TOME 2 - FASCICULE 2 - AVRIL-JUIN 1983

Sommaire

Editorial

Informations générales

Vie du Centre, vie des Cercles Associés

Revue bibliographique

P. BEAUJEAN - La fonderie royale des canons

F. GERSAY – Souvenirs de guerre – Aventures de jeunesse (suite)

J. HARLEPIN - L'obus Röchling à Battice

Editorial

Peut-être connaissez-vous Heusden, une petite ville hollandaise non loin de 's Hertogenbosch ?
Ce fut jadis une ville fortifiée de première importance et son histoire est riche en conflits, sacs et assauts divers.
Au sortir de la guerre 40-45, il restait peu de choses des souvenirs du passé; la plupart des monuments et vieilles maisons avaient disparu par suite des bombardements, et de l'enceinte fortifiée il ne subsistait que des lambeaux.
Les anciens fossés de la ville asséchés se couvraient d'une épaisse végétation; à d'autres endroits, ils étaient transformés en pâtures et jardins. C'est à peine si les contours des ouvrages extérieurs apparaissaient encore sur les photos aériennes prises vers les années 60 et, vu du sol, seules quelques surélévations et restants de murailles permettaient encore d'entrevoir les emplacements et la disposition des ouvrages fortifiés.
Et cependant, il n'a pas fallu dix ans pour redonner à Heusden son aspect d'antan.
Depuis 1978, une ville-forteresse reparaît inscrite dans ses nouveaux remparts, défendue par six bastions à la Coehorn impeccablement redessinés et entretenus. Cinq demi-lunes en parfait état protègent à nouveau les courtines et deux lignes d'eau successives complètent admirablement l'ensemble défensif. Il n'y manque que les canons et leurs servants et les bruits de la bataille ...
On ne se lasse pas d'admirer cette merveilleuse restauration... et l'on se prend à rêver ...
Ce que les Hollandais ont fait à Heusden et à Naarden, à Brielle et Enkhuizen ainsi qu'à Hulst, Willemstad, Woudrichem, Bourlange, pourquoi ne le ferions-nous pas à Liège ou à Namur, à Philippeville ou ailleurs en Belgique partout où il y a quelque chose à sauver et à faire revivre ?
A. GANY
Plan du fort de Mariembourg
Croquis extrait de "Liège et le Royaume des Pays-Bas: une place forte dans un ensemble défensif 1815-1830", Ed C.L.H.A.M., p 142
Le mur
Vue prise en 1956, d'un vestige des remparts notgériens (fin du Xe S.). Mur érigé rue Haute Sauvenière à Liège, réalisé en grès houiller
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Informations générales

Visite de La Chartreuse de Liège le 20 août 1983:
Article non repris car plus d'actualité
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Vie du Centre

Compte rendu de la visite du camp de Bourg-Léopold (Beverloo)
Plus de 37 membres ou sympathisants du C.L.H.A.M. ont répondu à notre appel en rejoignant Beverloo le 14 mai 1983. Nous sommes désolés que l'un ou l'autre retardaire n'ait pu nous retrouver dans la "vaste plaine". Par ailleurs, le C.L.H.A.M. remercie bien cordialement le Commandant du camp ainsi que le Colonel Delameillieure, conservateur du musée, sans qui cette journée n'aurait pu se réaliser.
Le C.L.H.A.M. se fait d'autre part l'intermédiaire de tous les visiteurs pour remercier le Commandant Weuts qui nous a consacré toute cette journée. Son érudition et son enthousiasme communicatif ne sont pas près d'être oubliés...
Plusieurs dames accompagnaient le C.L.H.A.M. à Beverloo. Voici ce qu'en pense l'une d'elles :
"J'avais souvent entendu parler de Bourg Léopold (Beverloo) et j'imaginais une grande plaine de sable, très plate et assez norme.
Aussi, quel ne fut pas mon étonnement, quand l'autre samedi avec le CLHAM, je découvris un endroit magnifique, verdoyant et boisé dans lequel était tapi un grand bourg fort sympathique.
Jamais encore, je n'avais vu cela, un camp au milieu du village et ce mélange de bâtiments civils et militaires, ces routes qui coupent le camp. Cette situation, je le crois est unique.
Ce qui m'a étonnée aussi, c'est cette église pensée et construite par et pour des militaires. Copie conforme de l'art roman, ce vaste édifice abrite des trésors artistiques tels le maître-autel, les fonds baptismaux en pierre, cet énorme tableau du jubé et l'ameublement si riche de la sacristie.
Et puis, le camp de cavalerie, dernier témoin du passé conservé presque intact, m'a impressionnée.
L'après-midi, la promenade dans le Gemeentebos, parmi des étendues de myrtillers (il paraît qu'on en récolte jusqu'à 6.000 Kg) et le cimetière abritant les corps des résistants fusillés au cours de la 2e guerre mondiale, nous a permis de voir les terrains d'exercices, le vieux séquoia, la glacière et la villa style colonial du chef de corps.
Le musée m'a aidée à comprendre ce que fut Bourg-Léopold, mais surtout, ce guide admirable qu'était le commandant .......... qui, d'une façon imagée et humoristique, nous a promenés du passé au présent tout au long de cette journée qui passa vraiment trop vite."
"Colette GANY"
A l'unanimité des nembres présents, de telles activités devraient être organisées plus souvent. La suggestion a été retenue.
Merci encore au Commandant Weuts, dont l'exposé relatif aux événements de 1830-39 fut, croyons-nous, une révélation.
Visite des fortifications de Liège
Invité par le ministère de la défense nationale (F.I.), le C.L.H.A.M. s'est chargé de faire visiter les fortifications type "Brialmont" par un expert britannique.
Le colonel Mac Donald, venu à Liège le jeudi 16 juin, a été pris en charge par Messieurs Falla, Lebeau et Levaux.
On ne peut que se réjouir de l'intérêt manifesté par l'étranger pour les réalisations belges dans l'art de la fortification. On doit,en effet, au général Brialmont la construction de nombre de forteresses dont certaines ont été érigées en Roumanie et en Finlande...
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En diversion

Le saviez-vous ? ...
Durant la guerre 14-18, l'Etat-Belge a acquis du matériel auprès de différentes firmes étrangères, c'est ainsi que :
- La société Anonyme des Anciens Etablissements PANHARD & LEVASSOR, 19 Avenue d'Ivry à Paris a livré des "voitures Atelier" à l'Armée Belge.
- La Société "Automobiles DIATTO", 21 rue Fréjus à Turin a fourni des camions automobiles au Ministère de la guerre et au Ministère de l'intérieur de Belgique.
- La Société "The SENTINEL WAGGON WORKS" de Shrewsbury a livré à l'Armée Belge, des camions à vapeur "SENTINEL". Ces véhicules pouvaient transporter une charge de 6 tonnes à une vitesse dépassant 16 Km à l'heure, leur consommation était de ± 50 Kgs de coke pour un parcours de 25 Km.
- La Société Anonyme "Armes Automatiques Lewis" fut fondée à Liège le 15 Novembre 1912 et son siège social situé à Anvers 16 Kipdorp. Cette firme fabriquait en Angleterre des mitrailleuses pour l'Infanterie et l'Aviation.
Extraits de la Documentation existante au C.L.H.A.M.
J. L., Le Fureteur du mardi soir.
La destruction de nos ponts en 1940
Le Pont de Fragnée avant...
et après
Le Pont Neuf (aujourd'hui le Pont Kennedy) avant...
et après
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La Fonderie Royale de Canons à Liège

