mi-Sud jusqu'à la fin. Au moment des explosions, les Belges arrivaient pour occuper l'ouvrage; la troupe reflua aussitôt dans la galerie vers la caserne.
A 04.35 Hr, le fort est pratiquement aveuglé; reste en service sur la superstructure, la coupole Sud tout azimut et Vi 2 pour des points fixés d'avance. Les Allemands qui n'occupent pas le fortin se replient à Mi Nord, à l'écart des bombes des Stukas qui harcèlent surtout la poterne. Le MDL LECRON plus un soldat sortent vers 05.00 Hr pour incendier les baraquements et brûler son bungalow à 50 m de là. Le moulin de LOVERIX doit être détruit par le génie.
MAIS !
Sur le glacis, les Allemands ne restent pas inactifs : ils continuent leurs destructions et vers 06.00 Hr font sauter la cloche d'observation du Bloc II car c'est par ce côté corne Nord, que les pionniers doivent rejoindre et relever les paras, mais il faut franchir le canal.
Vers 06.50 Hr, un planeur isolé se présente au-dessus du fort; c'est le Lieutenant WITZIG qui rejoint son groupe avec deux heures de retard.
Les Belges font plusieurs sorties pour essayer de reprendre le massif, mais chaque fois le groupe est si peu important qu'il est voué à l'échec.
Vers 08.00 Hr, l'équipe de destruction de LANAYE rentre au fort à la grande surprise de beaucoup car ils étaient considérés comme des hommes condamnés. A ce moment, le Lieutenant WAGEMAN avec son peloton de grenadiers arrive à la poterne du fort et annonce qu'il va tenter une action contre les Allemands. Mais sans coordination avec les patrouilles du fort.
Le Lieutenant WAGEMAN prend la direction du Bloc I vers le Bloc II et, à mi-chemin, s'arrête à l'abri du talus, attendant que le Sous-Lieutenant VERSTRAETEN crée une diversion derrière Vi 2; lui et ses hommes grimpent le talus vers MA 1; il entend tirer du côté de Vi 2 mais rien ne bouge. De petites escarmouches ont lieu avec des petits groupes d'Allemands qui ne s'aventurent pas dans cette partie boisée. Le Sous-Lieutenant, blessé au poignet rentre en courant au fort vers 11.30 Hr. Inquiet, le Lt WAGEMAN essaie de rejoindre le reste de son peloton parti avec VERSTRAETEN. En chemin, il rencontre le Lieutenant DENSE qui s'occupait d'un grenadier grièvement blessé. Rentré au fort, il revient avec 2 infirmiers par la sortie d'infanterie du Bloc II pour emporter le blessé. Peu après 14.30 Hr, DENSE rencontre le Commandant VAN DEN AUWERA qui arrivait avec une patrouille, lui indique la position des grenadiers et rentre au fort. Le Lieutenant WAGEMAN restait sans aide, essayant de ramper avec ses hommes en vue d'une progression vers le haut, mais il doit essuyer de violents tirs d'armes automatiques et lancers de grenades.
WITZIG avait pressenti le danger et avait donné l'ordre d'inspecter le bois et avait remis une mitrailleuse de Mi Sud en batterie contre les Belges et demandé l'appui des Stukas.
Les grenadiers .sont cloués au sol. Entre-temps, les quelque 230 hommes de repos à WONCK sont arrives au fort, épuisés, mitraillés et bombardés sans arrêt tout le long des 5 Km qui les séparaient du fort. Après avoir mangé et s'être reposé, le Capitaine HOTERMAN, les Sous-Lieutenants LEVAQUE et QUINTIN rassemblent les hommes avec grandes difficultés et, à 17.45 Hr, le détachement quitte la poterne. Le Sous-Lieutenant LEVAQUE estime sa force à 100 à 125 hommes (ce qui est manifestement exagéré d'autant plus qu'il n'était pas certain que tout le monde suivrait). Seul officier, ses hommes étaient armés de fusils et de grenades, il suit le même chemin jusqu'à la crête face à MA 1 et voit aussi les grenadiers sur leurs positions, mais il n'entre pas en contact avec eux. Quand il faut se diriger sur MA 1, sept à huit hommes seulement acceptent de le suivre, mais la petite patrouille est accueillie par un feu nourri. Elle riposte puis se retire sur le versant de la crête, où elle se terre sous le bombardement aérien. A 18.30 Hr, elle regagne le fort. LEVAQUE fait son rapport au Capitaine HOTTERMAN. Inlassablement, le P.C. commande une nouvelle patrouille pour reprendre MA 1. Mais les Stukas montent de garde, bombardent et mitraillent la poterne en empêchant toute sortie.
Le soir, vers 20.00 Hr, presque sans munitions, le Lieutenant WAGEMAN et son peloton se présentent à la poterne et demandent l'accès. Le Major JOTTRAND refuse et n'accepte que les blessés.
Les grenadiers se replient vers leur bataillon où ils arrivent vers 21.00 Hr, affamés et épuisés. A 19.50 Hr, le Bloc II est complètement détruit.
Les Allemands tiennent sous leurs feux toute la corne Nord. Le Lieutenant WITZIG pense évacuer le fort, mais son Sous-Officier WENTZEL n'est pas du même avis; pour lui, quitter le fort serait avouer un échec. De commun accord, ils décident de rester et d'organiser la défense et d'occuper toute la pointe Nord; ils le signalent par radio au pionnier qui aurait dû les relever vers 10.00 Hr du matin, mais ce message en clair est intercepté par un Belge qui le transmet au P.C. Celui-ci demande le support de Pontisse et Barchon en plus de la coupole Sud, par des tirs fusants sur la pointe Nord.
Les Allemands, sans eau et sans nourriture, à l'abri dans les fortins, peuvent enfin se reposer, protégés par les tirs d'artillerie.
A 05.00 Hr du matin, les pionniers font la jonction avec les paras à la pointe Nord. Ils ont passé le canal à la faveur de la nuit, ainsi que l'artillerie qui s'installe dans le village proche du fort. Les pionniers terminent les destructions commencées par les paras et la situation évolue très rapidement à leur avantage.
Le danger subsiste toujours à la coupole SUD, Bloc I, IV, V, VI, canal NORD et SUD, ainsi que Vi 2.
L'acharnement et le courage que ces hommes mettent à se défendre est exemplaire et mémorable. Ils abandonneront leurs ouvrages, après avoir saboté leurs armes, au moment de la reddition du Fort.
Le conseil de défense réuni, le Major JOTTRAND expose la situation et à sa grande surprise, tous les membres se prononcent pour la reddition. Il demande aux Allemands :
1. L'évacuation des blessés.
2. La vie sauve pour tous.
3. Les honneurs militaires pour la garnison.
Le Capitaine HOTTERMAN est chargé de négocier avec les Allemands, accompagné d'un clairon et d'un soldat porteur du drapeau blanc. Arrivé au Bloc I, il annonce la reddition et fait cesser le feu. Le personnel abandonne le Bloc I et rentre dans la galerie de caserne. Au dernier moment, le Capitaine HOTTERMAN se désiste et en charge le Capitaine VANECQ. Celui-ci demande ce qu'il faut faire, il lui répond :
"Demandez :
1. Les honneurs militaires.
2. L'évacuation des blessés.
3. ?"
Il omet de dire que le bloc I est abandonné.
A 11.27 Hr, tout est consommé. La garnison belge a 59 blessés et 23 tués. Coté allemand 20 blessés et 6 tués.
COMMENTAIRES
Pourquoi encore "Eben-Emael" ? Peut-être qu'il fut le plus envié pour son modernisme, le plus critiqué après avoir tellement déçu.
Et pourtant en pouvaient-ils, ces soldats, de n'avoir pas eu la chance de bien d'autres forts où le commandement et la garnison ne faisaient qu'un dans le combat de tous.
Appartenir à la génération dont le Destin a voulu qu'elle participa à la campagne des 18 jours qui se termina par la défaite du pays.
C'est un sort pénible et les soldats ont, plus que d'autres, éprouvé le drame et la déréliction de leur peuple.
La captivité, ou d'autres raisons, ont contraint les anciens combattants à garder le silence durant des années.
Les vainqueurs, naguère nos ennemis, ont publié bien des revues de propagande sur leurs victoires et leurs campagnes "éclair".
II faut dire que la Belgique, fière de son fleuron de défense "Eben-Emael" décrit comme grandiose et invulnérable, jetait sans le savoir des bases solides pour la propagande allemande. Grandiose, il l'est toujours mais invulnérable, la preuve du contraire a été démontrée; en plus ou moins 15 minutes de temps, le fort en surface était muselé à 80% quoique les 20% restants firent mal pendant plus de 32 heures.
Il n'est pas question de plaider ou d'accuser mais de faire apparaître la juste part des choses, plutôt que lire chaque fois : la garnison n'était pas valable; les jeunes officiers étaient les derniers de promotion; les hommes étaient considérés comme les fortes têtes, les indésirables, les inaptes et écartés comme tels par les autres forts.