L'emplacement de la Fonderie, au quai Saint-Léonard
II y a dix ans disparaissaient sous la pioche des démolisseurs les dernières constructions ayant appartenu à l'ancienne Fonderie de Canons et qui subsistaient à l'intérieur de l'enceinte de l'Athénée Liège 2, au quai Saint-Léonard.
Quantité de Liégeois ont connu cet établissement militaire et des milliers de travailleurs de la région liégeoise en ont franchi le portail. Quelques-uns de ceux-ci font encore partie du cadre de l'Arsenal d'Armement à Rocourt auquel furent transmises, après la guerre 40-45, les missions de la Fonderie.
L'histoire de la Fonderie remonte au début du XIXe siècle. Le Colonel Wolff, qui en fut le directeur de 1876 à 1885, en a retracé les débuts dans "Liège 1881" :
"La fabrication des bouches à feu, en Belgique, remonte, en quelque sorte, à l'origine de l'artillerie à poudre; car en 1346, l'année même de l'apparition des premières bouches à feu sur un champ de bataille, on coulait déjà des canons à Tournai. Ces pièces n'étaient encore que de très petit calibre, mais on ne tarda pas à confectionner des bombardes de dimensions de plus en plus exagérées et dont aucune règle précise ne déterminait encore les formes et les dimensions.
""Dès le début, la fabrication des bouches à feu prit dans notre pays beaucoup d'importance. Au XV siècle, il existait, dans un grand nombre de localités, des fonderies qui jouirent bientôt d'une brillante réputation à l'étranger, et dont les produits s'exportaient au loin, principalement en France et en Angleterre. La fonderie de Malines se distingua parmi les plus renommées; créée au commencement du XVe siècle, elle acquit une grande célébrité pour la fabrication des bouches à feu en bronze, et ne cessa d'exister qu'en 1775.
"Dans le pays de Liège on comptait, déjà à l'époque de Philippe II, des fondeurs d'une grande habileté; toutefois, la fabrication des bouches à feu n'y prit de l'extension qu'au commencement du XVIIe siècle, à mesure que se généralisait l'emploi des pièces en fonte de fer, coulées alors directement du haut-fourneau. Elle se concentra dès lors dans les pays de Liège et d'Entre-Sambre-et-Meuse, où l'industrie sidérurgique était particulièrement développée.
L'Arsenal d'Armement, héritier des traditions de la Fonderie Royale de Canons et de la Manufacture d'Armes de l'Etat
"Ce rapide coup d'œil rétrospectif explique comment le premier Consul fut amené, au commencement de ce siècle, à tirer parti des nombreuses ressources de nos provinces pour se procurer le matériel considérable qui lui était alors nécessaire.
La Fonderie, créée dans ce but, fut établie à Liège en 1803. L'emplacement choisi était des plus heureux : situé au milieu d'une région industrielle, au centre d'un bassin houiller, relié par la Meuse et la Sambre aux voies navigables du Nord de la France, il réunissait tous les avantages désirables au point de vue industriel et militaire.
L'établissement fut fondé sur l'emplacement de l'ancien prieuré de Saint-Léonard, par M. Perler, mécanicien, né à Paris, membre de l'Institut national et de l'ancienne Académie des Sciences. Pour installer son usine, le fondateur démolit à peu près tout ce qui restait de l'ancien couvent. Il utilisa seulement les soubassements des épais murs qui longent la rue Saint-Léonard.
L'entrée de l'ex-prieuré flanquée de deux pilastres d'ordre ionique qui servaient de pieds-droits à la porte a subsisté jusqu'il y a peu et l'on pouvait encore, en 1972, en retrouver les blocs de pierre de taille épars dans l'enceinte de l'Athénée. Il avait été envisagé, parait-il, de les réemployer pour la restauration de la Cour des Mineurs.
La fonderie vers le milieu du XIXe siècle
M. Périer s'était engagé à fournir au Gouvernement 3.000 canons en fonte, de gros calibre, destinés à l'armement de la flotte que le premier Consul réunissait à Boulogne pour sa tentative de descente en Angleterre. Cet industriel reçut, à cet effet, des avances se montant à près de deux millions de francs; mais, quoique mécanicien d'un très grand mérite, il ne réussit pas dans son entreprise. La fabrication des canons lui étant entièrement étrangère, il ne put surmonter les difficultés qui se présentèrent au début. Il manquait d'ailleurs d'ouvriers expérimentés dans ces travaux spéciaux; il lui fallut beaucoup de temps pour découvrir du sable convenable au moulage; enfin ce fut seulement après de nombreux essais qu'il parvint à trouver des fontes propres à couler des canons capables d'une résistance suffisante. Ce concours de circonstances fâcheuses l'empêcha de remplir les conditions de son contrat : il dut le résilier. Le Gouvernement ayant pris possession du nouvel établissement, afin de se rembourser de ses avances, ne put trouver un autre industriel assez hardi pour reprendre la succession de M. Périer, et il fut forcé de faire régir la Fonderie de Liège pour le compte de l'Etat. Il en confia la direction à M. Petit, employé à l'établissement depuis sa fondation, puis en 1807, à M. Jure, officier d'artillerie de marine comme le premier.
LEmpereur et l'Impératrice
A leur administration, on doit l'emploi des premières machines à vapeur rotatives et l'établissement du premier chemin de fer qu'ait vu notre pays. Deux morceaux de rail de ce chemin de fer, qui date de 1808, ont été déposés et conservés au Musée de la Vie wallonne.
Thomassin, en 1808, consacre plusieurs pages du "Relevé statistique du Département de l'Ourte" à la Fonderie de Canons. On y trouve des renseignements intéressants et certains même, amusants : le personnel comptait 113 personnes; les salaires payés à chacun sont mentionnés — le maître fondeur gagnait 1.800 francs l'an, le maître foreur 2.400, le potier 450, les garçons de bureau 250; le directeur, capitaine d'artillerie était au traitement de 3.916 francs tandis que le régisseur, employé civil, recevait 5.500 francs; les dépenses de l'établissement pour 1808 s'élevèrent à 472.682 francs 90 centimes dont 258.888 francs 67 étaient consacrés à l'achat de fonte et de fer; la production fut de 560 canons et caronades pour un poids total de 1.210.717 kilos rapportant 738.537 francs 37 centimes; le "Devis et les détails estimatifs du prix courant d'un canon de fonte de 24 livres" relève que par exemple les "25 livres de charbon de bois pour faire du noir avec du crottin de cheval, pour enduire l'intérieur des moules coûtent 1,50 franc", qu'il faut 15 centimes de "foin pour tampon et retenir la crasse pendant la coulée" et que la voiture pour conduire les officiers et les régisseurs coûte 5 francs, à répartir sur 10 canons.
En 1811, la Fonderie Impériale de Canons, c'était alors son nom, eut le grand honneur de recevoir la visite de l'Empereur. Il était arrivé inopinément à Liège le 7 novembre à 8 heures du soir avec l'Impératrice. Ils logèrent à l'Hôtel de la Préfecture, l'actuel Musée d'Armes, et le lendemain, à 8 heures du matin, tous deux se rendirent à la Fonderie. On coula une large plaque de fonte portant cette inscription : Napoléon-le-Grand et Marie-Louise ont visité la Fonderie impériale le 8 novembre 1811. L'Empereur permit qu'on fixât cette plaque sur la façade, octroya une gratification d'un mois de solde à tous les ouvriers et quitta l'établissement au milieu d'ovations.
Si Napoléon s'intéressa jusqu'à la fin de son règne à la Fonderie, un de ses défenseurs fut le célèbre physicien Monge, un des fondateurs de l'Ecole Polytechnique, qui accompagna Bonaparte en Egypte. Il était à cette époque sénateur et représentait le Département de l'Ourthe. En cette qualité,il avait sa résidence au château de Seraing.
Il est amusant de retrouver aux "Archives de l'Etat" des lettres échangées entre le Directeur de la Fonderie, le Préfet du Département de l'Ourthe et le Ministre de la Marine et des Colonies. On peut, par exemple, y prendre connaissance de quelques incidents qui émaillaient, à l'époque, l'existence de la Fonderie.
1. Un incendie en 1804
Lettre datée du 3 Messidor, an 12 de la République, adressée par le Ministre de la Marine et des Colonies au Préfet du Département de l'Ourthe remerciant celui-ci du soin qu'il a pris en rendant compte de l'incendie qui s'est manifesté dans un des hangars de la Fonderie.
"Je vois avec d'autant plus de peine cet événement, qu'il apportera encore, sans doute, de nouvelles entraves à l'exécution des bouches à feu ordonnées dans cette fonderie pour le service de la Marine" écrit le Ministre Denis qui ajoute : "Sur toute chose point de couverture en chaume dans une fonderie." Le préfet a noté dans la marge : "Faire observer au Ministre que lors de la construction de ce hangar, j'avais fait remarquer le danger résultant de la proximité des fourneaux et de la couverture, mais que n'ayant aucun ordre à donner dans un établissement qui n'était pas sous ma surveillance, ma remarque n'avait eu aucune suite."
2. Le vol des boulets
Lettre du 14 avril 1808 adressée par le Capitaine d'Artillerie Jure, Inspecteur de la Fonderie de la Marine Impériale au Préfet du "Département de l'Ourthe" :
"Monsieur le Préfet,
"Depuis quelques temps, quelques habitants des environs de notre champ d'épreuve d'Herstal, vont la nuit à la butte de ce champ d'épreuve déterrer les boulets et les vendent à des marchands à Liège.
"J'ai déjà fait connaître ce délit à Mr le Magistrat de Sûreté, et 78 boulets ont été saisis chez deux de ces marchands."
Le Capitaine Jure demande au Préfet de prendre un arrêté et termine :
"J'ai l'honneur de vous supplier, Monsieur le Préfet, de prendre les mesures que vous croirez nécessaires pour empêcher le vol de ces boulets qui appartiennent à la Marine de Sa Majesté Impériale et Royale."
L'arrêté pris par le Préfet ne fut sans doute pas suffisant car, le 30 mai 1812, le même Capitaine Jure écrivait au Préfet, le Baron Micoud d'Umons :
"J'ai l'honneur de vous adresser ci-joint l'extrait d'une lettre de Mr Courard, Maire de Herstal. Ce Magistrat croit que si on lui fournissait dix gendarmes le soir où nous faisons une épreuve, il pourrait faire saisir quelques individus qui viennent la nuit voler les boulets restés dans la butte. J'ai l'honneur de vous prier, Monsieur le Baron, d'avoir la bonté d'ordonner que dix gendarmes soient envoyés à Herstal aux ordres de Mr Courard, le 2 juin à onze heures du soir. Je ferai une épreuve ce jour-là."
La lettre
3. L'incident "Pauline Borghèse" qui nous est relaté par Théodore Gobert dans "Liège à travers les âges"
Un incident, mesquin en soi, qui se rapporte à l'année inaugurale de la direction Jure à la tête de la Fonderie, montre la platitude empressée des différentes autorités de ce temps-là vis-à-vis de la famille impériale.
La princesse Pauline Borghèse, sœur de Napoléon, s'était acheminée vers Chaudfontaine en septembre 1807. Toutes les Autorités furent mises en branle. Le général Verger Desbarreaux commandant les troupes du Département de l'Ourthe eut à s'occuper de préparer les voies pour l'arrivée de la Princesse. Il en avertit le Préfet par la missive suivante datée du 26 septembre :
"Monsieur le Préfet,
"J'ai l'honneur de vous prévenir que S.A.I. la Princesse Borghèse se rend demain matin à 8 heures à Chaudfontaine pour y prendre les bains et continuera tous ces jours suivants ce genre de traitement.
La princesse est prévenue que le chemin est mauvais et cahoteux dans quelque endroit et m'a chargé de vous inviter à le faire raccommoder soit en faisant jeter du sable ou de la terre dans les lieux qui sont dégradés; elle désire aussi qu'il soit transporté à Chaudfontaine, chez le Sieur Picard, 6 boulets de 6 et une pince pour les tirer du feu; ces boulets doivent être rougis à Chaudfontaine pour réchauffer l'eau du bain de la princesse.
Je vous prie, Monsieur le Préfet, de vouloir bien de suite ce soir donner vos ordres pour que le désir de S.A. soit rempli; je dois la précéder demain matin pour m'assurer si le chemin est convenable."
Le préfet Micoud d'Umons ne pouvait manquer de mettre beaucoup d'empressement à satisfaire "au désir de S.A.". Le soir même, à 9 heures, il expédiait à l'ingénieur et au directeur de la Fonderie, une dépêche pour que l'on procédât aux envois réclamés.
Dès le lendemain à 6 heures du matin, le Directeur de la Fonderie, le Capitaine d'Artillerie Jure, faisait connaître au Préfet la suite donnée à cette grave affaire.
"Monsieur le Préfet,
"Je reçois à l'instant votre lettre de hier soir. Je n'ai point de boulets de 6, mais je pense que pour l'objet dont il s'agit, les boulets de 8 seront meilleurs; je vais faire forger une pince pour les saisir et aussitôt qu'elle sera prête, je les enverrai à Chaudfontaine.
Je pense qu'ils y seront avant 9 heures.
J'ai l'honneur d'être avec respect, Monsieur le Préfet, votre très humble et très obéissant serviteur.".
Sous le Consulat et l'Empire, la Fonderie fabriqua environ 7.000 bouches à feu, de tous calibres, tant pour la marine que pour les batteries de côte.
Pendant cette période, les besoins étaient pressants, et les procédés de fabrication beaucoup moins perfectionnés que de nos jours; aussi, grand nombre des pièces reçues à cette époque, étaient défectueuses et seraient certainement refusées aujourd'hui.
En 1814, lorsque les Français durent évacuer Liège, ils ne voulurent pas que la Fonderie pût fournir des armes à leurs ennemis; ils emportèrent les cylindres des machines à vapeur, les arbres des foreries, et beaucoup d'autres objets indispensables et d'un remplacement long et difficile.
L'inscription, bien apparente, de l'une des deux bombardes exposées dans la cour du Musée d'Armes
Deux pièces coulées à la Fonderie flanquent l'entrée du Musée d'Armes à Liège
Aussitôt que le royaume des Pays-Bas eut été constitué, le Gouvernement du nouvel Etat songea à utiliser la Fonderie de Liège pour la fabrication des bouches à feu en fonte et des projectiles nécessaires aux colonies. Dès le commencement de 1816, la Fonderie fut réorganisée et placée sous la direction du colonel d'artillerie Huguenin, qui en resta le directeur jusqu'en 1830.
Le Musée de la Vie Wallonne détient le manuscrit d'un rapport de Van Swieten, capitaine au Régiment Wallon qui donne, à l'intention du roi des Pays-Bas "quelques renseignements sur la Manufacture d'Armes de guerre, la Fonderie de Canons et quelques établissements existant dans le Département de l'Ourthe et peu connus en Hollande" et qui complète son exposé par un "Article essentiel sous le rapport du rétablissement de cette fonderie".
Aux Archives de l'Etat, est conservée la copie de la décision de Guillaume d'Orange, au vu du rapport du Lieutenant-Général Du Pont, de créer une commission chargée d'examiner de quelle façon il serait le plus utile d'employer la Fonderie de Canons de Liège.
S'y trouve également, I'"Inventaire Général des machines à vapeur, modèles en bois et objets divers existant à la Fonderie de Liège au 10 juin 1815" établi par le Sieur Doutrewe, ancien "employé comptable et dessinateur des constructions d'art" et contresigné par le concierge Bicheroux.
Par une lettre du 5 septembre 1815, le Sous-Intendant de l'Arrondissement de Liège, demande d'ailleurs au Commissaire Général de S.M. le Roi des Pays-Bas le maintien de M. Bicheroux à l'emploi de concierge sous le nouveau régime et transmet avec son approbation, la note des frais réclamée par M. Doutrewe pour la rédaction de l'inventaire. Ce travail qui avait duré dix jours plus deux jours pour la "mise au net de l'inventaire" et avait nécessité l'emploi d'un homme de peine pour "remuer les objets" a coûté 135 francs.
Fonte des canons : opération de séchage des moules
(Planche de la Grande Encyclopédie Université de Liège, Bibliothèque)
Grâce aux efforts du Colonel Huguenin, les travaux reprirent bientôt activement. De 1816 à 1830, l'établissement produisit, pour l'Etat, plus de 4.000 bouches à feu diverses, une grande quantité de projectiles, des flasques d'affût en fonte, etc., et pour des particuliers, un certain nombre de pièces destinées à l'exportation.
De 1816 à 1830, les procédés de fabrication reçurent d'importantes améliorations; des perfectionnements successifs furent aussi apportés aux installations et à l'outillage. On établit des cubilots pour la coulée des projectiles et d'autres objets de matériel en fonte; une nouvelle machine à vapeur de la force de 20 chevaux, avec soufflerie, fut installée pour fournir le vent nécessaire à ces cubilots et aux forges. Jusqu'alors, ces dernières avaient été alimentées en air au moyen de pompes à main.
D'importantes expériences eurent lieu pour déterminer les fontes les plus propres à la fabrication des bouches à feu et les conditions à imposer pour leur réception.
Le mélange adopté pour la coulée des canons se composait de fonte indigène de première fusion, provenant des hauts fourneaux au bois du pays, de fonte à canon de Suède et de fonte de deuxième fusion en masselottes ou tronçons de canon.
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Première page de l'inventaire de la Fonderie de Canons en 1815
Dans "Si Liège m'était conté" de mars-avril 1973, M. Jean Brose relate la contestation qui opposa pendant la période 1827 à 1830, le Ministère de la Guerre et John Cockerill. En mars 1827, le Ministre donnait l'ordre de faire ériger une fabrique de fer dans la Fonderie et pour un fonctionnement optimal, John Cockerill fournissait une machine à vapeur par contrat du 31 mai 1827. Mais bientôt, pour des motifs obscurs, Cockerill refusait la fourniture. Un échange de correspondance, auquel le Roi Guillaume lui-même participait, fit apparaître que l'industriel avait peur que la Fonderie ne fasse concurrence à son propre établissement à Seraing. En juin 1830, on arrivait à un compromis, la Fonderie ne fondrait pas du fer en barre, mais elle refondrait seulement. Après cet accord, Cockerill était prêt à fournir la machine. La Révolution de 1830 ne permit pas que les clauses de ce contrat soient exécutées. Les travaux furent interrompus mais l'activité reprit dès les premiers mois de l'année 1831. Le Gouvernement belge confia la direction de la Fonderie au major Renault; puis, peu de temps après, au capitaine Fréderix, qui était attaché à l'établissement depuis dix ans.
Fonte des canons : opération de pose des tourillons et des ornements des pièces
(Planche de la Grande Encyclopédie - Université de Liège, Bibliothèque)
Depuis 1831, l'établissement a fourni, pour le service de l'Etat, un grand nombre de bouches à feu lisses en fonte, de tous calibres.
Jusqu'en 1835, la Fonderie ne s'était occupée que de la fabrication des pièces en fonte; celle des bouches à feu en bronze y fut installée durant cette année.
Mais l'établissement était loin de se borner à fournir des canons; il confectionna des quantités considérables de projectiles — boulets, shrapnels, boites à balles, obus et bombes — nécessaires pour l'approvisionnement des bouches à feu lisses citées plus haut, de création nouvelle pour la plupart, et dont les tracés avaient été établis par la Fonderie. Tous les objets en fonte et en bronze, un grand nombre de ceux en fer destinés au matériel de l'artillerie, les modèles, l'outillage et les machines diverses nécessaires à sa fabrication, des voitures de campagne, un équipage de pont, etc., furent construits dans ses ateliers.
La réunion, dans un même établissement, de fabrications aussi variées, les qualités des produits obtenus, les soins apportés à leur exécution, firent bientôt de la Fonderie de Liège un établissement unique en son genre, dont la réputation devint européenne. Aussi, divers Etats qui ne possédaient pas de fonderie pour la coulée des bouches à feu en fonte, s'adressèrent au Gouvernement belge.
Le "Mortier monstre"
Invention du Général français Paixhans, fondu à Liège, fut employé au siège de la Citadelle d'Anvers en 1832. Ses bombes de 500 kilos produisirent de terribles effets dans la citadelle et contribuèrent à la reddition de la place. Ce canon, auquel la foule s'intéressa beaucoup, fut ensuite ramené à Liège et déposé à la Fonderie
Un boulet du "mortier monstre"
Exposé au Musée de l'Armée devant le plan de la Citadelle d'Anvers et le plan du mortier monstre
A partir de 1840, la fabrication pour l'étranger prit un développement considérable et imprima aux travaux une activité aussi avantageuse à l'établissement qu'à l'industrie métallurgique du pays. La Fonderie eut à exécuter des commandes importantes de bouches à feu et de projectiles pour la Bavière, le Danemark, l'Egypte, les Etats-Unis de l'Amérique du Nord, l'Espagne, la Hollande, les forteresses fédérales d'Ulm, de Rostadt, de Mayence, la Prusse et pour divers particuliers.
A cette époque, la Fonderie comprenait les locaux et les installations ci-après :
Deux grands ateliers de fonderie, dans chacun desquels se trouvaient six fourneaux à réverbère; l'un de ces ateliers était affecté au moulage et à la coulée des bouches à feu, et renfermait deux étuves, des fosses à couler et à mouler desservies par trois grues.
L'autre fonderie, destinée à la fabrication des projectiles et des menus objets, possédait, outre les six fourneaux à réverbère, deux cubilots, deux fourneaux pour fondre au creuset, une grue et deux étuves.
Une forerie contenant quatorze bancs de forage, une machine à tourner les tourillons, un tour à canons, etc. Un atelier pour le centrage des bouches à feu. Les pièces y étaient conduites par un chemin de fer partant de la fonderie. Là, elles étaient ensuite enlevées par un chariot à treuil, roulant sur un chemin de fer établi à quatre mètres de hauteur, et traversant les ateliers de centrage et de forage; transportées ainsi aux places mêmes où elles devaient être centrées, forées, tournées, etc.
Un atelier de tours et de machines diverses.
Une forge où se trouvaient quatorze feux, un four à réchauffer ou à puddler et un martinet.
Un atelier de menuiserie et de charronnage.
Divers ateliers affectés à des services accessoires, tels que : préparation des sables, terres et matériaux pour le moulage, fabrication des briques réfractaires, etc.
Enfin divers locaux servant de magasins, bureaux, laboratoires de chimie, bibliothèque, etc.
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Trois machines à vapeur de la force de 60 chevaux mettaient en mouvement les machines diverses.
Telle était la Fonderie, lorsqu'en 1849, S.M. Léopold Ier l'honora d'une visite.
La "Gazette de Liège" du 15 juin 1849 relate que le Roi fit distribuer 5.000 francs aux ouvriers d'une dizaine d'établissements liégeois dont la Fonderie de Canons.
A cette époque, la Fonderie avait introduit dans ses ateliers tous les perfectionnements dont était susceptible la fabrication des bouches à feu lisses, se chargeant par l'avant.
De 1850 à 1860, la prospérité de l'établissement se maintint.
Vers 1860 une révolution profonde se produisit dans le mode de construction et dans le tracé des bouches à feu : l'emploi de l'acier comme métal à canon et l'adoption, par notre artillerie, de bouches à feu rayées se chargeant par la culasse, ont entraîné des modifications radicales dans les procédés de fabrication en usage jusqu'alors, l'installation de nouveaux ateliers et de nouvelles machines.
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La Fonderie ne réussit pas moins bien les œuvres d'art. Elle a coulé la statue en bronze de Rubens, placée à Anvers; celle élevée à Grétry par la ville de Liège: les statues des Libertés du piédestal de la colonne du Congrès à Bruxelles, les grands trophées en fonte qui ornent les portes de l'enceinte d'Anvers, deux des colossales statues assises qui surmontent le Palais de Justice de Bruxelles, la "Clémence et la Force" dont la hauteur atteint 5 m 50, les groupes représentant le "Cheval de Halage" et le "Dompteur" qui décorent les Terrasses d'Avroy à Liège.
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De 1860 à 1870, la Fonderie a créé toutes les bouches à feu rayées en fonte et en bronze, nécessaires à la défense de nos places fortes; achevé tous les canons de campagne rayés se chargeant par la culasse. Elle a de plus, fabriqué une partie considérable des projectiles nécessaires à l'approvisionnement de ces diverses bouches à feu.