Un tel jugement du Commandant du fort sur sa garnison est inacceptable si ce n'est que pour couvrir ses déficiences personnelles au commandement et à l'initiative de créer l'émulation entre les différents organes de défense et la confiance dans leurs moyens.
Créer un terrain de football sur le massif pour distraire les hommes, c'est bien, mais prévoir des obstacles pour empêcher l'atterrissage d'avions ou de planeurs est primordial.
Depuis 1920, l'Allemagne multiplie ses clubs d'aviation civile y compris planeurs, parachutisme et l'accentuera quand l'accord aéronautique de Paris en 1926 supprimera certaines restrictions.
La possibilité d'atterrir sur le fort était connue et révélée par le Major Decoux et confirmée par un de ses amis aviateur à l'époque. En 1938, les parachutistes sont employés discrètement lors d'une opération dans les Sudètes, moins discret en avril '40 en Norvège, et pourtant rien n'est fait pour parer à cette éventualité.
Pourquoi le Commandement ne s'est-il pas soucié de la bonne occupation des différents organes de défense ainsi que leurs moyens plutôt que regarder le déménagement des mess, friteuses, machines à écrire, etc. Alors que les planeurs font leur apparition, aucune instruction ni ordre de tir n'a encore été donné aux mitrailleuses anti-avions se trouvant sur le massif.
Et combien d'autres manquements connus et inconnus ?
Les archives ne sont pas toujours accessibles, parfois détruites ou des fragments détenus à titre personnel par les anciens défenseurs ou même anciens adversaires.
Dans ces conditions, une relation des éléments conforme à l'histoire est difficile à rédiger.
Aussi est-il d'intérêt primordial que les anciens soldats, qui cette nuit étaient dans le fort, au dehors ou au campement, évoquent leurs souvenirs même s'ils ne sont que fragmentaires et si leur présentation demeure purement subjective.
Tous sans exception, quelque soit l'endroit où ils étaient, faisaient partie de la même garnison.
BIBLIOGRAPHIE
"Ceux d'EBEN-EMAEL" par l'Amicale des Anciens
"LA PRISE DES FORTS DE LIEGE" Edition ATLAS
"SIGNAL" Magazine allemand 1940
"LES PARAS ALLEMANDS AU CANAL ALBERT" J.L. LHOEST
"LIEGE EN IMAGES" "85 contre 750" Jean JOUR
"ADLER" Magazine allemand 1940
"AFTER THE BATTLE" EBEN-EMAEL MAY 10 1940
"LA PRISE DU FORT D'EBEN-EMAEL" Belgique, 10 mai 1940 Colonel Rudolf WITZIG
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Les Photos (en noir & blanc et de qualité moyenne) belges et allemandes sur Eben en mai 1940

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Entrée du 6ème Bataillon de Fusiliers à Nordhausen. Hubert DEMOULIN

Le 6ème Bataillon de Fusiliers fut le premier bataillon belge à pénétrer en territoire allemand. Il a participé à la bataille des Ardennes, au franchissement du Rhin, a libéré le camp de la mort de Dora et a pénétré en Allemagne jusqu'au contact avec les Russes.
Hubert Demoulin était Chef Infirmier au 6ème Bon Fus.
Le 6ème Bon Fus a été formé le 12 octobre 1944 à la caserne Marie-Henriette à Namur. Encadrés par d'anciens militaires de carrière, les volontaires proviennent des provinces de Liège, Namur-et Luxembourg et sont, pour la plupart, issus de différents mouvements de résistance.
Vêtus de vieux uniformes anglais et armés de fusils Lee Enfield, de fusils-mitrailleurs Bren et de mitraillettes Sten, les volontaires sont instruits intensivement et, le 3 décembre 1944, le bataillon défile à Bruxelles devant le Prince Régent et les Autorités, en même temps que les 1er, 2ème et 3ème Bataillons, d'expression néerlandaise, et les 4ème et 5ème Bataillons, d'expression française, et que des unités de la 1ère Brigade, ramenés à Bruxelles à cette occasion.
Le 13 décembre, au matin, les 4ème et 5ème Compagnie du 6ème Bon sont transportées par camions dans la région d'Ovifat et de Sourbrodt où de multiples missions les attendent.