Aussi, loin de pouvoir accepter des commandes de l'étranger pendant cette période, la Fonderie a dû confier à l'industrie privée la fabrication du complément de cet approvisionnement.
Selon l'almanach de l'Armée Belge de 1861, la Fonderie de Liège pouvait à cette époque, fabriquer par an 600 bouches à feu minimum avec son personnel habituel qui comprenait 6 officiers, des miliciens admis par faveur et "145 bourgeois et paysans".
Théodore Gobert dans "Liège à travers les âges - Les rues de Liège", édité en 1925, parle ainsi de la période qui suivit :
"II y a nombre d'années, entraîné par l'amour de la nouveauté, l'Etat belge crut devoir se munir de canons en Allemagne. Notre Fonderie de Saint-Léonard lutta, avec vaillance. Unissant ses efforts à ceux de la Société Cockerill, qui fournit les pièces à l'état brut, elle put établir aux yeux de tous, qu'on avait mal jugé de ses propres moyens, de son génie créateur, qu'elle était à même de se mesurer avantageusement avec n'importe quelle fabrique étrangère.
Afin de maintenir la Fonderie Royale à la hauteur de sa mission, la direction présente a dû apporter d'importantes transformations, avec application des derniers perfectionnements techniques. Sans doute, le nom de Fonderie de canons est suranné. En réalité, on n'y coule plus aucun canon. Les ateliers de coulage ne fournissent guère que des projectiles et les accessoires des pièces. L'usine est cependant aménagée et outillée pour achever de très nombreux canons avec tous leurs assortiments d'affûts et de projectiles.
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"Elle dresse également les ajusteurs qu'exigent les batteries de campagne. Elle s'est spécialisée dans l'exécution des réparations de tout le matériel d'artillerie proprement dit et dans la fabrication des projectiles qu'elle fond elle-même ou tire par emboutissage et étirage des lopins d'acier lui fournis par l'industrie privée liégeoise. De plus, elle établit les tracés puis exécute le matériel d'études de toutes pièces répondant aux exigences nouvelles"
En août 1914, le personnel de la Fonderie fut transféré d'abord à Anvers, puis au Havre. Les Allemands occupèrent les locaux de la Fonderie et en enlevèrent toutes les machines importantes, ne laissant que quelques vieilles hors d'usage.
Heureusement, le directeur, le Colonel Wilmet put ramener à Liège en 1919, les machines perfectionnées qui avaient été acquises et utilisées au Havre pour alimenter notre armée de l'Yser en matériel d'artillerie.
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Pendant la guerre 14-18, les ouvriers de la FRC, transférés au Havre, avaient la lourde tâche de remettre en état le matériel détruit en campagne
Entre les deux guerres, la Fonderie maintint toute son activité pour doter l'Armée belge de matériel moderne. C'est ainsi qu'elle conçut et exécuta des canons antiaériens, des canons antichars de 47 mm, un canon de 120 à grande puissance, un canon antichar de 60 mm, un mortier d'accompagnement de 76 mm démontable en colis transportables, permettant indifféremment le tir plongeant et le tir tendu. Le canon de 47 mm, monté sur chenillettes Vickers Garden Lloyd Mark 6 constitua, semble-t-il, le premier chasseur de chars du monde. La Fonderie avait en outre la lourde mission de fournir tout le matériel de nos forteresses de l'Est, soit en créant des types nouveaux de coupoles cuirassées et de canons de casemate, soit en appropriant et modernisant du matériel ancien. Au moment de l'entrée en guerre, l'effectif s'élevait à environ 1.800 personnes.
En 1937, il fut question de déplacer la Fonderie vers la partie flamande du pays. Les ordres furent donnés pour replier la Fonderie en trois échelons successifs vers Gand. Les réactions furent vives au sein du Conseil communal de Liège. Un ordre du jour fut déposé qui : Considérant que la Fonderie Royale des Canons appartient historiquement au patrimoine industriel du Pays de Liège, que la population qui y consacre son activité, soit directement, soit indirectement, est liégeoise; que ce transfert dans une région flamande, outre qu'il priverait l'établissement lui-même d'une main-d'œuvre particulièrement qualifiée dans la fabrication des armes, porterait atteinte aux intérêts 'légitimes de la Cité." ... "Emet le vœu, sous la forme la plus énergique que le Gouvernement maintienne à Liège, dans son cadre traditionnel, la Fonderie royale des canons."
Le Député Truffaut, échevin de la ville de Liège, écrivit au Ministre de la Défense nationale, le Lieutenant-Général Denis et l'ordre d'exécution qui était encore confirmé dans une note du M.D.N. le 2 juin 1937, était annulé le 22 du même mois.
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La cour de la Fonderie avec le "monorail" qui servait au déplacement des pièces lourdes avant la guerre de 1940
Un canon de 47 mm, exposé au Musée de l'Armée, porte les initiales de la Fonderie Royale de Canons et le millésime 1936
En 1940, le personnel fut évacué d'abord à Bruges, puis en France, d'où il fut rapatrié en septembre 1910. Les Allemands occuperont une nouvelle fois les locaux du quai Saint-Léonard.
En 1945, dès la libération du territoire, le personnel de la Fonderie de Canons fut réadmis en service progressivement, suivant les nécessités. Mais petit à petit, la caserne de Recourt, commencée en 1938, accueillit les ateliers et les bureaux; et la Fonderie se vida.
En 1949, la Fonderie de Canons cessait d'être un établissement militaire.
En 1962, on commença à démolir les vieux bâtiments afin de bâtir les pavillons de l'Athénée Liège 2.
En août 1973 le dernier bâtiment de l'ancienne F.R.C. disparaissait. Il avait servi jusqu'au dernier moment d'habitation au "concierge" de l'école.
Cependant un symbole de la F.R.C. accompagne encore les "Anciens" qui travaillent à Rocourt : la couronne qui surmontait l'entrée de !a Fonderie au quai Saint-Léonard est actuellement exposée dans les locaux de l'Arsenal d'Armement.
Fabriqué par la FRC, le mortier de 76 mm armait nos troupes en 1940
Ainsi donc, si depuis le début du siècle, l'appellation "Fonderie de Canons" est surannée, et s'il faut qu'actuellement les établissements militaires quittent !e centre des villes, l'ordre du jour du Conseil communal de Liège de 1937 est resté d'application : "l'Arsenal appartient historiquement au patrimoine industriel du Pays de Liège"
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A l'entrée de la F.R.C. étaient placés verticalement deux canons qui servaient de "chasse-roues". Une lourde couronne en fonte surmontait la grille d'entrée. Lors de la démolition, aucun organisme officiel de l'époque n'ayant manifesté d'intérêt pour ces objets, les "Domaines" les proposèrent en vente publique le 28 janvier 1963. Les objets furent adjugés à la société TRANSCOM. En 1967, un officier du 19e Bataillon d'Artillerie à Cheval stationné à Düren cherchant des armes du passé, obtint du propriétaire le prêt de ces objets. Les deux canons ont été placés sur des socles en béton devant un bâtiment à usage général et la couronne a été scellée sur un bloc au centre de la pelouse d'honneur.
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En 1972, au moment où l'Arsenal d'Armement voyait la réalisation des promesses d'une grande expansion par l'intégration de l'Arsenal du Charroi à l'Arsenal d'Armement, son Chef de Corps désira que la très longue tradition de l'établissement soit matérialisée par des emblèmes de la Fonderie. Il n'a pas été possible de retrouver la plaque inaugurée par Napoléon en 1811 mais le 19e Artillerie à cheval a bien voulu se séparer de la couronne et la firme propriétaire a consenti à son transfert à Rocourt.
Les canons, quant à eux, ont été emportés à Siegen par le 19e Artillerie à cheval ayant changé de garnison entre-temps.
P. BEAUJEAN
Le Musée de l'Armée conserve de nombreux spécimens des canons fabriqués à la Fonderie de Liège sous les différents régimes
Au 19e Bataillon d'Artillerie à Cheval, un des "chasse-roues"
"Le Cheval dompté" de De Tombay qui décore les Terrasses d'Avroy a été fondu à la Fonderie de Canons en 1885
Le Musée de l'Armée conserve de nombreux spécimens des canons fabriqués à la Fonderie de Liège sous les différents régimes
Toutes les parties d'un canon en fonte
Extrait de: Description de la fabrication des bouches à feu en fonte de fer... à la Fonderie de Liège, par le Général HUGUENIN (Bruxelles, 1839)
REGLEMENT SUR LA VISITE, L'EPREUVE ET LA RECEPTION DES BOUCHES A FEU EN BRONZE
(Faisant suite au règlement sur la fonderie de canons, page 430)
Les bouches à feu sont tournées et finies extérieurement avant d'étre présentées à la visite; elles ne conservent que l'excédant du bouton de culasse où se loge le pivot de la machine quand on les tourne; on ne coupe ce faux bouton qu'après leur réception.
Avant de mettre le grain de lumière, on visite intérieurement le logement préparé pour le recevoir, afin d'apprécier la densité du métal; on s'assure ensuite que l'ouverture où la partie taraudée est percée à l'endroit fixé, de manière à amener le canal de lumière au point déterminé par les tables.
Le grain doit être tourné extérieurement et percé bien exactement dans son centre; ses filets doivent être coupés vifs, et il en doit être de même pour la partie taraudée de la pièce, alîn que Ies filets de la vis et de l'écrou se joignent parfaitement.
La vis doit entrer aisément dans l'écrou, jusqu'à ce qu'elle soit à quatre tours du fond.
Enfin, il faut forcer dans son logement le bouton du téton.
L'âme des canons et des obusiers longs de 15 centimètres est forée à 0,0018 en dessous du calibre réel; l'âme et !a chambre des obusiers de 20 centimètres et de mortiers sont forées à leur véritable calibre.
Les canons et les obusiers sont placés sur deux chantiers et inclinés de manière que la bouche se trouve à environ un mètre de terre.
On vérifie :
1° S'ils sont forés au calibre fixé ci-dessus, en employant l'étoile mobile pour les canons et les obusiers longs de 15 centimètres; cette opération se fait, pour les obusiers de 20 centimètres et les mortiers, au moyen de croix en acier ou des jauges.
Le calibre des canons peut avoir 0.0003, celui des obusiers 0,0005, et celui des mortiers 0,0011 en moins, sans qu'il soit nécessaire de les remettre au banc de forerie.
2° On visite les surfaces extérieure et intérieure, pour reconnaître s'il s'y trouve des soufflures; un tient note de celles qui sont observées.
Pour les canons et les obusiers, la visite intérieure se fait avec le miroir et au soleil, ou , si le temps est couvert, avec une bougie allumée. On détermine la largeur et la profondeur des soufflures avec le crochet en fer recouvert de cire.
Dans les canons et les obusiers longs de 15 centimètres , on ne tolère, depuis le fond de l'âme jusqu'à la hauteur des tourillons, d'autres chambres ou soufflures que celles qui disparaissent par un forage de 0,0018. Sans en tolérer aucune dans la chambre des obusiers, on tolère dans la partie de l'âme en avant des tourillons, les soufflures ayant 0,0042 de profondeur; mais après l'alésage, lorsque ces bouches à feu ont été amenées à leur véritable calibre, ces chambres ne peuvent avoir plus de 0,0033 de profondeur.
Extrait du Journal Militaire Officiel - Règlement approuvé par le Roi le 27 décembre 1838.
La couronne qui surmontait l'entrée de la Fonderie
Sur le monument commémoratif de l'Arsenal de Rocourt, les noms des membres de la Fonderie de Canons, de la Manufacture d'Armes et d'autres établissements militaires liégeois, victimes du devoir pendant la guerre 40-45
BIBLIOGRAPHIE
Archives de l'Etat - Fonds Français.
Archives du Musée de la Vie wallonne.
Bulletin administratif de Liège, 1937.
BROSE Jean, La Fonderie de Canons. Si Liège m'était conté. N° 46. Printemps 1973.
GOBERT Théodore. Liège à travers les âges, tome III, Georges Thone. Liège, 1925.
Liège 1881, Notice sur la Fonderie de Canons par le Colonel WOLFF. Bibliothèque des Chiroux.
THOMASSIN Louis-François. Relevé statistique du Département de l'Ourte.
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F.GERSAY, Souvenirs de guerre - Aventures de jeunesse (suite)

MARSEILLE : 30 AVRIL 1941 - CAMP Ste MARTHE - F. GERSAY, Souvenirs de guerre (suite)
Une guérite, un poste de garde composé de Sénégalais. Le Camp Ste Marthe, Centre de Recrutement pour la Légion Etrangère, sert en même temps de camp de transit pour les troupes coloniales françaises en instance de rapatriement. Une tour de Babel où se coudoient des Marocains, des Tunisiens, des Algériens, des Anamites et bien entendu toutes les nationalités qui composent la Légion. Tout cela fait plus ou moins bon ménage dans des conditions de promiscuité et d'hygiène fort discutables.
Yasreg présente son document d'entrée au sous-officier de service. La barrière d'accès est levée. Un monde nouveau se manifeste. D'abord c'est une date exceptionnelle que le 30 avril. C'est le jour de fête de la Légion. Cette dernière commémore et honore la date du 30 avril 1863. Ce jour là, un jeudi, une compagnie d'infanterie de la Légion Etrangère au Mexique résista jusqu'à la dernière cartouche et jusqu'au dernier homme face à plus ou moins 3.000 Mexicains, remplissant et réussissant de la sorte une mission d'importance primordiale. Ce fait d'armes, unique dans les annales militaires, est à la base d'une tradition qui s'est perpétuée jusqu'à nos jours. Le 30 avril, le colonel du régiment et les officiers servent les simples légionnaires. Toutes les punitions sont levées et, en principe, chacun a droit à sa guindaille.
Yasreg, à l'époque, ignorait ces détails et ne fut pas peu surpris d'être reçu dans l'entousiasme éthilique d'une assemblée de rescapés d'Indochine et d'ailleurs. Parmi eux, de nombreux allemands, des espagnols revenant des brigades internationales d'Espagne, des polonais, des russes: bref, une foire cosmopolite où chacun, dans l'euphorie factice procurée par le pinard de troupe s'égosillait à répéter les chansons grivoises légionnaires.
Invité à participer à ces fraternelles agapes, Yasreg se borna prudemment à n'absorber que la nourriture fruste mais abondante qu'il trouvait providentiellement à sa disposition.
Mais cette atmosphère de gaudriole n'était pas naturelle. Les circonstances, les effets de la défaite, l'incertitude perturbaient les esprits. Des règlements de comptes survenaient parmi ces gens dont beaucoup avaient connu les vrais combats. Ces manifestations d'énervement plus bruyant que dangereux, heureusement, avaient néanmoins leurs côtés comiques. L'état d'éthilisme de la majorité des convives rendaient ces exaspérations verbales, plus truculentes qu'efficaces.
Il se dégageait néanmoins de tout cela, un fond de sordiditë, une ambiance de bas étage qui ne s'avéraient guère de nature à rasséréner les futurs engagés.
Spectateur intrigué de cette bacchanale, Yasreg fit le point. Il pouvait se considérer comme satisfait. Quinze jours après son départ de Belgique, il avait atteint Marseille. Pourtant, il n'était nulle part.
Que faire? Signer pour la Légion, c'était abdiquer toute liberté d'agir. C'était faire partie intégrante d'un monde fermé, hermétique. C'était aussi accepter une discipline très dure, pour aboutir où, à quoi? Ce qu'il en avait vu en ce jour spécial, n'était pas susceptible de le rassurer. Yasreg lutta contre une sorte de fatalisme, pour ne pas crouler, pour accepter cette solitude morale qui le laissait perplexe devant ce qu'il convenait de faire, devant sa destinée.
Pas un ami, personne à qui demander conseil, rien qu'un entourage d'ivrognes, une ambiance, d'inconnus véhéments dont certains manifestaient une grossièreté insoutenable. Aux yeux encore neufs de Yasreg, tout cela apparaissait répugnant et vil.
A 21 ans, Yasreg n'avait pas encore atteint le sens des nuances. Il connaissait peu de choses et pire encore, il croyait en savoir beaucoup d'autres. Il allait, face à ce qui l'attendait, acquérir graduellement la force d'inertie, qui, jointe à une lucidité aiguisée par les épreuves, les privations, et surtout, la pleine et totale compréhension du fait qu'il ne pourrait compter que sur lui-même, devenir un autre être.
Il passa la nuit à même le sol. Puis, il constata qu'il avait des poux. Ecoeuré, honteux, il fit de son mieux pour faire disparaître ces familières bestioles. N'empêche! Quelle déchéance! Mais il fallait poursuivre, continuer ...
Le 1er mai 1941 était férié également, du moins Yasreg le suppose puisque la cuite générale continua. En compensation, il y avait de quoi se nourrir. Bref, tout se passa bien, à part quelques pugilats homériques.
Notable différence le jour suivant. Réveillé en sursaut par une bourrade dans les côtes, Yasreg dévisagea un Individu mi-civil, mi-militaire, qui lui enjoignit de s'emparer d'un balai de rotin et de brosser les locaux. Apparemment, il était le seul candidat à l'engagement, les autres semblaient avoir disparu.
Le nettoyage dans la chaleur et la poussière consistait tout simplement à transférer cette dernière d'un point à un autre. La crasse régnait en maîtresse partout, elle était incurable compte tenu de la vétusté des bâtiments. Yasreg mania l'engin avec une énergie mitigée, s'attirant des remarques acerbes de l'individu qui selon lui, remplissait les fonctions de caporal de chambrée.
Une envie énorme, submergeante, poussa soudain Yasreg a quitter ces lieux, s'en aller, laisser tout tomber, disparaître, reprendre la route solitaire. Quitter Ste Marthe ne présentait aucune difficulté. Il était plus difficile d'y entrer. Rien ne le forçait à s'engager. Mais l'endroit avait son côté avantageux non négligeable: il fournissait à manger gratuitement. Cela méritait plus qu'une considération superficielle. Mais un ordre bref le rappela soudain au sens des réalités:
"Vous là-bas, le candidat. Passez au bureau... au trot!"
INTERMEDE
Dans sa situation, réduit à l'état d'une vulgaire cloche, Yasreg n'avait pas le choix des moyens. De plus, au cours des visites médicales passées à Lyon avant son engagement provisoire, il avait constaté qu'il ne faisait médicalement pas le poids. En effet, sur la balance médicale, il se situait bien en dessous des normes.
Sa conviction était bien assise sur le fait qu'il ne serait jamais admis. Il cherchait à gagner du temps, à se resituer dans un contexte d'action vers l2 but qu'il s'était tracé : gagner l'Angleterre et continuer la lutte.
Ne pouvant évidemment faire part de ses préoccupations à celui qui l'interrogeait, il fit simplement la réponse qu'il avait gratiné lontemps d'avance :
C'est cette réponse qu'il donna à l'officier qui lui posa la question attendue : "Pourquoi voulez-vous vous engager à la Légion ?"
Yasreg se retrouva quelques minutes plus tard face aux médecins du centre de recrutement. Hirsute, crasseux et pouilleux, il fut admis sans cérémonie sous la douche et nanti d'un bout de savon "ersatz". Il n'était pas seul à passer sous la douche. En file indienne et en tenue d'Adam, trois minutes d'eau tiède devaient suffire. Quel soulagement quand même, ce simple contact minute, sous les engueulades des infirmiers. Cela valait bien une incursion au Camp Ste Marthe, même si l'intention de signer devenait de moins en moins évidente.
La visite médicale approfondie suivit, en série, mais minutieuse. A la Légion, il ne faut pas un doigt de pied de travers. Les sacs d'os que nous étions, étalaient leur pitoyable humanité face au regard inquisiteur des médecins du lieu. On ne leur fit grâce de rien : la vue, l'ouïe, les dents, les exercices d'assouplissement, l'examen approfondi de la cage thoracique, les réflexes, le poids, etc.... tout cela au vu et au su de toute l'assistance.
Yasreg passa ses épreuves de façon satisfaisante. A Marseille, il faisait le poids. Par quel miracle ? Sans doute était-il un peu mieux lesté que d'habitude. Il se retrouva dehors, apparemment admis.
La signature du contrat devait se faire un jour ou deux plus tard. L'engagement était de 5 ans.
Yasreg constata une fois de plus que quand l'armée confie une responsabilité aussi mineure soit-elle à un imbécile, ce dernier s'empresse d'en abuser. Ce fait typique, objet de constatation quasi générale devait précipiter sa décision de ne pas signer. On aurait pu croire par l'attitude des faisant fonction de caporaux qui sévissaient sans vergogne dans le landerneau au milieu de la grossièreté générale, qu'ils voulaient enlever aux candidats à l'aventure toute velléité de s'engager.
Les corvées les plus rebutantes pleuvaient. Les procédés moyennageux d'élimination scatologique en usage au Camp Ste Marthe, joints à la chaleur du lieu, retournaient l'estomac des mieux doués pour ce travail. A ces joyeusetés s'ajoutait "la pluche", qui consistait, pour ceux qui l'ignoreraient encore, à nettoyer les légumes crus ou secs. Yasreg a le souvenir d'avoir cherché "la petite bête" dans les pois chiches, bourrés de charançons, ou dans les lentilles qu'il fallait extraire une à une des tas de cailloux présentés à la sagacité des candidats légionnaires. Le 30 avril et ses agapes étaient déjà loin dans les souvenirs.