Les 1ère, 2ème, 3ème Cie et la Cie Etat-Major partent l'après-midi vers Aix-la-Chapelle. Le 6ème Bon Fus est la première unité belge à pénétrer sur le territoire allemand. Il est rattaché au 7ème Corps de la 1ère Armée américaine. Il est affecté à la sécurité. L'Etat-Major est cantonné à Walheim, les 1ère et 2ème Cies à Oberforsbach et la 3ème Cie à Moresnet.
Les hommes sont dispersés dans des petits postes, souvent loin de lieux habités, et doivent se débrouiller. Leur mission est d'assurer des gardes, d'effectuer des contrôles et de prévenir les infiltrations ennemies, cela. sur un front assez large.
Le 16 décembre, les volontaires du 6ème Bon sont en première ligne pour assister à l'offensive de la Wehrmacht, mieux connue comme "bataille des Ardennes".
Les 4ème et 5ème Cie, qui se trouvaient près d'Ovifat, reçoivent la mission de prendre position face au Sud dans la brèche créée par l'offensive allemande. Les 1ère, 2ème et 3ème Cie, très dispersées, subissent l'attaque de façons diverses suivant l'endroit où elles se trouvent.
Le 6ème Bon a son premier tué, le soldat Roiseux, mort à Gemmenich le 25 décembre 1944, jour de Noël. D'autre part, l'Aumônier Scheyven reçut la Croix de Guerre avec palme et la "Bronze Star Medal" américaine pour sa conduite héroïque pendant la bataille des Ardennes et sur le Rhin. En effet, pendant la bataille, l'Aumônier n'a cessé de se rendre en jeep dans chaque poste isolé pour distribuer la communion et apporter le réconfort spiritu2". Après la bataille des Ardennes, commence la bataille du Rhin. La Belgique est entièrement libérée et le 6ème Bon peut s'enorgueillir d'y avoir contribué à la mesure de ses moyens.
Le 10 février 1945, commencent des mouvements successifs. La Cie Etat-Major et la 1ère Cie sont à Eschweiler, la 2ème Cie est à Brand, la 3ème à Steinbrück, les 4ème et 5ème à Eupen. Patrouilles et gardes se succèdent, dans la boue du dégel. Toujours les Belges se débrouillent pour trouver les équipements nécessaires, au grand étonnement des alliés américains.
Les mouvements se multiplient : Gürzenich, Langewehe, Echtz, Buir, Manheim, Eisdorf, Morzenich, Lechenich, Kerpen, Weilerswitz, passage difficile de la Roer, Düren et Cologne, atteint le 7 mars.
Le commandemant U.S. du VII Corps accorde toute sa confiance aux Belges puisqu'il les charge de la garde de son Quartier Général et cela, jusqu'à la capitulation allemande.
Le 6ème Bon occupe la rive du Rhin entre Cologne, Bonn et Bad Godesberg. Les 3ème et 5ème Cie franchissent le Rhin sur un pont de bateaux à Königswinter, le 2 mars, et prennent position sur l'autre rive, la 1ère Cie, appuyée par les bren-carriers de la Cie E-M,.étant dans Bonn.
De nombreux officiers et sous-officiers sont envoyés en Belgique pour encadrer les nouvelles unités et ne sont pas remplacés, de même que les nombreux blessés et malades.
Le 4 avril 1945, le P.C., la Cie E.M., les 3ème, 4ème et 5ème Cie sont à Marburg, puis de nouveau dispersés. Des camps de prisonniers sont improvisés pour recueillir les vaincus, tout surpris de voir des troupes belges combattantes. Par ailleurs, les hommes croisent de nombreux prisonniers alliés libérés, et, parmi ceux-ci, des Belges dont on ne doit pas décrire la joie.
Le 14 avril, les volontaires atteignent Nordhausen et voient, horrifiés, leur premier camp de concentration. Le lendemain, ils arrivent au camp de la mort de Dora où, dans des usines souterraines, les Allemands fabriquaient les V1 et les V2.
Pendant leur séjour là-bas, les hommes du 6ème Bon s'activèrent à aider les rescapés et, à l'initiative du colonel Rustin, leur Chef de Corps, des mesures furent prises pour les cent trente survivants belges, qui furent ensuite rapatriés par une mission française. Quatorze moururent encore à Dora, après leur libération, malgré tous les soins donnés.
Les Belges pénètrent ensuite en Saxe. Les Allemands se rendent de plus en plus nombreux. Installé à Eisleben, le Bon participe à la garde d'un immense camp de prisonniers à Hefta.