"Rappelez-vous que vous les becquetterez, comme vous les aurez nettoyés, tas de fainéants!!" affirmait le personnage appelé à exercer la surveillance requise sur cette délicate opération.
Yasreg se rappelle ce dîner, où le gravier qui n'avait pu être éliminé croquait sous la dent. Il décida alors de profiter de la première occasion pour lever le pied. Personne n'avait d'uniforme. Il fallait attendre la signature du contrat pour se coiffer, non pas du képi blanc, mais du fameux bonnet de police à deux pointes. Pour ceux qui avaient le mollet bien fait, les bandes molletières en relevaient le galbe. Pour les autres, ils avaient bonne mine.
Le lendemain Yasreg quitta le Camp Ste Marthe, pour, pensait-il, ne jamais y remettre les pieds.
Une idée lui avait été suggérée pendant son séjour à Ste Marthe. Pourquoi ne pas contacter la légation de Belgique à Marseille? Après tout, pourquoi pas ? Autant essayer...
Yasreg essaya. Il n'était d'ailleurs pas seul. D'autres belges, jeunes et moins jeunes essayent d'obtenir de ce qui subsistait du tissu diplomatique, une aide qui leur permettrait de sortir de leurs problèmes. Ceci s'avéra, évidemment illusoire. Plus rien ne subsistait en France de ce qui avait été une collaboration entre Etats. Le chaos régnait à la Légation, au milieu d'une désinvolture officielle teintée de hargne. Les gens en place ressentaient comme une atteinte à leur dignité, à leur quiétude, le fait d'être astreints aux visites d'une foule de gens hérissés de problèmes parfois épineux, mais qui tous se rencontraient sur un point commun : les poches vides. Bref, ces fonctionnaires "belges" n'étalent pas contents. Ils le montraient. A leur décharge disons que, sans instructions valables quant à leur pouvoir d'agir, ils se sentaient à peine tolérés par les autorités de Vichy.
Yasreg eut droit au pensum d'usage d'un petit vieux, chétif, bilieux, qui l'enguirlanda copieusement pour se trouver en France dans une situation qu'il qualifia à juste titre d'illégale. L'indignation secouait le personnage au point qu'il en perdit ses besicles. Il les ramassa, les remit en place, et continua en ses termes :
"A votre âge jeune homme, au lieu de courir les rues ici comme un vagabond, vous devriez être en Belgique, participer à la reconstruction du pays. Je ne peux rien pour vous, sauf vous inviter à vous présenter aux autorités françaises pour être rapatrié.
"Vous allez recevoir un ordre de marche et vous rejoindrez le dépôt des archives de l'Armée Belge, Chemin de Maurin à Montpellier. Vous y prendrez contact avec le Cdt F... qui en temps utile prendra ses dispositions pour vous renvoyer en Belgique.
"Pour le reste, puisque vous vous êtes mis dans la situation où vous vous trouvez de votre propre faute, vous devrez vous en sortir par vos propres moyens. Nous n'avons, ni le pouvoir, ni les possibilités de vous aider financièrement et vous devrez vous débrouiller pour obtenir votre carte de ravitaillement. Vous comprendrez sans difficultés, qu'il ne nous est pas possible d'aider des gens comme vous, que nous considérons comme des déserteurs."
Yasreg ne répondit pas, contrôla son envie féroce de cogner, et se retrouva dans la rue.
Que faire? D'abord gagner Montpellier, ensuite on verrait. En effet, dans l'optique simpliste du vagabond Yasreg, il s'agissait d'une étape vers l'Espagne. Tout ce qui le rapprochait de cette destination tournait à son avantage.
Autour de lui, la foule anonyme circulait avec des visages fermés comme des murs. Il longea des quais où la cohue se coudoyait. Sur le sol gisait un homme qu'il dut enjamber. Le pauvre diable était inerte, mais personne apparemment n'y prêtait attention. Etait-il mort? .... de faim peut-être ?
Simple incident de parcours, bien sûr, dont Yasreg devait conserver le souvenir. Image d'un monde où l'égoïsme prenait le pas sur tout autre sentiment. Dans sa candeur naïve, l'indifférence cauchemardesque de ces gens qui enjambaient simplement le pauvre diable sans lui prêter secours, lui paraissait ignoble.
Dans son cas, que pouvait-il attendre de cette masse ? Ulcéré, écoeuré, il ressentait ce fait banal, la mort d'un pauvre, comme un apport supplémentaire à son propre désarroi. Il réalisa dans toutes ses fibres la précarité de sa situation.
Que faire? D'abord sortir de cette ville où il étouffait, gagner la grand'route, respirer un autre air. Ensuite chercher du travail pour se constituer un pécule avant de progresser davantage. Il fallait aussi résoudre d'urgence le problême de sa carte de ravitaillement, à présent périmée.
Avec amertume, il repensa aux gratte-papiers en place, à leur stupidité, à leur veulerie. Il aurait volontiers vomi, s'il avait eu quelque chose à vomir. Ces gens allaient sans doute servir les Boches, dès qu'ils recevraient leurs instructions et, comme des rats, s'installeraient dans leurs trous pour y attendre des temps meilleurs. Yasreg n'a jamais digéré la hargne de ce petit parasite vieilli, image d'un certain monde en train de crouler, image aussi de la médiocrité aigrie de toute une vie. Avec le recul du temps, ce jugement féroce s'est enrobé de pitié. Yasreg a acquis à présent, à ses dépens, le sens des nuances. Il se rappelle la scène, le visage, l'ambiance, mais le nom est oublié. La page est tournée.
La route est belle, un peu sinueuse, elle serpente au milieu des coteaux couverts de vignobles, des maisons coquettes baignées de soleil. La chaleur monte, le ciel est sans nuages. Parfois une échancrure du décor permet la vision toute proche de la mer bleue. Les relents de cantharides se mêlent aux cris des mouettes. C'est vrai, des êtres vivants sont encore libres, si l'humanité ne l'est plus.
Les kilomètres s'additionnent. Presque pas de trafic, les rares voitures à gazogène font ce qu'elles peuvent en crachant leurs fumées noires. Mais leurs conducteurs, ne semblent même pas remarquer que Yasreg est à pied.
Ah! Voilà un village... Il est complet avec sa mairie, son église et son école. Endroit paisible, on dirait que le temps s'y est arrêté. Une place ombragée d'arbres, quelques boutiques, des estaminets. Yasreg s'assied sur un banc. La soif le tenaille. Il regarde autour de lui. Ah! une fontaine, il va pouvoir boire, se rincer la figure ... quelle aubaine!
En face de lui, toute proche, une cour d'école. Des jeunes filles y sont en récréation. On l'aperçoit. Des groupes se forment, des réflexions fusent parmi cette belle jeunesse, au milieu des rires étouffés.
"Non, mais regardez-moi cette cloche!"
"D'où sort-il, ce sans-culotte?"
"Ah, oui, il a découvert l'eau, il n'attend plus que l'invention du savon!"
Ces jeunes personnes sont jolies, rieuses comme toutes les filles de leur âge. Mais Yasreg a 21 ans. Quelques-unes le considèrent avec pitié, d'autres avec mépris, toutes avec curiosité. Le pauvre hère se sent soudain face au mur de la honte, de l'humiliation, de la solitude. Mais que le lecteur se rassure : Il a toujours son pantalon, du moins ce qu'il en reste.
Il se lève, traverse la place, continue la rue principale, remarque finalement que les passants le dévisagent. Yasreg se ressaisit, se demande pourquoi. Puis la compréhension lui vient : son visage est couvert de larmes. Il ne s'en était même pas rendu compte.
MISE AU POINT :
A ce stade, Yasreg voudrait brièvement préciser quelques détails qui lui paraissent importants pour la saine compréhension de son récit. Il se défend d'avoir tout simplement rédigé une sorte de moment du "mol". Il insiste sur le fait qu'il ne relate et ne relatera que ce qui lui reste de ses souvenirs personnels. Plus de 40 ans se sont écoulés. Bien sur, Yasreg a évolué. Ce n'est plus le même homme que celui qui arpentait la France occupée pour tenter de faire ce qu'il jugeait devoir faire. Mais il y a toujours des points communs entre ces deux personnages devenus différents : l'entêtement d'abord, et surtout, la compréhension lucide qu'ils n'ont jamais pu compter que sur leurs propres forces.
Ceux qui lui font l'honneur de le lire, savent qu'il ne dit que ce qu'il veut bien dire. Il évite et évitera soigneusement de nommer qui que ce soit. Bien des détails ont été omis afin de rendre le texte le moins ennuyeux possible. Rien de ce qu'il a dit et a à dire n'est romantique ni spectaculaire. Il croit nécessaire de répéter que sa seule intention est purement subjective. Yasreg fait son bilan. Il n'a rien d'un héros. Il se défend de vouloir faire oeuvre littéraire. Ce texte n'est pas destiné, à la publication, mais bien à quelques amis qui lui ont demandé de le faire.