Puis, le 30 avril, le Bon rejoint Leipzig où il occupe, entre autres, l'hôtel de ville, la centrale électrique et la station radio. C'est là que les hommes apprendront la capitulation de l'Allemagne et qu'ils seront officiellement autorisés à porter le badge du VII Corps U.S. : étoile rouge à 7 pointes, avec chiffre romain VII en bleu et blanc. Le 1er juillet, la Saxe est occupée par les troupes russes et le Bon se retire à Weilburg, puis à Winkel, le 5 juillet.
Le 1er août, le bataillon cesse sa mission auprès de l'armée américaine. Le bataillon rentre en Belgique, à Aerschot où il reçoit un accueil chaleureux de la population. C'est la ville d'Aerschot, ville flamande, qui offrit à ce bataillon wallon, son étendard régimentaire.
Le 31 mars 1946, le 6ème Bataillon de Fusiliers est officiellement dissous.
Récit de l'arrivée du 6ème Bataillon de Fusiliers à Nordhausen-Dora.
Venant de Mühlhausen, via Ebeleben, Sonderhausen, Hain, le bataillon nettoyait en première et deuxième ligne, les espaces laissés libres par les éclaireurs du VII Corps de la 1ère Armée américaine. L'aviation américaine bombardant toujours la ville de Nordhausen, nous avons dû demander par radio, le déplacement du bombardement sur le bois où les S.S. s'étaient réfugiés.
Après le pilonnage du bois, nous sommes entrés dans Nordhausen, une partie vers la gauche, une partie vers la droite. Moi-même, en qualité de chef-infirmier, j'accompagnais par la gauche, des éléments belges et américains. Nous devions encercler la ville afin de réduire la résistance des unités ennemies.
En poussant une pointe vers l'avant, je me suis trouvé devant une barrière surmontée de barbelés, avec, à ma gauche, des parties de machines V2 et, à ma droite, un tunnel partant sous les rochers. Brusquement des êtres hagards, vêtus de costumes rayés, se sont amenés vers la barrière. Quel ne fut pas notre émoi de constater que ces personnes, parlant toutes les langues, étaient des prisonniers politiques, travaillant dans le souterrain, au montage des machines infernales.
Après avoir essayé vainement d'ouvrir la porte du camp, je fus obligé de foncer dedans avec mon ambulance afin d'y faire une brèche et de pouvoir entrer dans l'enfer.
J'ai alors appris, par des personnes parlant le français, les horreurs qui s'y passaient et, ne pouvant agir de ma propre initiative, je leur ai demandé de ne pas sortir du camp. Je devais d'abord prévenir mes chefs, qui prirent l'avis des autorités américaines, et des renforts furent envoyés dans ce camp, qui, nous l'apprîmes plus tard, s'appelait "DORA".
Les renforts protégeaient et réconfortaient tous ces malheureux. Par un genre de comité qui existait dans le camp, j'appris que ceux qui ne pouvaient plus travailler, les trop faibles, les malades, les moribonds, étaient "parqués"dans des habitations en dehors du camp. Je m'y rendis tout de suite avec un membre de ce comité qui me désigna les maisons sur la route.
Lorsque je poussai la porte d'une de ces habitations, le spectacle était tellement épouvantable que, bien que dur comme du roc, je me mis à trembler comme une feuille.
Après avoir pris l'avis des médecins belges et américains, pendant trois jours et trois nuits, sans dormir, nous avons transporté ces moribonds dans les baraques du camp, aidés par des prisonniers et des civils allemands, afin de les laver et les soigner, sous la surveillance de sentinelles.
Je fus très ému de reconnaître, parmi ces malheureux, un de mes anciens camarades des cyclistes frontières, Joseph Wayaffe. Lui, je ne l'ai pas conduit au camp : je l'ai mis dans mon infirmerie où il a été cajolé et nourri comme un petit oiseau, pour éviter que cet homme sous-alimenté ne s'étouffe en s'alimentant trop rapidement. Une de mes plus grande joie est que, quarante ans après, Joseph Wayaffe est toujours avec nous.
Une chose que je voudrais que l'on sache : en 1945, les habitants de Nordhausen, hommes, femmes, vieillards, garçons et filles nous détestaient, nous tiraient dessus, nous lançaient des grenades. Etaient-ils donc tous des nazis enracinés pour qu'une pareille chose puisse arriver ?
Après avoir soigné et soulagé ces malheureux pendant plusieurs jours, nous continuâmes notre route vers Sangerhausen, Eisleben, Halle, Leipzig et Dresden où nous fîmes la jonction avec les troupes russes le 25 avril 1945 à 13 heures 45.

Les photos

Source: Hebdomadaire militaire VOX du 3 février 1983.

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