Il voudrait ajouter ceci. Face au Midi de la France occupée, réduit au vagabondage, sans toit et sans moyens d'existence dignes d'être mentionnés, Yasreg n'aurait pas duré longtemps sans l'aide de nombreuses personnes. La gentillesse, le désintéressement et le sens de l'hospitalité de ces anonymes ne peuvent être passés sous silence. Il n'a malheureusement comme possibilité d'exprimer sa gratitude que quelques phrases qui resteront par la force des choses, confidentielles.
Le bâtiment municipal de ce village, est conforme à la tradition. On rencontre pratiquement le même dans toutes les localités françaises. Celui-ci a ses murs peints a la chaux. On a placardé dans un désordre pittoresque, les communiqués officiels de l'Etat Français du Maréchal. Comme chacun sait ce dernier a remplacé la République. L'oeil est attiré d'emblée vers les affiches appelant la jeunesse à servir dans l'armée ou dans les organisations étatiques : volontaires pour ceci ou cela. Il y en a pour tous les goûts. On en trouve même qui vantent les vertus de la reconciliation franco-allemande, par le truchement du travail volontaire.
L'endroit est paisible, presque désert. Yasreg entre. Dans le fond d'un couloir, face à l'entrée, une porte est ouverte.
Un homme de forte taille, moustachu, installé dans un fauteuil de rotin le regarde entrer. Les deux hommes se dévisagent. Yasreg se sent plutôt intimidé. Des mouches bourdonnent dans les quelques secondes de silence, il s'agit pour notre vagabond d'obtenir une nouvelle carte de ravitaillement en remplacement de celle qu'il détient. Elle est périmée. S'il dispose encore de quelques francs, il n'a plus de tickets, donc ne peut plus rien acheter.
"Que puis-je faire pour vous?" dit l'homme assis.
"Excusez moi" bredouille Yasreg. "Je voudrais parler à Monsieur le Maire"
"Eh bien!" dit l'autre, "Allez-y c'est moi le maire".
Gêné, Yasreg sort le document qu'il a reçu de la Légation Belge de Marseille.
"Ma carte de ravitaillement est périmée" dit-il, "je voudrais la changer. Comme vous voyez, je dois joindre Montpellier par mes propres moyens. J'ai encore de l'argent, mais plus de tickets."
L'homme continue à le dévisager sans un mot. Puis, il se lève, va chercher une carte dans une armoire murale, la remplit, signe, appose un cachet et la lui tend. Il ne semble même pas avoir regardé l'ordre de marche de notre voyageur sans bagages.
"Vous êtes belge" dit-il - "Restez en France. Ne vous laissez pas rapatrier. Vous trouverez du travail dans les environs si vous voulez. Pour le moment, on sulfate les vignes. Après, il y aura les vendanges, de quoi vous débrouiller quelque temps".
"Merci" dit Yasreg. "En effet, je voudrais travailler quelques temps pour me constituer un pécule. Il n'est pas souhaitable pour moi, de rentrer en Belgique pour le moment. J'ai bien sûr mes raisons".
Le maire se lève, se dirige vers l'armoire qui comble l'encoignure, l'ouvre, en sort un quignon de pain, des olives, un fromage de Roquefort et un litre de rouge.
"Tenez" dit-il, "vous devez avoir faim. Nous allons manger un bout ensemble."
Yasreg constata une fois de plus que la Providence ne l'abandonnait pas. Ce brave homme qui n'a pas réellement vérifié son identité lui a offert sur sa "bonne mine" une carte de travailleur lourd. Cette carte est réservée aux terrassiers, aux bûcherons, à ceux qui exercent une activité particulièrement fatigante.
Le maire le regarda manger sans le faire lui-même. Un verre de pinard compléta le repas.
"Si vous voulez du travail, présentez-vous de ma part à la ferme..., c'est à 2 Km d'ici; bon voyage et bonne chance".
La gorge serrée Yasreg remercia, sortit de la mairie et reprit la route. Un peu plus loin, à l'écart, il sortit sa carte de ravitaillement toute neuve, l'ouvrit... Elle contenait un billet de 100.- francs pliés en quatre.
Le sulfatage des vignes est destiné à détruire les insectes qui s'y attaquent. Le travail est simple mais dur car il s'agit de coltiner des heures durant une sorte de bonbonne contenant un produit pulvérulent toxique. Un tuyau de caoutchouc et un système de vaporisation permettent la projection du produit sur les sarments, le feuillage et les raisins encore verts. Le tout en plein soleil.
Yasreg a fait partie d'une équipe de sulfatage. Il a souvenance d'avoir tenu le coup cinq jours, de 7 heures du matin au coucher du soleil. Avant le départ pour la vigne, on déjeunait sommairement. A midi, on amenait de la soupe, des légumes et du pinard. On recommandait de ne pas boire d'eau. Le soir, on soupait avec des oeufs, du poulet ou du fromage.
L'intéressant, c'était la rémunération. Il y avait aussi la possibilité de laver les vêtements, de reprendre une allure un peu plus convenable. Il eut aussi droit à une couverture et un tas de foin. Les fermiers n'étaient pas riches mais ils lui offrirent une paire d'espadrilles à semelles de corde, plus confortables que les grosses godasses qui l'avaient amené où il était.
MONTPELLIER : Chemin de Maurin
A cet endroit, dans un terrain vague cerné de murs, un dépôt d'archives de l'Armée Belge avait pris refuge. Des caisses en bois empilées dans un hangar, 2 camions hors d'usage et un tas de matériel hétéroclite remplissaient le dépôt. En entrant, il fallait passer par le bureau du Commandant F... et se faire connaître. Un personnel militaire, mais vêtu en civil, attendait les instructions qui devaient normalement venir de Belgique. Dans cette expectative qui pouvait prendre du temps, chacun se débrouillait comme il pouvait. Beaucoup de Belges en détresse y avaient échoué.
Le Cdt F.... était borgne. Il buvait beaucoup et n'était pas facile à vivre. Mais il était accessible aux gens sincères et les explications fournies par Yasreg le convainquirent sans difficulté qu'il ne pouvait être question de rapatriement pour lui. Ainsi Yasreg entra en contact avec le Capitaine C...., officier français du 2e bureau avec qui il eut une conversation instructive et utile.
Cet officier lui proposa même de le faire français en 5 minutes.
Pour des raisons évidentes, le vagabond Yasreg refusa cette proposition. Elle lui aurait certainement assuré une certaine aisance matérielle et la résolution pour un temps de ses problèmes, mais c'en était fini de sa liberté d'action. Un corollaire évident, était la renonciation à gagner l'Angleterre. Il ne pouvait en être question.
INTERMEDE : Décor :
Un salon cossu, avec au mur les portraits du Roi Léopold III et de la Reine Astrid cravatés de tricolore. Le milieu est belge, cela se voit. Des tapis, de confortables fauteuils et des tableaux de maîtres forment un ensemble recherché et de bon goût. Une assemblée de personnes bien vêtues, de dames élégantes et de jeunes filles bien élevées l'occupent. C'est le lieu de ralliement, si on peut dire, de la colonie belge de Montpellier.
Elle groupe surtout des gens exerçant des professions libérales, qui sont toutes soumises à l'interdiction d'exercer décrétée par Vichy. Elles ont pour chef de file, le Docteur ..... lui-même réduit à l'inactivité. Beaucoup de ces personnes habitent la France depuis de nombreuses années. Sous un aspect souriant et affable, tout le monde est tendu, désorienté. On attend du gouvernement belge (?) des décisions diplomatiques. On pourra sans doute se barder de patience.
Pour le moment, chacun regarde curieusement Yasreg qui vient de pénétrer dans le salon, introduit par deux boy-scouts en costume belge. Que vient-il faire dans cette galère ? Comment s'est-il faufilé là ?
C'est très simple, le Cdt F.... lui a tout simplement demandé de remettre une lettre au docteur .... cité plus haut. Chargé d'attendre une réponse écrite éventuelle, Yasreg se voit introduire dans ce milieu inconnu où il n'est manifestement pas à sa place. Situation embarrassante pour la dignité du malheureux, ou plutôt pour ce qui lui en reste. Personne ne lui adresse la parole. Des coups d'oeils furtifs s'échangent dans la galerie. Ces gens-là sont trop polis pour sourire, mais les réflexions se chuchotent de bouche à oreille. Contrôlée mais malgré tout bien apparente, la question que tout le monde se pose est claire et nette: "Qu'est-ce que cet individu vient faire ici ?" Yasreg n'en mène pas large.
La situation devient franchement déplaisante et plus humiliante encore, quand il constate que les deux scouts qui l'ont fait entrer, très gentiment d'ailleurs, circulent partout en présentant une sorte de sébille.
"A votre bon coeur. Mesdames et Messieurs, pour venir en aide à notre jeune compatriote qui doit être rapatrié!"
Yasreg était sur le point de quitter l'endroit sans cérémonie, mais il n'avait pas le choix, car c'était probablement le Cdt F.... qui avait organisé la chose pour lui venir en aide.
Bref, Yasreg se sent promu. Il n'était que vagabond, le voilà devenu mendigot.
A suivre.
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J. HARLEPIN - L'obus Röchling à Battic - J. HARLEPIN

NOTE SUR LES ESSAIS D'OBUS RÖCHLING

La présente note a été établie en se basant sur des données reprises dans un article paru dans la revue allemande WAFFEN-REVUE (E.5052 F) n+49 de 1983, - (voir pages 7827 et suivantes).
En fait cet article concerne le "35,5 cm. Mörser M 1", canon de gros calibre (355 mm) étudié pour les bombardements de fortifications. Les études ont commencé en 1935 mais la production a été lente; entre décembre 1939 et mars 1944 il y eut huit pièces de produites, l'intérêt de ce type de canon réside dans le fait qu'il a été utilisé pour les essais de l'obus Röchling. En dehors de cela, on ne mentionne guère d'emploi de cette pièce sur les fronts entre 1940 et 1945. En 1940 seul un premier canon est disponible et il y eut des gros problèmes dans la fabrication des obus explosifs de ce calibre; les usines étaient, en fait, surchargées par les besoins énormes en armes et munitions exigées par la Wehrmacht.
Néanmoins, l'étude de l'obus Röchling allait bon train mais il n'était toutefois pas prêt en 1941 pour le siège de Sébastopol.
Avant d'en venir à cet obus Röchling, décrivons sommairement le canon.
A.- CARACTERISTIQUES
1. TUBE - poids : 12.800 kilos
- calibre : 355,6 mm
- longueur : 10.265 mm
- longeur du recul : 1.000 mm
2. AFFUT : fixe avec appui au sol double, voir plan annexe
- poids (avec tube) : 78.000 kilos
- Dimensions de l'ensemble H (maximum) : 11.750 mm
- L : 9.950 mm
- l : 5.460 mm
3. PORTEES et Vo : variables suivant les charges propulsives (de 1 à 4)
Citons quelques chiffres :
1 charge - Vo = 330 m/s - portée : 9.450 m
2 charges - Vo = 390 m/s - portée : 12.000 m
3 charges - Vo = 470 m/s - portée : 15.600 m
4 charges - Vo = 570 m/s - portée : 20.850 m
B.- DEPLACEMENT
Le poids total obligeait de transporter ce canon en sept charges séparées (voir croquis) à savoir :
1) Remorque - Grue
2) Remorque - Plaque de base principale
3) Remorque - Affût inférieur
4) Remorque - Affût supérieur (avec passerelle)
5) Remorque - Berceau
6) Remorque - Tube
7) Remorque - Plaque de base auxiliaire
Pour plus de détails et de photos, nous renvoyons à la revue allemande.
Venons en maintenant à ce qui nous intéresse particulièrement.
C.- ESSAIS DE TIR AVEC OBUS RÖCHLING
Selon Waffen Revue ces essais auraient eu lieu du 12 février 1943 au 25 février 1943. Les armes suivantes y ont participé :
1) 35,5 cm. Mörser M1, avec obus 35 cm. Rö Gr 42 Be
- sur le fort de Battice
2) 21 c. Mörser 18 avec (21 cm. Rö Gr 42) 21 cm. Rö Gr 44 Be
- sur Aubin Neufchâteau
3) 34 cm. KW (E) 674 (f) avec 34 cm. Rö Gr. 42 Be
- également sur Aubin Neufchâteau.
N.B.
a) pour le point 1 - il s'agit du canon décrit ci-avant
b) pour le point 2 - il s'agit du canon décrit dans l'article de Mr P. TOUSSAINT, paru dans le bulletin du C.L.H.A.M. - 1981 - Tome I, pages 13 à 17.
c) pour le point 3 - il s'agit d'un canon de calibre 340 mm sur voie ferrée (E = EISENBAHN) et provenant de prises sur l'armée française (f = français)
Waffen Revue se limite au premier cas, soit l'emploi du 35,5 cm. sur Battice, et envisage de faire paraître ultérieurement une étude plus complète sur la question dans son ensemble.
Le but des essais, auxquels 250 hommes participèrent, était de contrôler le pouvoir de perforation des obus Röchling dans le béton massif, le comportement de l'obus et le fonctionnement de la fusée. Pour une description de l'obus et de son principe, nous renvoyons à l'article de Mr TOUSSAINT.
La distance de tir du M 1 par rapport à son objectif (Battice) était de 7.950 m. Le but était le bloc G. (*) (terminologie allemande ?) avec une tourelle de 4,5 m Ø et réalisé en béton armé; un autre but était une installation souterraine à une profondeur de 27 mètres et une épaisseur de béton armé de 40 cm. en toiture. Le tir se faisait à 45°, par temps défavorable (vent de 26-30 m/sec, debout et latéral, nécessitant des corrections de tir).
D.- RESULTATS (partiels)
- Deux coups tombèrent devant le but
- Quatre coups touchèrent la coupole blindée et pénétrèrent dans le béton armé de :
- coups n° 13 - 3,37 mètres
- coups n° 15 - 3,40 mètres
- coups n° 23 - 3,20 mètres
- coups n° 24 - 4,20 mètres
(*) NB.- Nous pensons qu'il s'agit de l'un des blocs B Nord ou B Sud, avec coupoles 2 x 120 mrn. disposant en sous-sol de magasins à munitions. Ces blocs étaient particulièrement bien protégés.
Pour chacun de ces quatre coups, il y eut de gros morceaux de béton arrachés et les trous avaient 2 x 2 m de dimensions. Trois des quatre coups se trouvaient groupés.
- Les coups tirés sur les installations souterraines, qui se trouvaient sous une épaisseur de terre de 27 mètres et étaient protégées par 40 cm de béton, étaient également satisfaisants.
- Le coup n° 6 perça un mur latéral de 30 cm de béton et pénétra profondément dans le sol.
- Le coup n° 11 traversa le toit du magasin Ouest, perça trois châssis à munitions et termina sa trajectoire dans le sol.
- Le coup n° 18 traversa 40 cs de béton à l'entrée du magasin Est et ensuite les 30 cm du sol avant de rester fiché dans le sous-sol.
Il en fut conclu que l'obus 35 cm Rö Gr. 42 Be pouvait percer un mur en béton de 4 mètres (?). En ce qui concene les utilisations au front, on ne sait rien.
Nous concluerons qu'il y eut au moins 24 coups d'essais tirés par le M1.
La revue publie quelques photos, difficiles à reproduire ici. Nous les commentons néanmoins.
(pages 7840 et 7841) - L'obus Rö est suspendu à la grue de chargement; on voit nettement sa forme en flèche avec deux surépaisseurs
(page 7841) - L'obus est prêt à entrer dans le tube
Photo E et Photo F (page 7842) - L'obus entre dans la culasse.
Photo G (page 7843) - On amène sur la plateforme la charge propulsive.
Photo H (page 7843) - Vue du trou dans la terre (provoqué par la chute du projectile).
Photo J (page 7844) - Dégâts sur un mur latéral du fort.
Photo K (page 7844) - Entrée d'un obus dans le béton; trou rond bien net et ferraillage percé.
Photo L (page 7845) - Trou percé dans le châssis à munitions (coup 11).
Photo - Bild A - M 1 in Stellung auf Fort de Battice (Waffen-Lexicon 1711-100 4 - Waffen-Revue 49/7839).
Photo - Zeichnung 23. Das fertig montierete Gerät
Nous attendons avec beaucoup d'intérêt l'étude détaillée annoncée par WAFFEN-REVUE et concernant les essais de cet obus Röchling peu connu.
REMARQUE: il nous semble que cet obus Röchling est en quelque sorte l'ancêtre de l'obus anti-char actuel sous-calibre, dénommé APFSDS (Armor Piercing Fin Stabilised Discardinq Sabot).
Dessin shématique d'un projectile à énergie cinétique du type APFSDS
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